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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2847/2018

ATAS/283/2022 du 14.03.2022 ( ARBIT ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 14.06.2022, rendu le 15.05.2023, REJETE, 9C_252/2022, 9C_253/2022
En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2847/2018 ATAS/283/2022

ARRET

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 14 mars 2022

 

En la cause

HELSANA ASSURANCES SA, sise Zürichstrasse 130, Dübendorf

 

demanderesse

contre

 

 

 

 

A______ SA, sise à Genève, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Jacques ROULET

 

 

 

 

défenderesse

EN FAIT

1.        Par arrêt 9C_571/2019 du 23 juillet 2020, le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de A______ SA (ci-après: la défenderesse) contre l'arrêt du Tribunal de céans du 3 juillet 2019 (ATAS/638/2019) condamnant notamment cette dernière au paiement de CHF 1'952'132.- aux assureurs-maladie HELSANA ASSURANCES SA et PROGRES ASSURANCES SA, aujourd’hui HELSANA ASSURANCES SA suite à leur fusion le 1er janvier 2022 (ci-après: HELSANA ou la demanderesse), a annulé cet arrêt sur ce point et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Ce faisant, le Tribunal fédéral a considéré que les termes "sous sa propre responsabilité" formulés dans la décision portant sur l'autorisation de pratiquer d'un médecin et dans celle portant sur la non-admission à pratiquer à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ci-après: AOS), se référaient à l'ensemble des diplômes, qualités et compétences requis pour pratiquer la profession de médecin, sans devoir être soumis à la surveillance et au contrôle d'un tiers. Il ne pouvait être déduit de ces termes "a contrario" que les médecins auraient été autorisés à pratiquer à la charge de l'AOS en relation avec une autre activité, non mentionnée dans ces décisions, exercée sous la surveillance professionnelle du médecin répondant de la société. Partant, les médecins salariés de la défenderesse, sans autorisation explicite de pratiquer à la charge de l'AOS, n'étaient pas en droit de facturer leurs prestations sous le n° du registre du code créancier (ci-après: RCC) de l'institution ou du médecin répondant.

Cependant, selon le Tribunal fédéral, l'interprétation des arrêtés en cause ne revêtait pas un caractère évident, au regard des développements législatifs en relation avec la délivrance des autorisations de pratiquer des médecins et des pratiques cantonales divergentes quant à l'application de l'art. 55a de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10). Dès lors que la défenderesse avait invoqué le principe de la bonne foi, il convenait d'examiner si ce principe avait été violé par la demanderesse.

La cause était par conséquent renvoyée au Tribunal de céans afin de déterminer si le remboursement par la demanderesse des prestations facturées sous le n° RCC du médecin répondant de la défenderesse permettait à celle-ci de croire que les médecins travaillant pour elle n'avaient pas besoin d'une autorisation de pratiquer à la charge de l'assurance-maladie obligatoire. À cet égard, les circonstances dans lesquelles la demanderesse aurait eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des autorisations de pratiquer concernant les médecins en cause, cas échéant en relation avec le n° RCC, pourraient jouer un rôle.

Enfin, le Tribunal fédéral a renoncé à examiner les griefs de la défenderesse concernant la péremption des prétentions, tout en précisant que la réponse à cette question pourrait dépendre des circonstances dans lesquelles la demanderesse a remboursé les prestations en cause.

2.        Par courriel du 5 décembre 2020, B______ SA a fait savoir à HELSANA qu'elle tenait le RCC, sur mandat des assureurs-maladie et conformément à la loi, et se chargeait dès lors de l'examen des autorisations de pratiquer des médecins et de la gestion informatique. Sur la base des données du RCC, l'assureur disposait de toutes les informations pour examiner si un fournisseur de prestations est habilité à facturer à la charge de l'AOS. B______ SA ne tenait cependant pas un registre des fournisseurs de prestations avec une autorisation de pratique non à charge de l'AOS, en dehors d'une requête pour l'attribution d'un n° RCC ou d'un n° C, à défaut d'un mandat dans ce sens. Si le remboursement est demandé pour des prestations d'un médecin sans n° RCC et sans numéro C, l'assureur ne devrait pas prester. Le canton de Genève était par ailleurs le seul canton qui communiquait des décisions d'autorisation négative.

3.        Dans ses écritures du 27 janvier 2021, la demanderesse a conclu à la confirmation de l'arrêt du Tribunal de céans du 3 juillet 2019. À titre préalable, elles ont requis un certain nombre de mesures d'instruction. La mauvaise foi de la défenderesse était manifeste à partir du 3 janvier 2017, date à laquelle le Service du médecin cantonal l'avait clairement informée que le Dr C______ et les autres médecins employés par la défenderesse n'avaient pas le droit de facturer à la charge de l'AOS par l'intermédiaire du n° RCC de l'institution de santé. Par ailleurs, la défenderesse n'avait envoyé la liste des médecins qu'elle employait qu'en mars-avril 2017 au médecin cantonal, alors que le règlement fixait un délai de six mois dès son entrée en vigueur. En outre, la Fédération des médecins suisses (FMH pour Foederatio Medicorum Helveticorum) avait informé dès 2013 que la réintroduction de la clause du besoin concernait les médecins qui souhaitaient pratiquer une activité indépendante ou salariée dans un cabinet privé ou dans une institution de soins ambulatoires ou dans le secteur ambulatoire d'un hôpital. L'Association des cardiologues de Genève avait également informé ses membres en 2013 que la clause du besoin s'appliquait aux médecins dépendants. Cette information avait été de surcroît relayée par la presse. La demanderesse ne pouvait en outre avoir connaissance de l'absence d'autorisation de pratiquer à la charge de l'assurance-maladie obligatoire, dès lors que les décisions y relatives étaient envoyées à B______. À l'appui de cette allégation, elle a produit le courriel du 20 novembre 2019 de la DGS le confirmant. De surcroît, les prestations des médecins salariés étaient facturées sous le n° RCC de la défenderesse. Il n'y avait pas non plus une base de données enregistrant les médecins sans droit de facturer à la charge de l'assurance obligatoire. Selon le Tribunal fédéral, les assureurs-maladie ne devaient contrôler le droit de facturer à la charge de l'AOS des médecins disposant d'un n° RCC qu'en cas de disparités ou de discordance. Même le médecin cantonal ignorait quels médecins étaient employés par la défenderesse et n'avait pas contrôlé si des médecins non autorisés facturaient aux caisses-maladie. Le canton ne savait en outre pas combien de médecins s'installaient sur son territoire. Ce n'est que le 9 mai 2018 que le médecin cantonal avait transmis aux assureurs le listing des médecins, accompagné des décisions du Conseil d'État concernant les autorisations de pratiquer. Partant, la bonne foi de la défenderesse devait être niée.

4.        Lors de l'audience du 12 mai 2021, la demanderesse a notamment déclaré ce qui suit:

"À la question de savoir pourquoi HELSANA n'a pas contrôlé après la réintroduction de la clause de besoin en juillet 2013 et la soumission des institutions de santé à cette clause, je ne suis pas en mesure de répondre. Nous sommes partis du fait que A______ savait que ses médecins devaient être au bénéfice d'une autorisation de facturer à la charge de l'AOS, selon le principe de la confiance.

Nous n'avons pas non plus été informés, pour d'autres cantons, que certains médecins d'institutions de santé n'avaient pas l'autorisation de facturer à la charge de l'AOS."

"Quant à la question des bénéficiaires, l'éventuel remboursement des prestations par la défenderesse bénéficierait à l'ensemble des assurés du canton de Genève, par l'intermédiaire du calcul de la prime d'assurance. En effet, les éventuelles sommes restituées seraient déduites des frais médicaux du canton, lesquels sont déterminants pour le calcul des primes."

La défenderesse, représentée par son médecin répondant, a déclaré

"Lorsque l'Olaf a changé, nous attendions une information des autorités cantonales afin de savoir quels médecins pourraient travailler dans les institutions de santé, sans avoir forcément l'autorisation de facturer à la charge de l'AOS. En effet, les limitations de l'Olaf concernaient aussi bien le secteur public que le secteur privé.

L'adoption du RaOLAF en juillet 2014 nous avait échappée. Nous ignorions que nous avions l'obligation d'adresser tous les 6 mois à la DGS la liste des médecins qui travaillaient pour nous. Toutefois, la DGS était automatiquement informée des médecins engagés par A______. En effet, au moment de requérir l'autorisation de pratiquer dans le canton de Genève, les médecins devaient indiquer où ils travaillaient.

Concernant les requêtes pour obtenir un numéro C pour nos médecins, nous avons cessé de le faire, ne voyant aucune utilité d'une telle démarche. Mais à vrai dire, je ne saurais vous dire pour quelle raison précisément, les faits étant trop anciens.

Sur question du Tribunal, je précise que les médecins engagés par A______ n'auraient pas pu travailler pour une autre institution de santé. En effet, l'autorisation de pratiquer était liée à notre société, s'agissant de médecins étrangers.

Pour nous, les autorisations délivrées par le Conseil d'Etat aux médecins étaient incompréhensibles, comme le TF l'a également exposé. Toutefois, depuis que l'arrêt du Tribunal de céans a été rendu, nous n'engageons plus de médecins sans autorisation de facturer à la charge de l'AOS. Nous avons perdu 22 collaborateurs. Bien entendu, cela a considérablement baissé notre chiffre d'affaires. La situation est par ailleurs médicalement inacceptable, dans la mesure où nous n'avons plus suffisamment de médecins pour intervenir rapidement. Nous faisons l'objet d'une plainte en raison d'un décès d'une patiente qui n'a pas pu être secourue à temps par notre société. Je précise à cet égard que le système du tournus de garde avec des médecins de ville a été abandonné depuis longtemps, dans la mesure où les médecins de ville n'étaient plus disposés à assurer des gardes."

"En ce qui concerne le courriel qui m'a été adressé le 3 janvier 2017 concernant le Dr C______, cela ne nous a pas fait douter du droit de nos médecins de travailler pour nous et de facturer sous le RCC de l'institution leurs prestations. En effet, dans notre esprit, ils travaillaient sous la responsabilité du médecin répondant."

5.        Le 20 avril 2021, la direction générale de la santé (ci-après: DGS) a informé le Tribunal de céans que l'obligation de communiquer tous les six mois la liste des médecins salariés avait été rappelée régulièrement lors des séances de la commission quadripartite consultative en matière de limitation de l'admission des fournisseurs de prestations à pratiquer à la charge de l'AOS. Cette commission réunissait notamment les représentants de l'Association des Médecins du canton de Genève (ci-après: AMGe) et de l'Association des médecins d'institutions de Genève (ci-après: AMIG). Néanmoins, cette obligation n'était que peu, voire pas du tout, respectée et les moyens de coercition à disposition de l'État à cette fin étaient inexistants. La DGS comptait sur la coopération des professionnels de santé concernés, à travers leurs faîtières, dans le cadre de la limitation des admissions à pratiquer à la charge de l'AOS. L'investissement en temps et en ressources aurait été trop important pour rappeler individuellement leurs obligations aux acteurs du domaine de cette assurance, dans la mesure où le canton de Genève comptait plusieurs milliers de médecins et un grand nombre d'institutions de santé de tous types. Lors des séances de la commission précitée, étaient également évoquées les modifications de la législation applicable. Les médecins soumis à la clause de limitation étaient en outre avertis systématiquement de l'absence du droit de facturer leurs prestations à la charge de l'AOS. Enfin, les médecins de la défenderesse en cause n'avaient pas recouru contre les décisions leur refusant ce droit.

6.        Dans ses écritures du 20 mai 2021, la défenderesse a conclu au rejet de la demande, à la constatation que la demanderesse conservait sans droit depuis le 1er juin 2018 les prestations qu'elle avait facturées, et à sa condamnation au paiement des sommes dues, avec un intérêt de 5% l'an calculé dès les dates d'exigibilité respectives pour chacune des créances, sous suite de dépens. Le fait que la demanderesse eut presté durant des années lui avait fait croire qu'elle était en droit de facturer les prestations de ses médecins salariés, en dépit du refus du droit de pratiquer à la charge de l'AOS. La demanderesse aurait par ailleurs dû avoir connaissance des refus d'autorisations. La DGS était informée des médecins salariés de la défenderesse, puisque ceux-ci s'y étaient préalablement annoncés. La demanderesse pouvait également aisément déterminer le médecin qui avait fourni la prestation à l'aide de l'EAN (European Article Number, aujourd'hui Global Location Number – GLN) qui figurait sur toutes les factures qu'elle avait émises. En outre, les arrêtés de refus de pratiquer à la charge de AOS avaient été adressés en copie à SANTESUISSE. La demanderesse avait au demeurant procédé en 2015 à un contrôle précis de la facturation de 39 médecins de la défenderesse. Elle aurait dû se rendre compte à cette occasion que deux de ces médecins n'avaient pas l'autorisation de pratiquer en cause. Enfin, la demanderesse aurait dû s'informer sur la situation des médecins salariés de la défenderesse après la soumission de ceux-ci à la clause de besoin. Quoi qu'il en soit, le Tribunal fédéral a reconnu que la défenderesse ne pouvait aisément reconnaître l'inexactitude de l'information au vu de la difficulté d'interprétation des arrêtés de refus, des multiples changements législatifs survenus et des pratiques cantonales divergentes.

L'intérêt à la réalisation correcte du droit objectif ne l'emportait pas sur celui de la protection de la confiance, dès lors que la restitution des sommes réclamées ne permettrait pas sa survie, d'autant moins que d'autres assureurs avaient également entamé des procédures de restitution pour plus de trois millions. En outre, le remboursement des sommes litigieuses ne profiterait pas aux patients concernés mais à l'ensemble des assurés du canton de Genève et la qualité des prestations de la défenderesse n'a pas été mise en cause.

En ce qui concerne l'obligation de communiquer la liste des médecins salariés à la DGS, celle-ci a admis qu'elle n'était que rarement respectée. La loi y relative était donc désuète. En tout état de cause, rien ne permettait d'admettre que l'annonce des médecins salariés à la DGS aurait permis à la demanderesse de réagir différemment. En effet, celle-ci en était déjà informée.

La défenderesse n'avait pas non plus l'obligation de demander des numéros C pour ses médecins salariés.

S'agissant des publications de la FMH concernant la limitation des médecins, celles-ci ne changeaient rien au fait que l'interprétation des refus de pratiquer à la charge de l'AOS n'était pas évidente, selon le Tribunal fédéral. Cette question avait ainsi été définitivement tranchée par notre Haute Cour.

La défenderesse a également persisté à considérer que la demande était périmée, dès lors que la demanderesse aurait dû avoir connaissance de l'absence du droit de pratiquer à la charge de l'AOS dès réception des factures. Seuls les montants versés entre le 23 août 2017 et le 1er juin 2018 pourraient échapper à la péremption. Cependant, la demanderesse n'indiquait pas dans sa demande le montant afférent à cette période, si bien qu'il y avait lieu de la rejeter sur ce point également.

7.        Dans ses écritures du 2 juillet 2021, la demanderesse a persisté dans ses conclusions, en reprenant leurs précédents arguments. Elle a ajouté que les assureurs-maladie n'étaient pas l'autorité compétente pour accorder les autorisations de pratiquer à leur charge. Une telle autorisation dépendait au demeurant de la loi régissant l'AOS et non de celle réglant les professions de la santé.

Dans une procédure précédente, la défenderesse avait eu gain de cause devant le Tribunal de céans et le Tribunal fédéral du fait que la loi ne soumettait pas les institutions de santé à la clause de besoin. Suite à ces jugements, la loi a été modifiée, afin que ces institutions soient également incluses dans la limitation. Durant cette procédure, la DGS avait accepté exceptionnellement de régulariser les médecins salariés non titulaires d'un n° RCC et de leur attribuer ledit numéro à titre personnel, dès lors que, selon la modification de l'ordonnance dite de la clause du besoin du 4 juillet 2005, tout médecin engagé dans une institution ou par un confrère devait être au bénéfice d'une admission à pratiquer à la charge de l'AOS. Partant, la DGS avait demandé aux institutions de santé, par courrier du 24 octobre 2007, de lui transmettre la liste des médecins employés. Par conséquent, la défenderesse ne pouvait ignorer que ses médecins salariés avaient besoin de l'autorisation en cause, ayant été à l'origine de la procédure de modification de la loi et partie à plusieurs procédures portant sur cette autorisation, ainsi qu'ayant un avocat comme administrateur.

Par la suite, un recours a été déposé contre le règlement cantonal d'application de l'ordonnance dite de besoin. Les recourants reprochaient au Conseil d'État de limiter encore davantage l'admission des médecins.

La défenderesse n'avait pas non plus été totalement transparente, en omettant de demander des numéros C pour que l'autorisation de facturer à la charge de l'assurance-maladie obligatoire de ses médecins salariés pût être examinée par B______. De surcroît, elle aurait dû annoncer la liste des médecins salariés à la DGS, conformément à la loi, dès lors que les arrêtés ne précisaient pas l'employeur.

Se fondant sur deux arrêts du Tribunal fédéral, la demanderesse a relevé que la protection de la bonne foi n'a pas été admise par notre Haute Cour.

Il ne pouvait pas non plus être considéré que la demanderesse fut intervenue dans les situations concrètes, dans la mesure où les caisses-maladie géraient des millions de remboursements et où le service de remboursement était hautement automatisé. Le fait de rembourser des prestations ne constituait pas une promesse, d'autant moins que les caisses-maladie avaient la possibilité de demander la restitution en cas de paiement erroné ou de surfacturation. Une assurance ne pourrait être admise que si un service spécialisé ou juridique, voire la direction ou B______ s'était prononcé.

En cas de doute sur l'interprétation ou le contenu d'une décision, l'administré devait en outre prendre contact avec l'autorité pour éclaircir la situation, selon la jurisprudence. À défaut, la bonne foi n'était pas protégée. Or, en l'occurrence, aux dires de la défenderesse et du Tribunal fédéral, l'interprétation des arrêtés n'était pas évidente et ils étaient ambigus.

Au demeurant, la défenderesse n'avait pas démontré avoir subi un préjudice ni s'être fondée sur l'éventuelle "assurance" erronée de la demanderesse pour prendre des dispositions qu’elle ne saurait modifier sans subir un préjudice.

Quant aux circonstances dans lesquelles la demanderesse avait appris que certains médecins de la défenderesse n'avaient pas le droit de facturer à la charge de l'AOS, le Tribunal fédéral avait jugé que l'assureur-maladie pouvait présumer que le fournisseur de prestations au bénéfice d'un numéro RCC satisfaisait aux conditions d'admission pour avoir ce droit. Cela déchargeait la caisse-maladie de l'examen étendu des conditions d'admission dans le cas particulier. Ce n'est qu'en cas d'indices d'une irrégularité qu'elle devait procéder à son propre contrôle.

La connaissance des décisions de refus de l'autorisation en cause par la demanderesse n'aurait en outre rien changé, dans la mesure où ces décisions ne mentionnaient pas l'employeur. De surcroît, la FMH avait informé en 2005 déjà ses membres, qu'en application du TARMED, il fallait annoncer au ressort RCC les médecins travaillant dans les institutions de santé. Dans un cas pénal, le Tribunal avait jugé que l'utilisation du RCC d'un autre médecin, in casu celui de son associé à la retraite, durant plus de dix ans constituait un édifice astucieux dès lors que le contrôle automatique des caisses-maladie était insuffisant pour déceler l'erreur. Des défaillances du système avaient également été épinglées dans les média.

S'agissant de la péremption, le délai ne commençait à courir qu'à partir du moment où l'assureur avait obtenu des renseignements clairs et précis concernant la violation de la loi en cause et l'étendue du dommage. En l'occurrence, la demanderesse n'avait pu se rendre compte de son erreur que lors de la séance organisée par le médecin cantonal en février 2018 et concrètement à la réception des noms des médecins qui n'étaient pas au bénéfice de l'autorisation en cause.

8.        Par écritures du 22 juillet 2021, la défenderesse a persisté dans ses conclusions et a repris sa précédente argumentation. Pour le surplus, elle a relevé que le caractère évident de son erreur avait déjà été nié par le Tribunal fédéral, de sorte qu'il s'agissait d'un fait établi. La demanderesse a en outre agi en tant qu'entité compétente pour le paiement des factures. Enfin, elle ne pouvait chiffrer sa demande reconventionnelle, dès lors que le montant dû s'accroissait continuellement.

9.        Par écritures du 30 juillet 2021, la demanderesse a persisté dans ses conclusions et mis en exergue que le Tribunal fédéral n'avait pas tranché la question de la bonne foi de la défenderesse. Celle-ci devait avoir un doute sur l'autorisation de facturer les prestations des médecins salariés en cause dès réception des arrêtés refusant cette autorisation. Sachant que seule la décision de pratiquer la médecine relevait des lois sur la santé, elle aurait immédiatement dû se rendre compte que son interprétation était douteuse. Cela découlait aussi de la procédure d'ASSURA à son encontre et de la modification législative qui en avait découlé. Elle n'avait pas non plus annoncé ses médecins salariés à la DGS, alors que, selon le Tribunal fédéral, ces annonces étaient nécessaires pour qu'un assureur-maladie puisse effectuer un contrôle GLN/EAN. Enfin, la demanderesse estimait que la défenderesse était tout à fait en mesure de chiffrer ses prétentions reconventionnelles, dès lors que la dernière facture dont elle avait bloqué le remboursement, datait de février 2021.

10.    Par écritures du 10 août 2021, la défenderesse a également maintenu ses conclusions. Elle a allégué que si la DGS avait délivré les autorisations en cause, c'était pour qu'elle puisse faire travailler les médecins concernés et continuer à assurer ses services médicaux à la population, dès lors que la DGS et les autorités politiques souhaitaient les maintenir. La DGS partageait à la même époque la même interprétation que la défenderesse et cette interprétation avait été confirmée à l'époque par deux conseillers d'État. Quant à la communication du 3 janvier 2017 du médecin cantonal, elle n'a rien changé à l'interprétation des arrêtés par la défenderesse. Si la demanderesse estimait que l'erreur de la défenderesse était tellement évidente, elle devrait expliquer pourquoi elle et les autres assureurs avaient presté pendant des années sans réserves.

11.    Par écritures du 20 août 2021, la demanderesse a fait observer qu'il n'était pas établi que les conseillers d'État en cause avaient partagé l'interprétation des arrêtés litigieux par la défenderesse. Au demeurant, le Tribunal de céans avait exclu que les autorités compétentes étaient intervenues dans une situation concrète à l'égard de la défenderesse.

12.    Le 16 septembre 2021, SANTESUISSE a informé le Tribunal de céans, à sa demande, qu'elle n'était plus représentée par des secrétariats dans les cantons depuis 2008-2009. En 2009, deux sociétés "filles" avaient été créées, à savoir TARIFSUISSE SA et B______. Cette dernière était chargée des tâches communes à toute la branche de l'assurance-maladie, en particulier du RCC. Elle vérifiait ainsi que toutes les conditions pour la délivrance d'un numéro RCC fussent remplies. Certes, la convention-cadre TARMED prévoit que les médecins employés doivent être annoncés à SANTESUISSE et à la FMH. Dans les faits, c'était cependant B______ qui était compétente pour répertorier tous les fournisseurs de prestations qui facturent à la charge de l'AOS. Partant, SANTESUISSE ne pourrait pas témoigner au sujet de la nécessité ou non, pour les médecins employés par la défenderesse, de détenir une autorisation individuelle de facturer à la charge de l'assurance obligatoire des soins lors de la réintroduction de la clause de besoin en 2013.

13.    Le 12 octobre 2021, la demanderesse a désigné Monsieur Luciano DE TORO en tant qu'arbitre en lieu et place de Madame Dominique TRITTEN.

14.    Le 10 décembre 2021, le docteur D______ a été entendu en tant que témoin et a déclaré ce qui suit:

"J'étais médecin cantonal à Genève du 1er février 2010 au 31 juillet 2020.

J'ignore si la défenderesse faisait partie en 2013 de la planification hospitalière pour les soins à domicile et d'urgence. Cette question n'était pas de mon ressort.

Nous nous occupions uniquement de l'admission des médecins et établissions des dossiers pour les soumettre à la commission compétente quadripartite. Nous n'avons fait aucune différence entre les médecins et les institutions de soins ambulatoires pour l'examen des demandes d'admissions de pratique et de l'autorisation de facturer à la charge de l'AOS.

Je ne connaissais pas la procédure dont A______ avait fait l'objet en 2005. Toutefois, je savais qu'il y avait eu des discussions concernant cette institution de santé. De toute façon, comme la loi avait changé dans l'intervalle, les circonstances en 2013 n'étaient plus les mêmes qu'en 2005.

Concernant la question de savoir pourquoi des contrôles n'ont été effectués qu'en 2017, je précise en premier lieu que le médecin cantonal n'a aucun accès à la facturation. La DGS transmets d'ailleurs toutes les autorisations de pratique et les décisions de facturer à charge de l'AOS à Santésuisse. Par contre, le service du médecin cantonal procède à des inspections de cabinets et institutions de santé. Je ne me rappelle plus exactement en quelle année nous avons appris que certains médecins des institutions de soins ambulatoires facturaient des prestations à la charge de l'AOS sans être au bénéfice d'une autorisation individuelle de le faire. C'est alors que nous avons mené une enquête et demandé à toutes les institutions de santé les noms des médecins salariés.

Toutes les institutions de santé étaient soumises à la clause des besoins et aucune différence n'a été faite contre elles.

Il est exact qu'un médecin de l'UE qui demande une autorisation de pratique et de facturer à la charge de l'AOS doit indiquer dans le formulaire son employeur. Toutefois, cette indication est facultative. Par ailleurs, tous les médecins qui font une demande n'ont pas forcément un employeur. Ce sont des autorisations individuelles, indépendamment d'un employeur. L'employeur était par la suite inscrit dans un registre. Toutefois, ces informations n'étaient pas fiables, car les médecins changent fréquemment d'employeur. L'obligation d'annoncer les médecins salariés n'était pas respectée par les institutions de santé.

Sur questions de Me Roulet, je précise qu'il y avait une liste pour toutes les institutions de santé, s'agissant des médecins salariés, sans droit de facturer à la charge de l'AOS. Il y avait aussi une liste spécifique pour SOS Médecins, car elle employait beaucoup de médecins. C'est le cas aussi pour l'OMP [office médico-pédagogique]. La liste concernant leurs médecins salariés a également été transmise aux assureurs. J'ignore si l'Etat de Genève a dû rembourser aux assureurs les prestations éventuellement indument facturées par l'OMP. Au demeurant, je ne pouvais pas savoir si des médecins figurant sur ces listes avaient facturé des prestations à la charge de l'AOS. Concernant les médecins des HUG, la situation est différente. Tous les médecins avec une formation post graduée acquise bénéficiaient d'une autorisation de facturer à la charge de l'AOS. Leurs dossiers étaient instruits comme les autres. Il y avait effectivement un grand nombre de médecins salariés sans droit de facturer à l'AOS en 2017. Cela peut s'expliquer par les modifications légales fréquentes intervenues en 17 ans. Les situations s'étaient accumulées.

Sur question d'Helsana, je précise qu'un grand nombre de médecins de l'UE faisaient la demande d'autorisation de pratique et de facturer à la charge de l'AOS, malgré le fait que le service répondait qu'ils n'avaient aucune chance de l'obtenir.

Je n'ai pas connaissance d'autres échanges entre SOS médecins et la DGS avant le courrier concernant le Dr C______. Mais il y a eu des discussions avec A______, après 2013, sur la notion de médecins indépendants et dépendants. J'ai alors précisé que le médecin dépendant était un médecin sans formation post graduée acquise.

A Genève nous étions largement au-dessus du nombre de médecins de premier recours. Il y a d'ailleurs 3 services d'urgence ambulatoire à domicile dans le canton, mais il n'y a pas d'obligation des médecins de ville d'assurer une garde."

15.    À la même date, la défenderesse a fait la déclaration suivante:

" Je conteste avoir eu une discussion avec le médecin cantonal concernant le droit de facturer à la charge de l'AOS. Cependant, le Conseiller d'Etat Unger m'avait dit que le système mis en place, à savoir la formulation des arrêtés, permettait précisément à A______ de continuer à engager des médecins salariés et à facturer leurs prestations à la charge de l'AOS.

Dans toutes les factures, était indiqué le numéro EAN du médecin qui a fourni la prestation.

Je suis très surpris des reproches qui me sont adressés aujourd'hui. Comme j'ai toujours été très contrôlé, je ne me serais pas permis de violer la loi."

Quant aux demanderesses, elles ont précisé qu'onze procédures avaient été ouvertes contre des institutions de santé dont certaines avaient été réglées à l'amiable. Elles ignoraient si l'OMP avait fait l'objet d'une procédure.

16.    Dans ses plaidoiries écrites du 13 janvier 2022, la défenderesse a persisté dans ses conclusions. Il résulte des déclarations du Dr D______ que la situation de la défenderesse correspondait à la pratique genevoise et qu'elle était connue des autorités, que les multiples changements législatifs étaient responsables d'un manque de clarté dans l'interprétation des arrêtés et que les assureurs-maladie avaient toutes les informations nécessaires déjà avant l'intervention du médecin cantonal. La DGS avait aussi confirmé, dans sa lettre du 20 avril 2021, que l'obligation d'annoncer les médecins salariés n'était pas respectée, que la communication des autorités genevoises par l'intermédiaire de la commission quadripartite était déficiente et qu'elle ne pouvait pas expliquer pour quelle raison rien n'avait été entrepris auparavant. La défenderesse ignorait l'obligation d'annoncer les médecins salariés, tout comme bon nombre d'autres médecins. Pour le surplus, elle a repris sa précédente argumentation.

17.    Dans sa détermination après enquêtes, Helsana a informé le Tribunal de céans avoir fusionné avec Progrès en date du 1er janvier 2022 et avoir repris tous les actifs et passifs ce celle-ci. Elle a conclu à la condamnation de la défenderesse au remboursement de CHF 1'952'132.- sous déduction de CHF 840'615.-, correspondant aux factures émises par celle-ci depuis le 8 juin 2018, qu'elle avait compensées, avec intérêt à 5% par an dès le 26 novembre 2020, sous suite de dépens. Le Dr D______ avait confirmé que le service du médecin cantonal était l'organe compétent pour contrôler si un médecin est en droit de facturer à la charge de l'AOS. Ainsi, aucune promesse ou assurance n'avait été donnée par un organe compétent dans la matière considérée. Au plus tard dès le 3 janvier 2017, la défenderesse avait été informée par l'organe compétent qu'elle ne pouvait facturer les prestations de ses médecins salariés qui n'étaient pas au bénéfice d'une autorisation individuelle de facturer à la charge de l'AOS. Le témoin a de surcroît confirmé que la défenderesse n'était pas au bénéfice d'une exception. Enfin, le Dr D______ a déclaré avoir indiqué à la défenderesse qu'un médecin dépendant était un médecin sans formation post-graduée acquise. Ces éléments excluaient la bonne foi. Quant aux assurances qu'aurait données le Conseiller d'État UNGER, celui-ci n'avait été en fonction que jusqu'au 10 décembre 2013 et avait donc quitté son mandat avant l'entrée en vigueur du règlement en cause sur la clause de besoin, de sorte qu'il n'était plus l'autorité compétente. Il était par ailleurs invraisemblable qu'il eût collaboré à la rédaction les arrêtés litigieux, afin de permettre à la défenderesse de contourner la loi relative à cette clause. En tout état de cause, le Tribunal fédéral a exclu que les autorités eussent violé le principe de la bonne foi.

18.    Par écritures spontanées du 1er février 2022, la demanderesse a relevé que B______ avait confirmé que les arrêtés négatifs de la DGS n'étaient pas enregistrés ni transmis aux assureurs-maladie. Il n'y avait pas de base légale pour que les assureurs-maladie puissent traiter de telles données. Une telle base de données poserait par conséquent un problème eu égard à la protection des données. Partant, elle avait prouvé ne pas avoir reçu les arrêtés négatifs. Par ailleurs, si d'autres institutions de santé ont également employé des médecins sans autorisation de facturer à la charge de l'AOS et facturé leurs prestations, elles ne l'ont pas fait dans une telle ampleur que la défenderesse.

19.    Sur ce, la cause a été gardée à juger.


EN DROIT

1.        Selon l’art. 89 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal ; RS 832.10), les litiges entre assureurs et fournisseurs sont jugés par le Tribunal arbitral. Est compétent le Tribunal arbitral du canton dont le tarif est appliqué ou dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent (art. 89 al. 2 LAMal). Le Tribunal arbitral est aussi compétent si le débiteur de la rémunération est l’assuré (système du tiers garant, art. 42 al. 1 LAMal) ; en pareil cas, l’assureur représente, à ses frais, l’assuré au procès (art. 89 al. 3 LAMal). La procédure est régie par le droit cantonal (art. 89 al. 5 LAMal).

En l’espèce, la qualité de fournisseur de prestations au sens des art. 35ss LAMal et 38ss de l’ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal) de la demanderesse n’est pas contestée. Quant à la défenderesse, elle entre dans la catégorie des assureurs au sens de la LAMal. La compétence du Tribunal arbitral du canton de Genève est également acquise ratione loci, dans la mesure où le cabinet de la demanderesse y est installé à titre permanent.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Est litigieuse en l'espèce la question de savoir si la demanderesse est en droit de demander la restitution de CHF 1'952'132.- et, sur demande reconventionnelle, si la demanderesse doit rembourser à la défenderesse les factures bloquées depuis le 7 juin 2018 à titre de compensation avec sa prétention. La réponse à ces questions dépend de celle de savoir si le remboursement par la demanderesse des prestations facturées sous le n° RCC du médecin répondant de la défenderesse ou de l'institution, permettait à celle-ci de croire de bonne foi que ses médecins salariés n'avaient pas besoin d'une autorisation individuelle de pratiquer à la charge de l'AOS.

3.        Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que : a) l'autorité ait donné un renseignement sans aucune réserve; b) le renseignement se réfère à une situation concrète touchant l'administré personnellement; c) l'autorité ait agi dans les limites de ses compétences ou l'administré eût des raisons suffisantes de la tenir pour compétente; d) l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu; e) l'administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice; f) la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée; g) l'intérêt au respect du droit objectif n'est pas prépondérant par rapport à la protection de la bonne foi (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 p. 103). Une autorité ne peut toutefois pas valablement promettre le fait d'une autre autorité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 7/04 du 27 janvier 2005 consid. 3.1).

4.        En l'occurrence, il n'est pas contestable que la demanderesse a remboursé les factures de la défenderesse sans aucune réserve depuis la réintroduction de la clause du besoin en juillet 2013.

Ces prestations ont également été remboursées dans une situation concrète, dès lors qu'il s'agissait à chaque fois d'un traitement médical d'un des assurés de la demanderesse, sur la base d'une note d'honoraires mentionnant le n° RCC de la défenderesse ou du médecin-répondant et le GLN/EAN du médecin salarié qui a concrètement fourni la prestation.

Selon la demanderesse, le remboursement d'une facture par un service de paiement automatisé ne peut être considéré comme une assurance. Tel ne pourrait être admise que si un service spécialisé ou juridique, voire la direction ou B______ s'est prononcé. Cependant, à la réception d'un décompte de remboursement, l'assuré ou le fournisseur de prestations, dans le système du tiers payant, ne peut se rendre compte si un contrôle préalable a eu lieu. Ceux-ci ignorent aussi l'organisation de SANTESUISSE pour contrôler les factures, en l'occurrence pour contrôler le droit de facturer à la charge de l'AOS du médecin désigné par le EAN/GLN. Il aurait été tout à fait imaginable que les médecins disposant d'un tel numéro mais non du droit de facturer, soient répertoriés par SANTESUISSE, dès la réintroduction du moratoire, et que les logiciels du service de paiement automatique soient modifiés afin de pouvoir détecter les médecins sans droit de facturation. À vrai dire, il paraissait invraisemblable qu'aucun contrôle du respect de la clause du besoin n'était effectué par les caisses-maladie respectivement SANTESUISSE.

Par conséquent, le remboursement d'une prestation par la demanderesse doit être interprété comme une assurance que les soins en cause donnent le droit à la prise en charge par la caisse-maladie.

5.        La demanderesse est en outre compétente pour rembourser les frais médicaux de ses assurés aux fournisseurs de prestations. Le fait qu'il ne lui appartient pas de décider qui a l'autorisation de facturer à la charge de l'AOS, n'y change rien. En fonction de l'autorisation délivrée par l'autorité cantonale compétente, il est assurément de sa compétence de contrôler les factures, afin de vérifier qu'elles émanent de médecins autorisés à facturer à la charge des caisses-maladie, d'une part, et qu'elles sont conformes au TARMED, d'autre part. Le n° RCC est certes suffisant pour contrôler le droit de facturer à la charge de l'AOS d'un médecin, mais non pour déterminer si le médecin qui a fourni la prestation et qui est mentionné par le EAN/GLN, a le droit de le faire pendant la durée du moratoire. Il est vrai qu'un tel contrôle implique l'interpellation de SANTESUISSE ou de B______ et donc l'intervention du service juridique. Il ne peut se faire dans un service de paiement automatisé. Il n'en demeure pas moins qu'en cas de doute sur le respect de la clause de besoin par une institution de soins ambulatoires, l'assureur est compétent pour effectuer cette vérification.

6.        Toutefois, il convient d'examiner si la défenderesse aurait pu se rendre compte immédiatement que la demanderesse a remboursé à tort les prestations fournies par des médecins non autorisés à facturer à la charge de l'AOS.

a. Comme cela résulte de l'arrêt ATAS/327/2007 du 26 mars 2007 du Tribunal de céans, lors du premier moratoire du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2011, SANTESUISSE a adressé aux assureurs-maladie des circulaires, en date des 21 mars et 16 août 2004, attirant leur attention sur le cas de la défenderesse et les invitant notamment à vérifier si les conditions de la clause du besoin étaient respectées, dès lors que plusieurs de ses médecins n'étaient pas autorisés à pratiquer à la charge de l'AOS. En avril 2005, ASSURA ASSURANCE MALADIE ET ACCIDENT (aujourd'hui ASSURA-BASIS SA; ci-après: ASSURA) a refusé de rembourser les factures relatives à des prestations fournies par deux des médecins salariés de la défenderesse, factures qui avaient été établies sous le n° RCC de cette dernière avec la mention du EAN. En mai 2005, cette caisse a saisi le Tribunal de céans afin de faire constater que la défenderesse n'était pas en droit de facturer ces prestations, dès lors que les deux médecins n'étaient pas au bénéfice d'une autorisation individuelle de facturer à la charge de l'AOS. Encore dans le même mois, le Conseil d'État du canton de Genève a délivré à ces médecins, ainsi qu'à deux autres médecins salariés de la défenderesse, des autorisations de pratiquer à la charge de l'AOS, valables avec effet rétroactif, et a annulé les non autorisations précédentes. Par la suite, ASSURA a élargi la procédure à d'autres factures de prestations fournies par d'autres médecins salariés de la défenderesse. Par l'arrêt précité, le Tribunal de céans a rejeté la demande d'ASSURA au motif que l'ordonnance du 3 juillet 2002 relative à l'art. 55a al. 3 LAMal ne contenait aucune limitation concernant les institutions de soins ambulatoires et/ou des médecins qu'elles emploient. Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral (ATF 133 V 613).

Puis, l'art. 55a LAMal a été modifié à plusieurs reprises. Dès le 1er janvier 2010, il prévoyait que l'admission des médecins au sein des institutions ambulatoires des soins peut également être soumise à la preuve du besoin.

Toutefois, lorsqu'en juillet 2013, l'admission des médecins a de nouveau été soumise à la preuve du besoin, SANTESUISSE n'a pas rendu les caisses-maladie attentives au fait que les médecins salariés de la défenderesse n'étaient pas tous au bénéfice d'une autorisation individuelle de pratiquer à la charge de l'AOS, comme lors du premier moratoire. Les caisses-maladie n'ont pas non plus contrôlé que ces médecins aient cette autorisation, alors même que l'une d'elles, ASSURA, avait introduit une procédure contre la défenderesse en 2005 et que l'arrêt du Tribunal fédéral rendu dans le cadre de cette procédure est à l'origine de la modification législative.

À cela s'ajoute qu'aucun contrôle n'avait été exercé par les autorités cantonales avant 2017 concernant le respect de la clause du besoin.

La défenderesse ne pouvait savoir que le contrôle des autorisations de facturer à la charge de l'AOS par SANTESUISSE était rendu plus compliqué du fait que cette fédération a délégué en 2009 la délivrance des n° RCC à B______. Dans l'esprit de la défenderesse, SANTESUISSE était toujours informée de toutes ces autorisations et en mesure de constater quels médecins, disposant d'un EAN/GLN, n'avaient pas une autorisation individuelle de facturer leurs prestations aux caisses-maladie. En effet, il est indiqué sur les arrêtés litigieux qu'une copie de ceux-ci est envoyée à cet organisme. Il n'en demeure pas moins que SANTESUISSE aurait dû procéder à un contrôle du respect de la clause du besoin, en vérifiant, par sondage, que les médecins intervenant sans n° RCC sont au bénéfice d'une autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS. En effet, le contrôle de la pratique médicale des fournisseurs de prestations, ainsi que du respect des dispositions légales et du TARMED n'a pas été délégué à B______ et appartient toujours à SANTESUISSE. La défenderesse ne pouvait savoir qu'il y avait en fait une faille dans le système de contrôle.

Quant à la demanderesse, il est vrai qu'elle ne pouvait savoir lesquels des médecins salariés de la défenderesse n'avaient pas le droit de lui facturer leurs prestations, sans faire des investigations supplémentaires. Il n'est pas non plus attendu des caisses-maladie qu'elles contrôlent systématiquement le droit de facturer à la charge de l'AOS. Toutefois, compte tenu de la première procédure à l'encontre de la défenderesse qui a abouti à l'arrêt du Tribunal fédéral publié dans les ATF 133 V 613, elle aurait dû savoir qu'un problème pourrait se poser avec les médecins salariés de cette institution de santé, suite à la modification de l'art. 55a LAMal, et elle aurait alors pu interpeller SANTESUISSE afin qu'elle procède à une vérification, lorsque le moratoire a été réintroduit en juillet 2013. La demanderesse n'était pas en mesure d'expliquer pour quelle raison elle avait omis de le faire (procès-verbal du 12 mars 2021). L'absence de réaction est d'autant plus incompréhensible que la défenderesse est régulièrement dans le collimateur des assureurs-maladie et que la défenderesse a toujours été très contrôlée, comme son médecin-répondant l’a relevé lors de son audition en date du 10 décembre 2021. En 2015 la demanderesse a procédé en outre à un contrôle précis de la facturation de 39 médecins de la défenderesse, selon les allégués de celle-ci qui ne sont pas contredits par la demanderesse.

La demanderesse estime que la transmission des décisions négatives à B______, sans mention de l'employeur, n'a pas d'incidence sur la connaissance ou la méconnaissance du droit ou de l'interdiction de facturer à la charge de l'AOS et que le Tribunal fédéral a précisé que les assureurs pouvaient le contrôler que par l'annonce préalable des médecins salariés à SANTESUISSE, prévue à l'art. 9 convention-cadre TARMED (ATF 135 V 237). Cela est cependant inexact, dès lors que tous les médecins intervenants, sans n° RCC, se voient attribuer un EAN/GLN, de sorte que, grâce à ce numéro, la caisse-maladie peut déterminer si le médecin a l'autorisation requise, indépendamment de son employeur, en exigeant la production de cette autorisation. Comme B______ l'a relevé dans son courriel du 5 décembre 2020, si le remboursement est demandé pour des prestations d'un médecin sans n° RCC et sans numéro C, l'assureur ne devrait pas prester. Certes, un contrôle systématique serait trop coûteux. Toutefois, il peut être attendu d'une caisse-maladie qu'elle fasse des vérifications par sondage, en particulier pour une institution de santé qui a déjà fait précédemment l'objet d'une procédure concernant le non-respect de la clause du besoin.

Dans ces conditions, la défenderesse pouvait croire de bonne foi que SANTESUISSE et les assureurs-maladie n'auraient pas manqué de réagir, comme en 2005, s'ils estimaient que ses médecins salariés n'étaient pas en droit de facturer leurs prestations, dès lors qu'elle avait indiqué leur EAN/GLN permettant de les identifier. Comme relevé ci-dessus, elle ne pouvait pas non plus savoir que les caisses-maladie, représentées par SANTESUISSE, n'exerçaient aucun contrôle sur le respect de la clause du besoin.

b. Par ailleurs, l'interprétation des arrêtés refusant aux médecins salariés de pratiquer à la charge de l'AOS, ne revêtait pas un caractère évident au vu des développements législatifs survenus, comme le Tribunal fédéral l'a constaté dans son arrêt du 23 juillet 2020 (consid. 5.5). La distinction entre activité indépendante et dépendante sous la propre responsabilité du médecin avait en effet varié au fil des années. Il y avait aussi une confusion entre les notions de dépendance économique du médecin salarié et sa responsabilité personnelle pour les actes médicaux, ainsi qu'entre la responsabilité du médecin répondant d'une institution de soins ambulatoires et la surveillance exercée sur les médecins salariés dans le cadre de leur formation.

La preuve de ce que les arrêtés pouvaient donner lieu à des confusions constitue le fait que bon nombre d'autres institutions de santé avaient engagé des médecins sans autorisation de facturer à la charge de l'AOS, comme cela résulte des documents transmis par le médecin cantonal aux caisses-maladie en date du 1er février 2018. Rien que la demanderesse a engagé onze procédures à l'encontre des institutions ayant facturé les prestations de ces médecins. Une violation de la clause du besoin d'une telle ampleur trouve selon toute vraisemblance son explication dans le manque de clarté des arrêtés, suite aux modifications légales fréquentes intervenues en dix-sept ans, comme le Dr D______ l'a relevé lors de son audition.

Quant à la précision qu'a donné le Dr D______ aux médecins, selon sa déclaration lors de son audition, à savoir qu'un médecin dépendant est un médecin sans formation post graduée acquise, elle n'est pas tout à fait exacte. En effet, ce qui est déterminant pour l'obligation d'une autorisation individuelle de facturer à la charge de l'AOS n'est précisément pas le fait de pratiquer à titre dépendant ou indépendant, d'un point de vue économique, mais de le faire sous sa propre responsabilité. Un médecin qui a terminé sa formation et qui est salarié doit disposer d'une telle autorisation tout comme le médecin indépendant. Ce n'est que s'il est en formation et qu'il travaille alors sous la responsabilité d'un autre médecin, qu'il n'est pas soumis à cette obligation. L'explication du Dr D______ illustre plutôt la confusion entre les notions d'indépendant et de dépendant, à titre économique, et la responsabilité personnelle du médecin intervenant.

c. Il est vrai que, comme le relève la demanderesse, l'art. 3 du règlement d'application de l'ordonnance fédérale sur la limitation de l'admission des fournisseurs de prestations à pratiquer à la charge de l'assurance-maladie obligatoire du 16 avril 2014 (RaOLAF – J 3 05.50) va plus loin que l'OLAF, dans la mesure où elle soumet également à la clause du besoin les médecins qui exercent dans le domaine ambulatoire d'un hôpital (art. 3 RaOLAF). Le Tribunal fédéral a jugé, dans un arrêt daté du 23 décembre 2014, que ce règlement est conforme au droit supérieur, dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, dès lors que les cantons peuvent s'écarter des limites fixées dans l'annexe 1 OLAF (ATF 140 V 574).

Dans la mesure où le législateur genevois est encore plus strict que l'OLAF pour l'application de la clause du besoin, la demanderesse estime que le raisonnement de la défenderesse, selon lequel le canton lui aurait donné une autorisation par omission, est insoutenable.

Cependant, le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur une autorisation de facturer à la charge de l'AOS dans le cadre d'une institution de santé ni n'a interprété le libellé des autorisations délivrées par la DGS, de sorte que la défenderesse ne pouvait tirer aucune conclusion concrète sur le droit de facturer les prestations fournies par ses médecins salariés sans l'autorisation en cause.

d. Certes, l'AMGe, la FMH, SANTESUISSE et la presse ont communiqué sur l'obligation des médecins salariés des institutions de soins ambulatoires de détenir une autorisation individuelle de pratiquer à la charge de l'AOS. Il doit par ailleurs être supposé que la défenderesse, dont un membre du conseil d'administration exerce la profession d'avocat, a suivi de près les modifications de l'art. 55a LAMal dès 2010. Néanmoins, comme le Tribunal fédéral le constate dans la présente cause, le libellé des arrêtés de non autorisation pouvait induire en erreur, en raison des modifications législatives intervenues, nonobstant le fait que la LAMal et son ordonnance permettent depuis 2010 de soumettre également les médecins salariés des institutions de soins ambulatoires à la clause du besoin.

Par ailleurs, si la DGS affirme, dans son courrier du 20 avril 2021, au Tribunal de céans, que les médecins soumis à la clause de limitation sont avertis systématiquement de l'absence du droit de facturer à la charge de l'AOS, elle fait uniquement référence aux arrêtés relatifs aux autorisations respectivement non autorisations, délivrées dont le libellé a été jugé précisément peu clair par le Tribunal fédéral. La DGS n'a pas transmis d'autres informations à ce sujet.

e. S'agissant des pratiques des autres cantons en la matière, elles ne semblent cependant pas vraiment différentes de celles du canton de Genève. Certes, par décision du 15 décembre 2017 de la Conseillère d'État en charge du département de la santé, des affaires sociales et de la culture du canton du Valais, la défenderesse a obtenu l'autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS pour cinq médecins, limitée à la saison d'hiver pour la Commune de Bagnes/Verbier durant trois ans. Selon cette décision, la facturation devait se faire exclusivement par le biais du n° RCC attribué à la défenderesse et seule l'autorisation de pratiquer en Valais était exigée pour les médecins concernés. Toutefois, il ressort de cette décision que la défenderesse avait saisi cette autorité d'une demande tendant à l'obtention d'une admission à pratiquer à la charge de l'AOS pour cinq médecins, ce qui montre qu'elle savait, du moins pour le canton du Valais, qu'elle devait en principe obtenir pour chaque médecin salarié une autorisation individuelle. Cette autorisation de facturer sous le n° RCC de la défenderesse était en outre limitée à cinq médecins et ne s'appliquait pas à tous les médecins salariés de la défenderesse dans le canton du Valais.

Du courriel du 23 novembre 2018 de l'institution Médecins du Léman, il ne résulte pas non plus que le canton de Vaud accepte que les médecins salariés de celle-ci facturent sous le n° RCC du médecin répondant ou de l'institution. Ce n'est pas parce que cette institution procède de cette façon que le canton a avalisé cette pratique.

Quant à l'attestation du 17 novembre 2014 du service de la santé publique du canton de Vaud, certifiant "que Monsieur E______ [ ] en sa qualité de chef de clinique n'est pas soumis à autorisation de pratique pour pouvoir exercer sa profession dans [le] canton", rien ne peut en être tiré concernant une pratique divergente du canton du Vaud. Cette attestation est en effet incompréhensible et ne dit en particulier rien sur le droit de facturer à la charge de l'AOS.

Cependant, le fait que la défenderesse était au courant qu'il fallait obtenir pour chacun de ses médecins une autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS en Valais, ne permet pas de conclure qu'elle devait le savoir également pour le canton de Genève. En effet, comme relevé ci-dessus, la législation genevoise a fait l'objet de beaucoup de modifications et le libellé des arrêtés pouvait de ce fait prêter à confusion, ce qui semble avoir induit en erreur également d'autres institutions de santé.

f. La demanderesse fait valoir que la bonne foi de la défenderesse doit être niée du fait qu'elle n'a pas annoncé au médecin cantonal les noms de ses médecins salariés comme l'art. 9 al. 1 RaOLAF, entré en vigueur le 23 avril 2014, le prescrit. Selon cette disposition, les institutions de soins ambulatoires communiquent tous les six mois à la DGS la liste nominative des médecins salariés exerçant en leur sein, ainsi que leurs domaines de spécialité.

Comme relevé par la DGS dans son courrier du 20 avril 2021, ainsi que par l'ancien médecin cantonal entendu en tant que témoin le 10 décembre 2021, cette obligation n'était pas suivie par les institutions de santé. Même si elle a été rappelée régulièrement lors des séances de la commission quadripartite consultative en matière de limitation de l'admission des fournisseurs de prestations à pratiquer à la charge de l'AOS, laquelle réunit notamment les représentants de AMGe et de AMIG, cette information ne semble pas avoir été relayée par ces organismes. Par ailleurs, l'État n'est pas intervenu pour la faire respecter, comme l'admet la DGS. Il ne saurait dès lors être conclu de la violation de cette obligation par la défenderesse que cela dénote d'une volonté de cacher les identités de ses médecins salariés, excluant la bonne foi.

Le témoin a en outre confirmé que lorsque les médecins de l'Union Européenne (ci-après: UE) requièrent l'autorisation de pratique et de facturer à la charge de l'AOS, ils sont invités à indiquer le nom de leur employeur. Ainsi, la défenderesse pouvait croire de bonne foi que la DGS était informée de leurs médecins salariés. Cela ne remplace certes pas l'annonce des médecins salariés par l'institution de santé, dès lors que l'employeur change fréquemment, de sorte que ces indications données lors de la requête d'autorisation de ces médecins ne sont rapidement plus à jour, comme l'a déclaré le Dr D______. Il n'en demeure pas moins que, dans l'esprit de la défenderesse, la DGS était informée.

g. Selon la demanderesse, la mauvaise foi de la défenderesse est démontrée par le fait qu'elle a cessé, dès le 25 mai 2010, de requérir l'attribution d'un numéro C pour ses médecins salariés autorisés à facturer à la charge de l'AOS.

Ce numéro C est octroyé par B______ aux fournisseurs de prestations employés qui exercent à la charge de l'AOS et qui en font la demande. Toutefois, il n'y pas d'obligation de demander un tel numéro.

Il aurait été certes préférable, pour une plus grande transparence, qu'un numéro C soit attribué aux médecins salariés de la défenderesse. Cependant, celle-ci avait déjà en 2010 arrêté de le requérir, soit encore durant le premier moratoire. Il ne saurait par conséquent en être conclu que cela procédait d'une volonté délibérée de limiter le contrôle des autorisations de facturer à la charge de la l'AOS.

h. En ce qui concerne l'ATF 133 V 579 cité par la demanderesse pour soutenir que la protection de la bonne foi de l'établissement en cause n'a pas été admise dans un cas similaire, il sied de relever que celui-ci ne s'en était prévalu, de sorte que cette question n'avait pas à être examinée. Dans l'arrêt 1C_333/2010 du 16 février 2011, le Tribunal fédéral a effectivement refusé la protection de la bonne foi, dans le cadre d'une construction non conforme à l'autorisation de construire. Cependant, les circonstances du cas jugé ne sont pas transposables à celles de la présente cause.

7.        La défenderesse doit en outre avoir pris des dispositions auxquelles elle ne peut plus renoncer sans subir de préjudice, en se fondant sur les assurances de la demanderesse.

Cette hypothèse est réalisée en l'espèce. En effet, du fait que la demanderesse a pris en charge les factures de la défenderesse sans réserves, celle-ci a engagé et fait travailler des médecins sans autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS pendant des années. Elle a donc rémunéré ces médecins et subit un préjudice si elle doit rembourser les honoraires relatifs à leurs prestations.

8.        Depuis l'introduction du moratoire et le remboursement des factures, la réglementation relative au droit de facturer à la charge de l'AOS n'a au demeurant pas changée.

9.        Quant à la question de savoir si l'intérêt au respect du droit objectif est in casu prépondérant par rapport à la protection de la bonne foi, il sied de relever que les prestations dont le remboursement est demandé, ont été fournies et que leur qualité n'a pas été mise en cause. Il peut aussi être présumé que, s'agissant de la médecine d'urgence, la plupart des prestations aurait été effectuée par d'autres médecins respectivement établissements si la défenderesse n'avait pas été en mesure de le faire. Par conséquent, le préjudice de la demanderesse ne correspond en réalité pas au montant de la totalité des factures émises sans droit.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que le respect du moratoire est prépondérant par rapport à la protection de la bonne foi.

10.    Les conditions pour admettre la bonne foi de la défenderesse étant remplies, il convient d'examiner à partir de quand cette bonne foi ne peut plus être admise.

Par courriel du 21 décembre 2016, le médecin cantonal délégué de Genève a demandé au F______, dont Dr G______ est également le médecin répondant, si le docteur C______ fournissait des prestations à la charge la loi sur l’assurance-maladie en tant que salarié de ce centre médical. Le médecin répondant a répondu à ce courriel que celui-ci exerçait son activité de médecin dans son centre, mais sans prodiguer des soins à la charge de l’assurance-maladie obligatoire à titre indépendant ou dépendant sous sa propre responsabilité. Par courriel du 3 janvier 2017, le médecin cantonal délégué a demandé au médecin répondant quelles activités déployait le Dr C______ audit centre et l'a informé que la clause du besoin s'appliquait à tout le secteur ambulatoire, de sorte que ce médecin n'était pas autorisé à facturer ses prestations ni par lui-même ni par l'intermédiaire de l'établissement médical.

La défenderesse conteste avoir eu un doute sur le droit des médecins en cause de facturer leurs prestations à la charge de l'AOS, à la réception de ces courriels, du fait qu'ils travaillaient sous la responsabilité du médecin répondant.

Toutefois, le médecin cantonal délégué ne demande pas si le Dr C______ fournit des prestations à la charge de l’AOS à titre indépendant ou dépendant sous sa propre responsabilité, en utilisant les termes ambigus des arrêtés, mais s'il le faisait en tant que salarié dudit centre. Quoi qu'il en soit, la réponse du médecin cantonal délégué du 3 janvier 2017 ne pouvait être plus claire, dans la mesure où elle excluait que le Dr C______ ait le droit de facturer à la charge de l'AOS d'une quelque façon que ce soit.

La défenderesse fait à cet égard valoir que le médecin cantonal n'est pas l'autorité compétente en la matière, dès lors que l'art. 2 LaLAMal confie l'application de la LAMal au Conseil d’Etat, qui peut déléguer ses compétences au département responsable, et que l'art. 2 RaOLAF donne la compétence d'exécuter l'OLAF à la DGS (al. 1) et à une commission quadripartite chargée d'émettre des préavis non contraignants à ladite direction dans le cadre de la limitation de l'admission à pratiquer à la charge de l'assurance obligatoire des soins (al. 2).

Cependant, comme le relève à juste titre la demanderesse, la DGS comprend le service du médecin cantonal, aux termes de l'art. 5 al. 1 let. f du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 (ROAC - B 4 05.10). Ainsi, le médecin cantonal est tout à fait compétent en la matière.

Cela étant, il sera admis que la défenderesse n'était plus de bonne foi dès le 3 janvier 2017 au plus tard.

11.    Quant aux mesures d'instruction requises par la demanderesse dans ses écritures du 27 janvier 2021, le Tribunal de céans a donné suite à certaines de celles-ci. Compte tenu de ce qui précède, il n'estime cependant pas nécessaire d'entendre l'AMGe, le Groupe des Droits de Pratique du service du médecin cantonal, B______ et l'OFSP. Partant, ces requêtes seront rejetées.

12.    a. Dans ses écritures du 2 juillet 2021, la demanderesse indique avoir remboursé entre le 3 janvier 2017 et le 7 juin 2018, date à partir de laquelle le remboursement a été bloqué, la somme de CHF 903'475 aux médecins sans autorisation de facturer à la charge de l'AOS. Ce montant n'est pas contesté.

Elle a en outre bloqué depuis le 7 juin 2018 le remboursement des factures de la défenderesse d'un montant de CHF 840'615.-, factures qui émanent de médecins au bénéfice d'une autorisation de facturer à la charge de l'AOS, et compense ces factures avec sa créance en restitution. Ce montant n'a pas été contesté.

Parallèlement, elle a également bloqué les factures pour des prestations fournies par des médecins sans droit de facturation aux caisses-maladie. Le montant de ces factures est de CHF 450'406.-. La demanderesse s'oppose au paiement de ces factures et également à leur compensation avec sa créance en restitution, dès lors que les conditions de remboursement ne sont pas remplies.

b. En l'absence d'une réglementation particulière, le principe de la compensation des créances de droit public est admis comme règle générale. Dans ce cas, les dispositions du code des obligations qui en fixent les conditions (art. 120 ss CO) sont applicables par analogie (ATF 130 V 505 consid. 2.1 p. 508; 128 V 228 consid. 3b). Ainsi, la compensation n'est-elle possible que lorsque deux obligations de la même espèce existent réciproquement entre deux personnes et que la dette, avec laquelle le créancier entend exercer la compensation, soit exigible et fondée en droit (ATF 128 V 228 ibidem).

c. En l'occurrence, il appert que la demanderesse a compensé une partie de sa créance en restitution avec la créance en remboursement de la défenderesse de CHF 840'615.-. Les conditions de la compensation sont remplies, s'agissant de créances réciproques, exigibles, juridiquement fondées et de la même espèce, de sorte que la compensation doit être admise.

Par conséquence, la défenderesse ne doit à la demanderesse plus que CHF 62'860.- (CHF 903'475 - CHF 840'615.-).

13.    La défenderesse invoque la péremption de la créance de la demanderesse.

a. Aux termes de l'art. 25 al. 2 LPGA, le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution d'assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d'un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant. Cette disposition s'applique aux prétentions en restitution fondées sur l'art. 56 al. 2 LAMal (ATF 133 V 579 p. 582 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les délais de la disposition précitée constituent des délais de péremption (ATF 142 V 20, consid. 3.2.2 p. 24). Ils ne peuvent dès lors être interrompus (ATF 136 II 187 consid. 6 p. 192).

Le délai de péremption relatif d'une année commence à courir dès le moment où l'administration aurait dû connaître les faits fondant l'obligation de restituer, en faisant preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle (ATF 122 V 270 consid. 5a). L'administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l'encontre de la personne tenue à restitution (ATF 111 V 14 consid. 3). Si l'administration dispose d'indices laissant supposer l'existence d'une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas encore à en établir le bien-fondé, elle doit procéder, dans un délai raisonnable, aux investigations nécessaires (ATF 133 V 579 consid. 5.1 non publié). Pour l'appréciation du droit à la restitution, il ne suffit pas que la caisse ait simplement connaissance de circonstances pouvant éventuellement donner lieu à un tel droit, ou que ce droit soit établi dans son principe, mais pas dans son étendue ; il en va de même lorsque l'on ne sait pas contre quelle personne la restitution doit être dirigée (ATF 111 V 14).

b. En l'espèce, la défenderesse s'est prévalue devant le Tribunal fédéral de ce que la demanderesse aurait eu connaissance de l'identité des médecins et des arrêtés prononcés à leur encontre au plus tard un mois après la délivrance des non-autorisations de pratiquer à la charge de l'AOS, dès lors que les autorisations et non autorisations doivent être communiquées dans le mois suivant leur prononcé à SANTESUISSE (art. 7 al. 1 OLAF, en vigueur jusqu'au 30 juin 2021), accompagnées de l'identité de tous les médecins travaillant au sein d'une institution de soins ambulatoires (art. 7 al. 1 OLAF et 9 al. 1 RaOLAF).

Copies des arrêtés d'autorisation ou non de pratiquer à la charge de l'AOS sont certes communiquées à SANTESUISSE, comme cela y est mentionné. Toutefois, SANTESUISSE les transmet par la suite à B______, comme relevé ci-dessus, dès lors que cette société est chargée depuis 2009 d'attribuer les n° RCC. SANTESUISSE n'établit pas auparavant un registre des médecins sans autorisation de facturer aux caisses-maladie, à l'attention de celles-ci. Les non autorisations ne sont donc pas portées à la connaissance des assureurs-maladie d'une façon ou d'une autre. Par ailleurs, l'instruction de la présente cause a permis de constater que l'art. 9 al. 1 RaOLAF est resté lettre morte, dès lors que la majorité des institutions de santé ne s'est pas conformée à l'obligation de communiquer la liste de leurs médecins salariés. La défenderesse est à cet égard de mauvaise foi, en invoquant ces dispositions légales, alors même qu'elle n'a jamais respecté cette obligation.

Comme déjà exposé ci-dessus, les caisses-maladie n'étaient ainsi pas informées de l'identité des médecins disposant d'un EAN/GLN sans autorisation de facturer leurs prestations à l'AOS. Pour avoir ces informations, elles auraient dû interpeller SANTESUISSE et celle-ci aurait dû demander les informations nécessaires à B______. Ainsi, la demanderesse n'avait pas connaissance de ce que des médecins sans l'autorisation requise lui facturaient des prestations avant le 9 mai 2018, date à laquelle le médecin cantonal lui a transmis la liste des médecins non autorisés à facturer à la charge de l'AOS.

Il ne peut pas non plus être considéré que la demanderesse disposait d'indices concrets laissant supposer l'existence d'une créance en restitution, de sorte qu'elle aurait dû procéder à des investigations. Certes, pendant le premier moratoire, la défenderesse a facturé des prestations sous le RCC de son institution, alors même que les médecins qui avaient prodigué les soins n'étaient pas au bénéficie d'une autorisation de facturer à la charge de l'AOS, ce qui était cependant légal à l'époque. Compte tenu d'une première procédure à ce sujet dont la défenderesse a fait l'objet, il pouvait être attendu que les assureurs-maladie, respectivement SANTESUISSE, procèdent à des investigations et contrôles du respect du moratoire par la défenderesse. Il n'en demeure pas moins que, durant le deuxième moratoire, la demanderesse ne disposait d'aucun indice concret pour une violation de la clause du besoin. Il n'est notamment pas établi que la demanderesse aurait appris par des tiers avant le 9 mai 2018 que des médecins sans autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS facturaient leurs prestations, à l'instar du service du médecin cantonal, selon les déclarations de Dr D______ lors de son audition.

Partant, il doit être confirmé que le délai de péremption a commencé à courir le 9 mai 2018, de sorte que les prétentions de la demanderesse ne sont pas prescrites.

14.    La demanderesse conclut au paiement d'intérêts moratoires de 5% l’an dès le 26 novembre 2020.

Comme déjà mentionné dans l'arrêt du 3 juillet 2019 dans la présente cause, la LAMal ne prévoit pas le paiement d'intérêts moratoires dans les contestations portées devant le Tribunal arbitral et opposant un fournisseur de prestations à un assureur. Un droit aux intérêts moratoires sur des prestations de restitution ne peut pas non plus être déduit de l'art. 26 LPGA. Il n’existe ainsi aucune obligation de payer des intérêts moratoires pour le fournisseur de prestations tenu à restitution, à moins que cela soit prévu dans une convention tarifaire (ATF 139 V 82 consid. 3.3.1 p. 83 s.), ce qui n'est pas le cas.

15.    Quant à la demande reconventionnelle de la défenderesse tendant à la condamnation de la demanderesse à libérer l'entier des sommes afférentes aux prestations facturées par la défenderesse depuis le 1er juin 2018, sa recevabilité peut rester ouverte. Il appert en effet qu'elle doit être rejetée sur le fond.

S'agissant de la somme de CHF 840'615.- retenue par la demanderesse, celle-ci l'a valablement compensée avec sa créance en restitution de CHF 903'475.-, comme constaté ci-dessus. Elle était ainsi en droit de retenir cette somme.

En ce qui concerne le montant de CHF 450'406.-, il concerne des factures de la défenderesse pour des prestations fournies par des médecins sans autorisation de pratiquer à la charge de l'AOS dès le 7 juin 2018, selon les allégations non contestées de la demanderesse. Dès lors que la bonne foi de la défenderesse est niée dès le 3 janvier 2017 et qu'il est établi que, dès le début du deuxième moratoire, tous les médecins salariés devaient être au bénéfice d'une telle autorisation pour pouvoir demander le remboursement aux caisses-maladie, la demande en paiement de cette somme est infondée.

16.    La demande sera par conséquent partiellement admise et la défenderesse condamnée à rembourser la somme de CHF 62'860.- à la demanderesse.

Quant à la demande reconventionnelle, elle est rejetée, dans la mesure où elle est recevable.

17.    La procédure devant le Tribunal arbitral n’est pas gratuite (cf. art. 46 LaLAMal). Au vu de l'issue de la procédure, les frais de celle-ci, de CHF 14'700.-, et l'émolument de justice, fixé à CHF 3'000.-, seront mis à la charge des parties à parts égales.

18.    La défenderesse obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui est octroyée à titre de dépens.

 

 


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant

Au fond :

19.    Admet partiellement la demande principale.

20.    Condamne la défenderesse au paiement de CHF 62'860.- à la demanderesse.

21.    Rejette la demande reconventionnelle, dans la mesure où elle est recevable.

22.    Met les frais de la procédure de CHF 14'700.- et un émolument de justice de CHF 3'000.- à la charge des parties à parts égales.

23.    Condamne la demanderesse à verser à la défenderesse une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

24.    Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marguerite MFEGUE AYMON

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Office fédéral de la santé publique par le greffe le