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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2308/2023

JTAPI/1179/2023 du 30.10.2023 ( OCPM ) , REJETE

REJETE par ATA/248/2024

Descripteurs : REGROUPEMENT FAMILIAL
Normes : LEI.42.al1; LEI.47.al4; CEDH.8
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2308/2023

JTAPI/1179/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 octobre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, Madame B______ et Madame C______, représentés par Me D______, avocat, avec élection de domicile

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ réside en Suisse depuis le 24 octobre 2011 et a d'abord été mis au bénéfice d'une carte de légitimation, puis a obtenu la nationalité suisse le 28 novembre 2017.

2.             Il s'est marié une première fois avec Madame E______, ressortissante sénégalaise, en date du 4 avril 1990.

3.             De leur union sont nés trois enfants, soit Monsieur F______, né le ______ 1998, Madame C______, née le ______ 2000, et Madame B______, née le ______ 2005, tous trois ressortissants sénégalais.

4.             Les époux ont divorcé le 23 mars 2006 puis, ayant renoué des liens, ils se sont mariés à nouveau le ______ 2021.

5.             Monsieur F______ est arrivé en Suisse le 22 juillet 2016 dans le cadre d'une demande d'obtention de carte de légitimation.

6.             Le 6 janvier 2022, Mme E______ et ses deux filles ont chacune déposé une demande de regroupement familial pour rejoindre M. A______ en Suisse.

7.             Mme E______ a obtenu un visa d'entrée en Suisse le 14 décembre 2022 et y réside depuis lors.

8.             Par décisions séparées du 5 juin 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a rejeté les demandes de regroupement familial déposées en faveur de Madame C______ et de Madame B______.

En substance, s'agissant de Madame B______, la demande de regroupement familial était tardive, étant donné que son père bénéficiait d'un délai d'un an à partir de l'obtention de sa nationalité suisse pour demander un regroupement familial en faveur de sa fille. S'agissant de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant au sens des dispositions conventionnelles en la matière, il fallait retenir que B______ résidait actuellement au Sénégal, qu'elle était âgée de 17 ans (recte : 18 ans), qu'elle avait été scolarisée dans ce pays, qu'elle y avait passé son enfance et son adolescence, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir d'aucune intégration en Suisse et qu'elle était en bonne santé. En outre, aucun élément de son dossier ne permettait de penser que sa situation constituait un cas individuel d'extrême gravité. À présent âgé de 18 ans révolus, elle était apte à se prendre en charge de manière autonome au Sénégal, si besoin avec le soutien financier de son père. De plus, elle était actuellement scolarisée en classe terminale du lycée d'excellence privé Birago Diop. Elle présentait de ce fait un excellent parcours académique, selon les constatations du conseil de M. A______. Il serait dommageable que son parcours scolaire actuel soit interrompu par sa venue en Suisse. En ce qui concernait le fait qu'elle vivait actuellement seule au Sénégal avec sa sœur, il fallait relever que sa mère avait obtenu un visa d'entrée en Suisse suite à sa demande de regroupement familial. Sa mère avait dès lors accepté de son plein gré de venir s'établir en Suisse et de laisser ses deux filles seules dans leur pays. Qui plus est, Madame B______ disposait de sa sœur aînée au Sénégal, qui était actuellement âgé de 22 ans révolus. Il fallait enfin relever que M. A______ avait entrepris des démarches en 2016 pour faire venir son fils aîné en Suisse, mais qu'il ne l'avait pas fait pour ses deux filles. La demande de regroupement familial constituait donc davantage une volonté d'offrir à Madame B______ un meilleur avenir et des conditions d'études plus favorables en Suisse, plutôt que de préserver une unité familiale qui avait été volontairement rompue par la venue de la mère de famille en Suisse.

S'agissant de Madame C______, elle ne remplissait pas les conditions légales d'un regroupement familial dans la mesure où, âgée de 21 ans révolus lors du dépôt de la demande, elle avait dépassé l'âge maximum de 18 ans prévu par la loi. Sa situation ne correspondait pas non plus à un cas individuel d'extrême gravité. Elle était à présent majeure et apte à se prendre en charge de manière autonome au Sénégal, si besoin avec le soutien financier de son père. Elle était actuellement scolarisée au Sénégal en troisième année à l'école supérieure multinationale des télécommunications en vue de l'obtention d'un diplôme de licence en management et économie du numérique. Elle présentait de ce fait un excellent parcours académique. Dans la mesure où elle poursuivait des études universitaires au Sénégal, il serait dommageable que ses études soient interrompues par sa venue en Suisse. Concernant le fait qu'elle vivait actuellement seule au Sénégal avec sa sœur, il fallait relever que sa mère avait décidé de son plein gré de venir s'établir en Suisse auprès de son mari et de laisser ses deux filles dans leur pays. Il fallait enfin relever que M. A______ avait entrepris des démarches en 2016 pour faire venir son fils aîné en Suisse, mais qu'il ne l'avait pas fait pour ses deux filles. La demande de regroupement familial constituait donc davantage une volonté d'offrir à Madame C______ un meilleur avenir et des conditions d'études plus favorables en Suisse, plutôt que de préserver une unité familiale qui avait été volontairement rompue par la venue de la mère de famille en Suisse.

9.             Par acte du 10 juillet 2023, M. A______ a recouru contre ces deux décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant principalement à leur annulation. Sur mesures provisionnelles, il concluait également à l'annulation de ces deux décisions et à la délivrance des autorisations de séjour sollicitées en faveur de ses deux filles.

Le fait que la demande de regroupement familial en faveur de ses deux filles n'avait pas été effectuée plus tôt s'expliquait par le fait que les relations familiales n'avaient repris de manière effective qu'en octobre 2021. Jusque-là, les époux n'entretenaient que des relations épisodiques.

Le Sénégal était une société patriarcale, avec une hiérarchisation très restrictive des rôles. Les enfants, même majeurs, se devaient d'avoir un parent référent ayant pour but de les protéger et de subvenir à leurs besoins. En outre, la situation instable que subissait le pays en ce moment en raison des élections présidentielles accentuait davantage le besoin de protection de ses deux filles, qui étaient à ce jour livrées à elles-mêmes. Le climat de crise et de violence au Sénégal s'était nettement aggravé. De manière générale, la situation politique du pays engendrait depuis plusieurs années un climat de tension entraînant de violentes manifestations qui provoquaient la mort de civils, des véhicules brûlés, le saccage du siège de médias, ainsi que des scènes de guérilla devant l'université. L'Organisation des Nations unies s'était déjà prononcée à ce sujet et avait appelé les autorités sénégalaises à immédiatement cesser les arrestations arbitraires d'opposants et d'activistes, ainsi que l'usage excessif de la force par les services de sécurité. La situation s'était aggravée depuis mars - avril 2023. Le 1er juin 2023, des émeutes avaient éclaté dans de nombreux quartiers de Dakar après la condamnation du chef de l'opposition, ce qui avait provoqué la mort de seize personnes selon les autorités ou d'une trentaine selon l'opposition. Le 6 juillet 2023, le chef de l'opposition avait aggravé le climat de violence en promettant une élection présidentielle 2024 dans un chaos indescriptible, dans le cas où sa candidature serait empêchée. De son côté, le président en place tentait d'imposer sa troisième candidature par la force et préparait une véritable guerre contre son peuple en renforçant les forces de défense et de sécurité en équipements militaires. Cette situation avait en outre entraîné la suspension des cours de Madame B______, décidée par le proviseur de son lycée. Il s'agissait d'événements qui mettaient en péril sa sécurité, y compris sur le plan sexuel, ainsi que sa scolarité.

S'agissant de Madame C______, s'il était exact qu'elle était majeure au moment du dépôt de sa demande de regroupement familial, il n'en demeurait pas moins qu'il existait entre elles, sa sœur et leur mère, une relation suffisamment proche, authentique et effectivement vécue, malgré le départ de la mère en décembre 2022. Il fallait rappeler que la demande de regroupement familial avait été déposée en même temps que pour la mère de famille. Il était de plus ancré dans la culture sénégalaise que les enfants, même majeurs, étaient dépendants de leur référent, généralement le père ou la mère de famille, jusqu'au jour où ils fondaient leur propre foyer.

La seule famille qui restait à ses deux filles au Sénégal était une grand-mère très âgée et incapable de s'en occuper. Les autres membres de la famille étaient tous installés en Suisse. Un simple soutien financier de la part de leur père serait insuffisant pour garantir la protection de leur intégrité physique, psychique et cas échéant sexuelle.

Les décisions litigieuses devaient être également examinées sous l'angle du regroupement familial différé, dont les conditions étaient réalisées dans le cas d'espèce, puisque les éléments développés plus haut démontraient que le bien des enfants ne pouvait être garanti que par un regroupement familial en Suisse.

Enfin, les décisions litigieuses violaient également le droit au respect de la vie familiale, la jurisprudence ayant eu l'occasion de souligner qu'en dehors de la famille nucléaire proprement dite, d'autres relations familiales pouvaient également être protégées, pour autant qu'il existât une relation suffisamment proche, authentique et effectivement vécue. Les indices de telles relations étaient la cohabitation dans un ménage commun, une dépendance financière, des liens familiaux particulièrement étroits, des contacts réguliers ou la prise de responsabilité pour une autre personne. Si l'intensité était suffisante, les relations entre proches parents, tels que frères et sœurs ou tantes et nièces étaient également essentielles. De plus, en matière d'immigration, s'il n'y avait en principe pas de droit au respect de la vie familiale entre parents et enfants adultes, il pouvait en aller autrement s'il existait des éléments supplémentaires de dépendance, autres que des liens affectifs normaux.

10.         Par écritures du 20 juillet 2023, l'OCPM s'est opposé à l'octroi des mesures provisionnelles sollicitées et, sur le fond, a soutenu que la situation des filles de M. A______ ne relevait pas des raisons familiales majeures permettant un regroupement familial différé, y compris sous l'angle du contexte politique au Sénégal. Il n'avait pas été démontré à satisfaction de droit qu'elles étaient personnellement et concrètement en danger dans leur pays d'origine. Actuellement, les renvois vers le Sénégal n'étaient pas considérés comme illicites ou inexigibles.

11.         Le 4 août 2023, M. A______ a répliqué sur mesures provisionnelles en soulignant que la situation au Sénégal ne cessait de se dégrader, comme en attestait un article du 31 juillet 2023 (mentionnant l'attaque d'un bus au cocktail Molotov ayant fait deux morts et trois blessés graves). La situation pouvait désormais être assimilée à de la violence généralisée, circonstance qui empêchait l'exécution des renvois.

12.         Par décision du 10 août 2023 (DITAI/358/2023), le tribunal a rejeté la demande de mesures provisionnelles formée dans le cadre du recours.

13.         Par écritures du 16 août 2023, M. A______ a répliqué sur le fond, reprenant ses explications précédentes et ajoutant que lui-même et Madame B______ étaient très inquiets au sujet de la poursuite des études de cette dernière à l'université, vu la fermeture de ces établissements pour une durée indéterminée. La dégradation continuelle de la situation au Sénégal avait même amené les autorités à prendre des mesures telles que la coupure de l'accès à Internet afin d'éviter la propagation des informations sur les réseaux sociaux. L'octroi d'une autorisation de séjour en faveur de Madame B______ lui permettrait de poursuivre sereinement ses études au sein d'une université ou d'une haute école en Suisse.

14.         Par courrier du 5 septembre 2023, l'OCPM a indiqué n'avoir pas d'autres observations à formuler.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             L'objet du litige concerne le refus de l'autorité intimée de délivrer des autorisations de séjour pour regroupement familial en faveur des deux filles du recourant.

4.             Selon l'art. 42 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que ses enfants célibataires de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité à condition de vivre en ménage commun avec lui.

5.             Selon l'art. 47 al. 1 LEI, le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de 12 mois. L'al. 3 de la même disposition prévoit que les délais commencent à courir, pour les membres de la famille des ressortissants suisses visés à l’art. 42, al. 1, au moment de leur entrée en Suisse ou de l’établissement du lien familial. Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures. Si nécessaire, les enfants de plus de 14 ans sont entendus (art. 47 al. 4 LEI).

6.             Selon le texte clair de l'art. 47 al. 1 LEI, le délai est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance. Comme le délai dépend de l'âge de l'enfant, le moment du dépôt de la demande est également déterminant à ce dernier égard (ATF 136 II 78 consid. 3.4).

7.             Le Tribunal fédéral a précisé que même si le législateur a voulu soutenir une intégration des enfants le plus tôt possible, les délais fixés par la loi sur les étrangers ne sont pas de simples prescriptions d'ordre, mais des délais impératifs, leur stricte application ne relevant dès lors pas d'un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

8.             En l'espèce, s'agissant de la fille aînée du recourant, il n'est pas contesté qu'elle avait atteint l'âge de 21 ans révolu lors du dépôt de la demande d'autorisation de regroupement familial en sa faveur. Ainsi que cela ressort du texte clair de l'art. 42 al. 1 LEI (ainsi d'ailleurs que des art. 43 al. 1, 44 al. 1 et 45 al. 1 en ce qui concerne les demandes déposées par des personnes étrangères résidant en Suisse), le regroupement familial concerne, outre le conjoint, les enfants célibataires de moins de 18 ans. Autrement dit, il n'existe pas de possibilité de regroupement familial, sous l'angle de la LEI, pour des enfants de plus de 18 ans.

Ainsi, s'agissant de la fille aînée du recourant, le litige sera-t-il examiné plus bas uniquement sous l'angle des dispositions relatives à la protection de la vie familiale, et non pas des art. 42 et ss LEI, inapplicables en l'espèce.

9.             S'agissant de la fille cadette du recourant, le recourant ne conteste pas non plus le calcul effectué par l'autorité intimée sur la question du délai prévu par l'art. 47 al. 1 let. a LEI, qui débutait en l'occurrence à la date à laquelle le recourant à obtenu la nationalité suisse, soit le 28 novembre 2017, et qui, étant donné que sa fille était alors âgée de plus de 12 ans, s'achevait un an plus tard, soit le 28 novembre 2018. Dès lors, il est exact que, déposée le 6 janvier 2022, la demande de regroupement familial était tardive.

10.         Par conséquent, s'agissant de la fille cadette du recourant, seul peut entrer en ligne de compte un regroupement familial différé pour raisons familiales majeures, au sens de l'art. 47 al. 4 LEI.

11.         Des raisons familiales majeures peuvent être invoquées, selon l’art. 75 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. C'est notamment le cas lorsque des enfants se trouveraient livrés à eux-mêmes dans leur pays d'origine (par exemple en cas de décès ou de maladie de la personne qui en a la charge, ATF 126 II 329). Dans ce contexte, c'est l'intérêt de l'enfant et non les intérêts économiques, comme la prise d'une activité lucrative en Suisse, qui prime (cf. Message concernant la loi sur les étrangers FF 2002 p. 3549 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_887/2014 du 11 mars 2015 consid. 3.1 et référence).

Il ressort du ch. 6 "Regroupement familial" des directives et commentaires édictés par le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) dans le domaine des étrangers (ci-après : directives LEI) que, dans l'intérêt d'une bonne intégration, il ne sera fait usage de l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (cf. ch. 6.10.3 ; état au 1er janvier 2019). Selon la volonté du législateur, l'octroi d'une autorisation en vue de regroupement familial, lorsque la demande déposée en ce sens intervient en dehors des délais prévus à cet effet, doit rester l'exception et ne pas constituer la règle (cf. notamment arrêts du TF 2C_781/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.2; 2C_767/2015 du 19 février 2016 consid. 5.1.1).

D’après la jurisprudence rendue sous l'empire de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE – RS 1 113), applicable au nouveau droit (ATF 137 I 284 consid. 2.3.1 in fine), le regroupement familial partiel différé est soumis à des conditions strictes. Il suppose la survenance d’un changement important des circonstances, notamment d'ordre familial, rendant nécessaire la venue de l'enfant en Suisse, comme par exemple une modification des possibilités de sa prise en charge éducative à l'étranger (ATF 136 II 78 consid. 4.1) ; les motifs (et les preuves) susceptibles de justifier le regroupement familial tardif d'un enfant sont soumis à des exigences d'autant plus élevées que l'enfant est avancé en âge, a vécu longtemps séparé de son parent établi en Suisse et a accompli une partie importante de sa scolarité dans son pays d'origine (ATF 136 II 78 consid. 4.1 ; 133 II 6 consid. 3.1 et 3.3 ; 130 II 1 consid. 2 ; 124 II 361 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_544/2007 du 7 décembre 2007 consid. 4.1). Lorsque le regroupement familial est demandé à raison de changements importants des circonstances à l'étranger, notamment dans les rapports de l'enfant avec le parent qui en avait la charge, il convient d'examiner s'il existe des solutions alternatives permettant à l'enfant de rester où il vit; cet examen sera d’autant plus important s’il s’agit d’adolescents (ATF 133 II 6 consid. 3.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_905/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.2; 2C_438/2015 précité consid. 5.1). D'une manière générale, plus le jeune a vécu longtemps à l'étranger et se trouve à un âge proche de la majorité, plus les motifs propres à justifier le déplacement de son centre de vie doivent apparaître sérieux et solidement étayés.

12.         Par ailleurs, la reconnaissance d’un droit au regroupement familial suppose que le parent établi en Suisse ait maintenu avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation et de la distance (ATF 133 II 6 consid. 3.1 ; ATA/495/2017 du 2 mai 2017 consid. 6a). On peut notamment admettre qu’il y a une relation familiale prépondérante entre les enfants et le parent vivant en Suisse lorsque celui-ci a continué d’assumer de manière effective pendant toute la période de son absence la responsabilité principale de leur éducation, en intervenant à distance de manière décisive pour régler leur existence sur les questions essentielles. Pour autant, le maintien d'une telle relation ne signifie pas encore que le parent établi en Suisse puisse faire venir ses enfants à tout moment et dans n'importe quelles conditions. Il faut, comme dans le cas où les deux parents vivent en Suisse depuis plusieurs années séparés de leurs enfants, réserver les situations d’abus de droit, soit notamment celles dans lesquelles la demande de regroupement vise en priorité une finalité autre que la réunion de la famille sous le même toit. Par ailleurs, indépendamment de ces situations d’abus, il convient, surtout lorsque la demande de regroupement familial intervient après de nombreuses années de séparation, de procéder à un examen d’ensemble des circonstances portant en particulier sur la situation personnelle et familiale de l’enfant et sur ses réelles possibilités et chances de s’intégrer en Suisse et d’y vivre convenablement. Pour en juger, il y a notamment lieu de tenir compte de son âge, de son niveau de formation et de ses connaissances linguistiques. Un soudain déplacement de son centre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui et s’accompagner de grandes difficultés d’intégration dans le nouveau cadre de vie ; celles-ci seront d’autant plus probables et potentiellement importantes que son âge sera avancé (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1 ; ATF 129 II 11 consid. 3.3.2).

13.         Il s'agit en outre d'éviter que des demandes de regroupement familial soient abusivement déposées en faveur d'enfants qui sont sur le point d'atteindre l'âge de travailler, le but visé en premier lieu, dans ces cas, n'étant pas une vie familiale, mais un accès facilité au marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2C_532/2012 consid. 2.2.2).

Ainsi, le regroupement familial ne saurait être motivé principalement par des arguments économiques (meilleures perspectives professionnelles et sociales en Suisse) ou par la situation politique dans le pays d’origine (directives LEI, ch.. 6.10.4).

14.         Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial différé doivent être interprétées d’une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_781/2015 du 1er avril 2016 consid. 4.2; 2C_438/2015 du 29 octobre 2015 consid. 5.1 ; 2C_1129/2014 du 1er avril 2015 consid. 3.2 ; 2C_1013/2013 du 17 avril 2014 consid. 3.1).

Les relations visées à l'art. 8 CEDH sont avant tout celles qui existent entre époux, ainsi que les relations entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (ATF 127 II 60 consid. 1d/aa ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_952/2016 du 10 octobre 2016 consid. 3.1 ; 2C_251/2015 du 24 mars 2015 consid. 3).

Aux termes de l'art. 8 § 1 CEDH, toute personne a notamment droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue un droit d'entrée et de séjour en Suisse, ni non plus, pour un étranger, le droit de choisir le lieu de domicile de sa famille (cf. ATF 142 II 35 consid. 6.1; 139 I 330 consid. 2). Ainsi, lorsqu'un étranger a lui-même pris la décision de quitter sa famille pour aller vivre dans un autre État, ce dernier ne manque pas d'emblée à ses obligations de respecter la vie familiale s'il n'autorise pas la venue des proches du ressortissant étranger ou la subordonne à certaines conditions (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C 1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.1 et 2C 1075/2015 du 28 avril 2016 consid. 3.1). Une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 § 1 CEDH est possible aux conditions de l'art. 8 § 2 CEDH. La question de savoir si, dans un cas d'espèce, les autorités compétentes sont tenues d'accorder une autorisation de séjour fondée sur l'art. 8 CEDH doit être résolue sur la base d'une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (cf. ATF 137 I 284 consid. 2.1 et les références citées). S'agissant d'un regroupement familial, il convient notamment de tenir compte dans la pesée des intérêts des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci (cf. ATF 137 I 284 consid. 2.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_207/2017 du 2 novembre 2017 consid. 5.1 et 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.1). Il n'est en effet pas concevable que, par le biais de l'art. 8 CEDH, un étranger qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (arrêts 2C_207/2017 du 2 novembre 2017 consid. 5.1;

La jurisprudence relative à l'art. 8 CEDH dans le cadre du regroupement familial partiel relève que le parent qui a librement décidé de venir en Suisse et d'y vivre séparé de sa famille pendant de nombreuses années ne peut normalement pas se prévaloir d'un droit au regroupement familial en faveur de ses enfants restés au pays lorsqu'il entretient avec ceux-ci des contacts moins étroits que l'autre parent ou les membres de la famille qui en prennent soin, et qu'il peut maintenir les relations existantes (ATF 133 II 6 consid. 3.1.2 p. 10 et les arrêts cités; ATF 2C_941/2010 du 10 mai 2011).

Néanmoins, un droit au regroupement familial partiel ne doit pas être d'emblée exclu, même s'il est exercé plusieurs années après la séparation de l'enfant et son parent établi en Suisse et si l'enfant est alors déjà relativement avancé en âge. Ainsi, le Tribunal fédéral a admis des demandes de regroupement familial (différé) en faveur d'adolescents ou d'enfants proches de la majorité lorsque des motifs importants imposaient une modification de leur prise en charge éducative (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2A.123/1999 du 26 juillet 1999 et 2A.340/2000 du 27 octobre 2000). La jurisprudence ne pose aucune règle rigide en la matière, mais invite au contraire, dans la ligne de la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme, à procéder à un examen individuel de chaque cas d'espèce. L'appréciation doit se faire sur la base de l'ensemble des circonstances et tenir particulièrement compte de la situation personnelle de l'enfant (liens familiaux et sociaux et possibilité de prise en charge éducative dans son pays), de ses chances d'intégration en Suisse (compte tenu notamment de son âge, de son niveau scolaire et de ses connaissances linguistiques), du temps qui s'est écoulé depuis la séparation d'avec son parent établi en Suisse, de la situation personnelle de celui-ci (notamment aux plans familial et professionnel) et des liens qui les unissent l'un à l'autre. On peut ainsi admettre qu'il y a une relation familiale prépondérante entre l'enfant et le parent vivant en Suisse lorsque celui-ci a continué d'assumer de manière effective pendant toute la durée de son absence la responsabilité principale de son éducation au point de reléguer le rôle de l'autre parent à l'arrière-plan. Si tel est le cas, il y a lieu d'examiner les possibilités et chances de l'enfant de s'intégrer en Suisse (ATF 133 II 6 consid. 3.1.1).

15.         En l'occurrence, concernant les raisons familiales majeures qui justifieraient, selon l'art. 47 al. 4 LEI et 75 OASA, un regroupement familial différé en faveur de sa fille cadette, le recourant se fonde essentiellement sur l'insécurité croissante qui règne selon lui au Sénégal, et sur les risques que cela ferait courir à sa fille.

Sans minimiser les heurts et violences qui se déroulent depuis de nombreux mois au Sénégal, en particulier en raison des troubles politiques qui agitent le pays, c'est de manière erronée que le recourant croit pouvoir assimiler une telle situation aux raisons familiales majeures de l'art. 47 al. 4 LEI. En effet, comme l'a très pertinemment relevé l'autorité intimée, la situation au Sénégal ne saurait être considérée, nonobstant l'opinion du recourant qui ne se réfère à aucune pratique judiciaire actuelle, comme une situation de violence généralisée au sens de l'art. 83 al. 4 LEI, qui remettrait en question l'exécutabilité des renvois de ressortissants sénégalais dans leur pays. Malgré son jeune âge, la fille cadette du recourant, aujourd'hui majeure, n'est pas a priori davantage exposée à un risque concret de violence que les plus de 1 million de personnes qui peuplent la capitale du pays.

Quant aux difficultés que la situation actuelle entraîne dans le fonctionnement du système éducatif, il est certes établi que certains établissements scolaires, y compris au niveau des études supérieures, connaissent des perturbations avec des périodes de suspension des cours. Cela étant, il ne découle pas des informations fournies au tribunal par le recourant que, de manière générale, le déroulement normal des cours serait fondamentalement remis en question, de sorte que l'on ne saurait admettre avec le recourant que le parcours universitaire de sa fille serait très fortement compromis.

Enfin, s'agissant du fait que le départ de sa mère pour rejoindre son père en Suisse laisserait la fille cadette du recourant seule au Sénégal, ce n'est précisément pas le cas, puisque sa sœur aînée, actuellement âgée de plus de 23 ans, est dans la même situation qu'elle et qu'elles sont en mesure de s'apporter un soutien mutuel. De même, le tribunal ne saurait suivre les explications du recourant au sujet de la structure très patriarcale de la société sénégalaise, qui impliquerait que ses filles devraient impérativement vivre auprès de l'un de leurs parents en tant que référent, voire auprès d'un autre membre plus âgé de la famille proche. Si la réalité d'un tel système peut éventuellement être admise par le tribunal, c'est en tout état en fonction des critères posés selon le droit suisse que doit s'apprécier la question des raisons familiales majeures pouvant justifier un regroupement différé. Or, selon la conception de l'ordre juridique suisse, un jeune ayant atteint l'âge de la majorité est pleinement légitimé en tant qu'individu responsable aux yeux du reste de la société et n'a pas besoin de bénéficier de la protection d'un aîné.

S'agissant enfin de la fille aînée du recourant, celui-ci considère que même si les dispositions sur le regroupement familial ne lui sont pas directement applicables, l'art. 8 CEDH imposerait néanmoins, dans la présente situation, qu'elle puisse, de même que sa sœur cadette, rejoindre ses parents en Suisse. À cet égard, il souligne que selon la jurisprudence, la famille au sens de l'art. 8 CEDH ne se conçoit pas nécessairement uniquement sous l'angle de la famille nucléaire qui unit les parents et leurs enfants, mais, selon les cas, peut également s'étendre aux membres d'une famille un peu plus large, lorsqu'il existe entre eux des liens suffisamment intenses.

Cependant, le recourant se méprend sur la portée de cette jurisprudence, qui vise simplement à élargir la notion de famille, mais ne modifie en rien le fait que la protection offerte par l'art. 8 CEDH ne s'applique que vis-à-vis d'enfants mineurs ou de personnes majeures (les enfants ou leurs parents) nécessitant, par exemple en raison d'une maladie ou d'un handicap, des soins continus que seuls peuvent leur offrir des membres de leur famille proche. Or, en l'occurrence, les deux filles du recourant, qui sont désormais majeures, n'ont pas de tels besoins, ce qui a d'ailleurs permis à leur mère de les laisser au Sénégal tandis qu'elle rejoignait son mari en Suisse.

16.         Au vu de ce qui précède, il apparaît que les décisions litigieuses sont conformes au droit. Le recours, infondée, devra ainsi être rejeté.

17.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 500.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

18.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 juillet 2023 par Monsieur A______ contre les décisions rendues par l'office cantonal de la population et des migrations le 5 juin 2023 à l'égard de Madame C______ et de Madame B______ ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 500.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière