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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4354/2016

ATA/9/2017 du 10.01.2017 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4354/2016-FPUBL ATA/9/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 janvier 2017

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Alain Berger, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ ET DE L'ÉCONOMIE



EN FAIT

1. a. Par arrêté du 6 septembre 2016, Monsieur Pierre MAUDET, Conseiller d’État en charge du département de la sécurité et de l’économie (ci-après : le département) a décidé l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de M. A______, appointé de gendarmerie. Il s’agissait de faire toute la lumière sur des manquements à ses obligations de gendarme, découlant des dispositions de l’ancienne loi sur la police du 26 octobre 1957 (aLPol - F 1 05), remplacée depuis le 1er mai 2016 par la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) ou au règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), ainsi qu’à plusieurs ordres de service qui étaient énoncés dans l’arrêté, régissant la façon dont les gendarmes devaient procéder en matière d’infractions à la circulation routière ou détaillant leurs obligations en matière de comportement professionnel.

Le chef du département a confié la conduite de cette enquête à M. B______, ancien juge à la Cour de justice (ci-après : l’enquêteur).

Cet arrêté a été communiqué à M. A______ le 9 septembre 2016.

b. En résumé, le 10 août 2015, M. A______ était intervenu avec un collègue à la suite d’une collision sur route dans laquelle un autre collègue gendarme était impliqué. Dans le cadre de cette intervention, il est soupçonné d’avoir participé à une manipulation du taux d’alcoolémie constaté à la suite d’un test à l’éthylomètre effectué sur ce dernier collègue en inscrivant dans le rapport un taux d’alcoolémie de 0.67 ‰ en lieu et place de 1.67 ‰.

2. Le 14 novembre 2016, M. A______ s’est adressé au département, à l’attention de l’enquêteur, pour solliciter la suspension de la procédure dans l’attente de l’issue de la procédure pénale P/1______/2016 ouverte à la suite des faits précités du chef d’entrave à l’action pénale (art. 305 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et de faux dans les titres commis dans l’exercice de fonctions publiques (art. 317 CP) dans laquelle il la qualité de prévenu.

3. Par décision du 8 décembre 2016, l’enquêteur a refusé d’entrer en matière sur la requête en suspension. Le dossier administratif contenait des éléments suffisants pour mener à chef, dans un délai raisonnable, l’enquête administrative ouverte contre M. A______. Le sort de la procédure administrative ne dépendait pas de questions préjudicielles de nature pénale découlant de la procédure P/1______/2016. Même dans le cas de procédures pénale et administrative parallèles, la suspension de la seconde était laissée à l’appréciation de l’autorité administrative. Dans le cas d’espèce, point n’était besoin d’attendre le dénouement de la procédure pénale pour déterminer si les comportements reprochés à M. A______ par le département contrevenaient ou non aux règles de nature disciplinaire et/ou déontologique applicables spécifiquement à sa profession, ce qui constituait la mission assignée à l’enquêteur. Celui-ci devait mener sa propre enquête, même s’il pouvait se fonder sur les pièces utiles d’une procédure pénale pendante après les avoir réclamées aux autorités pénales ou aux parties concernées.

Un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) pouvait être interjeté contre cette décision incidente dans les dix jours suivant sa notification.

4. Par acte posté le 19 décembre 2016, M. A______ a interjeté un recours à l’encontre de cette décision en concluant à son annulation et à ce que la chambre administrative ordonne la suspension de la procédure administrative jusqu’à droit jugé définitif dans la procédure pénale P/1______/2016.

Le refus de suspendre l’instruction d’une procédure administrative dans l’attente de l’issue d’une procédure pénale constituait une décision sujette à recours devant la chambre administrative.

C’était à tort que l’enquêteur avait refusé de le faire. Tant la procédure administrative que la procédure pénale avaient pour objectif de déterminer s’il avait commis une faute, autre étant la question de savoir si cette faute pouvait lui être imputée sur un plan pénal et/ou professionnel. À ce stade de la procédure, la suspension de la procédure administrative était pleinement justifiée, car elle permettait d’économiser des mesures d’instruction en évitant de multiplier les audiences des personnes concernées et des témoins, dès lors qu’une enquête préliminaire avait été confiée à l’IGS, puis que l’instruction se poursuivait activement devant le Ministère public, l’audition d’un témoin étant d’ores et déjà prévue en janvier prochain. Pour clore l’enquête administrative, il y avait lieu d’attendre que l’instruction pénale soit achevée, car certaines déclarations des protagonistes devaient encore être confrontées à des témoignages pour en vérifier l’exactitude.

Tout ceci justifiait d’attendre le dénouement de la procédure pénale pour savoir si le procureur général, à l’issue de celle-ci, rendrait une décision de classement ou de condamnation.

5. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. La chambre administrative est la juridiction de recours ordinaire contre les décisions incidentes des autorités administratives, et le recours doit être interjeté devant la chambre administrative dans les dix jours suivant leur notification (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; 57al. 1 let. c et 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/923/2014 du 25 novembre 2014).

2. Une décision refusant de suspendre une procédure administrative en application de l’art. 14 LPA est une décision de nature procédurale, prise en cours de procédure et qui n’y met pas fin. Elle doit être qualifiée de décision incidente au sens de l’art. 4 al. 2 LPA. Interjeté contre une telle décision, dans le respect du délai de recours légal de dix jours et devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous ces angles.

3. Aux termes de l’art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes sont susceptibles d’un recours, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

L’existence d’un préjudice irréparable présuppose un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATA/982/2015 du 22 septembre 2015 consid. 4a et jurisprudence citée). La chambre de céans a par ailleurs précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière des principes tirés de l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) dont il reprend la teneur (ATA/982/2015 précité ; ATA/867/2015 du 25 août 2015 ; ATA/679/2013 du 8 octobre 2013 ; ATA/65/2012 du 31 janvier 2012).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral relative à cette dernière disposition légale, constitue un préjudice irréparable, au sens de l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF, celui qui ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 p. 47-48 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 p. 190 et 191 ; 133 III 629 consid. 2.3.1 p. 632). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice. Tel serait le cas lorsque la décision incidente refuserait à une personne la possibilité d’intervenir comme partie à la procédure avec le risque de devoir recommencer entièrement la procédure avec une autre partie (ATF 131 I 57 consid. 1.2 ; 127 II 132 consid. 2a p. 136 ; 126 V 244 consid. 2c p. 247 ; 125 II 613 consid. 2a p. 619). En revanche, le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés, ne constituent toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 140-141 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/827/2015 du 11 août 2015 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 III 629 consid. 2.3.1 p. 632 ; 131 I 57 consid. 1 p. 69 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 p. 110 ; 127 I 92 consid. 1c p. 94 ; 126 I 97 consid. 1b p. 100).

4. Selon l’art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

5. La question de savoir qui, de l’enquêteur administratif nommé ou de l’autorité administrative ayant décidé de l’ouverture de l’enquête, détient la compétence d’ordonner ou non la suspension de l’instruction d’une enquête administrative peut être laissée ouverte en raison de ce qui va suivre.

6. Le recourant considère que la direction de l’enquête administrative se devait, en application de l’art. 14 al. 1 LPA, d’accueillir favorablement sa requête en suspension et d’attendre l’issue de la procédure pénale pour procéder lui-même, parce que seule l’issue de cette dernière permettrait de déterminer s’il a ou non commis une faute.

La formulation potestative de l’art. 14 a. 1 LPA accorde un large pouvoir d’appréciation dans la conduite d’une enquête administrative pour décider s’il y a lieu, en cas d’enquête pénale parallèle, d’accorder la priorité à cette dernière. Un agent public qui se trouve dans une telle situation de concurrence ne peut en inférer aucun droit pour pouvoir exiger une telle suspension. Le fait que deux procédures, l’une administrative et l’autre pénale, soient menées parallèlement est peut-être susceptible de conduire à une multiplication des auditions. Toutefois, un tel mécanisme n’entraîne pas de préjudice irréparable au sens de la jurisprudence. Il s’agit d’un aléa, résultant du double effet d’un comportement sur le plan disciplinaire et pénal, qui souffre cependant d’être imposé au recourant par les circonstances. Cette concurrence ne lèse aucunement ses droits procéduraux, ce dont au demeurant il ne se prévaut pas. Sous cet angle, un refus de suspendre l’enquête administrative ne peut dès lors lui causer un préjudice irréparable au sens de l’art. 57 al. 1 let. c LPA.

Le recourant justifie sa requête par la nécessité de laisser la priorité aux autorités de poursuite pénale pour déterminer l’existence d’une faute. Ce moyen est erroné. L’objectif d’une enquête administrative ouverte contre un agent public diffère de celui de la procédure pénale. Dans le premier cas, il s’agit, pour l’État de déterminer l’existence ou non d’une faute au sens du droit disciplinaire, soit si le recourant a transgressé ou non des règles de comportements spécifiques au rapport spécial qui le lie avec l’État qui peuvent lui être reprochés (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 407 n. 1223 et 1224), avec, à la clé, l’éventuel prononcé d’une sanction disciplinaire (art. 38 al. 3 LPol). En matière pénale, l’enquête vise à mettre en évidence l’existence ou non de comportements susceptibles de constituer des infractions pénales et pouvant être sanctionnés en fonction des conditions de répression spécifiques au CP. Si un manquement disciplinaire imputable à un agent public vient à être constaté, ce constat peut et doit être dressé indépendamment de l’existence ou non de comportements fautifs qui pourraient être reconnus sur le plan pénal. Cela n’exclut pas que l’enquête administrative suive son propre cours, indépendamment de la procédure pénale. Sous cet angle également, on ne voit pas que le refus de suspendre l’instruction de ladite enquête entraîne un préjudice irréparable pour le recourant.

Au demeurant, pour répondre aux craintes de ce dernier au sujet d’une multiplication des actes d’instruction, le fait que l’enquêteur conduise sa propre instruction parallèlement à l’enquête pénale, n’empêche pas que celui-ci, s’il a accès aux pièces de la procédure pénale, procède à ses propres investigations en tenant compte des déclarations qui ont déjà été faites par les différents protagonistes, que ce soit devant l’inspection générale des services de police ou le procureur.

7. En l’absence de préjudice irréparable démontré et dans la mesure où entrer en matière sur le recours ne serait pas susceptible de mettre plus rapidement un terme final à la procédure, aucune des conditions de recevabilité de l’art. 57 let. c LPA n’est réalisée. Le recours sera déclaré irrecevable, ceci sans qu’il y ait besoin d’ouvrir une instruction vu le caractère manifeste de cette irrecevabilité (art. 72 LPA).

8. Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera en revanche allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 19 décembre 2016 par M. A______ contre la décision de l’enquêteur administratif du 8 décembre 2016 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de M. A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain Berger, avocat du recourant, au département de la sécurité et de l'économie, ainsi qu’à M. B______, enquêteur, pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :