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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2510/2017

ATA/837/2018 du 21.08.2018 ( PROF ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.09.2018, rendu le 16.01.2019, REJETE, 2C_879/2018, R 19/17
Descripteurs : AVOCAT ; INTERMÉDIAIRE FINANCIER ; SECRET PROFESSIONNEL ; SAUVEGARDE DU SECRET ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; MESURE DISCIPLINAIRE
Normes : LPA.61.al1; LLCA.13.al1; LLCA.17; LLCA.20.al1
Résumé : L'activité qui n'est pas limitée à la gestion fiduciaires des titres confiés, mais s'est également étendue à la rédaction d'actes juridiques, soit des conventions fiduciaires, adaptées aux circonstances sur la base de conseils, relève de l'activité typique de l'avocat, soumise au secret professionnel. Le recourant ne pouvait s'exprimer librement in casu, notamment par déclaration testimoniale dans le cadre d'une procédure d'arbitrage, sans requérir préalablement l'accord de tous ses mandants, sous peine de violer l'obligation de garder le secret à laquelle il est légalement astreint. Compte tenu de sa situation, la sanction infligée, soit le blâme, est justifiée et proportionnée. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2510/2017-PROF ATA/837/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2018

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Cyrielle Friedrich, avocate

contre

COMMISSION DU BARREAU



EN FAIT

1) M. A______ est titulaire du brevet d’avocat et est inscrit au registre des avocats du canton de Genève.

Selon une attestation du 28 mars 2006, il est affilié à l’organisme d’autoréglementation de la Fédération suisse des avocats et de la Fédération suisse des notaires (ci-après : OAR FSA/FSN).

2) Par convention du 26 octobre 2000, Mme C______ B______, M. D______ B______, et leurs deux enfants, Mme E______ F______, née B______, et M. G______ B______ ont confirmé par écrit le mandat confié oralement au mois de juillet 1998 à M. A______, visant à détenir pour eux à titre fiduciaire les actions de la société H______ N.V. (ci-après : H______). Cette dernière, constituée le 19 septembre 1990 auprès du registre du commerce de Curaçao aux Antilles néerlandaises, détenait à 100 % la société I______ B.V. (ci-après : I______), constituée le 20 décembre 1985 auprès du registre du commerce de J______ en Hollande.

Selon cette convention, signée par M. D______ B______ aux noms des mandants et par M. A______, chacun des quatre mandants précités, déclarait être ayant droit économique de H______ à raison de 25 %, et avait été informé de la réglementation bancaire suisse (art. 3). Toute instruction donnée par l’un des mandants à M. A______ emportait acceptation pour les autres (art. 4). Le mandataire s’engageait à suivre les instructions du mandant pour autant qu’elles soient conformes à la loi et aux intérêts des sociétés. En sa qualité de titulaire d’une procuration sur le ou les comptes des sociétés, le mandataire ne procéderait à aucun retrait de fonds sans l’accord préalable du mandant, qui pourrait être donné verbalement, et notamment par téléphone. Le mandant assumait les risques dérivant d’une telle manière de procéder, en particulier ceux d’une éventuelle erreur de transmission ou de compréhension. Il déchargeait le mandataire de toutes conséquences financières ou autres qui pourraient résulter des mouvements des comptes ouverts par les sociétés auprès de banques ou d’autres établissements, notamment en raison d’erreurs de gestion, d’erreurs de transmission ou de virements de fonds, hors le cas de la faute grave au sens de l’art. 100 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220 ; art. 5). En tant qu’actionnaire-fiduciaire de H______, détenant elle-même à 100 % I______, le mandataire s’obligeait à exercer le droit de vote conformément aux instructions du mandant. Il s’engageait en outre à transférer immédiatement au mandant, conformément aux instructions de ce dernier, tout dividende et autre distribution financière qu’il recevrait des sociétés. Le mandataire s’engageait finalement à remettre gratuitement et à première réquisition les actions qu’il détenait à titre fiduciaire (art. 6). Une clause arbitrale comportant un for à Genève était prévue (art. 12).

3) Par jugement du 16 octobre 2006 d’un tribunal étranger, M. D______ B______ a notamment été reconnu coupable du délit d’importation de marchandises prohibées portant sur plus de trente mille unités d’un médicament. Il a ainsi été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis, une amende de EUR 20’000.- et une interdiction définitive d’exercer toute activité professionnelle ou sociale impliquant la commercialisation de médicaments. Il devait en outre dédommager plusieurs parties civiles concernées.

4) À la suite de cette décision, une nouvelle convention fiduciaire, annulant et remplaçant celle du 26 octobre 2000, a été conclue le 27 novembre 2006 entre Mme B______, Mme F______ et M. G______ B______, d’une part, et M. A______, d’autre part.

D’après cette convention, Mme B______ déclarait être ayant droit économique de H______ à raison de 50 %, et Mme F______ et M. G______ B______ de 25 % chacun. Hormis le fait que M. D______ B______ n’y figurait désormais plus, les dispositions demeuraient les mêmes que dans la convention du 26 octobre 2000. Deux signatures étaient apposées, celle de Mme B______ aux noms des mandants, et celle de M. A______.

5) Par courrier du 10 juin 2010, M. A______ a confirmé à la K______ à Milan, cette répartition entre les trois ayants droit économiques.

6) Le 28 février 2011, une nouvelle convention fiduciaire, annulant les précédentes avec effet au 1er janvier 2011 « conformément à la convention orale passée entre les parties à cette date », a été signée entre Mme B______ et M. G______ B______, d’une part, et M. A______, d’autre part.

Aux termes de celle-ci, Mme B______ déclarait être ayant droit économique de H______ à raison de 75 %, et M. G______ B______ de 25 %. Deux signatures étaient apposées, celle du mandataire et celle de Mme B______ pour les mandants. Les autres dispositions étaient identiques à celles des conventions précédentes.

Ce changement résultait de la procédure de divorce entamée en 2009 par Mme F______, clôturée par jugement du 6 mai 2013.

7) Le 18 décembre 2012, Mme B______ a rédigé et remis à son notaire un testament olographe, aux termes duquel elle désignait ses deux enfants légataires universels de sa succession et privait de tout droit son époux, après avoir révoqué toute disposition antérieure.

8) Le 17 janvier 2013, M. G______ B______ et M. A______ ont conclu une nouvelle convention fiduciaire, annulant et remplaçant la précédente avec effet au 17 décembre 2012.

D’après cette convention, M. G______ B______ reconnaissait être « l’ayant droit économique unique et exclusif » de H______ et I______. Les autres dispositions demeuraient identiques à celles des précédentes conventions.

9) Le 21 janvier 2013, Mme F______, en son nom et celui de son père, M. D______ B______, a conclu une convention avec son frère, M. G______ B______.

En référence à la convention fiduciaire conclue le 17 janvier 2013, M. G______ B______ reconnaissait être propriétaire à titre fiduciaire de deux parts de 50 % et 25 % aux noms et pour le compte de son père, respectivement de sa sœur. Les propriétaires de H______ et I______ étaient donc désormais M. D______ B______ à raison de 50 %, Mme F______ et M.  G______ B______ de 25 % chacun. Par le biais de cette convention, M. G______ B______ acceptait de déléguer entièrement et sans aucune restriction tout pouvoir de donner des instructions à M. A______ à M. D______ B______, lequel était ainsi seul habilité à le faire.

10) Le ______ 2013, Mme B______ est décédée.

11) Le 17 décembre 2013, un acte de notoriété a été établi sur la base du testament du 18 décembre 2012 de Mme B______ en présence de Mme F______, sans que M. G______ B______ n’ait été convoqué.

12) a. Le 10 mars 2014, M. A______ a demandé à M. G______ B______ de lui signer une procuration afin de liquider H______.

b. M. G______ B______ avait alors acquis trente-neuf des quarante actions d’I______, détenue par H______, ce que M. A______ lui a confirmé par courriel du 28 juillet 2015.

13) Fin 2015/début 2016, M. D______ B______ et sa fille ont réclamé la remise de 50 % et 25 % des parts dont ils se prétendaient propriétaires, demande à laquelle M. G______ B______ n’a pas donné suite.

14) Le 10 juin 2016, M. A______ a informé l’administrateur d’I______ d’une « réorganisation patrimoniale » et d’une nouvelle répartition de l’actionnariat à raison de 50 % pour M. D______ B______, 25 % pour Mme F______ et 25 % pour M. G______ B______.

M. A______ a en outre initié une procédure d’arbitrage pour le compte de M. D______ B______ et Mme F______ à l’encontre de M. G______ B______, ceux-ci réclamant la remise des parts d’I______ sur la base de la convention du 21 janvier 2013.

15) a. Le 2 août 2016, M. G______ B______ a découvert l’existence d’un testament olographe laissé par sa mère le 18 décembre 2012, que sa sœur et son père lui avaient caché.

b. Il a informé, le 22 décembre 2016, le président de la chambre régionale des notaires à Paris du fait qu’il n’avait pas été dûment convoqué à l’ouverture du testament de sa mère.

16) Le 20 septembre 2016, M. L______, avocat de M. G______ B______, a dénoncé M. A______ auprès du bâtonnier de l’ordre des avocats pour cause de conflit d’intérêts, ce dernier intervenant dans le cadre d’un arbitrage initié par lui-même au nom de M. D______ B______ et Mme F______, à l’encontre de son client. Compte tenu de sa fonction au sein du conseil de l’ordre des avocats, il sollicitait l’autorisation de saisir directement la commission du barreau.

17) Le 6 octobre 2016, M. A______ a cessé d’occuper dans le cadre de la procédure arbitrale précitée, de sorte que M. M______, avocat, s’est constitué le 17 octobre 2016 pour la défense des intérêts de M. D______ B______ et Mme F______.

18) Le 28 novembre 2016, M. A______ a rédigé une déclaration testimoniale, produite dans le cadre de l’arbitrage opposant M. G______ B______ à son père et sa sœur.

Il y rappelait chronologiquement les conventions fiduciaires successives, ainsi qu’un prêt ordonné en 2015 par M. D______ B______ depuis le compte d’I______ en faveur d’une société française dont M. G______ B______ était actionnaire. Il attestait que « les faits […] relatés [étaient] vrais et authentiques, conformes à ce qu’[il avait] pu observer personnellement ».

19) a. Par courriel du 8 décembre 2016, le conseil de M. G______ B______ a demandé à M. A______ de retirer de la procédure d’arbitrage la déclaration précitée, celle-ci ayant été faite en violation de son obligation de secret. En effet, les éléments mentionnés, notamment l’existence et le contenu de contrats de fiducie, relevaient de l’activité typique de l’avocat.

b. Dans sa réponse du même jour, M. A______ a refusé de donner suite à cette demande, considérant que les conventions fiduciaires en question avaient été conclues dans le cadre de son activité d’intermédiaire financier, soit une activité atypique non protégée par le secret professionnel.

20) Le 18 janvier 2017, le conseil de M. G______ B______ a été autorisé à saisir la commission du barreau, la tentative de conciliation du 17 janvier 2017 auprès de l’Ordre des avocats ayant échoué.

21) Par requête du 14 février 2017 adressée à la commission du barreau, M. G______ B______ a dénoncé M. A______ pour violation du secret professionnel, en concluant à ce qu’il lui soit donné ordre de retirer sa déclaration testimoniale du 28 novembre 2016 de la procédure arbitrale N______
n° 1______-2016.

Depuis la création de H______, M. A______ avait été le représentant de cette société, ainsi que le conseil des actionnaires pour lesquels il avait rédigé de nombreuses conventions réglementant leurs rapports entre eux. S’il n’était pas contesté que, sur la base des conventions de 2000, 2006 et 2011, M. A______ avait pu ensuite, au cours des années, préparer des ordres de paiement, procéder à des paiements ou encore instruire l’administrateur néerlandais de H______, puis I______, « son attestation » ne concernait pas du tout cette activité. M. A______ n’attestait nullement d’un accord auquel il aurait été lui-même partie, mais uniquement d’accords oraux conclus entre ses clients directement, dont il n’aurait cas échéant pu avoir connaissance que grâce à son rapport privilégié d’avocat. M. G______ B______ n’avait jamais relevé M. A______ de son secret professionnel, ni pour lui-même, ni pour feu sa mère, dont il était l’un des deux héritiers légaux. M. A______ attestait en 2016 de faits contraires aux art. 3 des conventions qu’il avait lui-même rédigées en 2006 et 2011, ainsi qu’à ses attestations de 2010 ou 2015 préparées pour des banques, concernant la répartition des parts entre les actionnaires et les noms des ayants droit économiques.

22) Par courriels des 16 et 17 mars 2017 adressés à M. M______, M. A______ a sollicité l’accord des parties et de l’arbitre pour produire dans le cadre de cette procédure l’ordonnance arbitrale admettant son témoignage, ainsi que l’acte de mission contenant les raisons pour lesquelles il avait cessé d’occuper.

23) Le 21 mars 2017, M. A______ a transmis ses observations à la commission du barreau, en concluant au rejet de la requête de M. G______ B______.

Répondant aux critères de la législation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, il était affilié à l’OAR FSA/FSN en ce qui concernait I______. Par ailleurs, il détenait à titre fiduciaire les actions au porteur de H______, propriétaire unique d’I______, ce qui renforçait son obligation de soumettre son activité y relative à la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier du 10 octobre 1997 (LBA - RS 955.0). Conformément à ses obligations de diligence, il devait tenir une liste de ses dossiers et prendre toutes les mesures utiles pour vérifier l’identité du cocontractant et de l’ayant droit économique. Les conventions fiduciaires concernées faisaient partie de ces mesures dès lors qu’elles attestaient du lien contractuel, de l’identité des cocontractants et de celle des ayants droit économiques. Elles étaient donc intimement liées à l’activité d’intermédiation financière, de sorte qu’elles n’étaient pas couvertes par le secret professionnel. Il en allait de même de la convention du 21 mars 2013, en rapport direct avec celle du 17 janvier 2013. Concernant « les conventions fiduciaires orales ou écrites passées entre les parties et feu Mme B______ et auxquelles [il n’était] pas partie », il n’en avait eu connaissance que par son activité d’intermédiaire financier car elles nécessitaient une modification des conventions fiduciaires le liant aux autres membres de la famille B______.

À l’appui de ses écritures, il produisait « une liste de sociétés » anonymisée, sur laquelle figurait uniquement le nom d’I______.

24) Par décision du 8 mai 2017, la commission du barreau a prononcé un blâme à l’encontre de M. A______ après avoir constaté une violation de l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61).

D’une part, M. A______ avait agi en qualité d’intermédiaire financier au nom et pour le compte d’I______, figurant dans sa liste de dossiers soumis à la LBA. D’autre part, il avait agi pour le compte des actionnaires de H______, soit Mme F______, feu Mme B______, M. D______ B______ et
M. G______ B______, activité consistant dans la rédaction des conventions fiduciaires et le conseil des actionnaires dans la conclusion d’accords entre eux, divergeant des conventions fiduciaires. Sans cette activité, M. A______ n’aurait pas eu connaissance de ces accords internes, de sorte qu’il devait savoir qu’il s’agissait d’une activité typique d’avocat, sans quoi il aurait fait figurer H______ et ses ayants droit économiques dans la liste de dossiers LBA. Le manquement était grave dans la mesure où il violait une des règles cardinales de la profession d’avocat. M. A______ n’avait toutefois pas d’antécédent disciplinaire, ce qui justifiait de retenir une sanction modérée.

25) Par acte du 9 juin 2017, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant à son annulation, à la constatation qu’il n’avait pas violé le secret professionnel, notamment l’art. 13 al. 1 LLCA et à la condamnation de la commission du barreau en tous les frais et au versement d’une indemnité de procédure. Préalablement, il sollicitait la constatation de ce que le recours emportait effet suspensif de plein droit.

En dépit de ce qu’avait retenu la commission du barreau, il ne ressortait d’aucune allégation, élément de fait ou de preuve que sa connaissance des accords internes aurait été le résultat de conseils qu’il aurait dispensés. Au contraire, il n’avait fait que prendre connaissance de ces accords oraux internes à l’occasion des modifications de conventions fiduciaires écrites. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire qu’il exerce une activité de conseil pour en avoir connaissance. En outre, H______ ne figurait pas dans la liste des sociétés soumises à la LBA, car, en tant que « pure holding et propriétaire à 100 % d’I______ pour des questions d’optimisation fiscale », elle n’avait jamais été titulaire ou ayant droit économique de compte bancaire ni effectué une quelconque transaction financière telle que visée par la LBA. Quant aux membres de la famille B______, ayants droit économiques, ils ne devaient pas non plus figurer sur ladite liste car celle produite ne concernait que les sociétés ou cocontractants. Ils devaient en effet être indiqués sur une liste séparée, non produite, conformément aux obligations de diligence conduisant à séparer l’identification des cocontractants de celle des ayants droit économiques. Pour ces motifs, il y avait constatation inexacte des faits pertinents.

Pour le surplus, il persistait dans ses précédents développements.

26) Le 14 juillet 2017, la commission du barreau a transmis son dossier, sans formuler d’observations et en se référant au contenu de sa décision.

27) M. A______ n’ayant pas formulé d’observations complémentaires dans le délai imparti, les parties ont été informées le 13 octobre 2017 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi sur la profession d’avocat - LPAv - E 6 10 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L’objet du litige porte sur la conformité au droit de la sanction infligée par la commission du barreau au recourant pour violation du secret professionnel.

3) Dans un premier grief, le recourant se plaint d’une constatation inexacte des faits, la commission ayant retenu à tort que les éléments du dossier faisaient ressortir que sa connaissance des accords internes des actionnaires relevait d’une activité de conseil de sa part. Il n’en avait eu connaissance que grâce à son activité d’intermédiaire financier, laquelle ne saurait être couverte par le secret professionnel. En retenant le contraire, la commission du barreau avait violé le droit.

4) a. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b).

b. En l’occurrence, le recourant ne conteste pas que les diverses conventions fiduciaires conclues successivement avaient pour but de tenir compte des situations personnelles de chacun des actionnaires, telle que la condamnation pénale de M. D______ B______ en 2006 ou la procédure de divorce de Mme F______ à partir de 2009, afin d’assurer la conservation desdites actions en mains de la famille.

En outre, dans sa déclaration testimoniale du 28 novembre 2016, il a expressément mentionné que les faits relatés étaient conformes à ce qu’il avait pu observer personnellement.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que la commission du barreau a constaté une corrélation entre les accords oraux et internes entre les actionnaires et les conventions fiduciaires signées avec le recourant.

5) a. Le secret professionnel couvre tous les faits et documents confiés à l’avocat qui présentent un rapport certain avec l’exercice de sa profession.

b. La qualité de mandataire de l’avocat doit être précisée, car le secret professionnel ne couvre pas toutes les affaires que l’avocat s’est chargé de gérer ; il porte seulement sur ce qui relève de l’activité professionnelle spécifique (ou typique) d’un avocat ; d’autres activités atypiques d’un avocat, appelées aussi activités purement commerciales, qui pourraient aussi être fournies par des gérants de fortune, des fiduciaires ou des banquiers, telles que l’administration de sociétés et la gestion de fortune ou de fonds, en sont exclus (ATF 135 II 410 consid. 3.3 ; 132 II 103 consid. 2.1 ; 120 Ib 112 consid. 4 ; voir aussi ATF 112 Ib 606 ;
ATF 87 IV 108 ; SJ 2011 II p. 153, 168 ; SJ 2010 p. 145, 150). L’activité typique de l’avocat se caractérise par des conseils juridiques, la rédaction de projets d’actes juridiques, ainsi que l’assistance ou la représentation d’une personne devant une autorité administrative ou judiciaire (ATF 135 III 410 consid. 3.3). Le secret professionnel de l’avocat ne couvre toutefois pas seulement les documents ou conseils émis par l’avocat lui-même dans le cadre de son activité typique, mais également toutes les informations, faits et documents confiés par le mandant qui représentent un certain rapport avec l’exercice de la profession d’avocat, rapport qui peut être fort ténu (ATF 143 IV 462 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_486/2017 du 10 avril 2018 consid. 3.3).

c. C’est la conjonction de l’exercice de la profession, à titre indépendant, par un avocat inscrit sur le registre professionnel et le constat que la prestation fournie est destinée à l’accès du client au droit ou à la justice qui doivent amener à la conclusion que l’intervention de l’avocat s’inscrit bien dans l’exercice de ses activités professionnelles spécifiques d’avocat (Pascal MAURER et Jean-Pierre GROSS, Secret professionnel in Michel VALTICOS/Christian Michel REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], Commentaire romand - Loi sur les avocats, 2010, p. 165). En outre, faute de claire séparation entre l’activité typique de l’avocat et l’activité commerciale, il y a lieu, en cas de doute, de conclure au caractère commercial de l’activité (François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit, p. 754 et les références de jurisprudence citées ;
Jean-Tristan MICHEL, Le secret professionnel de l’avocat et ses limites, Revue de l’avocat 10/2009 et 11-12/2009, pp. 501 et 546).

d. S’agissant du mandat de dépôt ordinaire et notamment de la garde en dépôt d’un contrat, le Tribunal fédéral a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une activité typique de l’avocat ou du notaire (arrêt du Tribunal fédéral 1P.32/2005 du 11 juillet 2005 consid. 3.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2009.209 du 6 octobre 2009 consid. 3.2). Il en va de même de l’activité de dépositaire de certificats d’actions et du registre des actionnaires, qui n’est pas spécifique à la profession d’avocat (ATA/185/2015 du 25 mars 2014 consid. 5d).

En revanche, il a été considéré que l’activité de conseil consistant à proposer une solution dans l’intérêt de trois mandants visant à détenir les actions de la société dont ils étaient les actionnaires et à rédiger pour eux une convention de dépôt-séquestre, relevait de l’activité typique de l’avocat, couverte par le secret professionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_461/2014 du 10 novembre 2014 ; ATA/185/2015 précité consid. 4 et ss ; ATA/889/2015 du 1er septembre 2015).

6) En application de l’art. 13 al. 1 LLCA, l’avocat est le titulaire de son secret et il reste maître de celui-ci en toutes circonstances (ATF 136 III 296 consid. 3.3). L’avocat doit toutefois obtenir le consentement de son client, bénéficiaire du secret, pour pouvoir révéler des faits couverts par le secret (art. 321 ch. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0 ; art. 12 al. 2 LPAv). En cas de pluralité de mandants, chacun d’eux doit donner son accord. Lorsque l’accord du client ne peut pas être obtenu, l’avocat peut s’adresser à l’autorité compétente en vue d’obtenir la levée du secret professionnel. Une procédure de levée du secret professionnel de l’avocat ne saurait par conséquent avoir lieu que dans la mesure où le client s’oppose à la levée de ce secret ou n’est plus en mesure de donner son consentement (arrêts du Tribunal fédéral 2C_461/2014 du 10 novembre 2014 consid. 4.1 ; 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 et les références citées). 

7) En l’espèce, le recourant reconnaît lui-même que c’est à l’occasion des modifications successives des conventions fiduciaires écrites qu’il a pris connaissance des accords internes et oraux entre les quatre actionnaires.

Il s’ensuit que l’activité du recourant ne s’est pas limitée, comme aurait pu l’être celle d’un banquier, à la gestion fiduciaire des titres concernés. Elle s’est au contraire étendue à la rédaction de conventions fiduciaires, soit des actes juridiques, lesquelles ont été adaptées suivant les circonstances aux besoins de la famille, sur conseil du recourant. En effet, tel qu’indiqué précédemment, il n’est pas contesté que la répartition des actions au sein de la famille en question a été aménagée de façon à assurer leur maintien en mains de celle-ci. Il doit ainsi être considéré que les actionnaires ont fait appel à ses compétences pour élaborer les conventions fiduciaires successives en raison de son expertise d’avocat.

À cela s’ajoute que si le recourant prétend qu’en tant qu’ayants droit économiques, les membres de la famille devaient figurer sur une autre liste que celle produite concernant les sociétés, force est de constater qu’il n’a toutefois aucunement versé un tel document à la procédure.

En ces circonstances, avec la commission du barreau, il faut considérer que l’activité d’intermédiaire financier du recourant au nom et pour le compte d’I______ était distincte de celle visant à conseiller les actionnaires de H______ dans la rédaction des conventions fiduciaires, qu’il a lui-même signées. C’est bien sa fonction d’avocat qui l’a amené à déployer une telle activité, conformément à la jurisprudence susrappelée.

Ainsi, le recourant ne pouvait pas s’exprimer librement à ce sujet, notamment par déclaration testimoniale, sans avoir requis préalablement l’accord de tous ses mandants, sous peine de violer l’obligation de garder le secret à laquelle il est légalement astreint.

8) a. Selon l’art. 17 LLCA, en cas de violation de la LLCA, l’autorité de surveillance peut prononcer les mesures disciplinaires suivantes : l’avertissement, le blâme, une amende de CHF 20’000.- au plus, l’interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans ou l’interdiction définitive de pratiquer. L’amende peut être cumulée avec une interdiction de pratiquer. L’art. 20 al. 1 LLCA précise que l’avertissement, le blâme et l’amende sont radiés du registre cinq ans après leur prononcé.

b. Pour déterminer la sanction, l’autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte tant des éléments objectifs, tels l’atteinte objectivement portée à l’intérêt public, que de facteurs subjectifs, comme par exemple les motifs qui ont poussé l’intéressé à violer ses obligations.

c. L’autorité compétente pour prononcer une sanction administrative jouit en général d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre administrative ne censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/459/2010 du 29 juin 2010 ; ATA/6/2009 du 13 janvier 2009).

d. En l’espèce, le manquement reproché au recourant est grave, en particulier compte tenu de l’importance du secret professionnel dans le métier d’avocat, car il touche directement à la confiance qu’un client est en droit d’attendre de son avocat, ainsi qu’à la mise en œuvre de la justice. Cela étant, il est vrai que l’intéressé ne fait l’objet d’aucun antécédent disciplinaire.

En outre, compte tenu de sa profession d’avocat, le recourant ne pouvait pas ignorer les dispositions légales et la jurisprudence susrappelées, encadrant l’exercice de son activité professionnelle.

Ainsi, la sanction infligée, à savoir le blâme, apparaît justifiée tant dans son principe que dans le choix de la mesure disciplinaire. En prononçant un blâme, l’autorité intimée n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

9) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

10) Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 juin 2017 par M. A______ contre la décision de la commission du barreau du 8 mai 2017 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de procédure de CHF 500.- à la charge de M. A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cyrielle Friedrich, avocate du recourant, ainsi qu’à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cramer, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :