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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1405/2016

ATA/800/2016 du 27.09.2016 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 07.11.2016, rendu le 26.09.2017, REJETE, 8C_732/2016
Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; RAPPORTS DE SERVICE ; FONCTIONNAIRE ; COMMUNE ; GENÈVE(VILLE) ; ENQUÊTE ADMINISTRATIVE ; RÉSILIATION ; LICENCIEMENT ADMINISTRATIF ; JUSTE MOTIF ; OPPORTUNITÉ ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : Cst.29.al2; Statut du personnel de la Ville de Genève.34.al1; Statut du personnel de la Ville de Genève.34.al2; Statut du personnel de la Ville de Genève.82; Statut du personnel de la Ville de Genève.83; LPA.61
Résumé : Recourant qui ne conteste pas avoir rédigé à l'adresse d'une apprentie un billet injurieux et l'avoir déposé dans la case de celle-ci sur son lieu de travail. La forme et le contenu dudit billet, ainsi que les circonstances dans lesquelles celui-ci a été adressé constituent des éléments contrevenant au Statut du personnel de la Ville de Genève. Le manquement du recourant doit être qualifié de grave au vu de la violence, l'agressivité, le caractère attentatoire à l'honneur et menaçant des termes utilisés dans une note rédigée par un homme de l'âge et de l'expérience de l'intéressé dans le seul but de dénigrer sa jeune destinatrice, de porter atteinte à son honneur voire de la menacer, de même que la forme utilisée. Le motif fondé du licenciement est dès lors reconnu et partagé par la chambre administrative. Enfin, la décision de licenciement selon la voie ordinaire n'est pas disproportionnée. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1405/2016-FPUBL ATA/800/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 septembre 2016

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Thomas Barth, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______1964, a été engagé le 23 janvier 1985 en tant qu’ouvrier (aide-jardinier) au sein du service des espaces verts (ci-après : SEVE).

2) Le 10 novembre 1986, le Conseil administratif de la ville de Genève (ci-après : la ville) l’a mis au bénéfice du statut de fonctionnaire dès le 1er novembre 1986, le confirmant à cette fonction dès le 1er février 1988.

3) En juin 2004, M. A______ a obtenu le certificat fédéral de capacité lui permettant d’exercer la profession de gardien d’animaux.

4) Dès le 1er mars 2011, le libellé de sa fonction a été modifié en « gardien d’animaux ». Selon son cahier des charges établi en juin 2012, il devait participer à l’encadrement d’apprentis et de stagiaires.

5) Jusqu’à la présente cause, M. A______ n’a jamais fait l’objet de sanctions et ses rapports d’évaluation ont été bons, seules des difficultés dans les contacts avec autrui ayant été relevées, en lien avec une forme d’impulsivité.

6) Dans le courant du mois d’août 2012, Madame B______(ci-après : l’apprentie), âgée alors de 18 ans, a rejoint l’équipe d’agents du SEVE qui s’occupait du zoo du C______, dont M. A______ faisait partie, en vue d’accomplir un apprentissage de gardienne d’animaux d’une durée de trois ans. Il s’agissait de la première apprentie de sexe féminin accueillie par cette équipe.

L’apprentie s’est vu attribuer Monsieur D______, contremaître principal, comme formateur. Toutefois, M. A______ a été amené à l’encadrer dans ses activités sur le terrain.

7) Dès le 7 avril 2014, M. A______ s’est trouvé en incapacité totale de travail sur demande de son médecin traitant. Il a pu reprendre son activité le 3 novembre 2014, mais à 50 %. En outre, à la demande du médecin traitant, la direction du SEVE l’a déplacé pour qu’il reprenne temporairement son activité au cimetière de J______.

8) Le 3 novembre 2014 au matin, l’apprentie a trouvé dans son casier au C______ un message manuscrit dont M. A______, devant la direction du SEVE, a admis avoir été l’auteur.

Dans ce message, l’auteur tenait à l’encontre de l’apprentie de multiples propos insultants ou offensants, et par lesquels au surplus il la menaçait de poursuites en justice, mais aussi de s’en prendre à elle physiquement au cas où il la croiserait en évoquant des propos mensongers à son sujet, qu’elle aurait tenus à son épouse ou à d’autres personnes.

9) Le jour même, Monsieur E______, chef de service, l’a suspendu de son activité avec effet immédiat. Cette décision de suspension pour une durée de deux jours a été confirmée par écrit formellement le 4 novembre 2014 et elle n’a pas fait l’objet d’un recours.

10) Depuis le 4 novembre 2014, l’intéressé s’est à nouveau trouvé en incapacité de travail pour cause de maladie à 100 %. Il l’est resté jusqu’au 13 janvier 2016, date à laquelle son médecin traitant a indiqué qu’il avait recouvré une capacité de travail de 50 %.

11) Le 25 novembre 2014, le Conseil administratif de la ville a ouvert une enquête administrative à l’encontre de M. A______ en lien avec la teneur du billet que l’apprentie avait retrouvé dans son casier. Il était susceptible de ne pas avoir entretenu des relations dignes et correctes à l’égard de son apprentie, et d’avoir adopté un comportement incompatible avec son statut d’employé de la ville. Cela était susceptible de porter préjudice aux intérêts de son employeur, mais également de porter atteinte à la considération et à la confiance dont la fonction publique municipale devait être l’objet. Si ces manquements étaient avérés, ils constitueraient une violation grave des intérêts généraux des employés et étaient susceptibles d’une sanction disciplinaire ou d’un licenciement. Pendant la durée de l’enquête et jusqu’à une éventuelle sanction ou un licenciement, les mesures de suspension d’activité de M. A______ étaient confirmées. L’enquête a été confiée à Madame F______et Monsieur G______(ci-après : les enquêteurs), deux collaborateurs du service juridique de la ville. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours.

12) Lors de l’enquête administrative, M. A______ a été entendu, assisté de son conseil et de son épouse, en date du 19 janvier 2015.

Il était l’auteur de la lettre retrouvée dans le casier de l’apprentie. Il s’était ouvert courant mars 2014 auprès de celle-ci sur les sentiments affectifs qu’il éprouvait à son égard. Il l’avait fait à deux reprises, mais celle-ci lui avait signifié que ces sentiments n’étaient pas réciproques. Par la suite, il s’était confié auprès de M. D______ et d’un collègue, Monsieur H______, des sentiments qu’il éprouvait à l’égard de la jeune femme. Il n’avait pas apprécié que M. D______ informe la hiérarchie des motifs de son absence pour maladie. Il avait l’impression d’avoir été manipulé par l’apprentie qu’il considérait comme une menteuse en raison des informations inexactes qu’elle aurait données à propos de la façon dont il lui avait enseigné le travail. En outre, son épouse aurait perçu des rumeurs au sujet de rapports sexuels qu’il aurait eus avec l’apprentie, ce qui était faux. Alors qu’il devait reprendre le travail le 3 novembre 2014, il s’était rendu au C______ pour récupérer son uniforme. En passant devant le casier de l’intéressée, il s’était mis en colère et avait rédigé la lettre d’insultes qu’il avait placée dans le casier de celle-ci.

13) Au cours de l’enquête administrative, plusieurs témoins ont été entendus, M. A______ étant représenté par son conseil lors de ces auditions.

De l’audition de M. H______, il ressort les faits suivants :

a. Au printemps 2014, M. A______ lui avait fait part de ses sentiments pour l’apprentie. Il lui avait fait part d’un état de détresse et de pensées suicidaires. Cet état d’âme n’était pas seulement lié aux sentiments qu’il portait vis-à-vis de l’apprentie, mais à une situation personnelle générale difficile. M. H______ était allé immédiatement demander à M. D______ de prendre contact avec l’intéressé en lui signalant que celui-ci semblait ne pas être bien.

b. De l’audition de Madame I______, adjointe de direction au SEVE, il est ressorti les éléments suivants :

M. A______ était un bon employé qui faisait peu parler de lui. Elle avait eu des contacts avec lui dès avril 2014 en lien avec son absence pour cause de maladie et à fin octobre 2014, à sa reprise. À cette occasion, il lui avait fait part de ce que son médecin lui conseillait de ne pas reprendre une activité au C______. Lors d’une deuxième discussion à propos de sa reprise de travail, il lui avait été proposé de travailler provisoirement au cimetière J______. C’était M. A______ qui avait sollicité son déplacement en expliquant qu’il était tombé amoureux de l’apprentie, laissant entendre qu’il était en colère pour une raison que le témoin n’a pas identifiée, mais qui semblait liée à sa situation générale, incluant le fait d’être tombé amoureux de l’apprentie.

c.De l’audition de M. E______, sont ressortis les éléments suivants :

Quelques jours avant la reprise de son travail par M. A______, en novembre 2014, des collègues de ce dernier l’avaient interpellé, alertés par des propos tenus par celui-ci à l’encontre de l’apprentie, s’apparentant à ceux utilisés dans la lettre qu’il lui avait adressée. Il était désormais impossible que M. A______ puisse retourner travailler au sein de l’équipe du C______, ceci pour des questions de confiance.

d.De l’audition de M. D______, il est ressorti les éléments suivants :

Il était en charge de la formation de l’apprentie durant les trois ans d’apprentissage. Il n’avait jamais constaté de gestes particuliers entre M. A______ et l’apprentie. L’attitude de M. A______ avait changé à fin février 2014. Il se distançait de l’équipe et cherchait à s’adjoindre la présence de l’apprentie, alors qu’en principe il travaillait seul. Il s’investissait beaucoup dans la formation de celle-ci. Il avait exprimé qu’il avait des sentiments vis-à-vis de l’apprentie, mais sans jamais avoir eu de gestes déplacés à son encontre. Le témoin avait discuté avec l’apprentie qui avait confirmé les avances de l’intéressé, mais lui avait aussi dit qu’il n’y avait pas de réciprocité. Elle avait confirmé l’absence de gestes inappropriés de la part de M. A______. Le témoin avait demandé des conseils à la responsable des apprentis au sein du SEVE, demande à laquelle celle-ci avait déféré. Le témoin avait communiqué à M. A______ un numéro de téléphone d’aide psychologique pour faire part de ses problèmes. L’intéressé ne lui avait jamais dit qu’il souhaitait se suicider. Une semaine avant que M. A______ ne retourne au travail, son épouse avait contacté le témoin car elle souhaitait avoir une discussion avec l’apprentie, ce que le témoin avait refusé. Suite à cela, le témoin avait rencontré l’épouse de M. A______ qui considérait que son époux déprimait, mais en lien avec des frustrations autres. En septembre 2014, il avait mangé avec celui-ci qui considérait aller mieux, mais avait de la haine à l’égard de l’apprentie. Selon lui, le problème survenu avec elle n’avait été qu’un déclencheur d’une crise de mal-être liée à des facteurs plus généraux.

e. De l’audition de l’apprentie, il est ressorti les éléments suivants :

Elle connaissait l’intéressé depuis qu’elle était enfant. Elle n’avait jamais eu de sentiments vis-à-vis de lui, qu’elle considérait plutôt comme un père. Face aux avances qu’il lui avait faites, elle avait été très mal, pensant qu’il était complètement fou. Elle les avait repoussées en riant. Après qu’elle eut repoussé ses premières avances, l’intéressé était revenu à la charge. Elle l’avait à nouveau éconduit. Bien que l’intéressé lui ait demandé de ne pas faire état de leurs conversations, elle en avait parlé avec M. D______.

14) Le 8 juin 2015, les enquêteurs ont déposé leur rapport.

Il était confirmé que M. A______ avait écrit le mot trouvé par l’apprentie dans son casier le 3 novembre 2014. Ce courrier comportait de nombreuses insultes à son encontre, qui constituaient des infractions aux art. 82 et 83 let. a du statut du personnel de la ville du 29 juin 2010 - LC 21 151.30 (ci-après : le statut). La gravité de la violation des dispositions statutaires précitées devait être évaluée en prenant en compte le fait que les termes utilisés auraient pu conduire au prononcé d’une sanction pénale pour atteinte à l’honneur, si l’apprentie avait souhaité déposer plainte, mais également le fait que M. A______, employé de la ville depuis plus de trente ans, n’avait jamais fait l’objet de sanction, expliquant avoir fait ce geste sous l’emprise de la colère et de médicaments combinés avec de l’alcool, alors qu’il était dépressif, et qu’il a exprimé des regrets et excuses pour son geste. Il devait également être tenu compte du fait que l’intéressé semblait tenir rigueur à M. D______, son supérieur, d’être intervenu et qu’il considérait que l’apprentie portait une part de responsabilité dans ses actes, ce qui rendait difficile que l’intéressé retourne travailler au C______.

15) Après l’audition des témoins, l’intéressé ne pouvant pas être auditionné pour des raisons de santé, les enquêteurs lui ont posé différentes questions par écrit, auxquelles il a répondu le 20 mai 2015. Ces questions portaient sur des points de l’audition des témoins qu’ils avaient entendus. Il en ressortait les éléments suivants :

L’apprentie avait eu un comportement ambigu et provoquant vis-à-vis de lui, ce qui avait déclenché ses sentiments. Elle avait fait circuler à son endroit, en juin 2014, alors qu’il était en arrêt maladie, des rumeurs selon lesquelles ils auraient eu des rapports sexuels, ce qui était strictement faux. Son épouse, sa fille et d’autres personnes avaient eu connaissance de ces fausses rumeurs, et les deux premières en avaient beaucoup souffert. En juillet 2014, sa dépression s’était aggravée à tel point qu’il avait tenté de se suicider. Son épouse et sa fille étaient suivies psychologiquement. Sa fille avait dû manquer l’école durant plusieurs semaines et son épouse envisageait une séparation à la suite de ces rumeurs. L’apprentie voulait prendre sa place de travail et voulait qu’il en finisse avec sa vie. C’était dans ce contexte extrêmement tendu qu’il avait écrit, dans un raptus de colère, la lettre d’insultes posée dans l’armoire de l’apprentie. Il s’en excusait. Il n’avait jamais prémédité cette lettre. S’il avait utilisé plusieurs stylos de couleurs différentes, c’est qu’il y en avait dans le bureau de son supérieur. Il contestait avoir reçu un numéro de téléphone pour obtenir un soutien psychologique de M. D______. Il avait informé ce dernier de la teneur de la rumeur que l’apprentie avait fait circuler au sujet des rapports sexuels qui n’avaient jamais eu lieu.

16) Le 17 juin 2015, le Conseil administratif de la ville a transmis à M. A______ une copie du rapport d’enquête administrative en lui donnant un délai au 3 juillet 2015 pour communiquer ses observations. Le Conseil administratif envisageait de résilier les rapports de service pour motifs objectivement fondés en raison d’un manquement grave ou répété aux devoirs de service. L’art. 34 al. 2 let. b du statut était visé.

17) Le 29 juin 2015, le conseil de M. A______ a demandé que celui-ci soit entendu par une délégation du Conseil administratif de la ville. D’ores et déjà il s’opposait à un licenciement, une telle mesure étant disproportionnée. Une sanction moins incisive devait être prononcée.

18) Le 28 juillet 2015, M. A______ a été entendu par deux conseillers administratifs.

19) Le 31 juillet 2015, le Conseil administratif de la ville a écrit à M. A______. Suite à l’audition de l’intéressé, il avait décidé de poursuivre le processus de licenciement et de résilier l’engagement de l’intéressé. Celui-ci se trouvant en période de protection, la notification de cette décision interviendrait au terme de la période en question.

20) Le 30 septembre 2015, la direction des ressources humaines du département des finances de la ville a écrit au conseil de M. A______. Compte tenu de l’incapacité de travail totale de celui-ci, son droit à un traitement, dès le 1er avril 2016, à moins d’une reprise d’activité à 100 %, serait soit suspendu, soit équivalent à son taux de capacité de travail effectif. Il en irait de même du 13ème salaire, qui serait versé au prorata des mois indemnisés, soit du 1er janvier au 31 mars 2016. Nonobstant la suspension de traitement dès le 1er avril 2016, M. A______ devrait continuer à faire parvenir tous les mois un certificat médical attestant de son incapacité de travail. Dès le 1er mai 2016, s’il désirait être assuré pour les accidents non professionnels, il conviendrait qu’il souscrive sa propre assurance accident.

21) Le 29 décembre 2015, M. A______ a informé la ville de ce qu’il entendait reprendre son activité dès le 18 janvier 2016, son médecin ayant considéré qu’il avait recouvré partiellement sa capacité de travail dès le 16 janvier 2016 selon le certificat médical qu’il transmettait.

22) Le 12 janvier 2016, les services du Conseil administratif ont accusé réception de ce courrier. Ils prenaient acte du souhait de l’intéressé de reprendre ses activités dès le 18 janvier 2016. Toutefois, celui-ci était suspendu depuis le 5 novembre 2014 et cette mesure continuait à déployer ses effets. Il n’avait donc pas à se présenter sur son lieu de travail le 18 janvier 2016.

23) Selon les certificats médicaux que M. A______ a transmis aux services du Conseil administratif de la ville pour les mois de janvier à mars 2016, l’intéressé est resté en incapacité de travail à 50 %.

24) Le 9 mars 2016, la direction des ressources humaines de la ville a écrit à M. A______. Dans son cas, le versement de l’indemnité pour incapacité de travail totale ou partielle échoirait le 31 mars 2016. Dès le 1er avril 2016, sont traitement correspondrait à son taux de capacité de travail effectif, actuellement de 50 %. L’intéressé restait soumis à l’obligation de fournir chaque mois un certificat médical attestant de son incapacité de travail.

25) Le 14 mars 2016, le conseil de M. A______ a informé la ville que M. A______ serait totalement capable de travailler à partir du 1er avril 2016, ainsi que l’indiquait le dernier certificat médical du 19 février 2016.

26) Le 4 avril 2016, par pli recommandé adressé au domicile élu de l’intéressé, le Conseil administratif a mis fin aux rapports de fonction au 31 octobre 2016, conformément à l’art. 34 al. 1 let. c du statut. L’intéressé était libéré de son obligation de travailler jusqu’au terme de son délai de congé. La décision en question était exécutoire nonobstant recours.

Ainsi que l’avait constaté l’enquête administrative, le comportement adopté par l’intéressé constituait une violation des art. 82 et 83 let. a du statut, lorsqu’il avait déposé dans le casier de l’apprentie un mot comportant de nombreuses insultes à l’égard de cette dernière, alors que, chargé de participer à son encadrement, il se devait d’adopter un comportement irréprochable et exemplaire à son égard. En outre, les faits avaient provoqué un choc au sein de l’équipe à laquelle il collaborait, qui en avait été affectée. Un retour sur son lieu de travail ne serait dès lors plus possible, voire souhaitable.

27) Par acte posté le 4 mai 2016, M. A______ a interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du Conseil administratif de la ville du 4 avril 2016 précitée, qu’il avait reçue le 5 avril 2016. Il concluait à l’annulation de cette décision et à sa réintégration à son ancien poste ou à un autre poste conforme à ses compétences au sein de la ville. S’il devait être sanctionné, cette sanction devait être d’un niveau inférieur à celui qui avait été choisi.

Préalablement, il sollicitait l’audition de son épouse, pour permettre une investigation complète sur sa personnalité et sa responsabilité.

Il admettait les faits qui lui étaient reprochés. Il admettait qu’il devait être sanctionné, mais considérait que cette sanction devait être de rang inférieur à celle d’un licenciement. En optant pour une telle issue, le Conseil administratif de la ville avait pris une décision disproportionnée. En effet, s’il avait commis un manquement, celui-ci n’était ni grave ni répété. Contrairement à ce que retenait la ville, le message manuscrit qu’il avait rédigé et placé dans le casier de l’apprentie n’avait pas porté atteinte au bon fonctionnement du SEVE. L’apprentie avait d’ores et déjà terminé son apprentissage. Elle n’avait pas eu peur du message en question, et n’avait pas d’objection à ce qu’il réintègre son poste. Il prenait acte de ce que ses collègues étaient restés choqués par l’épisode qui avait débouché sur la décision attaquée. Toutefois, cette inquiétude était principalement liée à son propre état de santé et à ses idées suicidaires. Cette inquiétude pour la santé d’un collègue ne pouvait pas mettre à mal la bonne marche d’un service. Il regrettait le message d’insultes. Celui-ci était le résultat d’une soudaine et circonscrite colère due à la vision du casier de l’apprentie qui lui avait rappelé les rumeurs humiliantes que celle-ci avait fait circuler à son égard. Il n’avait jamais cependant eu aucune réelle volonté de nuire à l’intéressée. Le but du message était d’attirer l’attention sur une période difficile de sa vie, lors de laquelle il s’était senti non respecté et humilié par l’apprentie et d’autres personnes du SEVE. Il n’avait jamais eu d’antécédents. Il n’avait pas de fonction hiérarchique particulière et pas d’obligation spéciale liée à ce type de fonction. L’infraction commise ne devait pas être qualifiée de spécialement grave. En effet, les mots qu’il avait utilisés relevaient de la simple injure et aucune plainte n’avait été déposée. Des exemples tirés de la jurisprudence de la chambre administrative, qu’il citait, démontraient la moindre gravité de sa situation par rapport à celle d’autres recourants également sanctionnés.

28) Par décision du 26 mai 2016, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l’effet suspensif au recours.

29) Le 6 juin 2016, la ville a conclu au rejet du recours.

Il n’y avait pas lieu d’entendre l’épouse du recourant, une telle audition n’étant pas utile à la solution du litige.

Le licenciement de M. A______ était conforme au droit. La ville avait respecté les exigences de procédure et de délais prévues par le statut. Les faits sur lesquels le licenciement s’appuyait constituaient un manquement grave ou répété aux devoirs de service. Le recourant ne le contestait pas, se limitant à discuter la façon dont ils avaient été appréciés.

Le recourant avait une obligation de s’abstenir de tout comportement pouvant porter préjudice aux intérêts de la ville, entretenir des relations dignes et correctes avec ses supérieurs, collègues ou subordonnés. Il devait établir des contacts emprunts de compréhension et de tact avec le public et tout faire pour justifier et renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique devait être l’objet.

Par la rédaction et le dépôt dans le casier de l’apprentie du billet manuscrit insultant, voire menaçant, rédigé d’une manière qui comportait de nombreux termes à connotation pénale, il n’avait pas respecté les obligations précitées. Les collègues de l’intéressé avaient été particulièrement choqués de ce qui s’était passé. La ville était légitimée à considérer que les manquements reprochés étaient d’une particulière gravité, ayant au final gravement porté atteinte à son image et au bon fonctionnement du service. Dans ces circonstances, l’existence de motifs objectivement fondés devait être retenue, qui justifiait le licenciement.

La décision prise respectait le principe de la proportionnalité. Sur ce point, l’argumentation du recourant était fausse. Il perdait de vue que la décision de licenciement pour motifs objectivement fondés n’était pas une révocation disciplinaire, mais un licenciement ordinaire. Dès lors, la jurisprudence qu’il avait citée, qui s’appliquait à des révocations de nature disciplinaire, n’était pas applicable. La ville avait certes choisi de mettre fin aux rapports de travail. Elle avait cependant opté pour une résiliation avec délai de recours et non pas pour une résiliation immédiate des rapports de service pour justes motifs, ou pour un licenciement avec effet rétroactif à la date de suspension de l’activité. Vu les faits retenus, la décision prise respectait le principe de proportionnalité, ce d’autant plus que l’intéressé ne cessait de minimiser ses actes en tentant de rejeter sa faute sur l’apprentie, ou en affirmant qu’elle aurait voulu qu’il se suicide pour récupérer son poste de travail. Au surplus, aucune réintégration de l’intéressé n’était possible.

30) Le 14 juin 2016, le recourant a persisté dans ses conclusions.

31) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Fonctionnaire de la ville, le recourant est soumis au statut.

3) Le recourant sollicite l'audition de son épouse par la chambre administrative.

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêt du Tribunal fédéral 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3 p. 282 ; 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_552/2011 du 15 mars 2012 consid. 3.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge examine ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 133 II 235 consid 5.2 p. 248 ; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; 2C_514/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1).

En l'espèce, la chambre de céans renonce à procéder à l'acte d'instruction sollicité, dans la mesure où il n'est pas de nature à influer sur l'issue du litige. Elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer en connaissance de cause, au regard notamment des éléments recueillis au travers de l’enquête administrative, sans qu’il y ait à clarifier par une audition de l’épouse du recourant d’autres éléments relatifs à la personnalité ou à la responsabilité de celui-ci.

4) À teneur de l’art. 34 al. 1 du statut, après la période d’essai, tout employé de la ville peut être licencié par décision motivée du Conseil administratif pour motif objectivement fondé pour la fin d'un mois, moyennant un délai de préavis de trois mois durant les cinq premières années de service (let. a) ; de quatre mois de la sixième à la dixième année de service (let. b) ; de six mois dès la onzième année de service (let. c).

Selon l’art. 34 al. 2 du statut, est considéré comme objectivement fondé tout motif dûment constaté démontrant que les rapports de service ne peuvent pas se poursuivre en raison : de l'insuffisance des prestations (let. a) ; d’un manquement grave ou répété aux devoirs de service (let. b); de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. c) ; de la suppression du poste sans qu'il soit possible d'affecter la personne concernée à un autre emploi correspondant à ses capacités et aptitudes professionnelles (let. d) ; de l'échec définitif aux examens d'aptitude à l'exercice de sa profession (let. e).

5) Selon l’art. 82 du statut, d’une manière générale, les employés de la ville sont tenus aux intérêts de celle-ci et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. L’art. 83 du statut énonce les obligations générales auxquelles sont soumis les employés de la ville. En particulier, ceux-ci doivent, par leur attitude, entretenir des relations dignes et respectueuses avec leurs collègues, leurs supérieurs et leurs subordonnés, ainsi que faciliter la collaboration avec ces personnes (let. a).

6) Les communes disposent d’une très grande liberté de décision dans la définition des modalités concernant les rapports de service qu’elles entretiennent avec leurs agents (arrêt du Tribunal fédéral 2P.46/2006 du 7 juin 2006 ; François BELLANGER, Contentieux communal genevois, in : L’avenir juridique des communes, Zurich 2007, p. 149). Ainsi, l’autorité communale doit bénéficier de la plus grande liberté d’appréciation pour fixer l’organisation de son administration et créer, modifier ou supprimer des relations de service nécessaires au bon fonctionnement de celle-ci, questions relevant très largement de l’opportunité et échappant par conséquent au contrôle de la chambre administrative (art. 61 LPA).

Ce pouvoir discrétionnaire ne signifie pas que l’autorité est libre d’agir comme bon lui semble. Elle ne peut ni renoncer à exercer ce pouvoir, ni faire abstraction des principes constitutionnels régissant le droit administratif, notamment la légalité, la bonne foi, l’égalité de traitement, la proportionnalité et l’interdiction de l’arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 2P. 163/ 2005 du 31 août 2005 consid. 6.1 ; Blaise KNAPP, Précis de droit administratif 1991, n. 161 ss, pp. 35-36). Le juge doit ainsi contrôler que les dispositions prises se tiennent dans les limites du pouvoir d’appréciation de l’autorité communale et qu’elles apparaissent comme soutenables au regard des prestations et du comportement du fonctionnaire, ainsi que des circonstances personnelles et des exigences du service (ATA/453/2013 du 30 juillet 2013 consid. 8 ; ATA/329/2013 du 28 mai 2013 ; ATA/707/2011 du 22 novembre 2011).

7) En l’espèce, le recourant ne conteste pas avoir manqué le 3 novembre 2014 à ses obligations d’employé de la ville par le comportement qu’il a adopté vis-à-vis de l’apprentie en rédigeant à son adresse le billet injurieux qu’il a posé dans la case de celle-ci sur son lieu de travail. La forme et le contenu dudit billet, ainsi que les circonstances dans lesquelles celui-ci a été adressé à l’apprentie constituent autant d’éléments contrevenant à l’art. 82 du statut, mais surtout aux obligations spécifiques incombant à tout employé municipal vis-à-vis de ses collègues telles que précisées à l’art. 83 let. a du statut.

8) Selon le recourant, la décision de le licencier serait disproportionnée par rapport à la faute qu’il aurait commise, qui serait « loin d’être grave ou répétée ». En réalité, sous le couvert d’une argumentation sur la proportionnalité, il remet en question la légalité de cette décision, puisque l’existence d’un manquement grave ou répété constitue l’un des motifs pouvant conduire à un licenciement ordinaire.

Cette position n’est pas soutenable. La violence, l’agressivité, le caractère attentatoire à l’honneur et menaçant des termes utilisés dans une note rédigée par un homme de l’âge et de l’expérience du recourant dans le seul but de dénigrer sa destinatrice, de porter atteinte à son honneur, voire de la menacer, de même que la forme utilisée, sont autant d’aspects d’un comportement qui, quels qu’en aient été les motifs, constitue un manquement qui doit être qualifié de grave, et d’autant plus important que la victime était une personne jeune, en formation et, par définition, peu expérimentée dans le monde professionnel. L’impact dudit comportement sur la victime doit être pris en compte même si celle-ci a choisi de ne pas déposer plainte contre l’auteur des actes. Il en va de même de l’impact négatif desdits actes sur le fonctionnement du service dans lequel le recourant était employé. Dans ces circonstances, l’autorité intimée était autorisée à retenir l’existence d’un motif fondé de licenciement au sens de l’art. 34 al. 2 let. b du statut.

9) Une mesure viole le principe de la proportionnalité notamment si elle excède le but visé et qu'elle ne se trouve pas dans un rapport raisonnable avec celui-ci et les intérêts, en l'espèce publics, compromis (ATF 130 I 65 consid. 3.5.1 et les arrêts cités; 128 II 292 consid. 5.1).

10) La ville a opté pour le licenciement du recourant selon la voie ordinaire, alors que les faits étaient éventuellement susceptibles d’entraîner une sanction administrative et notamment une révocation de l’intéressé, laquelle s’impose surtout dans les cas où le comportement de l'agent démontre qu'il n'est plus digne de rester en fonction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2013 du 7 juillet 2013 consid. 2.4 ; 8C_203/2010 du 1 er mars 2011 consid. 3.5). Ce choix pourrait prêter à discussion, vu l’attitude adoptée par le recourant qui, comme le relève l’enquête administrative, même s’il a regretté les faits, a persisté à vouloir faire porter une part de responsabilité à la victime. Ce choix n’est cependant juridiquement pas arbitraire selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 consid. 7.2 ; 8C_866/2010 du 12 mars 2012 consid. 4.2,2 ; 8C_203/2010 précité consid. 3.5) et ressortit à l’opportunité que la chambre de céans n’a pas compétence de revoir.

11) Sous l’angle du respect du principe de la proportionnalité, la décision de la ville de se séparer de son collaborateur n’est pas en elle-même critiquable. L’option prise d’un licenciement ordinaire en lieu et place d’une révocation peut déjà valablement résulter de la volonté d’un employeur de choisir une issue proportionnée, tenant compte de la situation d’un collaborateur de longue date qui jusque-là n’avait pas démérité. En outre, cette décision se trouve dans un rapport raisonnable au regard de la gravité du manquement relevé, de la situation personnelle du collaborateur, de son âge et de son comportement antérieur aux faits, mais aussi postérieur à ceux-ci qui met en évidence qu’encore au stade du présent recours, l’intéressé minimise les faits et n’a pas compris le caractère inadmissible de son comportement en continuant à faire porter une part de responsabilité à la victime.La décision attaquée n’est en tout cas pas excessive selon ces paramètres. Elle est également justifiée par l’intérêt à ramener la sérénité au sein du service dans lequel les faits se sont déroulés, et elle est apte à produire un tel résultat. Elle ne peut dès lors qu’être confirmée.

12) Le recours sera rejeté.

13) Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la ville qui dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/597/2016 du 12 juillet 2016 consid. 9).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 mai 2016 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 4 avril 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Thomas Barth, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

la greffière :