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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9382/2019

ACPR/534/2022 du 09.08.2022 sur OCL/1671/2021 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;FRAIS DE LA PROCÉDURE;ACTION RÉCURSOIRE
Normes : CPP.420.leta; CPP.427.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9382/2019 ACPR/534/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 9 août 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me B______, avocate,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 15 décembre 2021 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 27 décembre 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 décembre 2021, notifiée le 20 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement de la procédure (ch. 2 du dispositif), l'a condamnée au paiement des frais, arrêtés à CHF 14'238.- (ch. 11).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés en totalité à CHF 1'583.20, à l'annulation du chiffre 11 du dispositif de l'ordonnance querellée et à ce qu'elle soit libérée du paiement des frais de la procédure préliminaire.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 8 février 2019, A______, née en mai 2000, a déposé plainte contre inconnu à la police.

a.a. Entre décembre 2018 et janvier 2019, elle avait notamment reçu des messages Instagram d'un compte nommé "1______", dont l'auteur la menaçait de viol et l'alertait sur l'infidélité de son copain, C______.

En outre, le 4 février 2019, elle avait été victime d'une agression en rentrant au domicile, sis aux F______ [GE], qu'elle occupait avec sa mère, ses frères et ses sœurs. Après qu'elle fut entrée dans l'immeuble, un individu l'avait poussée dans l'ascenseur et lui avait infligé un coup de poing au visage. Il l'avait plaquée contre la paroi et lui avait volontairement touché un sein et les fesses avec ses deux mains. Elle avait heurté la tête contre la barre de l'ascenseur après que l'homme l'eut poussée. Alors qu'elle était par terre, son agresseur lui avait donné des coups de pied. Lorsque la porte de l'ascenseur s'était ouverte, l'individu était parti en courant.

Elle a fourni aux policiers un certificat médical daté du 8 février 2019, dont il ressort notamment qu'elle présentait, ce jour-là, différents hématomes sur la joue, le genou et le tibia ainsi qu'une plaie sur le front gauche. Elle a également produit les messages qu'elle avait reçus du compte Instagram susmentionné.

a.b. Les prélèvements effectués par la police sur la veste qu'elle portait le 4 février 2019 ont mis en évidence un profil ADN compatible avec celui de C______, lequel avait collaboré avec les autorités.

a.c. Sur demande de la police, le Ministère public a en outre ordonné, le 8 mai 2019, le dépôt par Facebook de l'historique complet du compte Instagram de "1______".

Il ressort des éléments obtenus que le compte Instagram a été créé le 1er décembre 2018 sur la base d'une adresse e-mail appartenant à A______, laquelle avait reçu, sur cette même adresse, un courriel permettant l'accès au profil nouvellement créé. Il n'était toutefois pas possible d'identifier l'auteur des messages à partir des adresses IP.

b.        Le 9 mai 2019, A______ a déposé une seconde plainte contre inconnu par-devant la police.

Le 28 mars 2019, elle avait été agressée par une personne alors qu'elle se rendait dans la buanderie de son immeuble. Un homme lui avait asséné un coup de poing au visage, avant de quitter les lieux. Elle était certaine qu'il s'agissait de la même personne qui l'avait violentée le 4 février 2019.

Elle soupçonnait son père, D______, d'avoir fait appel à cet homme par vengeance en raison de la plainte que sa mère et elle avaient déposée contre lui pour les violences physiques et morales qu'elles avaient toutes deux subies. Le jour précédant l'agression, le Ministère public avait tenu, dans le cadre de la procédure dirigée contre son père (P/2______/2018), une audience en présence de toutes les parties. Par ailleurs, D______ l'avait souvent menacée de mort, précisant être en mesure de payer quelqu'un pour mettre ses menaces à exécution.

À l'appui de sa plainte, elle a produit un certificat médical du 29 mars 2019, duquel il ressort, notamment, qu'elle présentait une enflure assez importante du nez.

c.         Le 3 juin 2019, E______, mère de A______, a déposé plainte contre inconnu auprès de la police pour violation de domicile.

c.a. Elle expose que, le 26 mai 2019, sa fille A______, alors seule à la maison, avait entendu une personne entrer dans l'appartement familial et chercher quelque chose dans le cagibi ainsi que dans le faux-plafond des toilettes.

c.b. Par courrier du 4 juillet 2019, E______ a, sous la plume de son conseil, fourni au Ministère public des précisions sur les évènements du 26 mai 2019.

Elle a également expliqué que, le 15 juin 2019, une nouvelle tentative d'intrusion dans le domicile s'était produite. Alors que la famille était réunie dans l'appartement, une personne avait essayé d'ouvrir la porte.

d.        Le 16 juillet 2019, A______ a déposé une troisième plainte contre inconnu à la police, relatant les évènements des 26 mai et 15 juin 2019 d'ores et déjà dénoncés par sa mère.

d.a. Il ressort des mains-courantes de la police que, le 26 mai 2019, A______ a appelé les forces de l'ordre pour dénoncer la violation de domicile du même jour.

d.b. La police s'est rendue sur les lieux afin de prélever les traces identifiées par A______ et E______. Les analyses réalisées sur cette base n'ont pas mis en évidence d'éléments utiles à l'enquête.

e.         Par ordonnance du 12 septembre 2019 rendue dans le cadre de la P/2______/2018, D______ a été reconnu coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 et 2 al. 1, 3 et 4 CP), contrainte (art. 181 CP), tentative de contrainte (art. 22 et 181 CP), menaces (art. 180 al. 1 et al. 2 CP), injure (art. 177 al. 1 CP) et voies de fait (art. 126 al. 1 et 2 let. a et b CP) commises sur A______ et E______.

Cette décision est entrée en force, le condamné ayant retiré son opposition.

f.         Le 25 septembre 2019, A______ a déposé une quatrième plainte contre inconnu à la police.

f.a. Le 22 septembre 2019, elle avait été victime d'une troisième agression dans son immeuble. Un homme, qui se trouvait dans les escaliers menant au premier étage, l'avait attrapée par les cheveux et tirée jusqu'à lui. Il lui avait donné des coups de poing. Elle était certaine qu'il s'agissait du même homme que les dernières fois.

Elle soupçonnait toujours son père d'avoir engagé une personne pour l'agresser, notamment parce qu'il venait de réceptionner l'ordonnance pénale précitée.

À l'appui de ses déclarations, elle a produit un constat médical du 23 septembre 2019, à teneur duquel elle présentait diverses lésions au visage.

f.b. Il ressort de la procédure que le jour des faits, la sœur de A______ a appelé la police.

f.c. Les vêtements de A______ ont été analysés. Aucun élément n'a pu être mis en évidence sur la base des prélèvements ADN effectués, outre que le profil de C______ était compatible avec certains d'entre eux.

g.        Dans son rapport de renseignements du 26 septembre 2019, la police parvient notamment à la constatation suivante :

"Au vu de la complexité de la situation, de ces agressions à répétition et des preuves en notre possession, il serait judicieux et important de procéder à divers actes d'investigations plus approfondis par les brigades spécialisées".

À l'issue de son rapport, la police a sollicité les mesures d'instruction suivantes :

-          une analyse discrète des téléphones portables de D______;

-          une éventuelle écoute téléphonique des appareils de D______;

-          la pose de plusieurs caméras de vidéosurveillance dans et aux alentours du hall d'entrée de l'immeuble de A______ ainsi que sur les points d'accès aux véhicules dans le quartier des F______;

-          une analyse et comparaison sur le plan européen des résultats des prélèvements ADN recueillis.

h.        Par courrier du 12 novembre 2019, la Fondation G______ a pris contact avec le Ministère public afin de lui communiquer son extrême préoccupation au sujet de la famille A______/D______. Il fallait urgemment agir pour mettre A______ en sécurité, vu les différentes agressions qu'elle avait subies.

i.          Par mandat d'acte d'enquête du 14 novembre 2019, le Ministère public a ordonné à la police de procéder à l'audition de A______ ainsi que de son frère.

j.          Le 15 novembre 2019, A______ a déposé une cinquième plainte contre inconnu auprès de la police.

j.a. Elle avait été victime d'une quatrième agression survenue le 13 novembre 2019. Alors qu'elle fumait une cigarette devant son immeuble, un individu lui avait donné un coup de poing au visage et au ventre. Après avoir aperçu l'homme sortir un couteau, elle avait pris la fuite et s'était réfugiée dans un kiosque situé aux alentours. À nouveau, elle était sûre qu'il s'agissait du même homme.

Plus tôt le même jour, sa mère avait entendu une personne tenter de s'introduire dans l'appartement, sans l'apercevoir.

À l'appui de sa plainte, elle a produit trois certificats médicaux attestant de ses lésions. Elle a par ailleurs signé un formulaire par lequel elle consentait à ce que son téléphone portable soit fouillé par la police.

j.b. A______ a été examinée au Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après, le CURML). Elle présentait des lésions pouvant entrer chronologiquement en lien avec les évènements décrits.

Ses vêtements ont également été analysés. Les examens effectués sur les prélèvements recueillis n'ont pas permis d'établir un lien avec D______, ni avec une quelconque autre personne.

j.c. Le 13 janvier 2020, le Ministère public a ordonné à la Centrale d'engagement de coordination et d'alarmes (CECAL) de lui transmettre l'ensemble des enregistrements vocaux relatifs aux faits du 13 novembre 2019, car il avait été informé qu'une passante avait contacté les forces de l'ordre après l'agression de A______.

k.        Le 16 janvier 2020, le Ministère public a délivré un mandat d'acte d'enquête visant l'audition du frère de A______ et de deux amis de celle-ci.

l.          Le 24 janvier 2020, le Ministère public a entendu la précitée.

m.      Le 27 janvier 2020, la police a rendu un rapport de renseignements concernant l'analyse du téléphone portable de A______. Aucun élément recueilli ne permettait d'identifier l'éventuel complice de D______.

n.        Le 6 février 2020, A______ a déposé une sixième plainte auprès de la police pour une cinquième agression survenue le 2 février 2020.

n.a. Alors qu'elle se trouvait au 9ème étage de son immeuble, un homme lui avait asséné des coups au visage. Il lui avait dit en albanais "tu n'avais qu'à la fermer, et à la retirer". Il avait ensuite sorti un couteau et l'avait placé sous sa gorge. Une alarme sur son téléphone avait retenti et l'individu était parti en courant, laissant le couteau sur place. Elle était descendue au rez-de-chaussée pour sortir de l'immeuble, espérant voir quelqu'un qu'elle connaissait. Alors qu'elle était écroulée contre un mur, un jeune homme, à qui elle avait montré ses blessures, avait appelé la police. C______, qu'elle avait contacté, était venu. Les amis de celui-ci, qui l'accompagnaient, étaient montés au 9ème étage de l'immeuble et avaient récupéré le couteau. Il s'agissait toujours du même agresseur. Elle pensait que celui-ci n'était pas "la personne qui [était] derrière tout cela".

Elle a autorisé les policiers à effectuer diverses captures d'écran des messages, appels et autres activités se trouvant sur son téléphone pendant la période d'agression.

n.b. Les prélèvements effectués le 3 février 2020 n'ont pas permis d'identifier l'auteur des faits.

Il ressort de l'expertise effectuée par le CURML sur A______ que les déclarations de celle-ci étaient compatibles avec les lésions constatées.

n.c. C______ et la personne ayant fait appel aux forces de l'ordre ont été entendus par la police.

o.        Par ordonnance du 12 février 2020, le Ministère public a accordé l'assistance judiciaire à A______, en qualité de partie plaignante. Étudiante vivant chez sa mère, laquelle percevait des prestations de l'Hospice général, elle était indigente. Pour le surplus, l'action civile qu'elle entendait déposer ne paraissait pas vouée à l'échec.

p.        Le 4 mars 2020, le Service de protection des mineurs (ci-après, SPMi) a dénoncé auprès du Ministère public des faits caractérisés de maltraitance visant A______.

Le 7 février 2020, le psychologue H______ informait le service précité des faits suivants : "Le dimanche 2 février dans la soirée, A______ (19 ans) la sœur ainée de I______, a subi une 5ème agression, avec une lésion corporelle provoquée par l'usage d'un couteau au niveau du cou! Ce nouvel incident a passablement impacté toute la famille. Le mecredi 5 février, j'ai accueilli dans mon bureau à J______ [au quartier des F______] I______ qui s'est mise à pleurer alors qu'habituellement, c'est une jeune qui jusque-là gardait tout en elle. Elle a ouvertement exprimé son sentiment d'insécurité et sa crainte que sa sœur aînée clairement "prise pour cible" selon ses termes, finisse par "y passer"!".

q.        Le 5 mars 2020, le Ministère public a ordonné à la police de procéder à l'audition du frère de A______ et de C______.

r.         Durant le mois de mars 2020, la famille A______/D______ a déménagé à K______ [GE].

s.         Le 14 août 2020, A______ a contacté les forces de l'ordre, leur expliquant que, le 9 août précédent, dans la soirée, elle avait entendu quelqu'un derrière sa fenêtre. Le lendemain, elle avait retrouvé un mégot de cigarette sur le rebord.

t.          Le 21 août 2020, le Ministère public a ordonné à la police de procéder à l'audition de A______ en qualité de personne appelée à donner des renseignements au sens de l'art. 178 let. d CPP.

u.        Le 7 octobre 2020, A______ a été entendue par la police en cette qualité.

Elle a été confrontée à certaines incohérences de ses récits, aux résultats de l'enquête et aux doutes de l'autorité. Néanmoins, elle a globalement maintenu ses précédentes déclarations.

Elle avait obtenu son CFC mais n'avait pas la force de chercher du travail.

v.        Le 11 juin 2021, les parties ont été informées par le Ministère public du fait que les mesures de surveillance secrète suivantes avaient été ordonnées :

-            la pose de caméras dans l'immeuble aux F______ et dans les environs immédiats, du 10 octobre 2019 au 1er avril 2020;

-            une surveillance de la correspondance et la télécommunication de D______ du 12 avril au 11 octobre 2019;

-            une surveillance rétroactive de la correspondance par poste et télécommunication de D______ du 11 octobre 2019 au 11 janvier 2020;

-            la pose de caméras dans l'immeuble à K______ ainsi que dans les environs immédiats, du 26 février au 18 novembre 2020;

-            une observation le 28 août 2020 concernant D______, A______ et E______ dans les lieux librement accessibles.

Ces mesures, dont certaines ont été prolongées sur demande de la police, n'ont pas permis de mettre en lumière une quelconque implication de D______, ni de qui que soit d'autre.

w.      Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 11 juin 2021, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer les faits et leur a imparti un délai pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve.

x.        Par courrier du 21 juillet 2021, E______ s'est opposée au classement à venir. Les agressions dont sa fille avait été victime ne pouvaient, à ce stade, pas être remises en question. Elle était convaincue que sa fille n'avait pas ourdi de machinations ni mis en scène ces attaques.

Les faits dénoncés par elle-même et sa fille avaient débuté après la plainte déposée contre D______. Le faux compte Instagram avait été créé le 1er décembre 2019, soit quelques jours après la première partie de l'instruction dans la procédure dirigée contre le prénommé, étant précisé que les auditions de confrontation avaient eu lieu les 18 octobre et 23 novembre 2019. La veille de l'agression du 28 mars 2019, D______ avait été confronté aux déclarations de ses enfants. La troisième agression, soit celle du 22 septembre 2019, était survenue après l'opposition formée par D______ contre l'ordonnance pénale.

E______ a sollicité les mesures d'instruction suivantes :

-          l'apport de la procédure P/2______/2018;

-          des démarches visant à déterminer si D______, qui disposait d'un large réseau de connaissances, notamment composées de policiers, avait pu apprendre qu'il faisait l'objet de mesures de surveillance;

-          des démarches complémentaires pour identifier le compte "1______" par une intervention auprès de L______ [opérateur téléphonie/internet];

-          la production de la totalité des données issues des écoutes actives sur les raccordements de D______;

-          la mise en œuvre d'analyses techniques et biologiques sur le mégot de cigarette retrouvé près de la chambre de A______;

-          des démarches visant à déterminer l'utilisateur de son "cloud", étant précisé que D______ l'avait utilisé pendant deux ans et pouvait dès lors avoir accès à des informations confidentielles et personnelles;

-          des informations relatives à l'analyse du téléphone portable qu'elle avait fourni à la police;

-          l'apport de toutes les démarches scientifiques effectuées s'agissant de l'instruction dans son domicile du 26 mai 2019;

-          la mise en œuvre de mesures secrètes de surveillance sur le numéro de téléphone portable utilisé par D______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu qu'aucun soupçon n'était établi et que les éléments constitutifs d'une infraction n'étaient pas réunis (art. 319 al. 1 let. a et b CPP). Il a par ailleurs rejeté les réquisitions de preuve formulées.

A______ devait être condamnée à rembourser à l'État les frais de la procédure, arrêtés à CHF 14'238.-, en application de l'art. 420 let. a CPP, étant relevé que les infractions concernées étaient poursuivies tant sur plainte que d'office.

Elle avait en effet provoqué l'ouverture de la procédure pénale, s'était constituée partie plaignante, avait produit des documents et s'était rendue aux audiences, manifestant ainsi son désir de vouloir participer activement à la procédure. Elle s'était par ailleurs enquise de l'avancement de la procédure et avait contacté les policiers chargés du dossier. En outre, elle avait impliqué divers acteurs comme le SPMi et fait établir des attestations. Elle avait, en toute connaissance de cause, alarmé les autorités pénales, ce qui avait conduit à la mise en œuvre de nombreux actes d'enquête.

Confrontée aux incohérences de son récit, aux résultats des enquêtes et aux doutes de l'autorité, elle avait maintenu ses allégations.

Elle avait cherché à impliquer son père par tous les moyens possibles et ce, dans l'unique but d'imposer à tout prix ses allégations. Ces éléments fondaient le reproche d'une mise en œuvre malveillante de la justice pénale et justifiaient, par conséquent, l'action récursoire de l'État.

D. a. À l'appui de son recours, A______ conteste la réalisation des conditions de l'art. 420 let. a CPP, dans la mesure où elle n'avait pas, de manière malveillante, mis en œuvre la justice pénale.

À l'appui de certificats médicaux, elle avait déposé plusieurs plaintes contre inconnu, sans jamais viser directement son père, vis-à-vis duquel elle s'était contentée d'émettre des doutes. Elle avait pris part à la procédure pénale comme toute partie convoquée par la justice, sans pour autant participer activement à la procédure. Elle n'avait par ailleurs formulé aucune réquisition de preuve. Les nombreux actes d'enquête avaient été ordonnés par le Ministère public exclusivement.

L'implication d'autres acteurs, tel que le SPMi, était due au fait qu'elle était tout juste devenue majeure et qu'elle avait été victime de maltraitances de la part de son père, lequel avait d'ailleurs été condamné pour ces faits.

b.        Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours, se référant à l'argumentation développée dans son ordonnance de classement.

c.         La recourante n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Bien que le Ministère public n'ait pas fait usage de l'art. 427 CPP, il y a lieu de déterminer, en premier lieu, si les frais pouvaient être mis à la charge de la recourante en sa qualité de partie plaignante.

2.1.       Le sort des frais de la procédure à l’issue de celle-ci est régi par les art. 422 ss CPP. En principe, les frais sont mis à la charge de la Confédération ou du canton qui a conduit la procédure, les dispositions contraires du CPP étant réservées (art. 423 al. 1 CPP).

2.2.       Selon l'art. 427 al. 2 CPP, en cas d'infractions poursuivies sur plainte, les frais de procédure peuvent être mis à la charge de la partie plaignante ou du plaignant qui, ayant agi de manière téméraire ou par négligence grave, a entravé le bon déroulement de la procédure ou rendu celle-ci plus difficile lorsque la procédure est classée ou le prévenu acquitté (let. a) et le prévenu n'est pas astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 (let. b).

Contrairement à la version française, les versions allemande et italienne opèrent une distinction entre la partie plaignante ("Privatklägerschaft"; "accusatore privato") et le plaignant ("antragstellende Person"; "querelante"). Ainsi la condition d'avoir agi de manière téméraire ou par négligence grave et de la sorte entravé le bon déroulement de la procédure ou rendu celle-ci plus difficile ne s'applique qu'au plaignant. En revanche, cette condition ne s'applique pas à la partie plaignante à qui les frais peuvent être mis à charge sans autre condition (ATF 138 IV 248 consid. 4.2.2 p. 252). La personne qui porte plainte pénale et qui prend part à la procédure comme partie plaignante doit assumer entièrement le risque lié aux frais, tandis que la personne qui porte plainte mais renonce à ses droits de partie ne doit supporter les frais qu'en cas de comportement téméraire (ATF 138 IV 248 consid. 4.2.3 p. 253). La jurisprudence a toutefois précisé que les frais de procédure ne peuvent que dans des cas particuliers être mis à la charge de la partie ayant déposé une plainte pénale qui, hormis le dépôt de la plainte, ne participe pas activement à la procédure (ATF 138 IV 248 consid. 4.4.1 p. 254 ss; arrêt du Tribunal fédéral 6B_108/2018 du 12 juin 2018 consid. 3.1).

La règle de l'art. 427 al. 2 CPP a un caractère dispositif ; le juge peut donc s'en écarter si la situation le justifie. La loi est muette sur les motifs pour lesquels les frais sont ou non mis à la charge de la partie plaignante. Le juge doit statuer selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Il dispose d'un large pouvoir d'appréciation à cet égard (ATF 138 IV 248 consid. 4.2.4 p. 254; arrêt du Tribunal fédéral 6B_108/2018 du 12 juin 2018 consid. 3.1).

2.3.       En l'espèce, les infractions de menaces (art. 180 CP), de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), de tentative de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 cum art. 22 CP), de violation de domicile (art. 186 CP) et de tentative de violation de domicile (art. 186 cum art. 22 CP) sont poursuivies sur plainte et les frais y relatifs doivent dès lors, dans un premier temps, être analysés sous l'angle de l'art. 427 al. 2 CPP.

Le Ministère public reproche à la recourante d'avoir adopté un comportement actif durant la procédure, et d'avoir été consciente que de nombreux actes d'instruction allaient être ordonnés.

En l'occurrence, la recourante revêt la qualité de partie plaignante au sens de l'art. 118 CPP, et pas uniquement celle de plaignante au sens de l'art. 120 CPP, dans la mesure où elle n'a pas explicitement renoncé à ses droits de procédure, étant rappelé qu'elle a requis et obtenu l'assistance judiciaire en février 2020. Elle n'a toutefois déposé aucune conclusion civile, ce qui exclut l'application de l'art. 427 al. 1 CPP.

Ainsi, aux termes de la jurisprudence énoncée ci-dessus, seules s'imposent, pour déterminer le débiteur des frais, les règles du droit et de l'équité.

La recourante a déposé six des sept plaintes constituant le dossier. Certes, des mesures d'instruction ont été réalisées après qu'elle eut relaté les diverses agressions dont elle se prétendait victime, les intrusions (ou tentative d'intrusion) dans le logement familial et les messages provenant d'un faux compte Instagram. Il faut toutefois relever que, globalement, elle s'est contentée de collaborer à l'enquête, par exemple en remettant son téléphone portable ou ses vêtements à la police, voire en se rendant à ses auditions, sans jamais formuler de réquisition de preuve. Par comparaison, sa mère, E______, a sollicité, dans son courrier du 21 juillet 2021, de nombreuses mesures d'instruction directement dirigées contre D______, dont certaines visaient les agressions dénoncées par la recourante.

La procédure pénale contient également deux dénonciations d'acteurs tiers, soit le SPMi et [la Fondation] G______, par lesquelles ceux-ci ont fait part au Ministère public de leurs inquiétudes s'agissant de A______. Leurs craintes relatives à la sécurité de la précitée n'étaient pas uniquement fondées sur ses déclarations à elle, mais également sur celles d'autres membres de la famille, à commencer par sa sœur.

Il faut en outre mentionner que la mère de la recourante est à l'origine de l'une des plaintes déposées, laquelle concerne également des faits dénoncés par la recourante, soit la violation de domicile du 26 mai 2019 et la tentative d'intrusion du 15 juin 2019. De plus, deux personnes non concernées par la procédure ont estimé utile de faire appel à la police, respectivement les 13 novembre 2019 et 2 février 2020.

Il découle de ce qui précède qu'il ne saurait être reproché à A______ d'avoir été seule responsable tant de l'ouverture de la procédure que des mesures d'instruction diligentées ensuite des plaintes déposées.

Les actes d'enquête diligentés ont été ordonnés par le Ministère public – notamment les mesures d'investigation secrète –, parfois sur proposition de la police (cf. notamment le rapport de renseignements du 26 septembre 2019).

À tous ces éléments s'ajoute le fait que la recourante est jeune, tout juste majeure, et, à teneur du dossier, toujours indigente.

Dans ces circonstances, c'est à bon droit que, sur la base de l'équité, le Ministère public n'a pas mis les frais à la charge de la recourante en application de l'art. 427 al. 2 CPP.

3.             Reste à déterminer s'il y a lieu d'intenter une action récursoire de l'État contre la recourante pour l'ensemble des infractions dénoncées, en incluant les faits potentiellement constitutifs de contrainte (art. 181 CP) et de contrainte sexuelle (art. 189 CP), voire lésions corporelles aggravées (art. 123 ch. 2 CP), poursuivies d'office.

3.1.       Indépendamment de l’art. 427 CPP, l'art. 420 CPP permet à la Confédération ou au canton d'intenter une action récursoire contre les personnes qui, intentionnellement ou par négligence grave, ont provoqué l'ouverture de la procédure (let. a), rendu la procédure notablement plus difficile (let. b) ou provoqué une décision annulée dans une procédure de révision (let. c).

Cette norme consacre l'action récursoire de l'État contre les personnes qui lui ont causé, intentionnellement ou par négligence grave, des frais tels que frais de procédure, indemnisation du préjudice et du tort moral subis par le prévenu ayant bénéficié d'un classement ou ayant été acquitté. Vu l'intérêt de la collectivité à ce que les particuliers contribuent également à dénoncer les agissements susceptibles d'être sanctionnés, l'État ne doit faire usage de l'action récursoire qu'avec retenue. Néanmoins, il paraît conforme au principe d'équité de faire supporter les frais de procédure à celui qui saisit l'autorité de poursuite pénale de manière infondée ou par malveillance. L'action récursoire peut figurer dans la décision finale rendue par l'autorité pénale si elle concerne des personnes responsables qui ont participé à la procédure; dans le cas contraire, elle fera l'objet d'une décision séparée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_5/2013 du 19 février 2013 consid. 2.6 et les références citées ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n. 10 ad art. 420 ; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 6 ad art. 420).

Une action récursoire entre en ligne de compte en cas de soupçons sans fondement, mais non lorsqu'une plainte est déposée de bonne foi. L'on songe plutôt à la dénonciation calomnieuse au sens de l'art. 303 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_638/2020 du 3 février 2021 consid. 2.2 et les références citées) commise sous la forme d'une machination astucieuse, au sens de l'art. 303 ch. 1 al. 2 CP ou d'une plainte pénale déposée à la légère ("leichtfertige Anzeige"; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3e éd., Zurich 2017, n. 5 ad art. 420). Selon la jurisprudence, le dénonciateur qui utilise le droit de dénoncer à des fins étrangères à celles pour lesquelles ce droit a été prévu agit par négligence grave (arrêt 6B_317/2018, loc. cit.).

3.2.       En l'espèce, l'autorité intimée reproche à la recourante d'avoir utilisé de façon malveillante la justice pénale en dirigeant les soupçons sur son père et en maintenant sa version des faits, même après avoir été confrontée à ses incohérences et aux résultats de l'enquête.

Il faut d'abord relever que les plaintes déposées pour les différentes agressions alléguées par la recourante ne visaient jamais formellement son père. Elle n'a d'ailleurs jamais accusé celui-ci d'être l'individu qui l'agressait. En revanche, elle a expliqué à plusieurs reprises soupçonner son père d'être "derrière" les évènements dénoncés, vu la procédure pénale parallèle qui s'est soldée par une condamnation définitive pour des violences qu'elle a subies. Elle n'était d'ailleurs pas la seule à penser ainsi, puisque sa mère a activement guidé les autorités pénales vers D______.

On relèvera également que les plaintes de la recourante étaient documentées, notamment par des certificats médicaux, dont le Ministère public n'allègue pas qu'il s'agirait de faux, ce qui aurait permis de conclure à des machinations astucieuses.

En outre – et surtout –, le Ministère public a entendu A______ en qualité de personne appelée à donner des renseignements au sens de l'art. 178 let. d CPP, soit au titre de personne qui "sans être soi-même prévenu, pourrait s'avérer être soit l'auteur des faits à élucider ou d'une infraction connexe, soit un participant à ces actes". Or, si l'instruction n'a, certes, pas permis de corroborer les accusations proférées par la précitée, elle n'a pas non plus établi que celle-ci n'était pas de bonne foi lorsqu'elle a déposé ses plaintes ni qu'elle se serait rendue coupable de dénonciation calomnieuse, alors même que le Ministère public doutait sérieusement de la crédibilité de ses allégations.

On ne peut pas non plus retenir que la recourante a rendu plus difficile le déroulement de la procédure puisqu'elle a globalement collaboré aux actes d'enquête, notamment en se soumettant aux examens médicaux et en remettant aux enquêteurs ses biens pour analyse. Il faut aussi rappeler que, à l'instar de ce qui a été retenu ci-dessus, la recourante n'est pas la seule à avoir "alarmé les autorités pénales" puisque les faits qu'elle a dénoncés ont également été rapportés par d'autres personnes.

Au vu des éléments qui précèdent, il apparaît que les conditions de l'exercice de l'action récursoire n'étaient pas réalisées. Les frais de la procédure préliminaire ne pouvaient dès lors pas être mis à la charge de la recourante.

4.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, le chiffre 11 de l'ordonnance querellée sera annulé.

5.             Les frais de la procédure de recours resteront à la charge de l'État (art. 20 RAJ ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_215/2018 du 14 juin 2018 consid. 1.2).

6.             La procédure étant close (art. 135 al. 2 CPP), il convient de fixer l'indemnisation du conseil juridique gratuit pour la procédure de recours.

6.1.       À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 138 CPP, le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif est édicté à l'art. 16 RAJ (E 2 05 04); il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ). Enfin, le forfait de 20% ne s'applique pas en instance de recours (ACPR/911/2020 du 16 décembre 2020 consid. 5).

6.2.       En l'espèce, l'avocate de la recourante a produit une note de frais relative à la procédure de recours portant sur un montant de CHF 1'583.20, TVA et forfait téléphone/courrier de 20% inclus, pour 5h15 d'activités au tarif-horaire d'associée, soit 15 minutes de conférence-client, 1h consacrée au poste "Travail sur dossier suite Ordonnance classement (22 pages)" et 4h de rédactions du recours.

Conformément aux principes jurisprudentiels relevés plus haut, le forfait de 20% appliqué sera retranché de l'indemnité réclamée. Pour le surplus, celle-ci apparaît raisonnable, de telle sorte qu'elle sera allouée à hauteur de CHF 1'050.-, hors TVA, pour les 5h15 d'activités déployées.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le chiffre 11 de l'ordonnance querellée en tant qu'elle condamne A______ aux frais de la procédure préliminaire.

Dit que les frais de la procédure préliminaire, arrêtés à CHF 14'238.-, seront laissés à la charge de l'État.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'130.85, TVA (7.7%) incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).