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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3732/2015

ATA/597/2016 du 12.07.2016 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : DOMICILE ; POLICE DU FEU ; LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT ; ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL ; LÉGALITÉ ; INTÉRÊT PUBLIC ; PROPORTIONNALITÉ ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : Cst.24; Cst.36; Statut du personnel de la Ville de Genève.85.al3; Statut du personnel de la Ville de Genève.108.al3; RASIS.12.al1; RASIS.16; Cst.8
Résumé : Refus de la ville d'autoriser le recourant, sapeur-pompier, à se domicilier à Apples, soit à l'extérieur du rayon de domiciliation de trente minutes de trajet. Il s'agit d'une restriction à la liberté d'établissement, laquelle est conforme au principe de la légalité, est justifiée par l'intérêt public au bon fonctionnement du service d'incendie et de secours, à la bonne gestion des urgences et à la sécurité publique, et respecte le principe de la proportionnalité. Absence de violation du principe de l'égalité de traitement. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3732/2015-FPUBL ATA/597/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 juillet 2016

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Sophie Ciola-Dutoit, avocate

contre

VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Par décision du 19 décembre 2012, le Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : le CA et la ville) a engagé Monsieur A______, domicilié au B______, C______, dans le canton de Vaud, en qualité de
sapeur-pompier professionnel au service d’incendie et de secours (ci-après : SIS) à compter du 1er avril 2013.

La nomination était subordonnée à sa domiciliation sur le territoire genevois ou dans la zone autorisée et définie par le protocole d’accord relatif aux directives d’application de la domiciliation des employés de la ville selon l’art. 12 du règlement d’application relatif au personnel en uniforme du SIS du 14 octobre 2009 (RASIS - LC 21 152.30). Un délai de six mois lui était imparti pour ce faire.

2) Le 1er avril 2013, M. A______ a transféré son domicile au D______, E______, soit à vingt-huit minutes de route de la caserne principale sise à la rue du Vieux-Billard, selon l’itinéraire ViaMichelin.

3) Dès le 1er octobre 2013, il a été domicilié au F______, G______, à trente minutes de route de la caserne principale, conformément à l’itinéraire ViaMichelin.

4) Le 19 février 2015, l’intéressé a conclu un acte de vente à terme avec droit d’emption portant sur l’achat d’un bien immobilier, sis H______, dans la commune I______.

Le délai maximal d’exécution de la vente était fixé au 26 juin 2015 et le prix s’élevait à CHF 850'000.-.

5) a. Le 28 avril 2015, M. A______ a déposé auprès de la commission de domiciliation de la ville (ci-après : la commission) une demande de domiciliation en dehors de la zone géographique autorisée pour le personnel en uniforme du SIS.

Vivant dans un petit appartement à G______, il avait l’occasion, avec son épouse, de devenir propriétaire. Ils n’avaient rien trouvé dans le périmètre autorisé et avaient eu une opportunité unique dans la commune I______, se trouvant à cinquante-trois minutes de la caserne principale, soit au-delà du temps réglementaire. L’habitation avait toutefois de nombreux avantages pour sa famille. Un train reliait I______ à J______, de sorte qu’il pourrait venir en transports publics pour être en caserne à 7h00. Il possédait en outre un scooter pour effectuer le trajet de son domicile à la gare de J______ et un véhicule à quatre roues motrices pour l’hiver. Leur fils, né le ______ 2015, pourrait être gardé par ses grands-parents, habitant à K______. Venant en train, il n’aurait pas la fatigue due à la conduite et au stress de la route, son domicile à I______ n’ayant ainsi aucune influence sur son rendement au travail. En cas de réponse positive, il s’engageait à répondre aux alarmes à domicile dans les plus brefs délais. Celles-ci ayant lieu principalement la nuit, la durée du trajet pouvait être considérée comme raccourcie. Il avait effectué un test à 22h et avait mis quarante minutes de porte à porte.

b. À l’appui de sa requête, il a produit l’horaire des chemins de fer fédéraux suisses (ci-après : CFF), selon lequel il pourrait quitter I______ à ______ et arriver à la gare Cornavin à ______, pour une durée de trajet de cinquante et une minutes, ainsi que l’itinéraire ViaMichelin du centre I______ à la rue du Vieux-Billard, d’une durée de cinquante-trois minutes.

6) Le 17 juin 2015, M. A______ a été auditionné par la commission.

7) Par décision du 19 juin 2015, la commission a opposé un refus à la demande de l’intéressé, qui ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’une dérogation l’autorisant à habiter hors de la zone de domiciliation.

8) Le 20 juillet 2015, M. A______ a recouru contre cette décision devant le CA, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à la commission, subsidiairement à l’octroi de l’autorisation de se domicilier à I______.

La décision litigieuse violait le principe de la proportionnalité et sa liberté d’établissement, en l’absence d’intérêt public prépondérant. Au vu de la naissance de son fils, de la nécessité de trouver un bien immobilier permettant d’y loger les membres de sa famille dans un contexte de pénurie, du prix raisonnable du bien immobilier acquis, de l’activité professionnelle de son épouse à J______ et des avantages offerts par la commune I______, ses intérêts privés constituaient des motifs sérieux et importants. Il n’était jamais véritablement de piquet. S’il pouvait être appelé pendant ses congés, il n’avait pas l’obligation de se trouver en un lieu précis, quel que soit son lieu de domicile, et ne devait y donner suite que dans la mesure de ses possibilités. Il pourrait répondre aux alarmes comme il l’avait toujours fait, malgré un temps de trajet de dix à quinze minutes supplémentaires. L’intérêt public ne serait pas péjoré par son nouveau domicile. Il existait une mesure moins incisive que celle de l’obligation de domiciliation dans un rayon de trente minutes, soit l’organisation d’un véritable piquet durant lequel les
sapeurs-pompiers devraient se trouver à moins de trente minutes de trajet, le domicile n’ayant alors plus d’influence.

9) Par décision du 22 septembre 2015, le CA a rejeté le recours.

Le changement de domicile excédait la zone autorisée et ne satisfaisait pas aux critères relatifs aux cas limites permettant d’octroyer une dérogation. La distance à laquelle l’intéressé désirait résider se trouvait à 59 km de la caserne principale. Le temps estimé pour y parvenir était de cinquante-six minutes. Il excédait de vingt-six minutes le temps prévu par l’ordre de service applicable.

S’agissant de l’intérêt privé du recourant, les motifs invoqués relevaient de la convenance personnelle et devaient céder le pas face à l’intérêt public au bon fonctionnement du SIS.

10) Par acte du 23 octobre 2015, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant, préalablement, à l’admission provisoire de son domicile à I______ pendant la procédure de recours et, principalement, à l’annulation de la décision attaquée et de celle de la commission du 19 juin 2015, à l’octroi de l’autorisation de se domicilier à I______ ainsi qu’à l’allocation d’une indemnité de procédure.

Il a repris et complété l’argumentation développée précédemment.

Les pompiers alarmés n’intervenaient que pour renforcer, en cas de besoin, les équipes de pompiers en service se trouvant en caserne, de sorte que la nécessité de rapidité de leur intervention devait être appréciée différemment et qu’un temps de déplacement de quinze, trente ou quarante-cinq minutes avait une influence minime. Le rayon de domiciliation prévu pour le personnel en uniforme du SIS et la décision de la commission violaient sa liberté d’établissement.

11) Le 11 novembre 2015, la ville a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.

12) Par décision du 17 novembre 2015, la chambre administrative a rejeté la demande de mesures provisionnelles.

13) a. Par réponse du 30 novembre 2015, la ville s’en est rapportée à justice quant à la recevabilité du recours et a conclu à son rejet, avec suite de frais et « dépens », reprenant la motivation de la décision attaquée en la précisant.

Le domicile envisagé n’était de loin pas situé dans la zone de domiciliation autorisée, qui s’étendait jusqu’à la hauteur de L______, et se trouvait à près du double du temps déterminant, ceci sans compter le trafic lié aux heures de pointe et ses autres aléas. Il ne s’agissait pas d’un cas limite ouvrant la voie d’une éventuelle dérogation. Il avait accepté d’être engagé en ayant connaissance de la condition de domiciliation, ayant dû déménager de C______ à E______ pour la respecter. En l’absence de contestation de cette condition lors de son engagement, il était forclos à invoquer une violation de sa liberté d’établissement.

La restriction à la liberté d’établissement était d’autant plus faible que le rayon d’habitation autorisé était important, couvrant une grande partie de l’agglomération franco-valdo-genevoise, et constituait un inconvénient compensé par une prime professionnelle. L’intéressé n’avait pas démontré ne pas avoir été en mesure de trouver un logement au sein de la zone autorisée. Il ne pouvait se prévaloir d’une situation de fait qu’il avait lui-même provoquée en acquérant une maison largement en dehors du rayon de domiciliation avant d’entreprendre les démarches en vue d’obtenir une éventuelle dérogation, plaçant ainsi les autorités devant le fait accompli. Son intérêt privé était extrêmement faible et l’intérêt public au bon fonctionnement d’un service d’urgence, important en termes de sécurité publique, était prépondérant. Le régime d’alarme à domicile était régulièrement mis en œuvre, en moyenne à une quarantaine de reprises par année. Cette organisation, liée aux impératifs du service, rendait la proximité nécessaire et permettait au personnel de jouir, en contrepartie, d’une certaine liberté pendant les périodes de repos, laquelle ne serait pas aussi étendue en cas d’instauration d’un régime de piquet. Si les sapeurs-pompiers n’étaient pas contraints d’être disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils devaient donner suite aux alarmes, sauf empêchement justifié, ce qui correspondait également à un inconvénient compensé financièrement. Le prononcé d’une dérogation dans le cas d’espèce créerait un grave précédent, provoquant un assouplissement du rayon de domiciliation à une heure de route de la caserne et engendrant des répercussions susceptibles de porter gravement atteinte au bon fonctionnement du SIS en tant que service d’urgence.

b. À l’appui de sa réponse, elle a notamment versé à la procédure les décomptes de salaires de l’intéressé d’août à octobre 2015, à teneur desquels il percevait une prime professionnelle de sapeur-pompier mensuelle de CHF 901.20, et l’itinéraire ViaMichelin de H______ à la rue du Vieux-Billard imprimé le 9 novembre 2015, d’une durée de cinquante-six minutes.

14) a. Par réplique du 13 janvier 2016, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Vu les changements d’horaires CFF, il pourrait prendre son service à 7h00, quelle que soit la caserne à laquelle il devrait se rendre. En 2015, la commission avait accordé des dérogations domiciliaires à des sapeurs-pompiers domiciliés dans des communes se trouvant à quarante, voire à cinquante minutes en voiture de la caserne principale. Une dérogation domiciliaire devait lui être accordée en vertu du principe d’égalité de traitement.

b. À l’appui de sa réplique, il a produit le nouvel horaire CFF, à teneur duquel il pourrait quitter I______ à ______ et arriver à la gare Cornavin à ______, pour une durée de trajet d’une heure.

15) a. Par duplique du 29 janvier 2016, la ville a persisté dans l’intégralité de ses conclusions.

Le temps de trajet déterminant était celui depuis le domicile effectif et non le centre de I______. L’intéressé admettait qu’il ne pourrait arriver à l’heure que grâce à un récent changement d’horaires CFF, ce qui ne faisait que confirmer que le domicile envisagé se situait largement au-delà du périmètre raisonnablement admissible pour un employé en uniforme du SIS. Il n’était pas concevable que la ponctualité du personnel exerçant une fonction aussi importante et critique soit tributaire des changements d’horaires de transports publics, fréquents.

b. Le nouvel itinéraire ViaMichelin annexé, datant du 29 janvier 2016, prévoyait désormais un temps de trajet de cinquante-sept minutes de H______ à la caserne principale.

16) Le 1er février 2016, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 104 du statut du personnel de la ville du 29 juin 2010 - LC 21 151 [ci-après : le statut] ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de la ville opposant un refus à le demande de domiciliation à I______ du recourant, sapeur-pompier.

3) Le recourant soutient que la condition de domiciliation prévue pour le personnel en uniforme et la décision attaquée violeraient la liberté d’établissement.

a. Selon l’art. 24 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), les Suisses et les Suissesses ont le droit de s’établir en un lieu quelconque du pays (al. 1). Ils ont le droit de quitter la Suisse ou d’y entrer (al. 2). La liberté d’établissement enjoint ainsi à la Confédération, aux cantons et aux communes de permettre à tout ressortissant suisse de s’établir sur leur territoire, soit pour y constituer un domicile, soit pour y séjourner, et a pour but de promouvoir et de garantir la libre circulation des personnes sur l’ensemble du territoire national (ATF 135 I 233 consid. 5 p. 248 s. ; 131 I 266 consid. 3 p. 269 ; 128 I 280 consid. 4.1.1 p. 282 s.).

b. La liberté d'établissement, comme tout autre droit fondamental, peut être restreinte aux conditions de l'art. 36 Cst. En vertu de cette disposition, toute restriction doit être fondée sur une base légale (al. 1), justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui, et proportionnée au but visé (al. 2 et 3). En outre, l'essence des droits fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4 Cst.). Ces conditions s'appliquent aussi aux rapports de droit spéciaux (ATF 128 I 280 consid. 4.1.2 p. 283 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 du 11 mai 2015 consid. 3.6).

c. En l’espèce, l’obligation de domiciliation à une distance maximale correspondant à trente minutes de trajet et, dans le cas particulier, le refus de domiciliation à I______ constituent manifestement une restriction à la liberté d’établissement du personnel en uniforme du SIS, respectivement du recourant, de sorte qu’elle doit reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité.

4) a. Selon l’art. 85 al. 3 du statut, lorsque les besoins du service l’exigent, un lieu de résidence déterminé peut être imposé aux employés concernés. À teneur de l’art. 108 al. 3 let. e du statut, se trouvant dans le chapitre relatif au personnel en uniforme du SIS, le CA peut déroger aux dispositions du statut portant sur les questions de domiciliation.

Le personnel en uniforme comprend les sapeurs-pompiers de l’entité d’intervention feu (art. 2 RASIS). Peuvent être nommées en qualité d’employés les personnes domiciliées dans le rayon de domiciliation défini par le CA par le biais d’une directive spécifique, qui offrent toutes les garanties de moralité et satisfont aux exigences de la fonction (art. 12 al. 1 et 16 RASIS). Compte tenu des nécessités du SIS et notamment de la possibilité d’être alarmé à domicile, le personnel en uniforme du SIS doit être domicilié sur un territoire strictement défini, plus retreint que celui imposé au personnel de la ville (art. 2 de la directive relative au rayon de domiciliation du personnel en uniforme du SIS [ci-après : la directive]). Le plan joint à la directive définit le rayon de domiciliation autorisé pour le personnel en uniforme, sous réserve des cas visés à l’art. 5 de la directive. Ce rayon prend en compte un temps de parcours maximum de trente minutes en véhicule automobile jusqu’à la caserne principale (art. 3 de la directive). Un ordre de service spécifique définit les modalités de résolution des cas limites, notamment par l’adoption d’un logiciel cartographique faisant fonction de juge de paix (art. 4 de la directive). Les domiciles situés à proximité immédiate, mais à l’extérieur du rayon de domiciliation, tel que défini par le plan, sont considérés comme cas limites et traités comme tels (art. 1 de l’ordre de service du SIS no 2.1.2 [ci-après : OS no 2.1.2]). L’unique critère pour résoudre les cas limites est un temps de parcours maximum de trente minutes, en véhicule automobile, depuis le lieu de domiciliation jusqu’à la caserne principale (art. 2 OS no 2.1.2). Deux logiciels cartographique se trouvant sur internet – ViaMichelin et Touring Club Suisse – servent de base pour déterminer le parcours maximum de trente minutes jusqu’à la caserne principale, faisant ainsi fonction de juge de paix
(art. 3 OS no 2.1.2).

b. En l’espèce, le recourant ne conteste pas que ces dispositions lui sont applicables et constituent une base légale suffisante pour lui imposer l’obligation de domicile dans le rayon de domiciliation défini. Il ne conteste pas non plus que le domicile envisagé à I______ se trouve hors de la zone de domiciliation et il n’argumente pas qu’il s’agirait d’un cas limite.

La restriction à la liberté d’établissement est ainsi conforme au principe de la légalité.

5) Il convient ensuite d’examiner si la restriction à la liberté d’établissement repose sur un intérêt public.

a. Dans un premier temps, le Tribunal fédéral a jugé qu'il était généralement admis que l'État, en tant qu'employeur, puisse adopter des prescriptions sur le domicile d'un fonctionnaire dans le cadre des règles légales concernant les rapports de service. On pouvait invoquer une série de raisons objectives allant
au-delà de la stricte nécessité du service. D'après la conception régnant en Suisse, il fallait s'efforcer de créer certains liens entre, d'une part, le fonctionnaire et, d'autre part, la population et la collectivité, de façon à ce que le fonctionnaire puisse avoir connaissance des problèmes de cette collectivité non seulement dans le cadre de son travail, mais aussi à titre privé (ATF 103 Ia 455 consid. 4a p. 457 s.). Par la suite, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que l'obligation de résidence devait être déterminée en fonction des critères des besoins du service ou des relations particulières avec la population, une limitation pour de simples raisons fiscales étant exclue (ATF 118 Ia 410 consid. 4a p. 413 s. ; 120 Ia 203 consid. 3a p. 205).

C'est ainsi qu'il a été admis qu'une obligation de résidence était justifiée par un intérêt public, notamment pour les fonctionnaires des corps de police et de pompiers (ATF 103 Ia 455 consid. 4a p. 457), pour des enseignants (ATF 115 Ia 207 consid. 3b p. 211 ; ATF 108 Ia 248 consid. 3a p. 251), pour le chef d'un bureau communal de contrôle des habitants (arrêt du Tribunal fédéral 2P.134/1991 du 3 avril 1992, cité in ATF 118 Ia 410 consid. 2 p. 412), pour un gardien de prison (ATF 116 Ia 382 consid. 3 p. 385 s.), de même que pour un greffier de tribunal d'arrondissement (arrêt du Tribunal fédéral P.388/1986 du 27 mars 1987). Cet intérêt a toutefois été nié dans le cas d'un chauffeur-ambulancier (ATF 118 Ia 410 consid. 4a p. 413 s.). Dans le cadre d'une élection d'un préfet bernois, le Tribunal fédéral a jugé que l'obligation de résidence n'était pas seulement justifiée objectivement par une nécessité liée à l'activité, mais aussi en raison du fait qu'une telle fonction supposait une relation étroite avec la communauté dont elle relevait (ATF 128 I 34 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.1).

Dans l’ATF 128 I 280, dans lequel un avocat demandait une dérogation à l’obligation de domiciliation pour l’activité notariale dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, le Tribunal a modifié cette jurisprudence. Il a retenu que, dans le cas des notaires, une obligation de domicile ne pouvait pas être maintenue en raison des besoins du service ou des relations particulières avec la population. L’élément décisif était le caractère de puissance publique de l’activité. Vu la large autonomie dans l'exercice d'une tâche de puissance publique, l’activité en cause était comparable à certaines fonctions judiciaires ou à de hautes charges politiques ou encore à des fonctions dirigeantes, pour lesquelles on ne pouvait raisonnablement nier que la collectivité était légitimée à ne désigner que ses propres ressortissants. Cela découlait de l'idée démocratique fondamentale selon laquelle le pouvoir de l'État devait s'exprimer principalement à travers ses sujets eux-mêmes, la souveraineté appartenant également aux cantons au sein de la Confédération suisse. Il se pouvait également que, pour certaines catégories d'employés de l'État, pour lesquels, dans le passé, l'obligation de domicile avait été considérée comme compatible avec la liberté d'établissement, cette obligation ne puisse plus l'être aujourd'hui, notamment lorsqu'il ne s'agissait pas d'une véritable activité de puissance publique (ATF 128 I 280 consid. 4.3 p. 284 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.2).

b. Selon les art. 19 RASIS et 1 de l’ordre de service du SIS no 3.5.2 (ci-après : OS no 3.5.2), le personnel en uniforme en congé ou de repos peut être alarmé à son domicile et doit alors se rendre sans retard, par les moyens les plus rapides, au lieu indiqué par les prescriptions de service. Sont réservés le personnel en vacances, qui répond selon sa disponibilité, et le personnel en arrêt de travail, accident ou maladie, qui ne doit pas donner suite à l’alarme. Le personnel qui ne répond pas à l’alarme peut être amené à motiver son absence (art. 11 OS no 3.5.2).

c. Ainsi, dans le cas d’espèce, la condition de domiciliation dans un rayon de trente minutes de trajet pour se rendre à la caserne principale repose sur la nécessité d’être en mesure de répondre rapidement aux alarmes pendant les congés ou le repos afin d’assurer les premiers secours en cas de sauvetages, d’incendies, de pollutions ou de tout autre événement nécessitant l’intervention du SIS sur le territoire du canton, première mission du sapeur-pompier professionnel selon son cahier des charges.

La restriction à la liberté d’établissement est par conséquent justifiée par l’intérêt public au bon fonctionnement du SIS, à la bonne gestion des urgences et à la sécurité publique.

6) Le recourant affirme toutefois que la restriction à sa liberté d’établissement serait disproportionnée.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 136 I 87 consid. 3.2 p. 92 ; 136 I 17 consid. 4.4 p. 26 ; ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482 ; ATA/517/2016 du 14 juin 2016 consid. 5e).

b. Si l'obligation de résidence est en principe justifiée pour certaines catégories de fonctionnaires, la liberté d'établissement peut toujours déployer ses effets dans certains cas concrets lorsque des raisons prépondérantes (objectives ou subjectives) exigent des dérogations en vertu du principe de la proportionnalité (ATF 128 I 280 consid. 4.2 p. 284 ; 118 Ia 410 consid. 2 p. 410 ; 115 Ia 207 consid. 3c p. 211 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.6.1).

c. En l’espèce, le recourant invoque premièrement une violation de la règle de la nécessité, affirmant qu’il existerait une mesure moins incisive permettant l’intervention rapide d’un sapeur-pompier, soit l’instauration d’un système de piquet.

L’instauration d’un service de piquet impliquerait des modifications règlementaires et contractuelles pour tous les employés du service qui apparaît disproportionné au regard des intérêts du recourant.

De surcroît, si l’instauration d’un régime de piquet pourrait certes permettre une plus grande liberté de domiciliation, elle impliquerait également des obligations plus strictes du personnel de piquet par rapport à la situation actuelle du personnel en congé ou de repos, diminuant d’autant leur liberté durant les périodes concernées. Par ailleurs, dans le système actuel, tous les
sapeurs-pompiers en congé ou de repos peuvent être alarmés, sous réserve des personnes en vacances ou en incapacité de travail. Or, il est douteux qu’un service de piquet permette de rassembler les mêmes forces de travail, du fait qu’il n’est pas envisageable que tous les sapeurs-pompiers soient de piquet pendant tous leurs congés et périodes de repos à l’exception des vacances et des périodes d’incapacité de travail.

Il n’est dès lors pas démontré que l’instauration d’un service de piquet soit à même de garantir la gestion des urgences, en particulier des urgences d’envergure, de la même manière que le système actuel et donc qu’il existe un moyen adéquat pour assurer la sécurité et moins incisif pour la liberté d’établissement.

Le recourant invoque également une violation de la proportionnalité au sens étroit, soutenant que ses intérêts privés, sérieux et importants, devraient l’emporter sur l’intérêt public, car il pourrait toujours répondre aux urgences, simplement avec un temps d’exécution de dix à quinze minutes supplémentaires, ce qui ne serait pas décisif, l’alarme servant uniquement à apporter des renforts.

Le recourant ne peut être suivi dans son argumentation. En effet, non seulement ce dernier a acheté une maison située à près d’une heure de route de la caserne principale en toute connaissance de l’obligation de domiciliation, en raison de laquelle il avait dû déménager à E______ après son engagement, mais il a acheté cette maison sans égard à ses devoirs de fonction et en mettant l’autorité intimée devant le fait accompli, puisqu’il n’a sollicité l’autorisation de s’y domicilier que plus de deux mois après la conclusion du contrat de vente. Par ailleurs, si un domicile à I______ présente pour le recourant des avantages financiers – par rapport au marché de l’immobilier genevois – et familiaux – son épouse travaillant à J______ et leur enfant pouvant être gardé à K______ par ses grands-parents –, ses intérêts privés ne peuvent être qualifiés de prépondérants par rapport à l’intérêt public au bon fonctionnement du SIS et à la bonne gestion des urgences. Le recourant erre en se référant à dix à quinze minutes supplémentaires, puisqu’il s’agit en réalité de plus de vingt-cinq minutes, soit près du double de la limite définie. Il ne peut par ailleurs se prévaloir du trafic nocturne réduit sans que les difficultés du trafic en journée ne soient également prises en compte, les alarmes pouvant se produire à toute heure du jour et de la nuit. En tout état de cause, la fluctuation des conditions de trafic ne peut être déterminante, puisqu’elle vaut de la même manière à l’intérieur de la zone de domiciliation et ne peut être utilisée de manière ciblée à une période de la journée pour étendre celle-là. Par ailleurs, la nécessité de rapidité de l’intervention ne peut être minimisée en affirmant que les sapeurs-pompiers en congé ou de repos interviennent uniquement à titre de renforts, l’alarme étant déclenchée précisément en raison du besoin de ces renforts.

Au vu de ce qui précède, les intérêts privés du recourant ne peuvent être qualifiés de prépondérants par rapport à l’intérêt public au bon fonctionnement du SIS, à la bonne gestion des urgences et à la sécurité publique.

La restriction à la liberté d’établissement du recourant respecte par conséquent le principe de la proportionnalité, troisième et dernière condition de l’art. 36 Cst., et le grief de violation de la liberté d’établissement sera écarté.

7) Le recourant fait grief à l’autorité intimée d’avoir violé le principe de l’égalité de traitement.

a. Une décision viole le principe de l’égalité de traitement garanti par
l’art. 8 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (ATF 138 V 176 consid. 8.2 p. 183 ; 134 I 23 consid. 9.1 ; 131 I 1 consid. 4.2 p. 6 s.).

b. En l’espèce, le recourant affirme que l’autorité intimée aurait accordé, en 2015, des dérogations à plusieurs autres sapeurs-pompiers domiciliés à quarante à cinquante minutes de trajet de la caserne principale. Il n’apporte toutefois aucune substance à son allégation, contestée par la ville.

Il n’a ainsi aucunement démontré que l’autorité intimée aurait traité différemment – en accordant des dérogations de domiciliation – des situations semblables à la sienne. Rien n’indique ainsi que l’autorité intimée ait violé le principe de l’égalité de traitement.

Le grief sera par conséquent écarté.

8) Dans ces circonstances, la décision de la ville est conforme au droit et le recours de M. A______, entièrement mal fondé, sera rejeté.

9) Vu l’issue du litige, un émolument CHF 800.- sera mis à la charge du recourant, montant qui tient compte de la décision sur mesures provisionnelles (art. 87 al. 1 LPA). La ville disposant de son propre service juridique, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/542/2016 du 28 juin 2016 consid. 9).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 octobre 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 22 septembre 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 800.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sophie Ciola-Dutoit, avocate du recourant ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot
Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :