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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/1788/2023

AARP/46/2024 du 30.01.2024 sur JTDP/950/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 14.03.2024, 6B_216/2024
Descripteurs : MENDICITÉ;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPG.11.leta
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1788/2023 AARP/46/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 30 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, Roumanie, comparant par Me B______, avocate,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/950/2023 rendu le 18 juillet 2023 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104,
1211 Genève 8,

intimés.


EN FAIT :

A. a.a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/950/2023 du 18 juillet 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c de la loi pénale genevoise (LPG) et condamnée à une amende de CHF 190.-, frais de procédure à sa charge.

a.b. A______ conclut principalement à son acquittement et subsidiairement à être exemptée de toute peine.

b. Selon les ordonnances pénales du 5 octobre 2022, valant acte d'accusation, il lui est reproché d'avoir mendié :

-     le mardi 9 août 2022, à 11h58, à la rue 1______ no. ______, [code postal] C______ [GE], devant le Centre commercial D______ (ordonnance pénale n° 2______) ;

-     le samedi 13 août 2022, à 13h13, au boulevard 3______ no. ______, [code postal] Genève, devant le supermarché E______ (ordonnance pénale n° 4______).

c. Le Service des contraventions (SDC) conclut au rejet de l'appel.

B. Les faits de la cause ne sont pas contestés et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du Code de procédure pénale [CPP]).

a. Le 9 août 2022, à 11h58, A______ a mendié en tendant un gobelet à café rempli de pièces de monnaie aux passants devant le centre commercial D______ sis rue 1______ no. ______, [code postal] C______ (cf. rapport de contravention du 29 août 2022).

b. Le 13 août 2022, à 13h13, elle a demandé de l'argent aux clients qui sortaient du magasin E______ sis boulevard 3______ no. ______, [code postal] Genève (cf. rapport de contravention du 25 août 2022).

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite (art. 406 al. 1 let. c CPP).

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

L'art. 11A LPG violait l'exigence de précision découlant du principe de la légalité. Il était impossible de comprendre où et comment pratiquer la mendicité licitement, notamment vu l'utilisation de notions générales et abstraites, étant rappelé que la population visée par l'interdiction était souvent étrangère et peu éduquée, et que l'atteinte touchait au noyau de la liberté personnelle. Cette ingérence n'était pas justifiée par un intérêt public solide. La mendicité ne troublait pas l'ordre public de manière plus importante qu'une collecte caritative dans la rue. L'appelante ne faisait pas partie d'un réseau criminel. La disposition querellée revenait à interdire de facto la mendicité, ce qui violait le droit supérieur, et à sanctionner pénalement une personne contrainte de s'adonner à la mendicité comme moyen de subsistance.

L'interdiction contrevenait également à la liberté de communication dans la mesure où le fait de tendre la main aux passants avait une dimension symbolique dépassant l'expression de sa précarité. Elle était également discriminatoire et stigmatisante puisque cela revenait à sanctionner l'appelante en raison de sa pauvreté.

c. Dans son mémoire de réponse, le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel.

Les notions générales et abstraites de l'art. 11A LPG étaient compréhensibles et illustrées par de nombreux exemples, peu importe le niveau d'éducation.

L'interdiction de la mendicité était justifiée par la défense de l'ordre public et la protection des droits d'autrui. Elle était proportionnée puisque limitée à certains lieux.

Même à considérer que la mendicité entrait dans le champ d'application de la liberté d'expression, une ingérence était justifiée par des intérêts publics et respectait la proportionnalité, à l'instar de ce qui prévalait pour une atteinte à la liberté personnelle.

L'article querellé ne faisait aucunement référence à une notion discriminatoire et ne stigmatisait pas le justiciable en raison de sa pauvreté. D'aucun n'était privé de mendier dans les lieux autorisés ou de recourir à l'aide étatique ou associative, étant observé que le revenu de la mendicité constituait souvent un complément à ce filet social.

d. Le SDC persiste dans ses conclusions, s'en rapportant à justice pour le surplus.

D. A______, ressortissante roumaine, née le ______ 1999, est domiciliée dans son État d'origine et n'a pas d'emploi.

En appel, elle affirme, sous la plume de son conseil, être analphabète, sans formation, ni revenus et faire face à une situation de grand dénuement.

À teneur de son casier judiciaire suisse, elle a été condamnée par le MP à une peine privative de liberté d'un mois, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans) pour vol simple (art. 139 al. 1 du Code pénal [CP]). Elle a également été condamnée par le TP pour mendicité au sens de l'art. 11A aLPG les 11 juillet 2019 (23 occurrences) et 10 août 2020 (13 occurrences).

E. Me B______, défenseure d'office de A______ à compter du 14 septembre 2023, n'a pas déposé d'état de frais bien qu'y ayant été invitée.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Quiconque aura mendié aux abords immédiats des entrées et sorties de tout établissement à vocation commerciale, notamment les magasins, hôtels, cafés, restaurants, bars et discothèques se rend coupable de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c ch. 2 LPG.

2.2.1. Il est établi et non contesté que l'appelante a mendié par deux fois comme décrit dans les ordonnances pénales (cf. supra A.b.) et qu'elle réalise, de ce fait, les éléments constitutifs de l'infraction susmentionnée.

2.2.2. Elle plaide que sa condamnation ainsi que sa sanction constitueraient des atteintes injustifiées à plusieurs de ses droits fondamentaux.

À cet égard, il convient d'emblée de rappeler qu'il n'appartient pas à la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) d'effectuer un second contrôle abstrait de la disposition en cause, après celui opéré par la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice (CSTCJ) (cf. ACST/12/2022 du 28 juillet 2022). Les arguments de l'appelante seront dès lors examinés uniquement en lien avec l'état de faits reproché à celle-ci, soit de s'être livrée à de la mendicité aux abords immédiats des entrées et sorties de deux supermarchés.

2.3.1. L'appelante invoque la violation de sa liberté personnelle ainsi que du principe de la légalité. Les deux griefs intrinsèquement liés peuvent être examinés concurremment.

2.3.2. À teneur de l'art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.), tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement.

2.3.3. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), le fait de mendier doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. ou du droit au respect de la vie privée au sens de l'art. 8 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) (ATF 134 I 214 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_537/2021 du 13 mars 2023 consid. 4.3 ; CourEDH Lacatus c. Suisse du 19 janvier 2021 §59).

2.3.4. À l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'est toutefois pas absolue. Une restriction de cette garantie est admissible si elle repose sur une base légale (qui, en cas d'atteinte grave, doit figurer dans une loi au sens formel), si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.).

Ces conditions se retrouvent à l'art. 8 par. 2 CEDH qui exige que l'ingérence dans l'exercice du droit soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui (CourEDH Lacatus c. Suisse du 19 janvier 2021 §93 et ss.).

2.3.5. Il faut également tenir compte du principe de la légalité (art. 1 CP et art. 7 CEDH qui s'applique aux contraventions du droit pénal cantonal, dont l'exigence de précision (nulla poena sine lege certa) constitue l'une des facettes. Une norme pénale doit être suffisamment précise. Les exigences à cet égard dépendent entre autres de la complexité de la matière réglementée et de la peine encourue. La loi doit être formulée de manière suffisamment précise pour que les citoyens puissent s'y conformer et identifier les conséquences d'un comportement donné avec un degré de certitude correspondant aux circonstances. Le principe de précision ne doit toutefois pas être compris de manière absolue. Le législateur ne peut pas renoncer à utiliser des notions générales dont l'interprétation et l'application doivent être laissées à la pratique. Le degré de précision requis ne peut ainsi pas être fixé de manière abstraite. Il dépend notamment de la diversité des situations à ordonner, de la complexité et de la prévisibilité de la décision nécessaire dans le cas d'espèce, des destinataires de la norme, de la gravité de l'atteinte aux droits constitutionnels et de la décision appropriée qui n'est possible que lors de la concrétisation dans un cas concret d'application (ATF 149 I 248 consid. 4.6.1).

2.3.6. Il n'est, à raison, pas contesté par la défense que la restriction à la liberté personnelle de l'appelante repose sur une base légale au sens formel. La défense invoque en revanche la violation du principe de la légalité sous l'angle de l'exigence de précision.

2.3.7.1. L'expression générale et abstraite "aux abords immédiats des entrées et sorties de tout établissement à vocation commerciale" se comprend par elle-même.

Certes, le législateur genevois a renoncé, à dessein, à chiffrer une limite métrique de cinq mètres (contrairement à ce qui prévaut dans la loi bâloise) (cf. Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de la LPG pp. 24 et 25). Cela étant, l'utilisation de l'adjectif "immédiat" – défini par les dictionnaires Robert et Larousse comme qui précède ou suit sans intermédiaire, notamment dans une relation spatiale – suffit à réaliser l'exigence de précision.

2.3.7.2. L'expression "établissement à vocation commerciale" est accessible à tout un chacun et illustrée par des exemples, notamment le terme "magasin".

2.3.7.3. En l'occurrence, la loi telle que formulée ne pose aucune difficulté puisqu'à teneur des rapports de contravention, l'appelante se trouvait "devant" les commerces et s'est adressée aux clients qui en sortaient (cf. seconde occurrence). Dès lors qu'elle se trouvait devant ces magasins et qu'elle quémandait l'aide de leur clientèle, elle se trouvait bien dans les "abords immédiats" des accès à ces magasins, ce qu'elle ne pouvait que réaliser.

2.3.7.4. Il est vrai, comme le rappelle la défense, que l'interdiction est destinée à des individus qui sont le plus souvent étrangers et peu éduqués. Cela étant, l'appelante ne saurait en tirer argument. Elle a déjà été interpellée et condamnée en 2019 et 2020 pour plus de 30 occurrences. Dès lors et en dépit du changement de loi, elle ne pouvait pas ignorer qu'il existait un cadre légal dans le canton et que la mendicité était interdite à certains endroits. Il lui appartenait de se renseigner en cas de doute sur la formulation de la loi, celle-ci étant suffisamment claire pour remplir les exigences découlant du principe de la légalité.

2.3.7.5. Le grief fondé sur le manque de précision de la loi doit, partant, être rejeté.

2.4.1. La CourEDH n'a pas exclu que l'interdiction totale de la mendicité poursuit a priori des buts légitimes, soit, d'une part, la protection de l'ordre public et le fait d'assurer la sécurité et la tranquillité publique et, d'autre part, la lutte contre l'exploitation des personnes, notamment mineures. Elle a laissé ouverte la question de savoir si d'autres buts légitimes sont également poursuivis par l'interdiction de la mendicité (CourEDH Lacatus c. Suisse du 19 janvier 2021 §97). La motivation se rendre la pauvreté moins visible dans une ville et d'attirer les investissements n'est toutefois pas légitime au regard des droits de l'homme (cf. §113).

2.4.2. Le Tribunal fédéral a admis l'existence d'un intérêt public à la protection de l'ordre, de la tranquillité et de la sécurité publics en cas de réglementation de la mendicité à proximité immédiate des points de paiement et des distributeurs automatiques de billets, à l'entrée des magasins, dans les gares ou dans d'autres bâtiments publics (ATF 149 I 248 consid. 4.6.2).

2.4.3. Au vu de la jurisprudence précitée, l'interdiction partielle de mendier aux abords immédiats de magasins poursuit des intérêts publics reconnus.

En l'occurrence, l'appelante s'est placée à l'entrée de deux magasins d'alimentation, commerces de denrées essentielles devant lesquels le passage est quasiment obligatoire pour tout un chacun. Par sa présence, elle a risqué de gêner physiquement les allers et venues de nombreux clients, de les importuner en s'adressant à eux ou de faire naître chez ceux-ci un sentiment d'insécurité en se tenant à proximité de leur accès. Son comportement a également été de nature à perturber l'exploitation des deux magasins, et cela sans l'accord des ayants-droits, dont les droits méritent protection.

Contrairement à l'avis de la défense, l'éventuelle gêne causée par les collectes caritatives dans la rue ne saurait être comparée à celle générée par la mendicité passive dans la mesure où, dans le premier cas, une autorisation étatique est nécessaire pour utiliser de manière accrue le domaine public, laquelle est octroyée pour un temps et un lieu déterminés, voire contre le paiement d'un émolument. On relèvera que lorsqu'une collecte est organisée aux "abords immédiats" d'un magasin, elle a lieu avec l'accord de l'exploitant. Or, tel n'est pas le cas de la mendicité.

L'ingérence repose in casu sur des motifs d'intérêts publics solides et reconnus.

2.4.4.1. L'interdiction de la mendicité doit être proportionnée (art. 36 al. 3 Cst.) ou s'avérer nécessaire dans une société démocratique (art. 8 par. 2 CEDH). Il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public. Il faut tenir compte du fait que les personnes mendiantes sont généralement particulièrement nécessiteuses et vulnérables et qu'elles dépendent de la mendicité comme moyen de subsistance (ATF 149 I 248 consid. 4.6.3).

2.4.4.2. Concernant la troisième composante, le Tribunal fédéral a considéré que la mise en place d'un filet social découlant de la réglementation en matière d'aide sociale permettait de déduire que, pour la très grande majorité des personnes qui se livraient à la mendicité, son interdiction ne les priverait pas du minimum nécessaire, mais d'un revenu d'appoint. Cela conduisait à admettre un rapport raisonnable entre les effets de l'interdiction de la mendicité sur la situation des personnes concernées et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 134 I 214 consid. 5.7.3). Le but de l'art. 12 Cst. était justement d'éviter qu'une personne ne doive mendier pour survivre (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.4.3).

2.4.4.3. Contrairement à l'avis de l'appelante, la formulation de la disposition légale cantonale ne revient pas à interdire de facto la mendicité sur le territoire genevois.

Le législateur cantonal a listé les lieux où il y avait un intérêt public à ce que la mendicité soit prohibée, renonçant à l'incriminer pour le surplus. À titre d'exemple, l'arrêté du Conseil d'État du 12 février 2022 a limité l'interdiction de la mendicité à la région de la rade allant de la Perle du Lac jusqu'à Baby-Plage. Il subsiste ainsi des emplacements au centre-ville où l'activité n'est pas interdite. L'espace public n'est pas totalement exclu pour les personnes s'adonnant à la mendicité. Elles bénéficient du reste de suffisamment d'endroits pour ne pas toutes être réunies dans le même espace.

En l'occurrence, il suffisait à l'appelante de s'éloigner de l'accès des commerces pour pratiquer, dans les quartiers qu'elle fréquentait, son activité de manière licite, de sorte qu'aucune mesure moins incisive n'aurait permis de parvenir au résultat recherché.

2.4.4.4. En outre, l'appelante n'a jamais allégué avoir déposé une demande d'aide financière exceptionnelle (concrétisation de l'art. 12 Cst. régie aux art. 13 et ss. du Règlement genevois d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle [RIASI]), alors que celle-ci est destinée à éviter aux requérants de devoir mendier pour satisfaire leurs besoins élémentaires et mener une existence conforme à la dignité humaine (filet social). Ainsi, elle ne saurait affirmer qu'elle n'avait d'autre choix que de mendier, de surcroît dans un lieu illicite, pour assurer sa subsistance.

2.4.4.5. Quand bien même le Tribunal fédéral a récemment tranché qu'il n'était pas admissible de sanctionner la mendicité passive par une amende qui, dans un cas de dénuement, était presqu'automatiquement convertie en jours de détention, à moins d'avoir pris des mesures administratives en amont, l'appelante ne saurait se prévaloir de cet arrêt au vu de ses antécédents (plus de 30 interpellations pour des faits de mendicité sous l'ancien droit). Après avoir été condamnée à deux reprises, elle ne pouvait pas ignorer, en dépit du changement de loi, qu'elle risquait une amende, sinon sa conversion en jours de détention, et elle a persisté à récidiver, de sorte que l'on peut affirmer que des mesures administratives moins incisives seraient restées sans effet (ATF 149 I 248 consid. 5.4.6 et ss.).

2.4.4.6. Cela étant, à l'instar de ce qu'a relevé le Tribunal fédéral, il serait bienvenu d'intégrer à la loi genevoise, en faveur des primo-délinquants, un mécanisme graduel de sanction avant le prononcé de l'amende quasiment systématiquement convertie. On peut, par exemple, penser à la remise d'un avertissement formel dans la langue maternelle du contrevenant indiquant le caractère pénal de son comportement et la sanction encourue en cas de récidive, voire un guide des bonnes pratiques à adopter dans le canton.

2.4.5. Au vu des considérants qui précèdent, les griefs fondés sur la liberté personnelle et le principe de la légalité doivent être rejetés.

2.5.1. D'après l'art. 16 al. 2 Cst., toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion en recourant à tous les moyens propres à établir la communication, à savoir la parole, l'écrit ou le geste, sous quelque forme que ce soit.

Selon l'art. 10 CEDH, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (1er par.). Le deuxième paragraphe dispose que l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

2.5.2. Dans ses arrêts 6B_530/2014 du 10 septembre 2014 (cf. consid. 2) et 1C_443/2017 op.cit. (cf. consid. 6), le Tribunal fédéral a refusé d'admettre que la mendicité est une forme d'expression. Il fallait exclure tout contenu symbolique au comportement de la personne qui mendiait et partir de ce que le message qu'elle adressait aux passants était restreint à la seule expression de son dénuement personnel ou, tout au plus familial, et à son besoin d'aide, soit une problématique exclusivement privée. Cette communication apparaissait ainsi d'emblée comme un simple élément secondaire, quoique nécessaire, de son activité de mendicité. Il en résultait que la facette de communication de l'activité était singulièrement réduite (arrêt du Tribunal fédéral 6B_530/2014 op.cit. consid. 2.7).

Le but de la mendicité n'est pas d'exprimer un besoin, mais plutôt d'en obtenir la satisfaction par le biais d'un don très généralement sous la forme d'une prestation en argent. Se poster sur la voie publique pour se faire remettre de l'argent peut être interprété de diverses manières, mais on peut avant tout y voir un geste dépourvu de tout message et simplement destiné à améliorer la situation matérielle de son auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 op.cit. consid. 6.2).

Dans l'ATF 149 I 248, notre Haute Cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur sa jurisprudence, dans la mesure où les recourants n'avaient pas expliqué en quoi la liberté d'expression leur conférait une protection plus étendue que la liberté personnelle (cf. consid. 4.4).

2.5.3. Dans son arrêt Lacatus c. Suisse (cf. §120), la CourEDH a estimé que le grief fondé sur la liberté d'expression ne soulevait pas de "question distincte essentielle" et n'est pas entrée en matière sur ce point. Une opinion minoritaire a regretté que la CourEDH ne reconnût pas, en référence à un arrêt de la Cour constitutionnelle autrichienne du 30 juin 2012 (G155/10-9) ainsi qu'à un arrêt de la High Court d'Irlande du 4 décembre 2007 (Dillon v. Director of Public Prosecutions [2008],
11R 383), une ingérence dans l'exercice de ce droit (cf. pp. 39 et ss.).

2.5.4. La CSTCJ, à l'instar du Tribunal fédéral, a considéré que la communication préalable de la précarité et du soin d'aide était secondaire par rapport à la satisfaction dudit besoin et qu'elle relevait ainsi d'une problématique privée, non protégée par la liberté d'expression (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 12c).

2.5.5. Au vu de la jurisprudence précitée, la mendicité n'entre pas dans le champ d'application de la protection accordée par la liberté d'expression. La manifestation de la précarité ou sa communication même tacite dans ce contexte est inhérente au but d'obtention d'une aide pécuniaire ou en nature, mais reste secondaire à celui-ci. Il ne ressort du reste pas du dossier que l'appelante aurait exprimé autre chose que son besoin personnel d'aide, de sorte qu'elle ne saurait, dans ce contexte, se prévaloir de sa liberté d'expression pour faire obstacle à la sanction de son comportement.

Même à considérer l'inverse, la liberté d'expression n'offre pas une protection plus étendue que la liberté personnelle, et une ingérence dans ce droit serait justifiée et proportionnée, les motifs évoqués ci-avant valant mutatis mutandis (cf. supra consid. 2.3.1 et ss.)

2.6.1. Selon l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une réglementation formulée de manière neutre en soi, désavantage dans ses effets réels les membres d'un groupe de personnes spécifiquement protégé contre la discrimination, sans que cela soit objectivement justifié (ATF 141 I 241 consid. 4.3.2 ; 135 I 49 consid. 4.1). L'atteinte doit néanmoins atteindre une importance significative, d'autant plus que l'interdiction de la discrimination indirecte ne peut servir qu'à corriger les effets négatifs les plus évidents d'une réglementation étatique (ATF 142 V 316 consid. 6.1.2 ; 138 I 205 consid. 5.5 et arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2022 du 24 novembre 2022 consid. 5.1).

2.6.2. L'art. 14 CEDH complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles et n'a pas de portée indépendante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1079/2019 du 23 décembre 2021 consid. 8.1). Toute différence de traitement n'emporte pas automatiquement violation de cet article. Il faut démontrer que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables jouissent d'un traitement préférentiel, et que cette distinction est discriminatoire. Tel est le cas si la différence de traitement manque de justification objective et raisonnable, soit si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il est clairement établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CourEDH Ryser c. Suisse du 12 janvier 2021 § 46 et ss. ; Belli et Arquier-Martinez c. Suisse du 11 décembre 2018 § 89 et ss. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2022 du 24 novembre 2022 consid. 5.2).

Dans son arrêt Lacatus c. Suisse (cf. §123), la CourEDH a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer séparément sur le grief découlant de l'art. 14 CEDH dans la mesure où il n'avait pas de portée indépendante de l'art. 8 CEDH.

2.6.3. Dans son ATF 149 I 248, le Tribunal fédéral a jugé que le texte de la loi bâloise était neutre dans la mesure où il visait tous les mendiants, y compris ceux de nationalité suisse, et pas donc uniquement les Roms (cf. consid. 7.4). Dans le cadre de son contrôle abstrait, il n'y avait pas d'indices suffisants d'une éventuelle application discriminante de la loi dans la mesure où il n'était pas étayé que les autorités avaient traité plus sévèrement les mendiants Roms que les indigènes. Notre Haute Cour a toutefois relevé qu'il appartenait aux autorités d'exécution bâloises d'appliquer de manière non discriminatoire leur nouvelle base légale (cf. consid. 7.5).

2.6.4. La CSTCJ a rejeté le grief d'un traitement discriminatoire sur la base de la pauvreté. Le fait d'être pauvre ne donnait pas d'emblée droit à la protection de l'art. 8 al. 2 Cst. Même dans une telle hypothèse, la loi pouvait sanctionner la mendicité afin de protéger l'ordre public et lutter contre l'exploitation humaine et non pour dévaloriser ou exclure. Par ailleurs, le système juridique suisse répondait à la détresse des personnes par l'octroi de l'aide sociale au sens de l'art. 12 Cst., de manière à leur éviter de devoir mendier pour satisfaire leurs besoins élémentaires (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 11c).

2.6.5.1. En l'espèce, le texte de loi cantonal est neutre en ce sens qu'il ne contient aucune expression directement discriminante et, comme l'a souligné la CSTCJ, le fait d'être pauvre ne donne pas d'emblée droit à la protection de l'art. 8 al. 2 Cst.

Il n'y a pas de discrimination dans la mesure où l'activité demeure autorisée dans des espaces publics avec du passage et est seulement règlementée là où les motifs évoqués supra le justifient (cf. consid. 2.3.1 et ss.).

Par ailleurs, l'interdiction partielle de la mendicité ne prive pas ceux qui s'y adonnent d'obtenir de l'aide étatique ou associative, le développement supra sur les art. 13 et ss. RIASI valant mutatis mutandis (cf. consid. 2.4.4.4).

2.6.5.2. Il n'y dès lors pas de discrimination fondée en raison de la pauvreté de l'appelante, et ce grief doit être rejeté.

2.7. Au vu de ce qui précède, la condamnation de l'appelante pour mendicité doit être confirmée en tant qu'elle ne constitue pas, dans le cas d'espèce, une ingérence injustifiée dans ses droits fondamentaux.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2. L'art. 52 CP prévoit que, si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes, l'autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine. Les deux conditions sont cumulatives. L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans le cas particulier doivent être évaluées par comparaison avec celle de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification ; en effet, il ne s'agit pas d'annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi pénale. Toutes les conséquences de l'acte doivent être minimes, et non seulement celles constitutives de l'infraction (ATF 146 IV 297 consid. 2.3 ;
135 IV 130 consid. 5.3.2 et 5.3.3).

3.3. La faute de l'appelante doit être qualifiée de faible à moyenne. Elle a mendié à deux reprises au cours d'une période pénale courte. Elle ne pouvait ignorer, eu égard à ses précédentes condamnations, qu'elle agissait de manière contraire au droit pénal cantonal et elle a fait fi de l'ordre juridique genevois ainsi que de ses autorités qu'elle a mobilisées par deux fois en quatre jours.

Sa situation personnelle précaire explique ses agissements, mais ne les justifie pas totalement, dans la mesure où il existait d'autres lieux où elle pouvait s'adonner à la mendicité de manière licite. On retiendra toutefois au bénéfice du doute qu'elle a agi pour améliorer sa condition difficile, et non par appât du gain.

Sa collaboration n'appelle pas de remarque puisqu'elle ne s'est pas exprimée au cours de la procédure.

L'appelante a plusieurs antécédents dont certains spécifiques.

Il y a concours d'infractions d'où le bénéfice du principe d'aggravation (art. 49 CP cum art. 104 CP).

3.4. La première occurrence sera sanctionnée par une amende de CHF 100.-, montant qui sera aggravé de CHF 50.- (peine hypothétique : CHF 100.-) pour sanctionner la seconde occurrence. Une peine privative de liberté de substitution d'un jour sera prononcée (art. 106 al. 2 CP).

Partant, l'appel sera très partiellement admis sur la question de la peine.

3.5. Au vu des éléments précités, en particulier de ses antécédents et du concours d'infractions, l'appelante ne saurait bénéficier d'une exemption de peine, étant rappelé que le but de l'art. 52 CP n'est pas d'annuler toutes les infractions mineures prévues par le droit pénal, sauf à risquer de les vider de leur substance.

4. L'appelante, qui succombe en grande partie, supportera les frais de la procédure d'appel envers l'État, y compris un émolument d'arrêt réduit de CHF 300.-, tenant compte du très léger gain de cause et de sa situation personnelle (art. 425 et 428 CPP). Vu la confirmation du verdict de culpabilité, la répartition des frais de procédure préliminaire et de première instance n'a pas à être revue.

5. La défenseure d'office n'ayant pas déposé d'état de frais, sa rémunération sera arrêtée ex aequo et bono à CHF 861.60, soit quatre heures d'activité à CHF 200.-/heure (CHF 800.-) ainsi que l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 61.60).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/950/2023 rendu le 18 juillet 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/1788/2023.

L'admet très partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable de mendicité (art. 11A al. 1 let. c ch. 2 LPG).

Condamne A______ à une amende de CHF 150.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution d'un jour (art. 106 al. 2 CP).

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Prend acte de ce que le Tribunal de police a arrêté les frais de la procédure préliminaire et de première instance à CHF 584.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.-, les mettant à charge de A______ (art. 426 al. 1 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 515.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 300.-, et les met intégralement à charge de A______.

Arrête à CHF 861.60, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseure d'office de A______, pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

La greffière :

Anne-Sophie RICCI

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

584.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

140.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

300.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

515.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

1'099.00