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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2937/2021

ATA/987/2022 du 04.10.2022 ( PROF ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.11.2022, rendu le 03.08.2023, REJETE, 2C_915/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2937/2021-PROF ATA/987/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Marc Bellon, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Madame B______, née le ______ 1977, était une patiente de Monsieur A______, médecin spécialiste en médecine interne générale, titulaire du droit de pratique dans le canton de Genève depuis le 29 mai 2002. Elle était par ailleurs assurée auprès de C______ pour l'assurance-maladie de base.

2) Par courriel du 26 février 2017, le Dr D______, médecin-conseil de C______, a dénoncé M. A______ au service du médecin cantonal (ci-après : SMC). Mme B______ consultait de très nombreux médecins, dont M. A______. Celui-ci avait facturé des prestations pour 227 journées en 2015 et 246 journées en 2016. Les honoraires du médecin se montaient à CHF 212'250.- depuis le mois de septembre 2013, dont CHF 50'479.- de frais d'urgence. Le coût moyen facturé pour une consultation, hors urgence, avait été de CHF 271.-. Malgré plusieurs relances, le médecin-conseil n’avait reçu aucune réponse aux questions qu’il lui avait posées. La pratique de M. A______ était abusive et n'était ni crédible, ni déontologique. Compte tenu du « manque de discernement » de Mme B______, il prenait l'initiative de dénoncer M. A______.

3) Par courriel du 26 février 2017, le SMC a informé M. A______ de la dénonciation et lui a imparti un délai pour faire part de ses observations.

4) Dans le délai imparti, M. A______ a proposé de classer la dénonciation, le département chargé de la santé n'étant pas compétent.

5) Le 20 mars 2017, le SMC a transmis la dénonciation à la commission de surveillance des professions de la santé (ci-après : commission) pour raison de compétence.

6) Par courrier du 29 mars 2017, le bureau de la commission a ouvert une procédure à l'encontre de M. A______, dont l'instruction a été confiée à la sous-commission 2. Un délai a été imparti à celui-ci pour faire valoir ses observations. S’il estimait qu’il devait être délié de son secret professionnel pour apporter des réponses, il pouvait s’adresser soit à sa patiente, soit à la commission du secret professionnel. Si aucune violation de la loi n’était constatée, la commission procéderait au classement de la procédure. Dans le cas contraire, elle pouvait prononcer une sanction administrative ou émettre un préavis à l'intention du département chargé de la santé.

7) Dans ses courriers des 19 et 31 mai 2017, M. A______ a exposé qu'aucun manquement ne pouvait lui être reproché au regard de l'art. 40 de la loi fédérale sur les professions médicales compte tenu du fait que le dénonciateur n'avait pas allégué qu’il n’avait pas exercé sa profession « avec soin et conscience professionnelle ». Le reproche ne portait pas sur une multiplication d'actes mais sur le nombre de consultations, qui étaient toutefois des consultations courantes. Il n’avait pas porté atteinte à la santé ni aux droits de sa patiente, qui ne s’était pas plainte de lui.

La problématique relevait uniquement de la question de l'économicité de ses interventions au sens de l'art. 56 de la loi fédérale sur l'assurance maladie du 18 mars 1994 (LaMal – RS 832.10), question qui ne relevait pas de la compétence de la commission. Les particularités de la patiente étaient connues de son assureur, de sorte que tout ce que ce dernier lui avait réglé au titre de ses honoraires l'avait été en pleine connaissance de cause. Le C______ne payant plus ses consultations depuis le mois d'avril 2016, il œuvrait bénévolement depuis lors en faveur de sa patiente. Il s'était attaché à diminuer les consultations de celle-ci sans la mettre en danger.



La patiente consultait régulièrement les différents établissements hospitaliers du canton de Genève, dont les médecins-chefs lui avaient demandé que ce soit lui, le médecin traitant, qui la voie en priorité afin qu'elle évite d'engorger leurs services. Il avait convenu avec l'assistante sociale de la patiente qu'il la prendrait en charge durant les soirs de semaine ou à des horaires fixes durant les absences du psychiatre. Il se rendait régulièrement chez celui-ci pour aller chercher Mme B______ et la ramener à son domicile. Ensuite avait lieu une consultation par lui-même « réclamée par la patiente ». Celle-ci était chronophage et lui envoyait une multitude de sms avant et après les consultations. S’il ne programmait pas une consultation, elle l’appelait en urgence. Lorsque la consultation durait plus de trois heures, il ne facturait qu'une heure. Il ne facturait pas les déplacements pour rendre visite à la patiente car celle-ci était à même de se déplacer.

La patiente lui avait expliqué qu'elle subissait des violences domestiques mais qu'elle ne se séparait pas de son colocataire parce qu'elle craignait de rester seule. Elle avait d’ailleurs fait une tentative de suicide en raison de cette situation. Elle faisait des décompensations avec crises d'asthme jusqu'au spasme laryngé et perte de connaissance. Elle présentait des crises catatoniques, des vomissements et de l'urticaire sévère. Sa seule présence la calmait. Elle n'était toutefois pas sous curatelle et gérait seule ses affaires.

Il a contesté que ses consultations étaient superflues ou inappropriées. Les particularités du cas de la patiente l’avaient amené à devoir lui consacrer beaucoup de temps, d’entente avec d'autres professionnels de la santé, dont notamment son psychiatre avec lequel il avait toujours dû collaborer. Il aurait exposé sa patiente à des risques pour sa santé s’il n'avait pas donné suite à des demandes de consultation, notamment celles sollicitées en urgence. Dans le courant de l’année 2014, il avait fourni un rapport sur sa patiente au C______qui demandait des explications sur la quantité de consultations. À la suite de ce rapport, l’assurance-maladie avait continué de prendre en charge ses honoraires. Il n’avait pas changé de pratique et s’étonnait ainsi des reproches qui lui étaient faits. L’assureur avait ensuite suggéré de faire hospitaliser Mme B______, ce que celle-ci avait refusé. Depuis lors, C______avait cessé de payer ses factures.

La question de l’adéquation des demandes de consultation et celles-ci devaient s’examiner uniquement sous l’angle de l’économicité des coûts de la santé. Dès lors qu’il ne faisait pas l’objet de griefs de nature professionnelle,
il ne se justifiait pas de le libérer de son secret professionnel.

8) Par courrier du 6 juin 2017, la commission a informé le praticien que le bureau avait estimé que l'affaire méritait d'être éclaircie par le biais d’une instruction par une sous-commission.

En application des art. 22 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la commission pouvait librement apprécier l’attitude d'une partie refusant de produire les pièces et renseignements indispensables pour que cette autorité puisse prendre sa décision et qu'elle pouvait ainsi considérer comme établis les griefs reprochés au professionnel de la santé mis en cause qui refusait de coopérer à l'instruction. Il était ainsi dans l'intérêt de M. A______ de fournir les documents prouvant ses allégations et d'entreprendre les démarches nécessaires à la levée de son secret médical.

9) Le 17 juillet 2017, l’avocat de l’intéressé a cessé d’occuper et révoqué l'élection de domicile en son étude. Il a demandé que son client puisse disposer du temps nécessaire à la constitution d’un nouveau conseil.

10) La commission a imparti à M. A______ un délai au 15 septembre 2017 pour faire valoir ses observations et répondre aux griefs de C______.

11) Par courrier du 20 septembre 2017, la commission a informé Mme B______ qu’elle instruisait une procédure à l'encontre de M. A______ concernant sa prise en charge médicale. Elle devait déterminer si le médecin avait respecté ses obligations découlant de la loi sur la santé et lui demandait accès à son dossier médical, en signant le formulaire de levée du secret professionnel annexé.

12) Le 25 octobre 2017, la commission a accordé à M. A______, qui ne s’était pas manifesté, un ultime délai au 16 décembre 2017 pour faire valoir ses observations, en lui rappelant qu'il devait être préalablement délié de son secret professionnel. Dans le même délai, elle lui demandait de produire copie du dossier médical de sa patiente. S’il n'effectuait pas les démarches nécessaires pour être délié de son secret professionnel et ne faisait pas parvenir dans le délai imparti ses observations et le dossier médical, la sous-commission 2 pourrait considérer comme établis les griefs de C______, conformément à l’art. 22 LPA.

13) Le 30 octobre 2017, M. A______ a indiqué qu'il avait entrepris les démarches auprès de la commission du secret professionnel, mais que celle-ci souhaitait d’abord interpeller la patiente.

14) Par courrier du 13 février 2018, la commission du secret professionnel a informé la commission que la patiente avait refusé la levée du secret professionnel. La commission était ainsi invitée à motiver sa demande.

15) Par courrier du 22 mars 2018, la commission a exposé que M. A______ faisait l'objet d'une procédure disciplinaire. La levée de son secret professionnel se justifiait, car elle devait déterminer si les consultations effectuées par celui-ci en 2015 et 2016 étaient justifiées par la pathologie de la patiente. Il existait un intérêt privé du médecin à se défendre dans le cadre de la procédure disciplinaire.

16) Le 6 août 2018, la commission a indiqué à M. A______ que, partant du principe que la commission du secret professionnel avait levé son secret professionnel, il devait fournir ses observations au 7 septembre 2018.

17) Le 5 septembre 2018, M. A______ a exposé qu'il était convaincu d'avoir fait économiser de l’argent au C______en réduisant les consultations de Mme B______ au maximum tout en répondant aux nécessités de son cas.

18) Par courrier du 14 septembre 2018, la commission a rappelé au praticien qu’il lui appartenait de produire le dossier médical de sa patiente.

19) M. A______ a répondu, le 28 septembre 2018, qu'il avait déjà transmis le dossier médical.

20)
La commission a réitéré sa demande de recevoir copie du dossier médical de Mme B______, impartissant au médecin un délai au 10 novembre 2018.

21) Par courrier du 8 novembre 2018, M. A______ a fait valoir que, n’ayant pas été levé du secret professionnel, il ne pouvait donner suite à la demande de la commission.

22) Le 1er février 2019, la commission a demandé à M. A______ de lui transmettre copie de la décision de la commission du secret professionnel.

22. Le 15 février 2019, le praticien a transmis à la commission le procès-verbal de son audition par la commission du secret professionnel le 19 décembre 2017, dont il ressort qu’il avait discuté avec Mme B______ de la question de la levée de son secret professionnel et que celle-ci s'y était opposée, sa mère et son assistante sociale partageant cet avis.

Il avait rencontré la patiente pour la premièré fois en avril 2010 lorsqu’il travaillait pour E______ et l'avait revue à quatre reprises à la fin de l'année 2013 lorsqu'il exerçait pour F______. Elle l'avait consulté à son cabinet en 2014 et lui avait alors fait part de tous ses problèmes et demandé de l'aide. La patiente l'avait consulté à de nombreuses reprises et l'appelait également très souvent tant au cabinet que sur téléphone portable. Il ne la suivait plus depuis sept mois et l'avait suivie durant treize mois sans toutefois être payé. D'après le psychiatre de la patiente, elle souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique décompensé à la suite d’un harcèlement sur son lieu de travail ainsi que dans le cadre d’un conflit familial. La patiente aurait été victime d'un viol à l’origine du syndrome de stress post-traumatique.
Elle avait été hospitalisée à la Clinique de G______ et fait une tentative de suicide avant qu’il ne la prenne en charge. Elle était très angoissée et fragile. Elle vivait en colocation avec un homme souffrant de schizophrénie et de troubles paranoïaques, dont elle subissait des violences physiques et du harcèlement sexuel. Elle ne s’en séparait toutefois pas par crainte de vivre seule.

La patiente avait un traitement à base d'antidépresseurs et de plusieurs benzodiazépines. Le psychiatre estimait qu’il ne devait plus la prendre en charge et que la patiente s'était sentie mise sous pression notamment par son assurance pour qu’elle cesse de le consulter, ce qu’elle ne souhaitait toutefois pas. La convocation de Mme B______ devant la commission du secret professionnel serait vécue comme une humiliation par elle. Si elle devait être convoquée, il souhaitait être convoqué en même temps qu’elle. Il avait sollicité la levée de son secret professionnel afin de pouvoir produire copie du dossier médical devant la commission et répondre à celle-ci.

23) À la demande de la commission, la commission du secret professionnel lui a transmis une copie de la décision de levée partielle du secret professionnel de M. A______, rendue le 10 avril 2018, l'autorisant à transmettre à la commission « les seuls éléments de sa prise en charge de Mme B______ pertinents et nécessaires à sa défense ( ) tout en précisant que les informations concernant des tiers ne sont ni pertinentes ni nécessaires ».

M. A______ avait demandé que sa patiente ne soit pas informée de la procédure au motif que cela lui causerait « un grand tort ». Le conseil de la patiente avait affirmé que celle-ci ne pouvait être auditionnée par la commission du secret professionnel en présence de M. A______, dès lors que le comportement de ce dernier aurait nui à la santé de celle-ci, selon le certificat médical de son psychiatre. En outre, Mme B______ s'était opposée à la levée du secret professionnel « en raison d'agissements peu professionnels » du médecin.

24) Le 5 mars 2019, la commission a demandé à M. A______ de produire ses observations justifiant la prise en charge de sa patiente, telle que dénoncée par le C______, ainsi que tous les documents venant corroborer ses explications, soit, notamment, des extraits pertinents du dossier médical.

25) Par courrier du 19 mars 2019, l’ancien avocat du praticien s’est à nouveau constitué. Il souhaitait consulter le dossier de la commission du secret professionnel. Celle-ci a refusé l’accès aux éléments pour lesquels le secret professionnel n’avait pas été levé.

26) La commission a accepté de prolonger exceptionnellement le délai pour toute détermination au 15 avril 2019. Elle avait déjà transmis au mandant de l’avocat tous les documents constituant son dossier, mais ce dernier pouvait, s’il le souhaitait, venir consulter ledit dossier au greffe de la commission de surveillance.

27) Le 10 avril 2019, à la demande de l’avocat, la commission lui a remis copie de l’entier du dossier de M. A______.

28)
Par courrier du 15 avril 2019, l’avocat a fait valoir que compte tenu de la décision de la commission du secret professionnel, son mandant violerait le secret professionnel en communiquant tant à son conseil qu’à la commission les éléments de sa prise en charge de Mme B______, qui ne seraient ni pertinents ni nécessaires dans le cadre de la procédure en cours, de même qu'en communiquant toutes informations concernant des tiers, ces dernières informations étant réputées ni pertinentes ni nécessaires. Son client ne pouvait donc pas donner une suite à la demande de la commission tendant à ce qu’il lui remette une copie du dossier médical de Mme B______. Il lui était impossible de donner suite à la requête sollicitant la production de tous documents venant corroborer les explications de son mandant, soit, notamment, des extraits pertinents du dossier médical de sa patiente, étant précisé que celle-ci s'était opposée à la levée du secret professionnel.

Il se référait pour le surplus aux dispositions pénales relatives à la violation du secret professionnel et la contrainte.

29) Le 25 avril 2019, la commission a rappelé qu’elle ne sollicitait que les extraits pertinents du dossier, M. A______ étant à même de distinguer les éléments pertinents et nécessaires qu’il était autorisé à lui transmettre. Si d’autres personnes étaient mentionnées dans les extraits du dossier médical, il suffisait d’en caviarder le nom. Un ultime délai lui était imparti au 13 mai 2019 pour transmettre toutes observations et tout document pertinent du dossier médical.

30) Le 15 mai 2019, M. A______ a produit des déterminations de 15 pages, 33 rapports médicaux émanant de différents fournisseurs de soins couvrant la période allant du 14 décembre 2015 au 18 avril 2017 et diverses captures d'écran de son téléphone portable.

Mme B______ présentait trois « sortes de problèmes », à savoir psychiques, somatiques et sociaux.

a. Sur le plan somatique, elle souffrait de blocages musculaires dans le dos, d'éruptions cutanées, de détresses respiratoires asthmatiformes ainsi que d'allergies. Elle avait aussi une maladie du collagène, en lien avec une carence en vitamine C chronique résultant aussi bien des allergies alimentaires que de la sous-nutrition de la patiente, qui présentait un indice de masse corporelle de 15,5 (38 kilos pour 155 cm) au début de l'année 2014. La sous-nutrition était causée par l'anxiété de la patiente. Elle souffrait également de douleurs articulaires, de tendinites à répétition, de douleurs musculaires avec « blocage de dos tout le long de la colonne vertébrale ». Elle avait développé une dépendance au Valium, prescrit pour soulager ses douleurs. Le seul recours pour la « débloquer » étaient des injections de Valium et d'anti-inflammatoires. Il s'agissait d’une affection anormalement récurrente si on la comparait au reste de la population, due à la fragilité des insertions des courtes fibres musculaires du dos.

Elle souffrait aussi de mucite, de glossodynie ainsi que d'otalgie gauche pour laquelle, selon lui, il était « obligé » d'examiner la patiente à sa demande tous les jours, vu que le traitement d'une otite devait intervenir par antibiothérapie « si rien ne la faisait céder » dans les 24 heures. La patiente présentait également des fissures anales et des brûlures de la vulve. Il avait dû examiner la vulve de la patiente « très souvent » à la demande de celle-ci qui voulait « à tout prix » être rassurée.

Elle souffrait également de pollakiurie ou dysurie et réclamait « très souvent » un bilan urinaire simple pour rechercher une possible infection urinaire, qu'il ne retrouvait que très rarement. Elle se plaignait également de manière récurrente de douleurs abdominales. Il avait cherché à exclure une appendicite une fois. Il était par ailleurs « obligé » de l'examiner et avait constaté une coprostase. Elle présentait parfois des ulcérations de la muqueuse digestive et il était « obligé » de l’examiner à sa demande même si cela se produisait plusieurs fois par semaine. Elle avait diverses allergies et avait souffert d'un rash malaire en automne 2016 pendant plus de six mois. Il avait suspecté un « lupus érythémateux disséminé de type discoïde », dont il avait fait part à un allergologue. La patiente elle-même avait consulté plusieurs dermatologues, mais il n’avait pas pu obtenir de rapport de leur part. La patiente refusait en outre de se soumettre à d'autres investigations.

Elle souffrait également de gênes respiratoires qui se manifestaient par l'apparition soudaine d’une dyspnée ou d'une peine à déglutir. Elle réclamait alors une injection de Tavegyl et parfois du Ventolin mais refusait tout autre alternative.
La patiente se nourrissait et dormait peu, compte tenu de « sa course effrénée » aux consultations médicales. Il l’accompagnait au restaurant, ce qui lui avait permis de passer d’un indice de masse corporelle de 15,5 à 18,5. Il dispensait des consultations à heures fixes « pour la rassurer et éviter qu'elle aille consulter à tort et à travers les centres d'urgence ».

b. Sur le plan psychiatrique, Mme B______ souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique lié à un harcèlement sexuel sur son lieu de travail puis, plus tard, à une agression sexuelle. Elle avait fait une tentative de suicide et avait été hospitalisée à G______, où le diagnostic de trouble bipolaire et de personnalité émotionnellement labile de type borderline avait été posé. La patiente contestait ce diagnostic. Son comportement était marqué par des phases d'agitation psychomotrices durant lesquelles elle harcelait les médecins en leur posant des questions sur sa santé qui l'angoissaient. Elle adoptait le même comportement dans les centres d'urgences et il fallait la menacer de faire appel au service de sécurité pour la faire partir.

Mme B______ l’appelait cinq à dix fois par jour pour préparer la consultation de la soirée. Après celle-ci, elle le rappelait pour lui poser des questions discutées auparavant. Sa facturation ne correspondait pas à sa pratique quotidienne dès lors qu’il ne facturait qu'une heure, alors qu’il avait passé trois ou quatre heures de consultation. En 2014, elle lui avait dit qu'il était le seul à pouvoir la calmer et, de son côté, il pouvait observer ce « phénomène miraculeux qui donn[ait] espoir en un avenir, de trouver une personne normale à la fin de sa visite si [il avait] pu lui donner du temps dans un cadre serein ». Selon lui, il était le seul capable « d'enrayer sa course vers les consultations effrénées ». La psychologue de la patiente, son psychiatre et l’assistante sociale lui avaient demandé de ne pas « l'abandonner » et de maintenir des consultations régulières, afin d’éviter à la patiente de « s'épuiser physiquement ».

Les médecins somaticiens ne parvenaient pas à la prendre en charge. Le seul traitement efficace était un traitement massif de benzodiazépines, à défaut de quoi elle retombait dans des décompensations avec vomissements incoercibles, chutes sur état catatonique et étouffement par spasme laryngé jusqu'à la perte de connaissance.

c. Concernant le réseau social de sa patiente, celle-ci vivait dans un appartement exigu avec un colocataire « schizophrène paranoïaque en rupture de traitement » qui la frappait et harcelait sexuellement. Selon le médecin, cette présence était toutefois « indispensable » à sa patiente, qui ne supportait pas de se trouver seule. Il était au courant de cette situation depuis 2014 et, lors de conflits, elle lui demandait de rester joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui la rassurait. Elle lui avait confié qu’elle ne pouvait plus rester chez elle, que son logement était devenu sa prison. Elle avait pour habitude de se réfugier dans l’après-midi dans le cabinet de son psychiatre pour échapper à son colocataire. Il venait alors la chercher vers 18h30, la ramenait chez elle et attendait qu'elle prenne sa douche.

Le syndrome de stress post-traumatique requérait un soutien social et il s'était évertué à être ce soutien. Il avait dormi sur son canapé à plusieurs reprises pour qu'elle ne reste pas seule et afin de lui éviter une hospitalisation. Il l’avait accueillie à son domicile en guise d’hospitalisation lors d’une décompensation à la suite d’une rupture amoureuse en 2015. Une deuxième « hospitalisation à domicile » chez lui avait eu lieu lorsque la patiente avait décompensé après la visite de son beau-père et de sa mère. Il l’avait retrouvée accroupie sous la douche scandant son nom. Séchée, elle s’agrippait à lui. Il avait pu vite la calmer et l’avait amenée chez lui.

Il palliait les carences des services sociaux ; le reproche de polypragmasie était donc mal fondé. Il respectait le principe d'économicité puisqu'il avait sous-facturé le temps consacré à sa patiente. Il n’avait pas non plus facturé ses déplacements à son domicile ni la taxe d'urgence. La patiente était « hors norme » et chronophage et ne se rendait pas compte du temps qui passait.

La relation entre eux fonctionnait mieux qu’avec d'autres professionnels parce qu’il avait un « talent particulier développé au cours d'une vie différente de celle de la plupart de [s]es collègues ». La médecine était impuissante pour sa patiente. Il justifiait son investissement personnel par le fait qu’il « aimait l’aider ».

d. La plupart des 33 rapports médicaux produits émanaient des services d’urgence consultés par la patiente durant près de deux ans, faisant état de ses multiples plaintes ainsi que de ses troubles anxieux qui la menaient à consulter très régulièrement pour des motifs différents à chaque fois.

Le rapport du 17 novembre 2015 du Dr H______ de la consultation d'urgence du service médico-chirurgical de I______ indique : « J'ai essayé de faire comprendre à la patiente que ses consultations itératives deviennent dangereuses pour sa santé, parce qu'elle consulte plusieurs médecins (sans parler d'internet) pour la même pathologie bénigne, avec des avis parfois un peu divergeant [sic] qui ne font que renforcer ses angoisses
 ». Dans son rapport du 25 août 2014, le Dr J______, médecin auprès de E______, a posé le diagnostic de « névrose d'angoisse avec somatisation multiple ». Le Dr K______, exerçant également chez E______, du 27 novembre 2015, indique : « Je conseille à la patiente de vous revoir pour la prise en charge de son anxiété généralisée qui à mon avis est à l’origine de tous ses maux ».

e. M. A______ a aussi produit des captures d'écran de son téléphone portable comportant les échanges de SMS avec sa patiente. Celle-ci se manifestait très souvent, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit pour des questions médicales. Ils se tutoyaient et utilisaient des surnoms tels que « lapin » et « poussin ». Il en ressort aussi que M. A______ faisait des courses alimentaires et vestimentaires pour sa patiente.

31) Par la suite, M. A______ a tenté de trouver un accord avec C______ au sujet de ses honoraires.

32) Par courrier du 20 août 2020, la commission a informé le médecin que lors de leur séance du 2 septembre 2019, les membres de la sous-commission 2 avaient souhaité obtenir de sa part copie du dossier médical complet, notes de suites comprises. La décision de la commission du secret professionnel l’avait autorisé à transmettre à la commission les éléments pertinents et nécessaires à sa défense. La production de ces documents étaient in casu pertinente et nécessaire à la défense du praticien. Un délai au 21 septembre 2020 lui était imparti pour produire ces documents.

33) Le 15 septembre 2020, l’avocat du médecin a demandé à pouvoir à nouveau consulter le dossier.

34) Par courrier du 22 septembre 2020, la sous-commission a informé le médecin qu’à défaut de production du dossier médical complet de Mme B______, le 5 octobre 2020, elle procéderait conformément aux art. 22 ss LPA. Le même jour, le conseil de celui-ci a consulté le dossier.

35) Par courrier du 5 octobre 2020, M. A______ a fait valoir que la demande de production de l’intégralité du dossier médical était illicite, n’ayant que partiellement été délié du secret médical. Il avait ainsi déposé une plainte pénale contre la directrice de la commission et demandait à la sous-commission 2 de suspendre l’instruction de la procédure jusqu’à droit jugé sur sa plainte.

36) Le 23 décembre 2020, la sous-commission a indiqué que la suspension ne se justifiait pas et que l’instruction était close. Elle a précisé le nom des membres amenés à statuer en séance plénière.

37) Dans son préavis du 3 mai 2021, la commission a décrit la dénonciation de C______, les prises de position de M. A______ des 19 et 31 mai 2017 et 5 septembre 2018, le procès-verbal d’audition de celui-ci par la commission du secret professionnel, la décision de cette commission ainsi que la procédure devant elle.

a. À teneur de la dénonciation de C______, M. A______ avait facturé des prestations en faveur de Mme B______ lors de 227 journées en 2015 et 246 journées en 2016, ce qui n’était pas contesté. La commission constatait toutefois qu’en dépit d'un suivi particulièrement rapproché, l'état de la patiente n'avait manifestement montré aucune amélioration au fil du temps. Au contraire, la prise en charge de la patiente n’avait apporté aucune plus-value à cette dernière. Une prise en charge diligente aurait notamment commandé que M. A______ se concentre sur la problématique de névrose d'angoisse et d’anxiété généralisée relevée par ses confrères ainsi que sur la suspicion de « lupus », cette maladie pouvant, selon lui, expliquer les symptômes présentés par la patiente. Il aurait également dû être davantage « proactif » pour protéger sa patiente des violences subies de la part de son colocataire. Demeurer joignable en tout temps à la demande de la patiente ne relevait pas d’une prise en charge médicale ordinaire ni adéquate. L’argument selon lequel il voyait la patiente de manière prioritaire à la demande des services d’urgence était peu crédible, en sus de ne lui être d’aucun secours puisque cela n’avait pas empêché la patiente de consulter 51 dispensateurs différents pour 320 journées en 2016, à savoir une année après la prise en charge par M. A______. Faute d’avoir pu prendre connaissance des éléments pertinents du dossier médical de la patiente, la commission estimait que les seules explications fournies par le médecin ne permettaient, d'un point de vue médical, ni de justifier ses actes ni d'expliquer de manière objective une prise en charge d'une telle ampleur. Cette prise en charge n'avait donc pas été faite avec diligence et conscience professionnelle.

b. La relation entre le médecin et sa patiente allait au-delà d'une relation soignant/soigné et semblait davantage relever de la relation intime. Le degré de la distance thérapeutique entre le médecin et sa patiente était inadéquat et aucune mesure thérapeutique ne justifiait, notamment, que celui-ci fasse les courses de sa patiente, dorme à son domicile, aille régulièrement la chercher au cabinet de son psychiatre pour la ramener chez elle ou qu’ils s'attribuent des surnoms affectifs. Les soins médicaux n’étaient pas les seules fonctions du soignant et celui-ci devait également prendre en compte les besoins psychoaffectifs et sociaux de son patient. Il ne devait cependant pas s’impliquer personnellement dans les problèmes du patient qui ne faisaient pas l'objet de sa prise en charge. Sa prise en charge devait s’adapter au contexte et à l’état du patient. La juste distance permettait au soignant et à son patient de vivre la relation sans qu'elle porte atteinte à leur équilibre émotionnel/psychique, tout en conservant une proximité essentielle à l'élaboration d'une relation de confiance et à une prise en charge optimale.

La commission avait acquis la certitude que, par son comportement, le praticien avait créé un sentiment de dépendance de sa patiente à son égard, l'incitant à solliciter ses services de plus en plus fréquemment. Quand bien même celle-ci avait une tendance avérée à solliciter plus que de raison les services de son médecin, il appartenait à ce dernier, professionnel de la santé, de rétablir et maintenir le cadre adéquat qui s'imposait dans toute relation thérapeutique. À défaut, il se devait d’interrompre son suivi. Le médecin avait tenu une conduite inappropriée et fait preuve d’imprudence ainsi que de manque de discernement dans sa relation avec Mme B______. Elle était d’ailleurs convaincue qu'il avait abusé de sa faiblesse psychologique en créant une relation toxique violant par là même son devoir d'agir avec soin et conscience professionnelle.

c. Les explications fournies par M. A______ mettaient en exergue des gestes thérapeutiques inappropriés de la part de ce dernier, notamment l'examen de la vulve de la patiente et du toucher rectal. Une suspicion d’otite ne justifiait pas non plus un examen quotidien des oreilles, même à la demande expresse de la patiente. La multiplicité des examens – notamment l'examen quotidien des oreilles – n’était pas proportionnée à la pathologie que présentait la patiente.

d. La pratique de « l'hospitalisation à domicile » était également inappropriée. Le médecin l’avait justifiée par deux épisodes de décompensations sévères de sa patiente. Le psychiatre de cette dernière souhaitait la faire hospitaliser. On pouvait en déduire qu'elle nécessitait une prise en charge spécifique orientée vers un suivi psychiatrique que M. A______, spécialiste en médecine interne générale, n'était pas à même de fournir. Ainsi, il ne se justifiait pas qu'il prenne en charge la patiente sans le concours de psychiatres dans de telles circonstances, qui plus est hors de toute structure adéquate.

D'une manière générale, le médecin n’avait eu de cesse d’expliquer qu’il était « obligé » d'examiner la patiente à sa demande, tentant ainsi de justifier la multiplication d'actes qui lui était reprochée. Toutefois, en sa qualité de professionnel de la santé, il lui appartenait d'agir dans le seul intérêt de sa patiente même si cela impliquait de refuser certaines demandes manifestement absurdes. Or, en donnant systématiquement et aveuglément suite aux innombrables exigences de la patiente, le praticien avait indubitablement fait preuve de polypragmasie.

Enfin, le fait que la totalité des consultations dispensées n’ait pas été facturée n’était pas pertinent, le reproche de polypragmasie pouvant être retenu indépendamment de toute volonté d’enrichissement.

M. A______ n’avait ainsi pas exercé son activité avec soin et conscience professionnelle. Il avait adopté un comportement indigne de sa profession de manière chronique et à réitérées reprises et ce au détriment de la santé de sa patiente. Au lieu d’agir en professionnel consciencieux et diligent, il s’était positionné en seul et unique sauveur de Mme B______ sous prétexte d'un « talent particulier » que lui seul détiendrait et d’une mission dont l’auraient nanti ses confrères des services d'urgences. Ce faisant, il avait négligé de manière crasse ses devoirs professionnels, notamment en créant une co-dépendance entre lui et sa patiente et en entretenant une relation toxique avec celle-ci.

La commission était frappée par l’absence de recul de M. A______ durant toute la prise en charge de Mme B______ et l’absence de toute remise en question durant la procédure disciplinaire, lors de laquelle il avait fait preuve de désinvolture. Cette absence de remise en question laissait supposer qu’aucune amélioration n’était possible dans sa prise en charge médicale créant ainsi un danger pour la santé de futurs patients.

Le « manque flagrant » de coopération dont avait fait preuve M. A______ dans le cadre de l’instruction de la procédure était inacceptable. Le médecin s’était retranché derrière le refus de sa patiente de le lever de son secret médical et avait fait fi de la levée partielle de son secret par la commission du secret professionnel. Toutefois, l’obligation de respecter le secret médical ne protégeait pas uniquement la santé de l'individu, mais tenait également compte de la santé de la collectivité. Ce dernier élément restait un paramètre essentiel dans la pesée des intérêts entre secret médical et intérêt collectif dans les domaines où la santé publique pouvait être mise en danger.

Par son comportement obstructif, M. A______ avait fait preuve d’un manque de considération manifeste pour sa patiente. Pour l’ensemble de ces motifs, la commission envisageait le retrait définitif du droit de pratique de M. A______. En application du principe de la proportionnalité, elle proposait toutefois lasuspension temporaire de l’autorisation de pratiquer pour une durée de douze mois, déclarée exécutoire nonobstant recours.

38) Par courrier du 3 mai 2021, la commission a informé M. A______ qu’elle avait adopté, lors de sa séance plénière du 28 avril 2021, les conclusions de la sous-commission 2. Un préavis au sens de l'art. 19 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS ; K 3 03) était adressé au département de la santé et une décision de celui-ci lui parviendrait.

39) Le conseil de M. A______ a consulté le dossier du département le 26 mai 2021, sous réserve du préavis de la commission, considéré comme un document de travail interne, non consultable.

40) Par courrier du 27 mai 2021, l’avocat a indiqué au département que son mandant n’avait pu prendre connaissance que des reproches de C______. Il n’avait pas pu faire valoir tous ses arguments durant l’instruction puisqu’il ne connaissait pas les reproches formulés par la commission.

41) Par courrier du 4 juin 2021, le département a répondu que, de jurisprudence constante, le droit d’accès aux pièces du dossier ne s’étendait pas aux préavis établis par une autorité d’instruction à l’intention de l’autorité décisionnelle, comme le préavis de la commission. Son mandant avait été largement entendu au cours de la procédure devant la commission.

42) Par courrier du 11 juin 2021, M. A______ a réitéré sa demande d’accès au préavis de la commission en suggérant que ne lui soient remis que les faits essentiels reprochés.

43) Par arrêté du 9 juillet 2021, le département a retiré l’autorisation de pratiquer en qualité de médecin du M. A______ pour une durée de douze mois, en application des art. 127 al. 1 let. b et 128 al. 1 let b et al. 2 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03).

Sa demande visant à obtenir un résumé des faits essentiels reprochés n’était pas pertinente, dans la mesure où le département ne prenait aucune pré-décision et où les parties à une procédure n’avaient pas un droit à se prononcer sur une décision avant que celle-ci ne soit notifiée. Pour le surplus, les faits et manquements reprochés, détaillés, étaient ceux retenus par la commission.

44) À la suite d’un courrier de M. A______ d’accéder au préavis de la commission, le département a maintenu son refus.

45) Par acte déposé le 7 septembre 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cet arrêté, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu, principalement, au renvoi de la cause à la commission afin qu’elle complète l’instruction et qu’il soit dit qu’il devait être convoqué par la sous-commission 2 pour audition après transmission des éléments du dossier médical de sa patiente. Subsidiairement, il a demandé l’ouverture d’une « véritable instruction » du point de vue médical, « sur le fondement des considérants attendus de l’autorité pénale relatifs à la portée in concreto du secret médical », la possibilité de compléter son recours « sur le fondement desdits considérants » ainsi que l’audition des Drs L______, M______ et N______, tous psychiatres, O______, allergologue, H______, urgentiste, Madame P______, assistante sociale, et Madame Q______, psychothérapeute, afin de les entendre sur les difficultés posées par le suivi de Mme B______, la prise en charge de celle-ci et leur opinion relative au suivi prodigué par M. A______. Les psychiatres devaient indiquer les raisons pour lesquelles un placement à des fins d’assistance ne se justifiait pas.

À titre préalable, il a conclu à la suspension de la procédure dans l’attente de l’issue de la procédure pénale et à la production par le département du préavis de la commission.

La dénonciation avait porté sur un abus du nombre de consultations. Toutefois, la décision querellée retenait d’autres griefs, notamment en lien avec le suivi médical de sa patiente. Son droit d’être entendu avait été violé du fait qu’en raison de la libération partielle du secret médical, il n’avait pas pu répondre à la commission. C’était ainsi qu’il avait exposé son activité « de manière autonome et avec ses propres mots, parfois maladroits ou imprécis ». Ce faisant, il avait fait naître auprès de la commission de nouvelles questions concernant le suivi de sa patiente. Celles-ci s’étaient transformées en des griefs additionnels sur lesquels il n’avait pas pu se déterminer. En exigeant la transmission de l’entier du dossier médical, la commission avait demandé de la part du recourant une collaboration illicite. Le refus de suspendre l’instruction du dossier violait l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), « du point de vue tant de l’équité que du droit d’être entendu ». L’instruction de la cause devait donc être reprise par la commission. Si l’autorité pénale devait considérer que la décision de la commission du secret professionnel pouvait être comprise comme une libération totale du secret médical, le recourant pourrait produire l’ensemble du dossier et ses notes de suite et se défendre ainsi librement.

Dès lors que la sous-commission 2 ne disposait pas de son dossier médical, elle aurait dû l’entendre. Ce n’était que de cette manière que son droit d’être entendu aurait pu être garanti. Il n’avait pas pu identifier les pièces pertinentes à produire, faute de connaître les griefs lui étant adressés. Il était important qu’il ait accès au préavis de la commission, afin de pouvoir se déterminer sur les reproches dont il faisait l’objet.

À patiente exceptionnelle correspondait une prise en charge de nature exceptionnelle. La situation de sa patiente se caractérisait par une course effrénée aux consultations face à laquelle les professionnels de la santé se trouvaient désarmés. Aucun psychiatre n’avait préconisé le placement de Mme B______ aux fins d’assistance. Il serait intéressant d’entendre les Drs L______, M______ et P______, psychiatres, respectivement psychologue, sur les motifs pour lesquels ils n’avaient pas préconisé un tel placement. La médecin traitant précédente, la Docteure R______, ne l’avait pas non plus ordonné ni les médecins consultés aux services d’urgence. En outre, il redoutait un tantamen en cas d’hospitalisation non volontaire en milieu psychiatrique. S’en était suivie une prise en charge médicale et psychosociale progressive quasi quotidienne, afin de rassurer la patiente et la « délivrer, au moins transitoirement, de ses crises d’angoisse quasi quotidiennes ». Sa seule présence était « anxiolytique et donc déjà thérapeutique ». C’était ainsi par seule compassion qu’il avait consenti à dormir sur le canapé de sa patiente, qui en cas de crise ne pouvait envisager de rester seule dans son appartement. L’impossibilité d’hospitaliser celle-ci l’avait également conduit à l’héberger chez lui, dans sa chambre d’ami, « par pure compassion et empathie ». Cette manière de faire, certes singulière, avait rassuré la patiente. Les surnoms de « lapin » et « poussin » étaient le fait de Mme B______ et, comme le tutoiement avec son médecin, la rassuraient. Il n’avait jamais eu de relation intime avec elle.

Il n’était pas le seul médecin à avoir pratiqué des gestes thérapeutiques taxés d’inappropriés. La Dre S______, consultée aux urgences de la clinique des Grangettes, avait, en effet, noté que la patiente lui avait expliqué être, du fait d’avoir subi des sévices sexuels, extrêmement sensible à toute pathologie touchant sa sphère gynécologique. L’examen gynécologique qu’il avait pratiqué procédait également « de la dynamique de la rassurance dont la patient avait chroniquement besoin ».

Les violences domestiques subies étaient connues du psychiatre, de l’assistante sociale et de la psychologue de la patiente. Les deux premiers avaient préféré « laisser la situation telle quelle, possiblement en raison du plus grand risque encouru [ ] si le colocataire devait être finalement sorti de l’appartement commun ». Selon le recourant, la patiente tombait dans une profonde anxiété dès l’annonce d’un départ, ne serait-ce temporaire, de son colocataire.

Il n’avait pas d’obligation de résultat. Pendant sa prise en charge, Mme B______ n’avait pas commis de tentative de suicide. La non-amélioration de son état de santé pouvait ainsi déjà constituer une forme de succès thérapeutique. Par sa présence, il avait contribué à apaiser la problématique de la névrose d’angoisse et d’anxiété généralisée de sa patiente. La présence du « lupus » n’avait été diagnostiquée qu’en avril 2017 par un allergologue, auquel il avait référée la patiente. C’était cependant à une époque où, « soumis aux incessantes pressions exercées par C______», il avait « dû renoncer » à la prise en charge de Mme B______. C’était ainsi qu’il n’avait pas eu le temps d’organiser les démarches d’investigations afférentes à la suspicion de « lupus » qui venait de lui être communiquée.

Le département n’indiquait pas ce qu’il aurait dû faire au sujet des violences domestiques subies par sa patiente. Le psychiatre n’avait rien entrepris et agir à l’encontre du colocataire exposait la patiente au risque « vital de se retrouver au moins temporairement seule dans son appartement ». Il avait agi « comme il le pouvait auprès du colocataire » lors de ses visites au domicile de la patiente, alors que les autres professionnels n’avaient rien fait. En demeurant joignable en tout temps, il pouvait, au besoin, intervenir en situation de crise, y compris en cas de violences domestiques.

Il ne pouvait prouver que les services d’urgences médicales demandaient qu’il soit consulté par la patiente en priorité ; c’était toutefois « la réalité des choses ». D’ailleurs, certains de ces services avaient fait intervenir le service de sécurité pour faire évacuer Mme B______. Ses notes de suite et le dossier médical pouvaient justifier ses actes. Par ailleurs, il disposait d’une formation approfondie en psychiatrie, de sorte que le reproche selon lequel il ne pouvait dispenser des soins dans ce domaine était infondé.

C’était « gratuitement » que le département ne voyait pas l’intérêt thérapeutique à ce que le recourant fasse exceptionnellement les courses pour sa patiente ou dorme chez elle. Le degré de proximité entre soignant et patient n’avait pas à faire l’objet de « jugements rigides » de juristes, qui ne connaissaient pas la détresse de certains patients. La sous-commission aurait dû l’entendre, l’échange entre professionnels permettant de « conférer librement et finement » de la prise en charge de patients. Le fait de faire les courses de Mme B______ ne violait pas le serment d’Hippocrate, les courses alimentaires répondant à un besoin spécifique d’assistance.

Le sentiment de dépendance de Mme B______ s’exprimait à l’égard de tous les professionnels de la santé consultés par elle. Il était nécessaire qu’il puisse s’expliquer de vive voix devant ses pairs sur le reproche d’avoir abusé de la faiblesse psychologique de celle-ci en créant une relation toxique. Mme B______ ayant besoin d’être rassurée sur le plan somatique, les gestes critiqués, tels qu’inspecter son oreille ou ses organes génitaux, avaient pour but de la rassurer. L’« hospitalisation à domicile » était intervenue dans le contexte d’une décompensation de deux jours.

Donner suite à des demandes « manifestement absurdes » pouvait « entrer dans la logique de prise en charge médicale à vocation d’assurance ». Le reproche du département de polypragmasie était abordé « avec une grande ignorance du terrain ».

Enfin, il réfutait les jugements de valeur tels que « comportement indigne », « co-dépendance », « relation toxique ». Le recourant, d’entente avec le Dr M______, qui avait insisté pour que la réduction des consultations chez le recourant se fasse de manière progressive, avait commencé à les réduire, avant toutefois de devoir cesser « brutalement » son suivi.

Les professionnels de la santé ayant entouré la patiente devraient être entendus pour recueillir leur opinion sur le suivi effectué par le recourant. Si l’état de santé de la principale intéressée le permettait, elle devait aussi être entendue à ce sujet. Son ancienne secrétaire, Madame T______, pouvait venir témoigner du « harcèlement » dont le recourant avait fait l’objet de la part de sa patiente. Il répétait qu’il avait voulu éviter à cette dernière de revivre une situation d’abandon, en ne l’abandonnant pas.

S’il n’était pas possible qu’il s’exprime devant la sous-commission, il demandait, en application de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH – RS 0.101), à pouvoir l’être par la Cour de justice.

Il s’était soucié de l’observation de son secret médical, alors que la commission avait exercé des pressions pour obtenir des informations couvertes par celui-ci. Le reproche de manque de collaboration tombait à faux, sauf à considérer que ce qui était légalement exigible de sa part ne dépendait que de la seule appréciation des membres de la commission. Celle-ci ne pouvait pas exiger plus de sa part que ce que la commission du secret professionnel avait décidé. L’ordonnance du Ministère public du 8 janvier 2022 confirmait sa propre position. Il convenait donc de suspendre la présente procédure dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

46) Le département a conclu au rejet du recours.

Il n’y avait pas lieu de suspendre la présente procédure. La procédure pénale était sans incidence sur celle-ci. Même si elle devait aboutir à une sanction, elle demeurerait sans influence sur les faits, d’ores et déjà établis, apportés par le recourant.

Le recourant avait pu, tout au long de l’instruction menée par la commission, se déterminer, apporter des pièces au sujet de la prise en charge de sa patiente et consulter le dossier. En sa qualité de médecin, il devait savoir que les informations fournies par ses soins ne permettaient pas de justifier ses actes ni d’expliquer l’ampleur de sa prise en charge. Les problèmes de Mme B______ étant d’ordre avant tout psychologique, il devait savoir qu’il n’était pas habilité à la soigner, n’étant pas spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Son secret professionnel avait, certes, été levé partiellement. Il avait toutefois produit des informations, qui étaient suffisamment étayées pour étendre l’instruction, dès lors qu’elles contenaient des faits constitutifs d’une violation grave de ses devoirs professionnels. Il ne pouvait être reproché au département de ne pas avoir pris en compte l’ensemble du dossier médical, le recourant ayant tardé à fournir les informations dans un premier temps, puis transmis des informations suffisantes pour retenir les « infractions » aux devoirs professionnels sans qu’il soit nécessaire de disposer de l’ensemble du dossier médical. Au vu des arguments avancés par le recourant, des éléments au dossier et de l’analyse effectuée par la commission, le département avait estimé que la production du dossier médical de Mme B______ ou d’observations complémentaires du recourant n’était pas nécessaire. Le département avait suivi le préavis de la commission, annexé à sa réponse, qui avait été établi dans le respect du droit d’être entendu du recourant. Aucune violation de ce droit n’avait donc eu lieu.

Le degré de la distance thérapeutique entre le médecin et sa patiente était inadéquat et aucune mesure thérapeutique ne justifiait, notamment, que celui-ci fasse les courses de sa patiente, dorme à son domicile, aille régulièrement la chercher au cabinet de son psychiatre pour la ramener chez elle ou qu'ils s'attribuent des surnoms affectifs. Le médecin ne devait pas s’impliquer personnellement dans les problèmes du patient, qui ne faisaient pas l'objet de sa prise en charge. La juste distance permettait au soignant et à son patient de vivre la relation sans qu'elle ne porte atteinte à leur équilibre émotionnel/psychique, tout en conservant une proximité essentielle à l'élaboration d'une relation de confiance et à une prise en charge optimale.

Le recourant avait créé un sentiment de dépendance de sa patiente à son égard, l’incitant à solliciter ses services de plus en plus fréquemment. Même si celle-ci sollicitait plus que de raison les services de son médecin, il appartenait à ce dernier de rétablir et maintenir le cadre adéquat qui s’imposait dans toute relation thérapeutique ou d'interrompre son suivi. La conduite du médecin avait été inappropriée et il avait fait preuve d’imprudence et d’un manque de discernement dans sa relation avec sa patiente, « abusant de la faiblesse psychologique de sa patiente en créant une relation toxique violant par là même son devoir d'agir avec soin et conscience professionnelle ».

L’examen de la vulve de la patiente et le toucher rectal constituaient des gestes thérapeutiques inappropriés. Une suspicion d’otite ne justifiait pas non plus un examen quotidien des oreilles. La multiplicité des examens — notamment l’examen quotidien des oreilles — n’était pas proportionnée à la pathologie que présentait la patiente.

« L'hospitalisation à domicile » était également inappropriée. Le recourant l’avait justifiée par deux épisodes de décompensations sévères de sa patiente. Le psychiatre de cette dernière souhaitait la faire hospitaliser. Il en découlait la nécessité d’une prise en charge psychiatrique que le recourant n'était pas à même de fournir. Dans de telles circonstances, il ne pouvait la prendre en charge sans le concours de psychiatres, qui plus est hors de toute structure adéquate.

D’une manière générale, le médecin avait tenté de justifier la multiplication d’actes par le fait qu’il était « obligé » d’examiner la patiente à sa demande. Or, il lui appartenait d’agir dans le seul intérêt de sa patiente même si cela impliquait de refuser certaines demandes manifestement absurdes. En donnant systématiquement suite aux demandes de sa patiente, le recourant avait fait preuve de polypragmasie.

Le recourant avait adopté un comportement indigne de sa profession de manière chronique et réitérée, au détriment de la santé de sa patiente. Au lieu d’agir en professionnel consciencieux et diligent, il s’était positionné en seul sauveur de Mme B______ sous prétexte d'un « talent particulier » qu’il détiendrait et d’une mission dont l’auraient nanti ses confrères des services d'urgences. Ce faisant, il avait négligé de manière crasse ses devoirs professionnels, notamment en créant une « co-dépendance » entre lui et sa patiente et en entretenant une relation toxique avec elle.

La gravité de faits justifiait le retrait du droit de pratique, dont le département, dans le respect du principe de la proportionnalité, avait limité la durée à douze mois.

47) Dans sa réplique, le recourant a insisté sur le fait qu’il ne connaissait pas les reproches qui lui étaient faits, hormis ceux articulés par le C______. Il aurait dû en avoir connaissance avant que la commission établisse son préavis. La commission avait considéré que la production du dossier médical de Mme B______, notes de suite comprises, était nécessaire avant qu’il soit auditionné par elle ; ainsi, la commission soutenait le contraire de ce que le département affirmait, qui estimait que la commission était fondée à mettre un terme à son instruction.

Le Dr M______ avait cautionné l’« hospitalisation à domicile », qui avait été discutée dans son cabinet. Il produisait un échange de SMS avec l’assistante sociale de sa patiente, qui démontrait que les intervenants impliqués dans le suivi rapproché de celle-ci étaient informés et cautionnaient la prise en charge exceptionnelle dispensée par le recourant.

Il ressort de cet échange que « B______ stresse », car elle pensait que le recourant ne passerait pas chez elle. L’assistante sociale demandait : « Est-ce que tu penses venir et est-ce que tu viens la prendre chez Walker ? ». Il avait répondu ne pas « venir chez Walker » ni pouvoir passer chez sa patiente.

48) Lors de l’audience, qui s’est tenue le 12 septembre 2022 devant la chambre administrative, le recourant a produit l’arrêt de la chambre pénale de recours confirmant la décision de classement de la plainte formée contre la secrétaire de la commission. Son avocat a exposé qu’il avait renoncé à le contester devant le Tribunal fédéral pour des raisons procédurales, quand bien même il n’adhérait pas au raisonnement tenu.

Le recourant a confirmé qu'en 2014 déjà, C______ l'avait interpellé au sujet du nombre de consultations en faveur de Mme B______. Sa détermination écrite était restée sans suite. Après la fin de sa prise en charge de cette patiente en mai 2017, il ne l’avait plus reçue au cabinet. Il l’avait croisée une fois dans la rue et elle lui avait alors dit qu’elle se faisait tabasser tous les jours par son colocataire parce que le recourant n’était plus là. Il lui avait proposé de revenir le voir, sans qu’il facture les consultations, mais elle n'avait pas réagi à cette proposition.

Lorsqu’il la suivait, elle était parfois dans un état d'agitation psychomotrice tel que la seule manière de sortir de cette agitation était de lui proposer d'aller manger ou faire autre chose, pour l'extraire de discussions « tournant en rond ». Par moments, il l’invitait deux fois par semaine au restaurant. Il avait cessé lorsque l’assureur n’avait plus pris en charge ses notes, étant précisé qu’il ne facturait pas les frais ni le temps passé au restaurant. En faisant les courses alimentaires, quelques rares fois, il s’était rendu compte du fait que Mme B______ se nourrissait de manière non-équilibrée. Parfois en se rendant chez un patient et en ouvrant son frigo, ce qui avait été le cas de Mme B______, on se rendait compte « de beaucoup de choses ».

Un moment donné, la secrétaire de l’acupuncteur qui suivait la patiente avait proposé une réunion de réseau regroupant les médecins et l'assistante sociale en charge de celle-ci. Mme B______ avait toutefois refusé de participer à une telle réunion indiquant que si celle-ci se faisait, « elle [les] quitterait ». Il n'avait pas insisté, car le clivage et le fait de séparer les différents intervenants faisaient partie de la personnalité de la patiente.

Elle avait refusé l’hospitalisation qu’il avait proposée au courant de l'année 2016 en vue d’investiguer l’existence d'un lupus. Il n’avait pas eu le temps de faire d’autres investigations car l’assureur avait cessé sa prise en charge. Il a précisé à cet égard qu’un soir, alors qu’il se trouvait chez elle, il avait eu un entretien téléphonique avec la mère de celle-ci qui estimait nécessaire de faire une prise de sang pour connaître l’état des vitamines dans le sang. Il était rentré très tard chez lui car la patiente ne le « lâchait pas ». Le lendemain matin, Mme B______ avait pris les devants pour faire procéder à l’analyse de sang. Il en était alors ressorti qu’elle souffrait de scorbut. Cela avait eu lieu fin février/début mars 2017.

Il n’avait pas cessé de suivre Mme B______ du jour au lendemain en raison des problèmes rencontrés avec l'assureur. À partir de janvier 2017, il avait expliqué au psychiatre de Mme B______ qu’il ne pouvait plus se rendre tous les jours chez celle-ci en fin de journée s’il n'était plus payé. En accord avec le psychiatre et l’assistante sociale, il avait ainsi progressivement réduit les consultations au fil des semaines.

Il avait rencontré des difficultés avec le psychiatre de Mme B______, qui se réfugiait derrière son secret professionnel et partageait peu avec lui les préoccupations médicales qu’ils pouvaient avoir. À la demande de sa patiente qui souhaitait changer de psychiatre, il avait pris contact avec un ami psychiatre. Lorsque le Dr M______ en avait eu connaissance, il avait pris contact avec U______, qui lui avait indiqué qu’il ne devait plus suivre Mme B______ ; celle-ci se sentait stressée par ses demandes d'arrangements avec l'assurance. C'était ce que lui avait raconté la patiente. Il estimait ainsi que le Dr M______ avait cherché à l'« écarter » du suivi de cette patiente. La situation avec l’assurance, le Dr M______ et l'intervention de U______ était devenue ingérable et avait conduit à sa cessation progressive du suivi de Mme B______.

Il avait perdu des patients car il n'arrivait plus à se lever le matin en raison de l’intensité du suivi de Mme B______. CHF 98'000.- d'honoraires demeuraient impayés en relation avec les soins prodigués à celle-ci, étant rappelé qu’il n’avait pas facturé l’intégralité de ses prestations. Aucun autre assureur ne posait de questions au sujet de ses notes.

L’avocat du recourant a précisé que malgré ses efforts auprès de l'assurance et de U______, aucun arrangement n'avait pu être trouvé au sujet des honoraires de son client. La perte de chiffre d'affaires avait été très importante. Il estimait que l'instruction du dossier avait été insuffisante et entravée par la problématique du secret médical. Une instruction ne pourrait se faire que par des médecins.

À l’issue de l’audience, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

49) Il ressort de l’ordonnance de classement que les demandes répétées de la directrice de la commission visant la production du dossier médical par le recourant étaient légitimes, le dossier de la patiente faisant nécessairement partie des éléments utiles et pertinents pour examiner une éventuelle violation de la loi commise par le praticien dans la prise en charge de la patiente. La demande de la production du dossier médical « complet » était, certes, « malencontreuse ». Toutefois, la directrice s’était, dans les courriers en question, expressément référée à la décision du secret professionnel, qui avait autorisé le médecin à transmettre les seuls éléments « pertinents et nécessaires à sa défense ». Dans ses précédents courriers, elle avait d’ailleurs sollicité les « extraits pertinents » du dossier médical, relevant que le recourant était parfaitement à même de les distinguer. Dès lors que la directrice était demeurée dans le cadre de ses prérogatives, que le but était légitime et qu’elle n’avait pas eu recours à des moyens disproportionnés, les éléments constitutifs tant objectifs que subjectifs d’un abus d’autorité et de la contrainte faisaient défaut.

50) Dans son arrêt du 12 mai 2022, la chambre pénale de recours a retenu que la directrice de la commission n’avait fait qu’envoyer la correspondance nécessaire à l’instruction de la cause, pour la plupart adressée au conseil du médecin. Ce dernier était parfaitement à même d’évaluer la portée des requêtes formulées et de leur donner leur véritable signification, voire, ce qu’il ne s’était pas privé de faire, d’en contester la pertinence. La mise en cause avait agi dans le cadre de la loi cantonale régissant la dénonciation d’un médecin et n’avait commis « un excès d’appréciation » qu’après avoir rencontré une opposition « souvent prolixe, dilatoire, éloignée de la décision de la commission du secret professionnel, dont son bénéficiaire a[vait] tu l’existence pendant plusieurs mois. Cette obstruction systématique, pratiquée durant plus de deux ans afin de ne pas répondre à des griefs clairs, a[vait] généré une crispation dont le recourant ne saurait se prévaloir. Il devait parfaitement savoir ce qu’il était en droit de communiquer mais n’a[vait] pas donné suite aux requêtes de la commission, démontrant ainsi qu’il n’était pas sensible à leur contenu et ne subissait aucune contrainte ». Ces requêtes s’appuyaient sur une base légale claire et reconnaissable. Il n’y avait ainsi ni abus d’autorité ni tentative de contrainte, quand bien même les courriers des 20 août et 22 septembre 2020 mentionnaient la volonté de la sous-commission de recevoir l’intégralité du dossier. Certes, la mise en cause eût pu le censurer mais ces missives étaient restées sans conséquences pour le recourant, qui avait immédiatement identifié les maladresses en cause.

Les questions relatives à la portée du secret professionnel et aux modalités de son respect relevaient d’une appréciation que le recourant était le mieux à même d’effectuer. La longue obstruction affichée démontrait l’inexistence de contrainte à son égard. Il avait résisté aux courriers qu'il recevait sans problème ni conséquences. « En l’absence d'excessives violences scripturales ou de menace d’un dommage sérieux, la perspective d’une amende susceptible d’être judiciairement contestée ne pouvant constituer l’une ou l’autre de ces circonstances, la tentative de contrainte [était] également inexistante ».

Le courrier du Ministère public du 8 janvier 2021 ne constituait pas une mise en prévention mais les motifs de l'ouverture d’instruction nécessaires aux premiers actes d’enquêtes devant être accomplis ; il ne constituait nullement une formalité dont le recourant pouvait déduire une volonté de poursuivre la mise en cause.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Le recourant sollicite la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale initiée par ses soins. La procédure pénale s’étant terminée par l’arrêt de la chambre pénale de recours, devenu définitif, ce chef de conclusions est devenu sans objet.

Il en va de même de la production du préavis de la commission, qui a été produit avec la réponse de l’intimé.

3) Le recourant demande l’audition des Drs L______, M______, N______, O______, H______, de Mme Q______, assistante sociale, et Mme P______, psychothérapeute, afin de les entendre sur les difficultés posées par le suivi de Mme B______, la prise en charge de celle-ci et leur opinion relative au suivi prodigué par lui. Les psychiatres devaient indiquer les raisons pour lesquelles un placement à des fins d’assistance ne se justifiait pas. Sa secrétaire pouvait témoigner du « harcèlement », dont il avait été l’objet de la part de sa patiente. Si l’état de santé de celle-ci le permettait, elle devait également être entendue.

a. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit à l’audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. En l’espèce, il ressort du dossier que Mme B______ était extrêmement demanderesse de consultations médicales. L’audition des médecins l’ayant reçue ainsi que de la secrétaire du recourant ne paraît ainsi pas nécessaire pour établir ce fait. Par ailleurs, l’avis des autres médecins, de l’assistante sociale et de la psychothérapeute sur la manière dont le recourant a pris en charge Mme B______ ne saurait se substituer à celui de la commission, composée de professionnels de la santé. En outre, il n’y a pas lieu de déterminer si un placement aux fins d’assistance aurait dû être ordonné, ce point ne faisant pas l’objet de la présente procédure. Enfin, la perception par la patiente des soins reçus n’est pas de nature à apporter des éléments pertinents quant à leur adéquation.

Au vu de ce qui précède, les auditions sollicitées ne sont pas de nature à apporter des éléments ne ressortant pas déjà du dossier ou pertinents pour trancher le litige. Il n’y sera ainsi pas donné suite.

4) Le recourant invoque plusieurs violations de son droit d’être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, notamment du fait qu’il n’a pas eu accès au préavis de la commission avant le prononcé de la décision querellée.

a. L’art. 6 CEDH est applicable au contentieux disciplinaire dont l’enjeu est potentiellement le droit de continuer à pratiquer une profession à titre libéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_539/2020 du 28 décembre 2020 consid. 3.1) dans le cadre des procédures menées par les autorités judiciaires, mais non administratives à l’instar de l’autorité intimée et a fortiori de la commission (arrêt du Tribunal fédéral 2C_66/2013 du 7 mai 2013 consid. 3.2.1).

Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2021 du 13 juin 2022 consid. 3.1). Il n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

Au plan cantonal genevois, l’art. 41 LPA dispose que les parties ont le droit d’être entendues par l’autorité compétente avant que ne soit prise une décision. Elles ne peuvent prétendre à une audition verbale sauf dispositions légales contraires. L’art. 42 al. 4 LPA précise que les parties ont le droit de prendre connaissance des renseignements écrits ou des pièces que l’autorité recueille auprès de tiers ou d’autres autorités lorsque ceux-ci sont destinés à établir des faits contestés et servent de fondement à la décision administrative. Par ailleurs, les parties et leurs mandataires sont admis à consulter au siège de l’autorité les pièces du dossier destinées à servir de fondement à la décision (art. 44 al. 1 LPA).

b. En l’espèce, le recourant soutient d’abord qu’il n’a pas eu accès au préavis de la commission et de la sous-commission 2, de sorte qu’il n’a pas pu se déterminer à leur propos avant que la décision litigieuse ait été rendue.

Il perd toutefois de vue que, selon la jurisprudence constante, les préavis sont des documents internes à l’administration, qui sont préparatoires à la décision. Ils ont pour objet d’aider l’autorité compétente à se forger une opinion, souvent sur des questions techniques. Dépourvus de conséquences juridiques directes sur la situation des administrés, ils n’ont pas à être communiqués avant la prise de la décision entreprise et aucun droit d’être entendu n’existe à leur sujet, à ce stade de la procédure, l’idée étant que leur contenu pourra être discuté dans le recours interjeté contre la décision préavisée, dans la mesure et pour autant que le préavis litigieux ait été suivi par l’autorité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_66/2013 précité consid. 3.2.2 ; ATA/324/2016 du 19 avril 2016 consid. 6c).

Tel est le cas en l’occurrence s’agissant du préavis de la commission, laquelle est intervenue comme autorité d’instruction au sens des art. 7 al. 1 let. a et 19 LComPS avant la prise de décision du département (ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 3b). Ce préavis répond à la définition de l’acte interne à l’administration, destiné à faciliter la tâche de l’organe de décision, et n’avait ainsi pas à être soumis au recourant avant la prise de la décision par le département, pas plus du reste que les préavis ou conclusions de la sous-commission avant la séance plénière de la commission. Le préavis de la commission du 3 mai 2021 a au demeurant été versé au dossier à l’appui des observations de l’autorité intimée du 8 novembre 2021. Le recourant a ainsi été en mesure d’en prendre connaissance et de se prononcer sur les faits retenus et les reproches formulés dans ce préavis, qui sont d’ailleurs repris dans la décision entreprise, étant rappelé que la chambre de céans dispose d’un libre pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 61 LPA).

c. Le recourant fait également valoir une violation de son droit d’être entendu du fait qu’en raison de la libération partielle du secret médical, il n’avait pas pu répondre à la commission.

Ce grief tombe également à faux. La commission du secret professionnel avait levé celui-ci en l’autorisant à communiquer les « éléments de sa prise en charge de Mme B______ pertinents et nécessaires à sa défense ». Le recourant disposait donc de la possibilité de faire valoir son droit d’être entendu. Certes, les courriers des 20 août et 22 septembre 2020 mentionnaient la volonté de la sous-commission de recevoir l’intégralité du dossier. Ces courriers faisaient toutefois suite à d’autres, qui avaient sans succès invité le recourant à produire les éléments du dossier médical de sa patiente « pertinents et nécessaires à sa défense ». Compte tenu de la décision de la commission du secret professionnel autorisant le recourant à produire les éléments du dossier médical de sa patiente pertinents et nécessaires à sa défense et des autres communications de la commission invitant le recourant à les produire, il n’existait aucun doute sur la portée de ce qui était requis de sa part. Au contraire et comme l’a exposé la chambre pénale de recours dans sa décision confirmant le classement de la plainte déposée contre la directrice de la commission pour tentative de contrainte et abus d’autorité, le recourant était le mieux à même d’effectuer le tri des éléments pertinents et nécessaires à sa défense. Il a toutefois choisi de ne pas procéder à ce choix, préférant produire son propre compte rendu. Dans ces conditions, il ne peut se plaindre de la violation de son droit d’être entendu.

Par ailleurs, il est ressorti de la procédure pénale que la collaboration exigée par la commission de la part du recourant n’avait rien d’illicite. Dans la mesure où cette question a été examinée au terme d’une procédure ayant largement donné l’occasion au recourant de se déterminer et qui a conduit à un arrêt circonstancié et minutieusement motivé, la chambre de céans n’a pas de motif de s’écarter de l’analyse faite par les juges pénaux.

d. Le refus de la commission de suspendre l’instruction du dossier dans l’attente de l’issue de la procédure pénale – point également critiqué par le recourant – a fait l’objet d’une décision que le recourant n’a pas contestée. Il est ainsi forclos à s’en plaindre.

e. Comme exposé plus haut (consid. 4.a), la commission n’avait pas d’obligation d’entendre oralement le recourant. Celui-ci ne disposait pas d’un tel droit, d’une part. D’autre part, dès lors qu’il estimait ne pas être autorisé à donner des informations sur le suivi médical de sa patiente, son audition par la commission paraissait vaine. Par ailleurs, la commission était libre de la manière dont elle entendait procéder à l’établissement des faits. La production requise des pièces essentielles et pertinentes du dossier médical était un moyen de preuve particulièrement adéquat pour examiner la prise en charge médicale assurée par le recourant.

Enfin, le recourant savait que la procédure avait été déclenchée par la dénonciation de l’assurance, qui lui reprochait un excès de consultations et une pratique « abusive », « pas crédible » et « pas déontologique ». Il était ainsi à même de cerner ce sur quoi portait l’examen de la commission. Par ailleurs, dans la mesure où la commission s’est fondée sur les faits que le praticien a lui-même portés à la connaissance de celle-ci, il ne peut, de bonne foi, prétendre ne pas avoir su sur quels éléments l’autorité de surveillance allait se prononcer.

Au vu de ce qui précède, les griefs de violation du droit d’être entendu seront rejetés.

5) Le recourant conteste avoir commis des manquements dans le suivi médical de Mme B______.

a. Le 1er septembre 2007 est entrée en vigueur la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11). Certains des articles de cette loi ont fait l’objet d’une modification entrée en vigueur le 1er janvier 2018, puis le 1er février 2020. Toutefois, ces modifications n’ont pas d’effet sur l’objet du présent litige, si bien que la LPMéd dans sa teneur la plus récente sera exposée ci-dessous.

b. La LPMéd a notamment pour but d’établir les règles régissant l’exercice de la profession de médecin à titre d’activité économique privée sous propre responsabilité professionnelle (art. 1 al. 3 let. e et art. 2 al. 1 let. a LPMéd). Au titre des devoirs professionnels, l’art. 40 LPMéd prévoit que les personnes qui exercent une profession médicale universitaire sous leur propre responsabilité professionnelle doivent exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation (let. a), garantir les droits du patient (let. c) et observer le secret professionnel conformément aux dispositions applicables (let. f).

Les devoirs professionnels ou obligations professionnelles sont des normes de comportement devant être suivies par toutes les personnes exerçant une même profession. En précisant les devoirs professionnels dans la LPMéd, le législateur poursuit un but d’intérêt public. Il ne s’agit pas seulement de fixer les règles régissant la relation individuelle entre patients et soignants, mais aussi les règles de comportement que le professionnel doit respecter en relation avec la communauté. Suivant cette conception d’intérêt public, le respect des devoirs professionnels fait l’objet d’une surveillance de la part des autorités cantonales compétentes et une violation des devoirs professionnels peut entraîner des mesures disciplinaires (ATA/941/2021 du 14 septembre 2021 consid.7d et les références citées).

c. Au niveau cantonal, les droits et devoirs des professionnels de la santé sont traités dans la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), qui s’applique à tous les professionnels de la santé (art. 71A et 80 LS), notamment les personnes exerçant la profession médicale universitaire de médecin (art. 1 al. 1 let. a du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006 - RPS - K 3 02.01).

Une modification législative est entrée en vigueur le 2 juin 2021. Toutefois, en l’absence de dispositions transitoires, la loi applicable est celle en vigueur au moment où les faits pertinents pour le point à trancher se sont produits (ATF 140 II 134 consid. 4.2.4), de sorte qu’il sera uniquement fait référence aux dispositions de la LS dans leur ancienne teneur (ATA/941/2021 précité consid.7c).

d. Le professionnel de la santé doit veiller au respect de la dignité et des droits de la personnalité de ses patients (art. 80A al. 1 LS). Selon l’art. 84 LS, il ne peut fournir que les soins pour lesquels il a la formation reconnue et l’expérience nécessaire (al. 1). Il doit s’abstenir de tout acte superflu ou inapproprié, même sur requête du patient ou d’un autre professionnel de la santé (al. 2).

Le médecin doit accomplir tous les actes qui paraissent appropriés selon les règles de l’art médical, lesquelles constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 133 III 121 consid. 3.1). Une violation des règles de l’art médical est réalisée lorsqu’un diagnostic, une thérapie ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l’état de la science ou sort du cadre médical considéré objectivement ; le médecin ne répond d’une appréciation erronée que si celle-ci est indéfendable ou se fondait sur un examen objectivement insuffisant (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 ; 120 Ib 411 consid. 4a). Des exigences inconsidérées du patient peuvent d’ailleurs justifier une résiliation du mandat de la part du médecin (Yves Donzallaz, Traité de droit médical, vol. II : le médecin et les soignants, Berne 2021, p. 2477-2478, S 5171).

D’une manière générale, le médecin est soumis au principe dit d’économicité, énoncé tant par la législation fédérale en matière d’assurances sociales que par différentes lois cantonales de santé publique. Le fait d’abuser de ressources médicales est constitutif de polypragmasie, comportement visé aux art. 56 ss LAMal. Ainsi, selon l’art. 56 al. 1 LAMal, le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement. La violation de cette disposition est de nature à entraîner la responsabilité disciplinaire du médecin (Yves DONZALLAZ, op. cit., p. 26143 s. n.5448).

e. Tout professionnel de la santé pratiquant à titre dépendant ou indépendant doit tenir un dossier pour chaque patient (art. 52 al. 1 LS). Ledit dossier comprend toutes les pièces concernant le patient, notamment l’anamnèse, le résultat de l’examen clinique et des analyses effectuées, l’évaluation de la situation du patient, les soins proposés et ceux effectivement prodigués, avec l’indication de l’auteur et de la date de chaque inscription (art. 53 LS). Les éléments du dossier doivent être conservés aussi longtemps qu’ils présentent un intérêt pour la santé du patient, mais au moins pendant dix ans dès la dernière consultation (art. 57 al. 1 LS).

f. La commission, instituée par l’art. 10 LS, est chargée de veiller au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la LS et au respect du droit des patients (art. 1 al. 2 LComPS). Compte tenu du fait qu’elle est composée de spécialistes, mieux à même d’apprécier les questions d’ordre technique, la chambre de céans s’impose une certaine retenue (ATA/941/2021 précité consid. 13 et les références citées).

6) En l’espèce, se fondant sur l’analyse faite par la commission de la prise en charge médicale de Mme B______ par le recourant, le département a retenu que celui-ci avait manqué de diligence et de conscience professionnelle dans le suivi médical de celle-ci, entretenu une distance thérapeutique inadéquate avec sa patiente et eu des gestes thérapeutiques et pratiqué une « hospitalisation à domicile » inappropriés.

a. Le recourant n’a pas contesté qu’il avait procédé en 2015 à des consultations ayant eu lieu à 227 journées différentes et en 2016 à 246 journées différentes. La commission a retenu que malgré ce nombre élevé de consultations, l’état de santé de Mme B______ ne s’était pas amélioré. Les problèmes rencontrés par la patiente étaient surtout d’ordre psychologique. Le recourant ne s’était cependant pas concentré sur la névrose d’angoisse et d’anxiété généralisée. Il n’avait pas non plus investigué la suspicion de « lupus » ni été « proactif » pour protéger sa patiente des violences de son colocataire.

aa. Ces reproches sont justifiés. En effet, le recourant, qui avait identifié les troubles psychologiques de sa patiente, ne soutient pas qu’il se serait limité, avec le concours d’autres confrères, à traiter la névrose de sa patiente. Le fait de s’être rendu extrêmement disponible, en recevant à de très nombreuses reprises sa patiente dans son cabinet, en se rendant fréquemment au domicile de celle-ci ou en l’accueillant pour la nuit chez lui, en l’accompagnant au restaurant et en procédant à des consultations qui n’avaient selon le recourant lui-même pas de visée thérapeutique autre que de donner suite aux demandes de la patiente qui souffrait d’angoisse, le praticien doit se voir reprocher d’avoir, ce faisant, entrepris des actes qui n’étaient pas destinés à soigner les troubles psychiques de sa patiente. S’il se défend du fait qu’à patiente exceptionnelle une réponse médicale exceptionnelle devait être apportée, il n’expose pas en quoi ses agissements précités pouvaient être qualifiés d’actes médicaux ou de suivi médical ni en quoi ils correspondaient aux règles de l’art.

ab. Dans ses déterminations du 15 mai 2019, le recourant a expliqué qu’il n’avait pas procédé à une prise de sang de la patiente pour investiguer la suspicion de « lupus », maladie selon lui caractérisée par une grande anxiété notamment, car elle refusait ladite prise et la collaboration de celle-ci à une biopsie n’était « pas gagnée d’avance ». Les signes laissant suspecter cette maladie étaient apparus à l’automne 2016. Dans son recours, il a exposé que la fin de la prise en charge financière par l’assurance-maladie de son suivi l’avait empêché de procéder aux investigations nécessaires pour exclure ou établir cette maladie. Lors de l’audience qui s’est tenue devant la chambre de céans, il a confirmé ce point, précisant que c’était à la suite d’une discussion avec la mère de sa patiente, un soir où il se trouvait au domicile de cette dernière, qui avait suggéré de procéder à une prise de sang pour connaître l’état des vitamines dans le sang, que la patiente avait pris les devants et procédé à une telle prise de sang, qui avait révélé l’existence d’un scorbut.

Il ressort de ces explications qu’alors que la patiente était demanderesse d’examens médicaux et que le recourant suspectait la présence d’un « lupus », il n’a pas fait procéder à ladite prise de sang dont il reconnaît cependant qu’elle était apte à établir ou contribuer à établir le diagnostic. Vu la demande obsessionnelle de la patiente de consultations et examens médicaux, son refus de se soumettre à une prise de sang n’est pas rendu vraisemblable, ce d’autant moins qu’elle l’a finalement elle-même requise, de son propre gré, sans passer par son médecin.

ac. Le recourant ne conteste pas ne pas avoir été proactif en vue de protéger sa patiente des violences physiques et du harcèlement sexuel qu’elle lui rapportait subir de la part de l’homme avec qui elle partageait son logement. Il a indiqué qu’il était au courant de cette situation depuis le début 2014, notamment lorsqu’il avait assisté à une dispute via le téléphone portable que sa patiente avait laissé ouvert. Il a exposé que lors de conflits, elle lui demandait de rester joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui la rassurait. Elle lui avait confié qu’elle ne pouvait plus rester chez elle, que son logement était devenu sa « prison ». Il avait pris l’habitude de venir la chercher vers 18h30 chez le psychiatre auprès duquel elle se réfugiait l’après-midi, la ramenait chez elle et attendait qu'elle prenne sa douche. Le recourant a expliqué que la patiente tombait dans une profonde anxiété dès l’annonce d’un départ, ne serait-ce temporaire, de son colocataire. Bien que qualifiant ce dernier de « schizophrène paranoïaque en rupture de traitement », il avait estimé la présence de cet homme d’« indispensable » à sa patiente, qui ne supportait pas de se trouver seule. Selon lui, le psychiatre, l’assistante sociale et la psychologue de la patiente avaient également jugé préférable de « laisser la situation telle quelle ».

Une telle approche n’est pas justifiable. Il est, en effet, difficilement compréhensible qu’en sa qualité de médecin, le recourant ait jugé préférable de laisser sa patiente, qui souffrait d’angoisse et d’anxiété, dans une situation où elle était régulièrement exposée au risque de subir des violences physiques et du harcèlement sexuel. Le fait que les trois autres intervenants précités aient – selon les allégations du recourant – partagé son avis n’y change rien. La présence apparemment nécessaire à la patiente d’une autre personne dans son logement ne justifiait nullement qu’il s’agisse d’une personne violente envers elle. Le fait que le recourant se soit, selon ses dires, rendu disponible 24h/24h en cas de conflit, d’avoir dormi chez sa patiente, d’être parfois resté auprès d’elle jusque tard dans la nuit au point de ne pas pouvoir se lever le lendemain à temps pour recevoir ses autres patients, n’était pas apte à la protéger des assauts de son colocataire ni de l’angoisse qu’elle pouvait éprouver en rentrant dans son appartement qu’elle avait qualifié de « prison ». Rien n’empêchait le recourant de suggérer à sa patiente de changer de colocataire, au besoin avec le concours de son assistante sociale, de la diriger vers les organismes offrant de l’aide aux personnes subissant des violences domestiques, la police ou un ou une avocate.

b. Le reproche d’avoir manqué de distance thérapeutique est également fondé. La commission a retenu qu’aucune mesure thérapeutique ne justifiait que le recourant fasse les courses de sa patiente, dorme à son domicile, l’accueille chez lui, aille régulièrement la chercher au cabinet de son psychiatre pour la ramener chez elle ou encore l’invite au restaurant, par moment même deux fois par semaine. La proximité ainsi créée avait fait naître un sentiment de dépendance de sa patiente à son égard.

Le recourant s’offusque de ce que la commission ait qualifié la relation qu’il entretenait avec sa patiente de toxique et que l’intimé ait considéré qu’elle relevait davantage d’une relation intime que d’une relation soignant/patient. Il ne conteste cependant pas le degré de proximité retenu ni que celui-ci était de nature à faire naître un sentiment de dépendance de lui auprès de sa patiente. Il explique cet état de fait par sa capacité particulière, qu’il était le seul à avoir, de rassurer sa patiente, exposant que sa seule présence était « anxiolytique et donc déjà thérapeutique ». En audience, il a également justifié la fréquence des repas pris avec celle-ci par le fait que c’était le seul moyen de mettre un terme aux discussions avec elle, qui « tournaient en rond », ou encore qu’en faisant les courses alimentaires avec sa patiente, il s’était rendu compte qu’elle se nourrissait de manière non-équilibrée. Il n’invoque cependant aucune doctrine médicale, ne serait-ce qu’un courant minoritaire, qui préconiserait ou admettrait une telle intrusion dans la vie quotidienne d’un patient ni d’ailleurs l’utilisation entre patient et médecin de petits noms affectueux.

Il n’y a ainsi pas lieu de s’écarter de l’appréciation de l’autorité intimée, qui a retenu l’existence d’une distance thérapeutique inappropriée entre le médecin et sa patiente, ne permettant pas de maintenir le cadre thérapeutique adéquat et créant un lien de dépendance de celle-ci à l’égard de celui-là. Ce constat suffit pour retenir la violation de l’obligation d’agir avec soin et conscience professionnelle, sans devoir examiner si la relation entretenue avec la patiente devait être qualifiée de toxique, s’apparentait à une relation intime ou encore si le recourant a abusé sciemment de la faiblesse psychologique de sa patiente.

En ne rétablissant pas le cadre adéquat qui s'imposait dans la relation thérapeutique qui le liait à sa patiente, voire à défaut d’interrompre son suivi, le recourant n’a pas agi avec soin et diligence. La relation créée avec sa patiente l’a d’ailleurs conduit – outre aux agissements sus-décrits – à se sentir « obligé » de donner suite à des demandes de consultations et d’examens médicaux qu’il estimait inutiles.

c. Reprenant l’appréciation de la commission, le département a retenu l’existence de « gestes thérapeutiques inappropriés » de la part du médecin, notamment l’examen de la vulve de la patiente et du toucher rectal. La suspicion d’otite ne justifiait pas non plus un examen quotidien des oreilles. La multiplicité des examens – notamment l'examen quotidien des oreilles – n’était pas proportionnée à la pathologie que présentait la patiente. Au contraire, l’intérêt de la patiente impliquait de refuser certaines demandes manifestement infondées.

Le recourant a exposé que du fait des sévices sexuels subis, sa patiente était extrêmement sensible à toute pathologie touchant sa sphère gynécologique. L’examen gynécologique qu’il avait pratiqué avait procédé « de la dynamique de la rassurance dont la patiente avait chroniquement besoin ». Les gestes critiqués, tels qu’inspecter son oreille ou ses organes génitaux, avaient pour but de la rassurer.

Ce faisant, le recourant ne conteste pas que les gestes reprochés n’étaient pas destinés à établir un diagnostic ou à traiter une affection. Par ailleurs, il ne se réfère à aucune recommandation professionnelle ou avis scientifique qui soutiendrait sa position et justifierait des actes médicaux répétés, voire quotidiens au seul motif qu’ils rassureraient la patiente. La chambre de céans n’a ainsi aucun motif de s’écarter de l’avis de la commission, puis du département retenant l’inadéquation des gestes thérapeutiques précités et la multiplication injustifiée d’actes médicaux.

d. La commission a également jugé inappropriée la pratique de « l'hospitalisation à domicile ». Une telle prise en charge hors de toute structure adéquate et sans le concours de psychiatres n’était pas appropriée.

Le recourant a justifié cette prise en charge par deux épisodes de décompensations sévères de la part de sa patiente. Il l’avait accueillie à son domicile en guise d’hospitalisation lors d’une décompensation à la suite d’une rupture amoureuse en 2015 et une deuxième « hospitalisation à domicile » chez lui avait eu lieu lorsque la patiente avait décompensé après la visite de son beau-père et de sa mère. Il l’avait retrouvée accroupie sous la douche scandant son nom. Séchée, elle s’agrippait à lui. Il avait pu vite la calmer et l’avait emmenée chez lui.

Le recourant n’explique pas en quoi le fait d’accueillir sa patiente à son domicile constituait une réponse professionnellement fondée aux deux épisodes de décompensation de sa patiente. Derechef, il ne recourt à aucun avis de doctrine, traité médical ou article scientifique, même minoritaire, qui défendrait une telle approche thérapeutique. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’avis de la commission, composée notamment de professionnels de la santé, qui a estimé les deux « hospitalisations à domicile » pratiquées par le recourant comme inappropriées.

e. Enfin, le département a reproché au recourant de faire preuve de polypragmasie en donnant systématiquement et aveuglément suite aux demandes de consultations et actes médicaux de sa patiente.

Le recourant reconnaît avoir donné suite à des demandes de consultations et d’actes médicaux de sa patiente, qui étaient « manifestement absurdes ». Il avait adopté cette attitude en raison du fait que cela pouvait « entrer dans la logique de prise en charge médicale à vocation d’assurance ».

Cette justification ne repose sur aucun fondement scientifique ni aucune approche médicale admise dans la pratique ; le recourant n’en cite au demeurant pas. Par ailleurs et comme évoqué plus haut, le fait de donner systématiquement suite aux demandes de consultations et d’actes médicaux de sa patiente a conduit le recourant à s’y sentir, selon ses propres indications, « obligé » et à créer une relation de dépendance de sa patiente avec lui. En outre, alors qu’il a soutenu être le seul capable « d'enrayer » la course de sa patiente vers les « consultations effrénées », le fait de donner suite à celles mêmes inutiles n’était pas de nature à les réduire. Au contraire, alors qu’elle était déjà suivie par le recourant depuis deux ans, l’intéressée a en 2016 consulté 51 dispensateurs différents pour 320 journées de consultation. La chambre de céans retiendra donc également l’existence de polypragmasie.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre qu’une violation de ses devoirs professionnels et des dispositions susmentionnées a été retenue à l’encontre du recourant, étant précisé que, contrairement à ce que soutient l’intéressé, la polypragmasie entraîne également la responsabilité disciplinaire du médecin.

7) Il reste encore à examiner l’adéquation de la sanction prononcée à l’encontre du recourant.

a. L’art. 43 al. 1 LPMéd prévoit, de manière exhaustive (ATF 143 I 352 consid. 3.3) qu’en cas de violation des devoirs professionnels, des dispositions de la loi ou de ses dispositions d’exécution, l’autorité de surveillance peut prononcer les mesures disciplinaires suivantes : un avertissement (let. a), un blâme (let. b), une amende de CHF 20'000.- au plus (let. c), une interdiction de pratiquer à titre d’activité économique privée sous propre responsabilité professionnelle pendant six ans au plus (let. d), une interdiction définitive de pratiquer à titre d’activité économique privée sous propre responsabilité professionnelle pour tout ou partie du champ d’activité (let. e).

Selon l’art. 128 LS, le droit de pratiquer d’un professionnel de la santé peut être limité ou retiré notamment en cas de violation grave des devoirs professionnels ou malgré des avertissements répétés (al. 1 let. b). Le retrait peut porter sur tout ou partie du droit de pratique et être d’une durée déterminée ou indéterminée (al. 2). Le département est compétent pour prononcer, à l’encontre d’un professionnel de la santé, l’interdiction de pratiquer, à titre temporaire, pour six ans au plus (art. 127 al. 1 let. b LS), la commission étant, quant à elle, compétente s’agissant notamment des amendes jusqu’à CHF 20'000.- (art. 127 al. 1 let. a LS).

b. Les mesures disciplinaires infligées à un membre d’une profession libérale soumise à la surveillance de l’État ont principalement pour but de maintenir l’ordre dans la profession, d’en assurer le fonctionnement correct, d’en sauvegarder le bon renom et la confiance que leur témoignent les citoyens, ainsi que de protéger le public contre ceux de ses représentants qui pourraient manquer des qualités nécessaires. Les mesures disciplinaires ne visent pas, au premier plan, à punir le destinataire, mais à l’amener à adopter un comportement conforme aux exigences de la profession et à rétablir le fonctionnement correct de celle-ci (ATF 143 I 352 consid. 3.3). Le prononcé d’une sanction disciplinaire tend uniquement à la sauvegarde de l’intérêt public (arrêt du Tribunal fédéral 2C_451/2020 du 9 juin 2021 consid. 12.1).

c. Conformément au principe de proportionnalité applicable en matière de sanction disciplinaire, le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. L’autorité doit tenir compte en premier lieu d’éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées sur le bon fonctionnement de la profession en cause, et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l’intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 2C_922/2018 du 13 mai 2019 consid. 6.2.2 et les références citées). Les autorités compétentes disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation d’une sanction disciplinaire prévue par la LPMéd (arrêt du Tribunal fédéral 2C_451/2020 précité consid. 12.2 ; ATA/752/2022 du 26 juillet 2022 consid. 6b).

d. À titre d’exemple, une interdiction de pratiquer définitive a été prononcée à l’encontre d’un dentiste qui avait violé son devoir d’information, de recueillir le consentement de quatre patients, commis des fautes techniques, eu une organisation déficitaire (mauvaise tenue des dossiers, absence d’anamnèse et de devis, absence d’assistante dentaire), pas respecté des normes minimales d’hygiène et manqué de collaboration au cours de la procédure. Le médecin avait des antécédents disciplinaires (ATA/409/2017 du 11 avril 2017).

La chambre de céans a confirmé le retrait de l’autorisation de pratiquer la greffe capillaire pour une durée de trois mois infligé à un médecin dont l’intervention chirurgicale avait laissé sur le crâne du patient une cicatrice, avec visibilité des greffons. Dans ce cas, il était reproché au praticien un non-respect des règles de l’art lors de l’opération et du suivi post-opératoire du patient, de même qu’un manquement à son devoir d’information (ATA/473/2018 du 15 mai 2018 consid. 9).

Récemment, la chambre de céans a réduit de trois ans à un an et demi le retrait du droit de pratique d’un dentiste, qui avait tenu de manière très sommaire trois dossiers de patients, les notes de suite étant lacunaires et les justifications des traitements ou des démarches entreprises ainsi que les constatations du dentiste étant manquantes. Les plaintes des patientes n’étaient pas documentées et le contenu des fiches cliniques entrait en contradiction avec les devis et factures figurant en dossier (ATA/752/2022 du 26 juillet 2022).

e. En l’espèce, le recourant n’émet pas de critiques particulières à la sanction prononcée, se bornant à en contester le principe.

Les manquements commis par le recourant sont graves. L’absence de distance thérapeutique créée et maintenue par le recourant avec sa patiente l’a conduit à adopter un comportement professionnellement non justifiable, plaçant et maintenant celle-ci dans une situation de dépendance inadmissible à son égard. Cette dépendance entretenue pendant plusieurs années était d’autant plus inadmissible qu’il savait la patiente fragile sur le plan psychique. Plutôt qu’aider sa patiente à sortir d’une dynamique de consultations médicales obsessionnelle, il l’a maintenue dans celle-ci. Le nombre de consultations, certains gestes thérapeutiques pratiqués sur celle-ci et les deux « hospitalisations à domicile » menées par lui, notamment, étaient inadéquats et inappropriés. Il a négligé d’investiguer le soupçon de « lupus » et considéré préférable que sa patiente demeure dans une situation l’exposant à des violences domestiques régulières.

À aucun moment, que ce soit pendant la durée de la prise en charge de la patiente ou au cours de la procédure disciplinaire, le recourant ne s’est remis en cause. Il ne s’est pas interrogé sur sa pratique au regard de l’attitude de certains autres professionnels de la santé, qui avaient clairement marqué une distance avec la patiente, y compris en menaçant au besoin de faire appel au service de sécurité pour la faire partir. En outre, même après avoir pris connaissance du préavis de la commission et, donc, de l’avis de professionnels de la santé qui ont critiqué de manière détaillée ses agissements professionnels, le recourant ne s’est pas remis en question, estimant au contraire que son attitude à l’égard de cette patiente était la bonne, allant jusqu’à affirmer qu’il était le seul capable de la calmer, que sa présence auprès d’elle avait un effet thérapeutique et invoquant son « talent particulier ». Il n’a pas non plus tenu compte des alertes des autres professionnels de la santé, qui avaient clairement marqué une distance avec la patiente, y compris en menaçant au besoin de faire appel au service de sécurité pour la faire partir. Par ailleurs, outre qu’il ne répondait à aucune justification thérapeutique, le surinvestissement du recourant auprès de celle-ci s’est fait au détriment de ses autres patients, le recourant ayant indiqué qu’il était arrivé qu’il n’avait pas pu se lever le matin pour recevoir ses autres patients, étant resté près de Mme B______ jusque tard dans la nuit.

Le recourant, qui avait pourtant en 2014 déjà été interpelé par l’assureur maladie de sa patiente au sujet du nombre extrêmement élevé de consultations prodiguées depuis septembre 2013, n’a pas modifié sa pratique à l’égard de cette patiente. Au contraire, il s’est enferré dans son attitude jusqu’au début de l’année 2017, après que l’assurance eut mis un terme à ses prestations.

En outre, bien qu’il disposât d’une décision levant son secret professionnel lui permettant de transmettre à la commission les éléments du dossier de sa patiente pertinents et nécessaires à sa défense, le recourant a d’abord affirmé qu’il n’avait pas été levé du secret professionnel, puis n’a transmis à la commission qu’une petite partie du dossier médical de sa patiente, prétextant – à tort comme l’ont également relevé les autorités pénales – ne pas être autorisé à le faire. Sa collaboration a donc été mauvaise.

Il sera retenu au bénéfice du recourant qu’il n’a pas d’antécédents disciplinaires.

Au vu de l’ensemble des éléments précités, l’autorité intimée n’a ni excédé ni abusé de son pouvoir d’appréciation en prononçant à l’encontre du recourant une sanction forte sous la forme d’un retrait du droit de pratiquer pendant un an. Cette sanction respecte le principe de proportionnalité tant s’agissant de sa nature que de sa quotité, dès lors qu’elle ne constitue pas la sanction la plus sévère parmi celles envisageables et que sa durée est limitée à un an. Elle n’emporte pas non plus une restriction inadmissible à la liberté économique du recourant. En effet, elle est adéquate et apte à atteindre le but poursuivi, à savoir assurer, par une mesure de coercition administrative, le bon fonctionnement du corps social auquel l’intéressé appartient, qu’une sanction moins incisive ne permettrait en l’occurrence pas d’atteindre. Bien que la violation grave des devoirs professionnels du recourant se soit manifestée envers une patiente en particulier, l’absence totale de remise en question de la pratique professionnelle adoptée ne permet pas le prononcé d’une mesure moins incisive. Celle-ci respecte en outre le principe de la proportionnalité au sens étroit, le but d’intérêt public susmentionné l’emportant sur l’intérêt du recourant à exercer son activité économique pour une durée limitée.

Le recours s’avère ainsi infondé et sera, partant, rejeté.

8) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 septembre 2021 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 9 juillet 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc Bellon, avocat du recourant, au département de la sécurité, de la population et de la sante ainsi qu’au département fédéral de l’intérieur.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, MM. Verniory et Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :