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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/12914/2013

AARP/136/2024 du 03.05.2024 sur AARP/116/2023 ( REV )

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION)
Normes : CPP.410; CEEJ.12; CPP.204
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12914/2013 AARP/136/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 3 mai 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, ISRAËL, comparant par Me Daniel KINZER, avocat, CMS von Erlach Partners SA, esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

demandeur en révision,

 

contre le jugement AARP/116/2023 rendu le 28 mars 2023 par la Chambre pénale d’appel et de révision,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. a. Par arrêt AARP/116/2023 du 28 mars 2023, la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a notamment reconnu A______ coupable de corruption d'agents publics étrangers (art. 322septies CP) et l’a condamné à une peine privative de liberté de trois ans, l’a mis au bénéfice du sursis partiel, la partie ferme étant arrêtée à 18 mois et le solde assorti d’un délai d'épreuve de trois ans. Elle a prononcé à son encontre, en faveur de l'État de Genève, une créance compensatrice de CHF 50 millions, a rejeté ses conclusions en indemnisation et a mis les frais de la procédure à sa charge, solidairement avec les autres condamnés.

Des recours au Tribunal fédéral, formés par A______, le Ministère public (MP) et les autres prévenus (non concernés par la présente procédure de révision), sont actuellement pendants contre cet arrêt.

b. La CPAR a notamment fondé sa condamnation sur les déclarations de B______, auditionné en qualité de personne appelée à donner des renseignements (PADR) au sens de l’art. 178 let. d du code de procédure pénale (CPP) par le MP et la CPAR, ayant à chaque fois été mis au bénéfice d’un sauf-conduit. A son sujet, la CPAR a retenu ce qui suit (consid. 4.1) :

4.1. Statut procédural de B______

4.1.1. A teneur de l'art. 178 CPP, est entendu en qualité de PADR quiconque, sans être soi-même prévenu, pourrait s'avérer être soit l'auteur des faits à élucider ou d'une infraction connexe, soit un participant à ces actes (let. d), de même que quiconque a le statut de prévenu dans une autre procédure en raison d'une infraction qui a un rapport avec les infractions à élucider (let. f).

4.1.2. Les règles régissant l'audition en qualité de PADR étant destinées à protéger la personne interrogée, c'est avant tout celle-ci qui pourra se plaindre qu'elle n'a pas été entendue en la bonne qualité. Cette faculté est toutefois également offerte au prévenu notamment dans l'hypothèse où il se verrait privé à tort de la possibilité de poser des questions à l'intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1028/2020 du 1er avril 2021 consid. 1).

4.1.3. Sur un plan général, la PADR a une position intermédiaire entre le prévenu et le témoin. Contrairement au prévenu, la PADR ne fait l'objet d'aucun reproche concret (art. 111 al. 1 CPP), mais n'est pas, à la différence du témoin, entièrement mise hors de cause (art. 162 CPP ; ATF 144 IV 28 consid. 1.3.1).

4.1.4. Une personne qui a fait l'objet, à l'issue d'une procédure distincte, d'un jugement entré en force à raison des faits à élucider ou de faits en relation avec ceux-ci doit en principe être entendue en qualité de témoin (ATF 144 IV 97 consid. 2 et 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1028/2020 précité consid. 1.3).

4.1.5. En l'espèce, B______ est, selon l'accusation, intervenu à tout le moins à deux occasions dans le complexe de faits objet de la présente procédure, soit dans le volet roumain, en lien avec l'achat et la revente des terrains par le biais de C______ (cf. supra p. 214 ss), ainsi qu'en opérant un transfert de USD 1.5 million en faveur de D______, ce montant étant in fine parvenu à E______ (cf. supra p. 172 ss).

Dans ce contexte, si sa participation avec conscience et volonté au schéma corruptif n'a pu clairement être démontrée du point de vue du MP, il en a manifestement été objectivement l'un des maillons, ce qui justifie d'ores et déjà, au regard de l'art. 178 let. d CPP, que le statut de PADR lui soit conféré dans le cadre de la présente procédure.

C'est d'ailleurs en cette qualité [que] l'intéressé a été convoqué et entendu au MP, durant deux jours d'audience consécutifs, sans que cela ne suscite de réaction des prévenus.

En tout état, l'attribution de ce statut se justifie également en application de l'art. 178 let. f CPP.

En effet, il est établi et non contesté par les parties qu'une procédure pénale est ouverte en Israël, laquelle implique notamment A______ et B______ et porte sur un complexe de faits similaire à celui à l'origine de l'ouverture de la présente procédure.

Il est par ailleurs constant que B______ bénéficie, dans le cadre de cette procédure connexe, du statut de "cooperating witness", et ce depuis l'année 2017.

Durant les débats d'appel, deux pièces ont été produites, la première décrivant B______ comme un suspect et la seconde le qualifiant de témoin. La nature de ces documents est toutefois différente, le premier étant une pièce procédurale informant l'intéressé de la suite de la procédure, tandis que le second consiste en une ordonnance adressée aux médias, auxquels il est enjoint de maintenir confidentiels l'identité du précité et de sa famille.

Considérant que le principe même des accords de témoin consiste, pour les autorités pénales, à obtenir des informations permettant d'enrichir leur enquête en l'échange d'avantages – souvent procéduraux – conférés à celui qui accepterait de collaborer, c'est notoirement à des suspects que le statut de "cooperating witness" est conféré.

Fondée sur ce qui précède, la CPAR retient que les deux pièces considérées, dont il est rappelé qu'elles ont toutes deux été établies bien après la conclusion de l'accord de coopération, ne sont pas contradictoires, mais décrivent, dans deux contextes différents, la dualité du statut dont bénéficie l'intéressé dans la procédure israélienne.

Pour le surplus, A______ ne saurait se prévaloir de ce que l'attribution du statut de PADR à B______ l'entraverait dans ses droits de défense en l'empêchant d'obtenir des réponses aux questions posées. En effet, à l'exception des contours de la procédure pénale israélienne en cours, sur lesquels ce dernier a refusé de s'exprimer en faisant valoir des restrictions à l'évidence liées à son statut de "cooperating witness", points dont la pertinence a fait l'objet d'un examen plus haut (cf. supra p. 261 ss), l'intéressé a répondu exhaustivement à toutes les questions qui lui ont été posées, que ce soit par la Cour de céans ou les prévenus.

Cela étant, il va de soi que l'implication de B______ dans la procédure pénale connexe et les intérêts concurrents qu'il pourrait de ce fait avoir avec les prévenus dans la présente procédure, le statut privilégié dont celui-ci bénéficie en Israël, de même que son évidente animosité à l'égard de A______, sont autant d'éléments qui amèneront la Cour de céans à apprécier les déclarations de l'intéressé avec une retenue toute particulière.

La Cour a également refusé de prendre en compte une pièce en lien avec le statut de B______, produite après la clôture de la procédure probatoire, pour les motifs suivants (consid. 4.2 de l’AARP/116/2023) :

4.2.1. Conformément à l'art. 345 CPP, applicable par renvoi de l'art. 405 al. 1 CPP, le tribunal donne aux parties l'occasion de proposer de nouvelles preuves avant de clore la procédure probatoire.

Passée cette étape, les parties à une procédure d'appel orale n'ont plus la possibilité de formuler des offres de preuves (arrêt du Tribunal fédéral 6B_542/2016 du 5 mai 2017 consid. 3.4.3 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 3 ad art. 345).

4.2.2. L'art. 349 CPP, applicable aux débats d'appel par renvoi de l'art. 379 CPP, prévoit que lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée, le tribunal décide de compléter les preuves, puis de reprendre les débats. Une certaine marge de manœuvre doit être laissée au juge pour déterminer les preuves nécessaires à l'établissement des faits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_584/2018 du 30 août 2018, consid 1.2).

4.2.3. En l'espèce, considérant les principes juridiques rappelés ci-dessus, c'est à bon droit que la CPAR a refusé le dépôt, par le conseil de A______, d'une pièce nouvelle au stade des plaidoiries au fond, au motif que ce dernier était forclos à agir.

Fondée sur les explications complémentaires fournies ensuite dans la plaidoirie du défenseur quant au contenu de la pièce litigieuse (décision de la Cour Suprême d'Israël consacrant le refus de donner accès à l'accord de témoin de la Couronne de B______), la CPAR est par ailleurs légitimée à considérer que celle-ci n'est pas nécessaire au traitement de l'appel.

A titre superfétatoire, la CPAR relève que le rejet de cette pièce s'impose encore au regard du principe de la bonne foi en procédure (cf. art. 5 al. 3 Cst. ; art. 3 al. 2 let. b CPP, disposition également applicable aux parties nonobstant sa teneur), dès lors que selon les informations fournies par la défense, la décision de la Cour Suprême d'Israël a été rendue plusieurs jours avant la clôture de la procédure probatoire, étant rappelé que A______, en sa qualité de requérant, a eu un accès direct au document et qu'il était manifestement en mesure d'en offrir une traduction libre à ses conseils genevois, considérant son aisance en langue française.

Aux débats d’appel, les conseils de A______ s’étaient opposé à l’audition en qualité de PADR, soutenant qu’il devait être entendu comme témoin. Ils ont notamment soulevé un incident sur ce point, en plaidant (PV d’audience, 1er septembre 2022, p. 57) : Me Daniel KINZER informe la Cour que suite à l'audience qui s'est tenue par-devant la Cour Suprême en Israël dimanche dernier, la requête visant à obtenir accès au contenu du dossier [relatif à l'accord de témoin de la Couronne de B______] a été rejetée par décision qui a été notifiée mardi 30 août 2022 en invoquant un intérêt national supérieur, dont la teneur ne nous est pas connue puisqu'elle a été plaidée en dehors de la présence de la défense. Nous tentons de faire traduire cette décision que nous verserons à la procédure. Me Daniel KINZER précise encore que B______ a été entendu dans le cadre de cette demande et qu'il s'est opposé à ce qu'il soit fait droit à la demande d'accès.

c. La défense de A______ a également cherché à démontrer l'existence d'un accord qui aurait été conclu avec B______, voire au-delà avec les autorités israéliennes, garantissant au premier cité l'impunité dans la procédure genevoise en l'échange de déclarations incriminantes visant A______. La CPAR a refusé d’auditionner F______, ancien Procureur, qui avait instruit la procédure (AARP/116/2023 consid. 3.3.3.1.3). Elle a également retenu à ce sujet ce qui suit :

3.2.3.2. En l'espèce, dans un premier moyen, les appelants relèvent que les déclarations de B______ seraient inexploitables, dès lors que ce dernier bénéficierait du statut de "cooperating witness" dans la procédure israélienne et que le contenu de l'accord conclu ne serait pas connu.

Cette problématique ayant d'ores et déjà été examinée au regard de l'accord conclu par E______ avec les autorités américaines, il est fait référence aux développements figurant ci-dessus, étant précisé que l'avis de droit de G______ produit par A______, n'est pas de nature à modifier la position de la Cour.

En effet, outre que l'exploitabilité des preuves par les autorités suisses s'examine à l'aune des règles de procédure de ce pays, force est de constater que les principes applicables en droit israélien sont sensiblement identiques à ceux régissant, en Suisse, l'appréciation des déclarations d'un "cooperating witness" (nécessité de connaître l'existence de l'accord, valeur probante réduite des déclarations en l'absence de preuves corroborantes), avec la précision qu'en tant qu'elle évoque l'exigence de connaître le contenu de l'accord et les contours de sa négociation, la contribution de Me G______ n'est, comme celle du Prof. H______, aucunement documentée.

Il sera encore relevé, à titre superfétatoire, que les appelants ont requis à de multiples reprises l'audition de B______, alors qu'ils étaient pleinement informés du statut de "cooperating witness" dont il bénéficiait en Israël. Dans ce contexte, on ne peut que s'étonner qu'ils déploient, à ce stade, de tels efforts pour écarter les déclarations recueillies par le Procureur genevois au motif qu'ils ne connaissent pas le contenu de l'accord considéré.

Dans un second moyen, les appelants se fondent sur l'existence de promesses illicites faites par le Procureur genevois à B______, auquel il aurait été garanti l'impunité dans la procédure suisse en l'échange de ses déclarations incriminantes. Ils soutiennent en particulier que l'intervention spontanée de B______ dans la procédure genevoise, en juillet 2018, ferait suite à un voyage effectué dans ce pays par le Procureur anciennement en charge au mois de février 2018, au cours duquel des conditions auraient été négociées.

Il convient tout d'abord de noter qu'il s'est écoulé un délai de cinq mois entre le voyage et l'intervention litigieux, ce qui laisse d'ores et déjà douter de la corrélation de ces deux événements.

La Cour relève ensuite que les appelants ne sauraient tirer aucun grief du caractère spontané de l'intervention de B______. Il est à cet égard rappelé que I______ a procédé de manière similaire (301'839), sans que cela ne suscite de réaction des prévenus. En outre, la chronologie des événements tend à démontrer que cette intervention n'a aucunement été orchestrée par le Procureur anciennement en charge. En effet, au mois de juin 2018 (soit quatre mois après le voyage litigieux et moins de deux mois avant l'intervention de l'intéressé), le Procureur a invité les parties à lui faire parvenir une liste de questions écrites en vue de l'audition de B______ par commission rogatoire (303'725). Il en résulte que le Procureur ne pouvait, à ce stade, anticiper que l'audition se tiendrait à Genève. La Cour ajoutera encore que B______ n'est pas intervenu seul dans la procédure suisse, mais s'est manifesté par l'intermédiaire de son mandataire, et qu'il a été mis au bénéfice d'un sauf-conduit en vue de son audition, sauf conduit qu'il a à nouveau demandé pour venir témoigner en audience d'appel.

L'absence de mise en prévention de B______ à l'issue de son audition devant le MP, dont la défense fait grand cas, relève manifestement de la stratégie globale inhérente à la procédure, dont on rappelle qu'elle a des ramifications internationales. Le complexe de faits en cause a impliqué, à différents stades et niveaux, de multiples intervenants, dont certains sont visés par des procédures menées à l'étranger et d'autres ont échappé à toute procédure. A______ ne saurait ainsi en déduire l'existence d'une impunité de poursuite accordée à B______ à Genève, étant à cet égard rappelé qu'en audience d'appel, le Procureur a justifié l'absence de mise en prévention de l'intéressé par l'absence de réalisation des éléments constitutifs subjectifs des infractions en cause, considérant qu'il n'avait pas connaissance des manœuvres corruptives que son intervention était destinée à dissimuler.

A______ se fonde encore, pour nourrir la thèse d'une connivence, sur les confidences que lui aurait faites l'avocat israélien de B______, selon lequel son client et son homologue genevois avaient été mis en contact par le Procureur anciennement en charge. La CPAR relève que ces éléments ne sont étayés par aucune preuve tangible.

Dans un pénultième argument, A______ prend appui sur la procédure initiée en Israël auprès de la Cour Suprême (cf. supra p. 223 ss), arguant que le Procureur israélien aurait justifié son refus de produire les documents requis en invoquant la sécurité de l'Etat, dès lors qu'un pays étranger était concerné par l'accord conclu entre B______ et les autorités israéliennes. Il se contente ce faisant d'allégations par ouï-dire, lesquelles n'emportent pas conviction, à plus forte raison dès lors que la décision de rejet de la High Court – dont le conseil de l'appelant a fourni un résumé lors de sa plaidoirie au fond – ne semble pas corroborer cette version.

Enfin, la Cour ne voit pas, dans la décision du Procureur genevois de ne plus être en charge de la procédure, une volonté de fuir ou une mise à l'écart forcée suite à l'arrêt 1B_118/2020 rendu par le TF le 27 juillet 2020, ni davantage l'aveu d'un comportement contestable. Bien au contraire, les raisons invoquées par l'intéressé pour motiver sa décision, soit l'écoulement du temps depuis son départ du MP, ainsi qu'une importante charge de travail induite par son nouveau poste, sont davantage propres à emporter conviction.

Il est encore relevé que B______, qui a été entendu contradictoirement à deux occasions dans le cadre de la présente procédure, n'est pas un témoin décisif ni central de l'accusation, ses déclarations – qui sont pour l'essentiel corroborées par des pièces figurant au dossier – ne concernant qu'une seule des transactions visées par l'acte d'accusation. Quant aux déclarations faites par l'intéressé dans le cadre de la procédure israélienne, elles ont été obtenues conformément aux règles régissant l'entraide, ce qui n'est pas contesté par les parties.

Ainsi, la thèse développée par les appelants relève de la conjecture et semble viser in fine une nouvelle demande de récusation du Procureur F______ destinée à faire invalider l'ensemble des actes d'instruction entrepris. Les appelants ne présentent pas de démonstration sérieuse qu'il y aurait eu entente entre le MP et B______ ou au-delà avec les autorités israéliennes.

Partant, rien ne s'oppose à l'exploitabilité des déclarations de B______. Il appartiendra naturellement à la Cour de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes pour déterminer leur valeur probante, parmi lesquelles le statut de "cooperating witness" dont il bénéficie en Israël et son apparente animosité à l'égard de A______, étant établi que les intéressés sont parties adverses dans le cadre d'une procédure civile ouverte en Israël, le litige les opposant semblant porter sur plusieurs millions de dollars américains.

B. a. Par écrit du 12 avril 2024, A______ sollicite la révision de cet arrêt. A l’appui de sa demande, il produit, outre un tirage de la décision entreprise, la décision de la Cour suprême siégeant en tant que Haute Cour de justice du 30 août 2022, susmentionnée, avec sa traduction française, des échanges de courriels entre Me Daniel KINZER et J______, journaliste au quotidien israélien K______, ainsi qu’un affidavit de celui-ci du 2 avril 2024 et sa biographie.

Dans cet affidavit, J______ indique ce qui suit (selon la traduction fournie par le requérant) :

J’ai vu l’accord de témoignage de M. B______, comme beaucoup d’autres accords de témoignage que j’ai vus au cours de ma carrière. J’ai découvert dans ce document qu’il avait été convenu avec M. B______ qu’en échange de son témoignage dans le cadre de l’enquête policière en Israël et à Genève, il ne serait poursuivi ni en Israël, ni en Suisse. B______ a été soutenu dans cet accord par son avocat israélien, M. L______. En outre, mes sources m’ont confirmé que le procureur suisse, M. F______, a donné à ses homologues du bureau du procureur israélien l’assurance et l’engagement que M. B______ ne serait pas inculpé en Suisse s’il coopérait pleinement en tant que témoin dans le cadre de l’enquête sur la corruption de M. A______. Cette assurance et cet accord de M. F______, alors juge d’instruction, ont été renforcés par la suite lorsqu’il a accepté d’accorder à M. B______ le libre passage à Genève pour son interrogatoire en direct et son témoignage, auquel il s’est présenté préparé par ses avocats avec une série de documents accablants qui démontrent sa pleine coopération.

b. Les autres parties n’ont pas été invitées à se déterminer sur la requête en révision.

EN DROIT :

1. 1.1. L'art. 410 al. 1 let. a CPP permet à toute personne lésée par un jugement entré en force d'en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuve qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère du condamné.

Les faits ou moyens de preuve invoqués doivent être nouveaux et sérieux. Les faits ou moyens de preuve sont inconnus lorsque le juge n'en a pas eu connaissance au moment où il s'est prononcé, c'est-à-dire lorsqu'ils ne lui ont pas été soumis sous quelque forme que ce soit. Ils sont sérieux lorsqu'ils sont propres à ébranler les constatations de fait sur lesquelles se fonde la condamnation et que l'état de fait ainsi modifié rend possible un jugement sensiblement plus favorable au condamné (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 ; 137 IV 59 consid. 5.1.2 et 5.1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_688/2020 du 15 octobre 2020 consid. 1.1).

Le fait invoqué doit déjà exister avant l'entrée en force du premier jugement ; un fait postérieur ne saurait entrer en considération. Ainsi, la disparition d'une condition à l'ouverture de l'action pénale, tel qu'un retrait de plainte, survenue seulement après l'entrée en force du jugement ne constitue pas un motif de révision (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1083/2021 du 16 décembre 2022 destiné à la publication consid. 2.3).

Comme cela résulte du texte même de l'art. 410 al. 1 let. a CPP, la voie de la révision a uniquement pour but de réparer les erreurs de fait commises dans un jugement et qui sont à l'origine du verdict de culpabilité et/ou du prononcé d'une peine ou d'une mesure, à l'exclusion d'une erreur de droit, même grossière, qu'elle soit de fond ou de forme, qui n'est susceptible d'être éliminée que par les voies ordinaires de recours. La voie de recours extraordinaire qu'est la révision n'est ainsi pas ouverte en cas d'erreur de qualification juridique ou d'appréciation des faits imputés au condamné ou encore d'inobservation de la loi. Il en va de même en cas de revirement de jurisprudence (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e éd., Zürich 2011, n. 2067 et note 837, n. 2079 et 2089 s.).

1.2. L'art. 412 CPP prévoit que la juridiction d'appel examine préalablement la demande de révision en procédure écrite (al. 1). Elle n'entre pas en matière si la demande est manifestement irrecevable ou non motivée ou si une demande de révision invoquant les mêmes motifs a déjà été rejetée par le passé (al. 2). Si la juridiction d'appel entre en matière sur la demande, elle invite les autres parties et l'autorité inférieure à se prononcer par écrit (al. 3). Elle détermine les compléments de preuves à administrer et les compléments à apporter au dossier et arrêt des mesures provisoires, pour autant que cette décision n'incombe pas à la direction de la procédure en vertu de l'art. 388 CPP (al. 4).

Selon le Message du Conseil fédéral, la procédure d'examen préalable de l'al. 1 sert avant tout à examiner si les moyens de révision invoqués sont vraisemblables (FF 2006 1305 ad art. 419 (actuel art. 412) ; A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), Zurich 2010, n. 1 ad art. 412). La procédure de non-entrée en matière peut néanmoins être envisagée lorsqu'une des conditions de l'examen préalable de l'al. 1 n'est pas remplie (N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, Zurich 2009, n. 2 ad art. 412). Il n'est ainsi pas exclu de prononcer une décision de non-entrée en matière lorsque les moyens de révision invoqués apparaissent d'emblée comme non vraisemblables. L'économie de la procédure le commande alors, car si la situation est évidente, il n'y a pas de raison que l'autorité requière des déterminations (art. 412 al. 3 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_310/2012 du 20 juin 2011 consid. 1.6 = SJ 2012 I 392).

L'autorité saisie peut ainsi refuser d'entrer en matière lorsque les motifs de révision invoqués sont manifestement non vraisemblables ou infondés ou lorsque la demande de révision apparaît abusive (art. 412 al. 2 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1126/2019 du 4 novembre 2019 consid. 1.1).

1.3. Celui qui invoque, à l'appui d'une demande de révision, un moyen de preuve qui existait déjà au moment de la procédure de condamnation et dont il avait connaissance doit justifier de manière détaillée de son abstention de produire le moyen de preuve lors du jugement de condamnation. À défaut, il doit se laisser opposer qu'il a renoncé sans raison valable à le faire, fondant ainsi le soupçon d'un comportement contraire au principe de la bonne foi, voire constitutif d'un abus de droit, excluant qu'il puisse se prévaloir du moyen de preuve invoqué dans la nouvelle procédure (arrêt du Tribunal fédéral 6B_866/2014 du 26 février 2015 consid. 1.2).

L'abus de droit ne doit être retenu qu'avec réserve. Il s'agit d'examiner dans chaque cas, au regard des circonstances de l'espèce, si la demande de révision tend à contourner les voies de droit ordinaires (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 p. 199).

1.4. En l'espèce, il ressort tout d’abord de la décision entreprise que la CPAR a refusé de prendre en compte la décision de la Cour suprême israélienne du 30 août 2022. Ce document ne saurait ainsi fonder une demande de révision, pour les motifs évoqués ci-dessus. Au surplus, la teneur de cette décision a été évoquée et débattue devant la CPAR au cours de son audience d’appel en 2022. Elle n’apporte ainsi aucun élément nouveau.

Seul peut dès lors entrer en ligne de compte le témoignage écrit du journaliste, dont le requérant sollicite l’audition. Il faut dès lors examiner si ce document – dont le caractère nouveau est indubitable – apporte des éléments décisifs.

2. 2.1. L’Etat d’Israël et la Suisse sont tous deux parties à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ). A son article 12 al. 1, celle-ci prévoit notamment qu’aucun témoin ou expert, de quelque nationalité qu’il soit, qui, à la suite d’une citation, comparaîtra devant les autorités judiciaires de la Partie requérante, ne pourra être ni poursuivi, ni détenu, ni soumis à aucune autre restriction de sa liberté individuelle sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise.

L’art. 204 al. 1 CPP prévoit pour sa part que si les personnes citées à comparaître se trouvent à l'étranger, le Ministère public peut leur accorder un sauf-conduit (art. 204 al. 1 CPP). Le bénéficiaire ne peut dès lors être arrêté en Suisse, en raison d'infractions commises avant son séjour, ni y être soumis à d'autres mesures entraînant une privation de liberté (al. 2).

2.2. Un témoin par ouï-dire ("M______") fait part d'indications constatées et transmises par un tiers. Il s'agit ainsi d'un témoignage portant sur les perceptions d'autrui relatives à des faits. En l'absence de norme prohibant expressément une telle démarche, le principe de la libre appréciation des preuves (art. 10 al. 2 CPP) permet au juge de se fonder sur les déclarations d'un témoin rapportant les déclarations d'une autre personne (v. p. ex. : arrêt du Tribunal fédéral 6B_193/2010 du 22 avril 2010 consid. 3.1.2). La seule prise en considération, au stade du jugement, de telles déclarations n'est pas en soi arbitraire. Le témoin par ouï-dire n'est toutefois témoin direct que de la communication que lui a faite le tiers ; il n'est témoin qu'indirect des faits décrits, dont il ne peut rapporter que ce qui lui en a été dit mais non pas attester de leur véracité. La jurisprudence en a conclu qu'un tel témoin, faute d'avoir pu constater par lui-même un élément constitutif de l'infraction, ne constitue pas à proprement parler un "témoin à charge" (arrêts du Tribunal fédéral 6B_862/2015 du 7 novembre 2016 consid. 4.2 et les références).

2.3. En l’espèce, le journaliste dont le requérant soutient qu’il est un témoin essentiel et éclaire d’une manière nouvelle les faits de la cause aurait vu un document dont la production a été refusée au requérant par les autorités judiciaires israéliennes. Ledit journaliste ne soutient pas disposer d’une copie de ce document. Il ne peut dès lors que rapporter son souvenir à ce sujet ; son statut se rapprocherait à cet égard de celui d’un témoin par ouï-dire. En tant que tel, son audition serait a priori exploitable.

Cela étant, le journaliste n’affirme aucunement que les autorités suisses seraient parties à un quelconque accord – illégal en droit suisse – d’immunité pour le témoin en cause. Au contraire. Il ressort clairement de la déclaration produite par le requérant que le journaliste se réfère à des « sources », et non au document en question, pour affirmer que « l’assurance et l’accord » du MP genevois auraient été donnés au témoin qu’il ne serait pas « inculpé » en Suisse. Le journaliste se fonde pour étayer l’existence d’un tel engagement pris par le MP en faveur du témoin, sur la délivrance ultérieure d’un sauf-conduit (« Cette assurance et cet accord … ont été renforcés par la suite lorsqu’il a accepté d’accorder à M. B______ le libre passage à Genève pour son interrogatoire en direct et son témoignage »). Ce passage de la déclaration permet de comprendre que l’essentiel des conclusions du journaliste se fonde sur la délivrance ultérieure de sauf-conduits en faveur du témoin.

Or, non seulement cette délivrance était une obligation légale découlant des art. 12 CEEJ et 204 CPP (étant relevé que si le témoin avait été formellement cité en Israël, la délivrance d’un sauf conduit aurait même été superflue au vu de la teneur de l’art. 12 CEEJ), mais surtout, elle était parfaitement connue de la CPAR lorsqu’elle a statué. Pour sa part, le MP, connaissant la teneur de ces dispositions, pouvait aisément assurer au témoin cité devant lui (un PADR ne pouvant, à cet égard, qu’être assimilé à un témoin au sens de l’art. 12 CEEJ), qu’il ne pourrait ni être poursuivi, ni être arrêté, s’il répondait à sa convocation. Ainsi, même si le MP avait donné à ses homologues israéliens la garantie décrite par le journaliste – ce qui souffre au demeurant de rester indécis – il n’aurait ce faisant pas pris le moindre engagement contraire au droit suisse. Au contraire, il n’aurait qu’honoré, par ce biais, les obligations internationales de notre pays.

Il en découle manifestement que le témoignage du journaliste, qui ne repose que sur des ouï-dire de sources indéterminées, n’apporte en réalité aucun élément nouveau ni d’ailleurs sérieux aux faits de la cause. La qualité de témoin de la couronne était connue de la CPAR lorsqu’elle a statué. La délivrance de sauf-conduits également. Enfin, l’AARP/116/2023 a discuté des raisons pour lesquelles ce témoin n’avait pas été poursuivi (cf. p. 271, reproduite ci-dessus au consid. A.c), le MP ayant fourni à cet égard des explications allant d’ailleurs au-delà des impératifs procéduraux découlant de l’art. 12 CEEJ.

La demande de révision, abusive en tant qu’elle se fonde sur une pièce dont la production a été refusée par la CPAR, et, pour le surplus, manifestement infondée, sera déclarée irrecevable.

2.             Le demandeur en révision succombant, les frais de la procédure, comprenant un émolument de CHF 3'000.-, seront mis à sa charge (art. 428 CPP et 14 al. 1 let. e du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare irrecevable la demande de révision du 12 avril 2024 de A______ contre l'arrêt AARP/116/2023 de la Chambre pénale d'appel et de révision rendu le 28 mars 2023.

Condamne A______ aux frais de la procédure en CHF 3'170.-, lesquels comprennent un émolument de CHF 3'000.-.

Rejette ses conclusions en indemnisation.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal fédéral.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

20.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

3000.00

Total des frais de la procédure de révision :

CHF

3'170.00