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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/13484/2022

AARP/89/2024 du 01.03.2024 sur JTDP/945/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DISPOSITIONS PÉNALES DE LA LEI;TRAVAIL AU NOIR;DROIT DES ÉTRANGERS;EXEMPTION DE PEINE
Normes : LEI.117.al1; LEI.117.al3; CP.53
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13484/2022 AARP/89/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 1er mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Lionel HALPERIN, avocat, MING HALPÉRIN BURGER INAUDI, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12,

appelante,

 

 

contre le jugement JTDP/945/2023 rendu le 17 juillet 2023 par le Tribunal de police,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 17 juillet 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable d'infractions à l'art. 117 al. 1 et 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 50 jours-amende, à CHF 100.- l'unité, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans), ainsi qu'à une amende de CHF 1'000.-. Les frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-, ont été mis à sa charge.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement.

b. Selon l'ordonnance pénale du 22 août 2022, il est reproché ce qui suit à A______ :

À Genève, en sa qualité d'associée gérante de B______ SÀRL, elle a employé plusieurs livreurs qui ne disposaient pas des autorisations requises, soit :

-        C______, entre le 15 janvier et le 25 février 2021 ;

-        D______, entre le 1er septembre et le 30 septembre 2020 ;

-        E______, entre le 11 janvier et le 31 janvier 2021 ;

-        F______, entre le 1er novembre 2020 et le 28 février 2021 ;

-        G______, entre le 2 mai 2020 et le 30 juin 2021.

Le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (PCTN) a dénoncé ces faits au Ministère public (MP) le 16 juin 2022.

B. a. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure.

b.a. B______ SÀRL, société inscrite au registre du commerce le ______ 2018, a notamment pour but la location de service. A______ en est l'associée gérante et propriétaire, avec signature individuelle.

La société a notamment mis des employés, soit des livreurs, à disposition de H______ SA, société active dans la vente et la livraison de produits.

À teneur du registre du commerce, A______ a été la fondatrice, propriétaire et administratrice avec signature individuelle de H______ SA de 2012 à 2017. Elle a affirmé n'avoir plus de lien avec cette société.

b.b. A______ est titulaire d'un master en gestion d'entreprise (MBA). À la création de H______ SA, elle a pris en charge les ressources humaines. Avant de créer B______ SÀRL, elle a obtenu un certificat fédéral d'assistante en ressources humaines.

c. Au cours de la procédure, A______ a expliqué les éléments suivants :

c.a. B______ SÀRL avait été créée notamment pour permettre la régularisation de la situation, "parfois précaire", des personnes actives dans le domaine de la livraison à domicile. Jusqu'en mars 2020, la société employait environ 400 personnes. En raison de la pandémie, son activité s'était fortement développée. Ainsi, entre mars 2020 et juillet 2021, plus de 1000 contrats de travail avaient été conclus. Pendant la période pénale, elle disposait de deux collaboratrices en charge des ressources humaines.

Au moment des faits, B______ SÀRL était une société nouvellement créée, dans sa première année d'activité. Le système de gestion avait été continuellement amélioré, notamment suite aux erreurs constatées (cf. infra consid. c.e). Il était inhabituel que B______ SÀRL prenne la décision de mettre un terme à un contrat de travail. Les décisions de licenciement étaient généralement prises par H______ SA.

c.b. L'immense majorité des livreurs engagés par B______ SÀRL étaient des travailleurs étrangers (permis F, permis réfugiés, permis G). Moins de 10% des employés n'avaient pas de problème de permis de séjour/travail.

c.c. 99% des livreurs sous contrat avec B______ SÀRL étaient loués à H______ SA.

c.d. À l'époque des faits, lorsqu'une personne souhaitait travailler pour H______ SA, elle effectuait une demande sur le site internet de celle-ci ou téléchargeait son application. Les collaborateurs de la société remplissaient un fichier avec les noms des livreurs à engager qu'ils transmettaient à B______ SÀRL. Dans le même temps, ils communiquaient les coordonnées de B______ SÀRL aux futurs livreurs. La règle établie était que le livreur ne commençait pas à travailler tant que B______ SÀRL n'avait pas validé son engagement.

c.e. Selon A______, les personnes visées par la dénonciation du PCTN devaient être séparées en deux catégories, étant précisé que les cinq livreurs avaient travaillé à temps partiel, effectuant l'équivalent d'un 10 à 71% et que, dans les cinq cas de figure, B______ SÀRL avait mis un terme au contrat de travail avant l'intervention de l'office cantonal de l'inspection et des relations de travail (OCIRT) :

1.      les personnes en situation irrégulière engagées directement par H______ SA (C______, D______ et E______). Il était arrivé à quelques reprises – dont les trois hommes précités – que des livreurs qui s'étaient inscrits via H______ SA (site internet ou application) aient débuté leur activité avant que leurs données ne soient transmises à B______ SÀRL. Cette dernière apprenait leur existence lorsque H______ SA envoyait les heures effectuées par l'ensemble des livreurs et que des noms inconnus de B______ SÀRL figuraient sur ces listes.

A______ n'avait jamais eu l'intention d'employer des personnes au noir et n'avait eu aucun contrôle sur ce qu'il s'était passé avant de recevoir les heures effectivement travaillées. Dès qu'elle s'en était rendue compte, elle était intervenue immédiatement auprès de H______ SA pour corriger cette pratique. Des formations avaient été organisées pour sensibiliser les collaborateurs de H______ SA à ces questions.

S'agissant des trois livreurs ayant effectivement travaillé, il avait été décidé au sein de B______ SÀRL que ces personnes devaient être rémunérées pour le travail accompli malgré leur situation irrégulière en Suisse et l'absence de contrat conclu avec B______ SÀRL ;

2.      les personnes en situation irrégulière engagées par erreur (G______ et F______).

G______ avait fourni une attestation de l'OCPM datée de 2019 indiquant qu'il était dans l'attente d'une décision définitive sur l'octroi ou la prolongation de son autorisation de séjour.

Au moment des faits, un tel document était considéré par B______ SÀRL comme suffisant pour permettre à un collaborateur de travailler. En effet, B______ SÀRL avait beaucoup d'employés dans l'attente du renouvellement de leur permis qui présentaient le même document. Dans une première version, A______ a expliqué que la procédure devant l'OCPM avait été longue, ce qui n'était pas imputable à B______ SÀRL et expliquait pourquoi le contrat avait été résilié aussi tardivement, soit lorsque l'OCPM avait rendu une décision négative. Dans une version ultérieure, elle a indiqué que B______ SÀRL avait régulièrement relancé le livreur au sujet de la procédure en cours. De telles relances étaient prévues automatiquement par le logiciel de gestion des employés. N'ayant pas reçu de documents actualisés, B______ SÀRL avait mis un terme à son contrat.

F______ avait fourni un titre de séjour français. Sur la base de celui-ci une demande de permis de travail avait été effectuée auprès de l'OCPM. Suite au refus de permis, son contrat de travail avait été résilié. Ce nonobstant, il avait travaillé pendant la durée de l'examen de la demande de permis. L'explication la plus probable était une erreur dans la saisie des documents dans le logiciel de gestion de l'entreprise, soit qu'il ait été inscrit comme étant "autorisé à pratiquer une activité lucrative sans attente d'une décision de l'autorité, comme c'est le cas pour les ressortissants UE/AELE". Selon l'appelante, l'erreur pouvait avoir pour origine la similitude des titres de séjour suisses et français (format, couleurs, bande supérieure). Des mesures avaient été prises pour que cela ne se reproduise plus.

d. À teneur du dossier du PCTN, les charges sociales avaient été prélevées et rétrocédées sur les salaires horaires des cinq travailleurs.

e. Les heures travaillées pour B______ SÀRL et le salaire y relatif étaient les suivants :

-        C______ : 60.23 heures, CHF 1'505.25 ;

-        D______ : 39.35 heures, CHF 980.98 ;

-        G______ : 375.09 heures, CHF 9'571.26 ;

-        F______ : 195.93 heures, CHF 5'083.55 ;

-        E______ : 16.72 heures, CHF 417.90.

f. En première instance, A______ a déposé deux attestations écrites de ses collaboratrices, lesquelles ont été entendues en appel :

-        I______, engagée au sein de B______ SÀRL de mai 2020 à novembre 2022 comme "responsable Ressources humaines", avait effectué toute sa carrière en France dans ce domaine. Elle a expliqué qu'entre 2020 et 2021, B______ SÀRL avait engagé par erreur deux employés en situation irrégulière. Dans le premier cas, elle ignorait la nécessité de déposer une demande d'autorisation de séjour avec activité lucrative (formulaire M). Dans le second cas, il y avait eu une confusion entre les titres de séjour suisse et français, laquelle avec conduit à une erreur de saisie dans le logiciel de l'entreprise. Dans les deux cas, au moment de la signature du contrat de travail, elle avait la certitude qu'ils disposaient des autorisations nécessaires ;

-        J______, engagée au sein de B______ SÀRL de juillet 2020 à janvier 2022 comme "responsable Ressources humaines", a expliqué que "de manière générale", H______ SA soumettait à B______ SÀRL les dossiers de ses collaborateurs "en vue d'éventuel engagement après vérification des dossiers et validation". Une fois les dossiers validés, B______ SÀRL préparait des contrats de travail. Même si H______ SA n'était pas autorisée par B______ SÀRL à engager des personnes au nom de cette dernière, cela était arrivé à trois reprises. B______ SÀRL avait décidé de néanmoins les rémunérer, tout en mettant fin à leurs activités, car cela "correspondait mieux au business modèle de la société visant à garantir des conditions stables de travail aux collaborateurs du domaine de la livraison". Aucun contrat n'était proposé aux personnes sans autorisation d'exercer une activité lucrative, sauf s'il était possible d'en obtenir une, auquel cas, ces personnes attendaient que la procédure aboutisse avant de commencer à travailler. Les instructions de A______ étaient claires. Il n'était pas question d'employer des personnes qui ne disposaient pas des permis nécessaires.

C. a. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions. À titre subsidiaire, elle conclut à ce que la négligence soit retenue et à une exemption de peine pour les cas G______ et F______. Elle renonce à solliciter une indemnisation pour ses frais de défense.

b. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.

D. A______ est née en 1983 à Genève et est ressortissante suisse. Elle est célibataire et a un enfant âgé de 18 ans.

Son activité pour B______ SÀRL a pris fin le 31 décembre 2022. Elle est désormais directrice de la société K______ SA, active dans le domaine de la livraison, dont elle est la fondatrice, et perçoit un revenu brut de CHF 12'000.- par mois.

Elle est propriétaire de sa maison (valeur d'achat : CHF 2'800'000.-). Elle rembourse des intérêts hypothécaires, lesquels ont augmenté, sans certitude, à 1.5%. Elle n'a pas d'autre dette. Ses primes mensuelles d'assurance maladie sont de CHF 346.65 pour elle et de CHF 120.- pour son fils. Sa fortune mobilière s'élève à environ CHF 900'000.-, dont environ CHF 500'000.- en placements. Elle est également propriétaire d'un appartement à L______[France] (valeur d'achat : CHF 300'000.-).

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. À teneur de l'art. 117 LEI, est punissable quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d’une personne qui n’a pas l’autorisation requise (al. 1). La négligence est réprimée (al. 3 ; cf. infra consid. 2.5).

2.2. L'art. 117 LEI est un cas particulier de l'art. 116 LEI. L'infraction ne peut être réalisée que par l'employeur de l'étranger dépourvu d'autorisation (M. S. NGUYEN / C. AMARELLE [éds], Code annoté de droit des migrations, vol. II : Loi sur les étrangers, 2017, n. 2 ad art. 117).

2.3. La notion d'employeur au sens de l'art. 117 al. 1 LEI est autonome. Elle est plus large que celle du Code des obligations (CO) et englobe l'employeur de fait (ATF 128 IV 170 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_815/2009 du 18 février 2010 consid. 2.3). Celui qui bénéficie effectivement des services d'un travailleur – soit d'une personne chargée de pourvoir à l'accomplissement de certaines tâches au sein d'un ménage, d'une entreprise ou d'un service public –, est un employeur, nonobstant l'intervention d'un intermédiaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_357/2009 du 16 novembre 2009 consid. 5.2). Peu importe qu'une rémunération soit versée et par qui. Est déjà un employeur celui qui occupe en fait un étranger dans son entreprise, sous sa surveillance et sous sa propre responsabilité et, par conséquent, qui en accepte les services (ATF 99 IV 110 consid. 1 à 3). Il n'est pas nécessaire que l'auteur ait la compétence de donner des instructions à ce travailleur étranger. Il suffit qu'il entre dans ses attributions de décider qui peut, ou non, participer à l'exécution de la tâche et que sa décision conditionne l'activité lucrative de l'intéressé (ATF 137 IV 159 consid. 1.4 ; ATF 128 IV 170 consid. 4.2). Il doit s'agir d'un comportement actif ; une simple permission ou tolérance ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_176/2007 du 16 novembre 2007 consid. 3.2).

L'employeur est soumis à un devoir de diligence arrêté à l'art. 91 LEI (M. S. NGUYEN / C. AMARELLE [éds], op. cit., n. 11 ad art. 117). Selon cet article, avant d'engager un étranger, l'employeur doit s'assurer qu'il est autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse en examinant son titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes. Il appartient à chaque employeur de procéder au contrôle. La simple omission de procéder à l'examen du titre de séjour ou de se renseigner auprès des autorités compétentes constitue déjà une violation du devoir de diligence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_357/2009 du 16 novembre 2009 consid. 5.1 et 5.3).

2.4. L'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI n'est réalisée que si l'employeur a agi intentionnellement, ce qui comprend le dol éventuel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_184/2009 du 20 mai 2009 consid. 1.2.2).

Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; ATF 133 IV 9 ; ATF 131 IV 1 consid. 2.2 ; ATF 130 IV 58 consid. 8.2).

2.5. Les actes commis par négligence sont réprimés (art. 117 al. 3 LEI). Pour qu'il y ait négligence au sens de l'art. 12 al. 3 CP, il faut que l'auteur ait violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient.

2.6.1. Les livreurs ayant travaillé pour H______ SA avant d'être annoncés à B______ SÀRL n'étaient pas au bénéfice des autorisations nécessaires. Il est vraisemblable que l'appelante n'ait été informée des heures travaillées par ces trois hommes en situation irrégulière que lors de la communication mensuelle par H______ SA des listes servant à l'établissement des fiches de paie.

La prévenue a néanmoins décidé que B______ SÀRL rémunérerait les trois travailleurs pour les heures effectuées. Ce faisant, B______ SÀRL a créé un lien employeur-employé avec les trois hommes, qui auparavant n'existait qu'avec H______ SA. En effet, en reprenant pour son compte ces personnes et en les rémunérant, l'entreprise a bénéficié des services rendus par ceux-ci, prestations très certainement facturées à H______ SA. À cet égard, il n'est pas déterminant que les livreurs n'aient par la suite pas été autorisé à poursuivre leur activité et que B______ SÀRL ait mis un terme immédiat à la relation de travail. Les conditions objectives de l'art. 117 al. 1 LEI sont remplies.

Subjectivement, l'appelante a agi intentionnellement en intégrant ces travailleurs au sein de son entreprise, quand bien même ils l'ont été exclusivement pour des heures déjà effectuées. Elle connaissait l'irrégularité des situations, raison pour laquelle elle a d'ailleurs mis un terme à leur activité.

Les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l'infraction sont remplis. Le verdict de culpabilité retenu en première instance pour ces trois occurrences sera confirmé.

2.6.2. Il est établi et non contesté que F______ a travaillé de novembre 2020 à février 2021 sans les autorisations nécessaires. Les conditions objectives de l'infraction à l'art. 117 LEI sont remplies.

Sur le plan subjectif, la défense soutient que, s'il y a bien eu une erreur dans le recrutement de ce livreur, les conditions subjectives de l'infraction ne sont pas remplies, tant intentionnellement que par négligence.

La commission intentionnelle de l'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI doit être écartée, y compris sous la forme du dol éventuel. Il ressort du dossier de la procédure que les instructions de A______ étaient claires. L'engagement de personne en situation irrégulière était strictement interdit au sein de B______ SÀRL.

Sous l'angle de la négligence, les erreurs dans le traitement de ce dossier ont très certainement été commises par manque d'attention et en raison d'un traitement trop rapide des recrutements. En effet, les titres de séjour français et suisse présentent certes des ressemblances de format et de couleurs. Cela étant, il appartenait aux collaborateurs de B______ SÀRL d'en faire une lecture complète, d'autant plus que le document suisse est clairement identifiable avec la croix fédérale sur fond rouge, identification présente sur tous les documents officiels. Or, le titre présenté par F______ ne présentait pas ce signe distinctif. À cela s'ajoute que le document fourni émanait de la France, pays dans lequel la collaboratrice en charge avait effectué toute sa carrière dans les ressources humaines avant de rejoindre B______ SÀRL. Cet élément renforce encore le sentiment d'une erreur grossière et évitable.

De plus, le bénéfice d'un titre de séjour UE/AELE (et donc l'absence de la nationalité européenne/AELE) aurait dû interpeller sur la nationalité de son détenteur et partant son droit à travailler en Suisse avant la décision de l'autorité sur l'octroi ou non d'une autorisation à exercer une activité lucrative.

En définitive, les erreurs étaient évitables et les informations en possession de B______ SÀRL devaient clairement éveiller la vigilance dans le traitement du dossier de F______. Il en résulte un manquement clair dans les précautions qu'exigeaient les circonstances. En effet, les collaboratrices de la prévenue faisaient face pendant la période pénale à une masse extraordinaire de travail, favorisant les risques d'erreur. Partant, les règles de prudence exigeaient de l'appelante qu'elle prenne des mesures pour parer à ces risques (engagement de personnel au sein des ressources humaines, processus de double validation des recrutements, etc.). Au surplus, I______ appliquait pour la première fois de sa carrière la réglementation suisse et avait intégré depuis quelques mois seulement B______ SÀRL lors de l'engagement de F______. Ses activités exigeaient un contrôle accru de l'appelante.

Vu les développements qui précèdent, les conditions de la négligence sont remplies au sens de l'art. 12 al. 3 CP cum art. 117 al. 1 et 3 LEI.

2.6.3. Il est également admis et non contesté que G______ a travaillé de mai 2020 à juin 2021 (soit pendant plus d'un an) en situation irrégulière. Les conditions objectives de l'art. 117 al. 1 LEI sont remplies.

Subjectivement, l'intention de la prévenue, même sous l'angle du dol éventuel, doit être exclue comme plaidé par la défense. En effet, les règles au sein de B______ SÀRL étaient clairement établies quant à l'interdiction absolue d'engager du personnel en situation irrégulière.

Demeure la question de la négligence. À nouveau, les éléments en possession des collaborateurs de B______ SÀRL auraient dû les alerter bien plus vite. Dans ce cas, la période pénale est particulièrement longue, puisqu'il a travaillé plus d'un an. L'attestation de l'OCPM datait déjà d'une année lorsqu'elle a été soumise à B______ SÀRL. Certes, le contexte de la pandémie ne facilitait pas les vérifications auprès des autorités. Cela étant, l'attestation ne concerne que le droit de séjour et ne fait nulle mention d'un quelconque droit à exercer une activité lucrative. G______ n'était pas de nationalité européenne. Il ne ressort pas du dossier que le livreur leur aurait parallèlement démontré détenir un permis arrivé à échéance et en cours de renouvellement, mais bien plutôt que la procédure concernait un primo-permis. Aussi, même si la collaboratrice en charge était certaine que G______ était autorisé à travailler, elle avait en sa possession plusieurs éléments qui devaient la conduire à adopter une prudence et à ne pas le laisser travailler sans vérification préalable auprès des autorités.

Pour les mêmes motifs que développés précédemment pour le cas F______, les circonstances (masse de travail rendant le risque d'erreur prévisible, voir inévitable, premier poste occupé en Suisse par sa collaboratrice) exigeaient une prudence particulière de l'appelante. Celle-ci n'a pas fait usage des précautions commandées par les circonstances.

La condition subjective de la négligence au sens de l'art. 12 al. 3 CP est remplie.

2.6.4. Partant, pour les occurrences G______ et F______, l'appelante sera reconnue coupable d'infraction à l'art. 117 par négligence (art. 117 al. 1 et 3 LEI).

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2.1. L'art. 53 CP dispose que, lorsque l'auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu'il a causé, l'autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine si les conditions du sursis à l'exécution de la peine sont remplies (let. a), si l'intérêt public et l'intérêt du lésé à poursuivre l'auteur pénalement sont peu importants (let. b) et si l'auteur a admis les faits (let. c).

La possibilité offerte par l'art. 53 CP fait appel au sens des responsabilités de l'auteur en le rendant conscient du tort qu'il a causé – la notion est plus large que celle du dommage occasionné à des tiers et englobe d'autres intérêts, publics et non matériels notamment (ATF 135 IV 12 consid. 3.4.1).

L'auteur doit en particulier démontrer, par la réparation du dommage, qu'il assume ses responsabilités et reconnaît notamment le caractère illicite ou du moins incorrect de son acte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_488/2022 du 11 octobre 2022 consid. 2.1 et références citées). Si l'auteur persiste à nier tout comportement incorrect, on doit admettre qu'il ne reconnaît pas, ni n'assume sa faute ; l'intérêt public à une condamnation l'emporte donc (arrêts du Tribunal fédéral 6B 533/2019 consid. 3.1 ; 6B 558/2009 du 26 octobre 2009 consid. 2.2).

Le fait que la gravité des faits se situe dans le cadre de l'art. 53 let. a CP ne peut cependant conduire à une exemption de peine que si l'intérêt public ou celui du lésé à la poursuite pénale sont de peu d'importance. Pour déterminer ce qu'il en est, il y a lieu de tenir compte des buts du droit pénal et des biens juridiques concernés. Lorsque l'infraction lèse des intérêts privés et plus particulièrement un lésé, qui a accepté la réparation de l'auteur, l'intérêt à la poursuite pénale fait alors la plupart du temps défaut. En cas d'infractions contre l'intérêt public, il faut en revanche aussi examiner si l'équité et le besoin de prévention générale ou spéciale appellent une sanction, même assortie du sursis (ATF 135 IV 12 consid. 3.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_130/2016 du 21 novembre 2016 consid. 3.1).

3.2.2. Lorsque les conditions – cumulatives – de l'art. 53 CP sont réunies, l'exemption par le juge est obligatoire. Si elles ne sont réalisées qu'en instance de jugement, il y a lieu de déclarer l'auteur coupable, tout en renonçant à lui infliger une peine (ATF 135 IV 27 consid. 2.3 ; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal – Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 15 ad art. 53 CP).

3.3. L'appelante a reconnu le caractère incorrect de ses actes pour les trois occurrences d’infraction à l'art. 117 al. 1 LEI (cf. supra consid. 2.6.1). Les faits sont admis.

Dans les trois cas de figure, l'appelante a autorisé son entreprise à reprendre pour son compte des situations non conformes au droit, qui n'étaient pas directement imputable à B______ SÀRL. Les heures avaient été travaillées, et aucune heure de plus n'a été effectuée une fois les faits portés à sa connaissance. La prévenue a mis un terme immédiat à l'activité de ces trois livreurs, de son propre chef, avant l'intervention de l'OCIRT. Elle a déclaré à la procédure avoir agi de la sorte pour éviter que les livreurs ne soient en définitive jamais rémunérés par H______ SA. Si tel est certainement le cas, la reprise de ces contrats était également dans ses intérêts. H______ SA était quasiment l'unique client de son entreprise. On peut dès lors douter de la véritable indépendance de B______ SÀRL dans la conduite de ses affaires. D'ailleurs, la location des trois livreurs en situation irrégulière a très vraisemblablement été facturée à H______ SA. Cela étant, l'intérêt public n'appelle pas à une sanction dans ces circonstances, même assortie du sursis.

Partant, les conditions de l'art. 53 CP sont remplies et la prévenue sera exemptée de toute peine en lien avec les occurrences C______, D______ et E______. Le jugement entrepris sera modifié en ce sens.

3.4. S'agissant des cas F______ et G______, la faute de la prévenue doit être qualifiée de faible à moyenne. Elle a fait preuve à plusieurs reprises de légèreté dans le recrutement et dans l'absence de contrôle du travail accompli par ses collaboratrices, ne prenant pas les précautions commandées par les circonstances. Les erreurs commises étaient évitables, d'autant plus pour des collaboratrices dont l'immense majorité du travail consistait à recruter des personnes étrangères devant préalablement obtenir des autorisations d'exercer une activité lucrative en Suisse. Elle a ainsi agi avec peu d'égard pour les règles instituées en matière de droit des étrangers.

Sa collaboration à la procédure est bonne. Elle a reconnu d'emblée les faits et les erreurs commises. Elle n'a d'ailleurs pas attendu l'intervention de l'OCIRT pour y remédier mais a agi dès la découverte des irrégularités (amélioration des processus, licenciement immédiat des personnes en situation irrégulière).

Sa situation personnelle est sans lien avec les faits.

Il n'y a pas de place pour l'application de l'art. 53 CP en relation avec les deux infractions commises par négligence. L'intérêt public poursuivi ici, soit la lutte contre le travail au noir, exige, tant dans un but de prévention spéciale que générale, que le recrutement de personnel, en particulier s'agissant d'emploi précaire, soit effectué en tout instant dans les règles de l'art et avec précision. Les erreurs commises en l'espèce appellent une sanction pénale.

L'appelante n'a pas d'antécédent, facteur neutre sur sa peine.

Il y a concours d'infractions d'où le bénéfice du principe d'aggravation (art. 49 CP cum art. 104 CP).

Partant, une amende de CHF 1'500.- sera prononcée pour l'occurrence G______, laquelle sera aggravée de CHF 1'000.- pour le cas F______ (contravention hypothétique : 1'200.-), soit une amende globale de CHF 2'500.-.

La peine privative de liberté de substitution sera arrêtée à 25 jours (art. 106 al. 2 CP).

4. L'appelante, qui succombe partiellement, supportera 30% des frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP), qui comprennent un émolument de décision de CHF 1'500.-. L'émolument complémentaire de jugement, arrêté à CHF 1'000.- par le TP, suivra le même sort.

Les verdicts de culpabilité étant confirmés en appel, la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance ne sera pas revue (cf. art. 428 al. 3 CPP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/945/2023 rendu le 17 juillet 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/13484/2022.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'infractions à l'art. 117 al. 1 LEI et d'infractions à l'art. 117 al. 3 LEI.

Exempte A______ de toute peine en lien avec les infractions à l'art. 117 al. 1 LEI (art. 53 CP)

Condamne A______ à une amende de CHF 2'500.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 25 jours.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Condamne A______ aux frais de la procédure préliminaire et de première instance, arrêtés à CHF 800.- (art. 426 al. 1 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'785.-, qui comprennent un émolument de décision de CHF 1'500.-.

Met 30% de ces frais à la charge de A______, soit CHF 535.50, et laisse le solde à la charge de l'État.

Met 30% de l’émolument complémentaire de jugement de première instance de CHF 1'000.- à la charge de A______, soit 300.-.


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et au Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Catherine GAVIN

e.r. Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'126.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

120.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

90.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'785.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'911.00