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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2465/2003

ATA/791/2004 du 19.10.2004 ( TPE ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/933/2003-TPE ATA/790/2004

A/2465/2003-TPE ATA/791/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 19 octobre 2004

 

dans la cause

Monsieur B__________
représenté par Me Pascal Petroz, avocat

contre

ASSOCIATION GENEVOISE DE DéFENSE DES LOCATAIRES (ASLOCA)

Madame V__________

Monsieur M__________

Madame P__________

Madame et Monsieur N__________

représentés par Me François Zutter, avocat

 

et

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIèRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

département de l’aménagement, de l’équipement et du logement

 


1. Monsieur B__________ est propriétaire de la parcelle n° __________ feuille __________ de la commune de Carouge sur laquelle sont construits trois immeubles de logements aux adresses __________.

2. Le 19 mars 2002, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : le département) a constaté que l’un des immeubles avait fait l’objet d’une rénovation et que des travaux étaient en cours dans les deux autres, alors qu’aucune autorisation n’avait été délivrée. Il s’agissait des travaux suivants :

- Réfection des façades avec remplacement des menuiseries extérieures ;

- Réfection des installations (alimentation eau froide et évacuations sanitaires) ;

- Installation de chauffages à gaz par appartement avec production d’eau chaude ;

- Rénovation des appartements comprenant la remise à neuf des cuisines et salles de bain ;

- Rénovation des sous-sols avec aménagement d’une buanderie par immeuble, réfection des réseaux de distribution et d’évacuation ;

Par courrier du 20 mars 2002, le département a ordonné à M. B__________, l’arrêt immédiat du chantier.

3. Par décision du 2 mai 2002, le département a ordonné le dépôt d’une requête en autorisation de construire portant sur tous les travaux effectués et à réaliser dans les trois immeubles. Ladite requête a été déposée le 30 août 2002 par l’architecte mandaté par M. B__________.

4. Le 25 avril 2003, l’autorisation de construire APA __________ a été délivrée par le département. L’autorisation fixait notamment comme condition nº 5 que les loyers après travaux des logements rénovés (54 appartements, soit 162 pièces) ne devaient pas excéder ceux figurant dans un tableau annexe intitulé « évolution de l’état locatif », soit CHF 557'351.- au total l’an. Les loyers inférieurs avant travaux à CHF 3'225.- pièce/an étaient augmentés d’un maximum de CHF 928.- pièce/an et ceux qui étaient supérieurs étaient maintenus.

5. Le 25 avril 2003 également, le département a rendu une décision ordonnant à M. B__________ de ramener, dans un délai de 30 jours, les loyers des appartements concernés à des montants compatibles avec la condition nº 5 et de restituer le trop-perçu de loyer aux locataires.

En raison des travaux importants entrepris sans autorisation de construire dans les trois immeubles, une amende de CHF 10'000.- lui était infligée. Le montant était justifié par la gravité objective de l’infraction. Sur le plan subjectif, la faute était aggravée par le fait que le propriétaire était un professionnel de l’immobilier et qu’à ce titre, il ne pouvait ignorer les dispositions légales régissant le domaine de la construction.

6. Le 30 mai 2003, M. B__________ a recouru contre ces deux décisions reçues le 30 avril, auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) s’agissant de l’état locatif après travaux retenu par le département et auprès du Tribunal administratif s’agissant de l’amende et de la mesure de réduction des loyers (A/933/2003).

7. Dans son recours concernant l’amende, M. B__________ a conclu principalement à l’annulation de la décision et subsidiairement à la réduction de l’amende à CHF 2'000.- ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

L’obligation de réduire les loyers, était prématurée vu le recours pendant devant la commission contre l’état locatif fixé par le département.

a. M. B__________ avait sollicité l’octroi d’une autorisation en vue de l’aménagement de 43 places de parc et d’un portail en novembre 2001. Il n’avait donc pas agi intentionnellement en effectuant les travaux de rénovation des immeubles sans autorisation. La distinction légale entre travaux assujettis et non assujettis à la loi était particulièrement difficile à opérer et il n’avait pas de formation juridique spécialisée bien qu’étant actif dans le domaine immobilier. Il fallait aussi tenir compte de la pratique du département de ne pas sanctionner le propriétaire qui revenait à des « pratiques normales », telle qu’elle avait été précisée par le chef du département dans la presse. Il était contraire à l’égalité de traitement d’infliger une amende ou à tout le moins celle-ci était manifestement disproportionnée même en tenant compte du fait qu’il s’était déjà vu infliger des sanctions administratives par le passé.

b. Le 3 juillet 2003, sur demande du département et avec l’accord de M. B__________, le Tribunal administratif a prononcé la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé par la commission dans la procédure concernant la décision fixant l’état locatif après travaux.

8. Devant la commission, M. B__________ a conclu à l’annulation de la condition nº 5 de la décision et au renvoi du dossier pour fixation des loyers après travaux.

La plupart des loyers avant travaux dépassait ceux correspondant aux besoins prépondérants de la population, ce qui justifiait l’application de l’article 11 alinéa 3 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Il fallait tout d’abord déterminer l’état locatif admissible avant travaux selon les articles 269 et ss. du Code des obligations, puis prendre en compte la totalité de la hausse théorique liée aux travaux sans se limiter aux besoins prépondérants de la population.

9. Par actes des 18 et 24 juin 2003, Madame V__________, Monsieur M__________ et Madame P__________, locataires des immeubles concernés ainsi que l’Association genevoise de défense des locataires (Asloca) tous représentés par le même mandataire, sont intervenus auprès de la commission en concluant au rejet du recours.

10. Le 10 octobre 2003, lors de l’audience de comparution des parties devant la commission, la représentante du département a exposé qu’un calcul de rendement avait été effectué le 13 novembre 2002 sur la base de l’exercice 2000. Ce rendement étant plus élevé que le rendement admissible avant travaux, il ne pouvait y avoir application de l’article 11 alinéa 3 LDTR.

11. Par décision du 12 novembre 2003, la commission a rejeté le recours de M. B__________ dans la mesure où il était recevable et déclaré sans objet les trois interventions.

La décision du département, notifiée le 25 avril 2003, avait été reçue le 28 avril 2003 au plus tard par le conseil du recourant. Daté du 30 mai 2003, le recours était tardif, et devait, en tout état de cause, être rejeté.

Le règlement d'application de la LDTR prévoyait que dans la situation décrite à l’article 11 alinéa 3 LDTR, il appartenait au requérant de démontrer, par toutes pièces utiles, que le propriétaire n’était pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux. Cette preuve n’avait pas été apportée ce qui justifiait le rejet du recours.

12. Le 22 décembre 2003, M. B__________ a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision de la commission en concluant à l’annulation de la décision et au renvoi de la cause au département pour nouveau calcul de rendement ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure (A/2465/2003).

Le recours devant la commission n’était pas tardif, car la décision avait été reçue le 30 avril 2003, et il convenait d’annuler la décision pour cette raison déjà.

Sur le fond, les chiffres retenus par le département dans son calcul de rendement étaient faux. En réalité, les intérêts du prêt hypothécaire étaient de 6 % et les charges étaient de CHF 123'446.- en 1998, CHF 231'833,60 en 1999 et CHF 247'314,15 en 2000. Le taux hypothécaire de référence, fin 2000 était de 4,5% et non 3,75% comme retenu par le département qui semblait avoir pris le taux de 2002 bien qu’il ait retenu que les travaux s’étaient étalés entre le 15 juin 2000 et le 31 mai 2002.

En conséquence, la cause devait être retournée au département afin qu’il effectue à nouveau le calcul sur ces bases.

13. Le 16 mars 2004, les locataires et l’Asloca ont conclu au rejet du recours et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

En raison de l’infraction commise par M. B__________, il convenait d’appliquer strictement les principes de la LDTR et de ne pas permettre l’application de l’article 11 alinéa 3. En tous les cas, il aurait appartenu à M. B__________ de produire spontanément au département toutes les pièces nécessaires permettant d’effectuer un calcul de rendement. Il n’avait produit ni l’acte d’achat ni les pièces permettant de déterminer le coût de construction. En conséquence, le calcul présenté dans son recours était purement fantaisiste. Les frais hypothécaires allégués étaient contestés. La moitié de l’immeuble avait été achetée pour CHF 1'900'000.- alors que M. B__________ alléguait des hypothèques à hauteur de CHF 4'600'000.-. Le montant des charges courantes était également contesté. Les pièces produites étaient illisibles et ne permettaient pas de connaître les charges retenues au titre d’entretien. On retrouvait le nom de M. B__________ dans le poste « charges d’entretien ». Une partie des coûts des travaux effectués en 2000 devait déjà figurer dans les comptes de gestion de l’an 2000 et ne devait donc pas figurer à nouveau dans la moyenne des charges courantes. L’absence de pièces pertinentes ne permettait pas d’effectuer ce calcul.

14. Le département a fait part de ses observations au recours le 18 mars 2004.

M. B__________ prétendait que le rendement de l’immeuble aurait été insuffisant, de sorte qu’il n’était pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans en répercuter le coût sur le montant des loyers. Or, le calcul effectué par le département l’avait été sur la base des indications fournies par la régie Bernard Nicod S.A. (ci-après : la régie) lors de l’instruction de la requête en autorisation de construire. Dans un deuxième temps, M. B__________ estimait le calcul erroné et tentait de soumettre d’autres montants de référence que ceux communiqués par son mandataire au stade de l’instruction. Il n’avait donc pas produit les pièces permettant d’attester qu’il ne pouvait supporter économiquement le coût des travaux. Or, même si le calcul était fait en tenant compte d’un taux hypothécaire de référence de 4, 5 % majoré de 0,5 % pour la rentabilisation des fonds propres et un taux d’intérêt de 6 % pour le calcul des charges financières, l’état locatif pratiqué à l’époque procurait un rendement amplement suffisant.

15. M. B__________ a répliqué le 30 avril 2004. Il n’y avait pas lieu d’entrer en matière sur les arguments présentés par les locataires et l’Asloca, car les griefs étaient tardifs. La dette hypothécaire avait été augmentée afin de financer les travaux. S’agissant des charges d’entretien, M. B__________ n’était pas en mesure de produire les pièces justificatives avant 1998.

16. Les locataires et l’Asloca ont dupliqué le 28 mai 2004 en reprenant leur argumentation et en soulignant que la demande de renvoi au département était purement dilatoire.

17. Le département a dupliqué le 15 juin 2004. M. B__________ n’avait toujours pas expliqué le calcul remis par la régie, ni démontré pour quelles raisons il existait une différence substantielle, s’agissant du montant des charges d’entretien et d’exploitation de l’immeuble pour les années 1999 et 2000. Enfin, il n’était pas en mesure de produire toutes les pièces utiles et ses conclusions étaient dilatoires.

18. a. La procédure de recours contre l’amende a été reprise par décision du Tribunal administratif du 30 mars 2004.

b. Le Tribunal administratif a donné suite à la demande d’appel en cause de Madame et Monsieur N__________, locataires de l’un des immeubles. Invités à présenter leurs observations, ils ont fait leurs les conclusions et les arguments développés par l’Asloca et les autres locataires par mémoire du 29 avril 2004.

19. Le 30 avril 2004, le département s’est déterminé sur le recours en concluant à la confirmation de sa décision. Le principe même de l’amende était fondé car M. B__________ avait effectué des travaux sans autorisation. Compte tenu de l’ampleur des travaux entrepris sur trois immeubles, le comportement devait être qualifié de grave. Subjectivement, la négligence était peu crédible et M. B__________, professionnel de l’immobilier, ne pouvait se prévaloir de son ignorance de la loi. S’agissant de la quotité de l’amende, M. B__________ avait agi par cupidité en tentant de se soustraire à la loi puisqu’il avait augmenté les loyers hors des normes fixées par la LDTR. Le nombre de pièces retenu dans le cadre des baux conclus était supérieur à celui admis dans le cadre du recensement du domaine bâti (RDB). M. B__________ avait également tenté de se soustraire à la LDTR par la conclusion d’un bail portant sur un appartement meublé, sans être au bénéfice d’une autorisation en changement d’affectation. Il ne s’était pas montré particulièrement collaborant puisque le constat d’infraction avait eu lieu le 19 mars 2002, l’ordre de déposer une requête en autorisation de construire lui avait été signifié le 2 mai 2002 et qu’il n’avait déposé cette dernière – après octroi de plusieurs délais – que le 30 août 2002.

20. Le 15 juillet 2004, M. B__________ a répliqué. Il n’avait pas tardé à déposer la requête, le délai fixé par le département ayant été respecté. Il n’avait jamais entendu ne pas se conformer à l’autorisation. Le nombre de pièces admis par le RDB n’était pas remis en cause. Le grief de cupidité tombait à faux puisqu’il pensait que les travaux n’étaient pas soumis à la LDTR, les loyers avaient été augmentés de façon à rentabiliser l’investissement effectué. Comme il n’existait pas encore de décision définitive et exécutoire fixant des loyers après travaux, on ne pouvait lui reprocher d’avoir conclu des baux qui ne respectaient pas les loyers autorisés.

21. Le 30 août 2004, le mandataire des locataires et de l’Asloca a produit un contrat de bail soumis à la locataire, Mme V__________ au mois d’août 2002, antidaté au 31 octobre 2001, diminuant le loyer net à CHF 9'600.-, soit CHF 3'200.- par pièce et par année et introduisant une location de meubles fictive pour CHF 1'800.- par année. Cela démontrait que M. B__________ avait tenté de se soustraire au contrôle des loyers institués par la LDTR.

22. Une recherche postale relative à la notification de la décision du département du 25 avril 2003 figure au dossier. L’envoi a été remis le 30 avril 2003 au mandataire de M. B__________.

1. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recours dirigé contre la condition n° 5 de l’autorisation de construire et celui visant l’amende administrative et l’ordre de restitution des loyers se rapportant à une situation identique, ils seront joints en une seule procédure sous no A/933/2003 (art. 70 al. 1 LPA).

3. La commission a jugé le recours formé devant elle irrecevable, car tardif. Elle est pourtant entrée en matière sur le fond et a rendu une décision motivée. Or, il est maintenant établi que la décision a été reçue le 30 avril 2003. Par conséquent, le recours du 30 mai 2003 n’était pas tardif. Néanmoins, par économie de procédure et le recourant ne subissant aucun préjudice puisqu’il a pu largement faire valoir son point de vue tant devant la commission que devant le tribunal de céans, la décision ne sera pas annulée pour ce motif.

A. Autorisation de construire APA __________ du 25 avril 2002 – condition n° 5

4. L’assujettissement des travaux à la LDTR est acquis pour toutes les parties et n’est pas contestable. Le recours porte uniquement sur le calcul de rendement de l’immeuble effectué par le département et son incidence sur le contrôle des loyers.

5. a. L’article 10 LDTR prévoit que le département fixe, comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux.  Pour ce faire, il tient compte du rendement équitable des capitaux investis pour les travaux, calculé, en règle générale, sur les 70% au maximum de leur coût et renté à un taux de 0,5 points au-dessus de l’intérêt hypothécaire de premier rang pratiqué par la banque cantonale ; le taux de rendement étant fonction de l’incidence dégressive des amortissements. Il tient également compte de l’amortissement calculé en fonction de la durée de vie des installations, en règle générale dans une fourchette de 18 à 20 ans, soit de 5,55 %  à 5 % ; des frais d’entretien rentés en règle générale à 1,5 % des travaux pris en considération  et des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les articles 269 et suivants du code des obligations. (art. 11 al. 1 LDTR).

Lorsque les logements répondent aux besoins prépondérants de la population, le loyer après transformation doit répondre aux besoins prépondérants de la population (art. 11 al. 2 LDTR) . Les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population sont compris entre CHF 2'400.- et CHF 3'225.- la pièce par année (art. 9 al. 3 LDTR). Si le loyer avant transformation ou rénovation dépasse le niveau des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population, il est maintenu par le département au même niveau lorsqu’il apparaît qu’il permet économiquement au propriétaire de supporter le coût des travaux sans majoration de loyer (art. 11 al. 3 LDTR).

b. Le règlement sur les démolitions, transformations et rénovations du 29 avril 1996 (RDTR – L 5 20.01) prévoit qu’il appartient au requérant de démontrer, par toutes pièces utiles, que le propriétaire n’est pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer. Par pièces utiles, le département fait prioritairement référence à un calcul de rendement de l’immeuble. Subsidiairement, il peut être recouru à une étude comparative entre les loyers de l’immeuble et ceux résultant des statistiques publiées chaque année par le canton, étant précisé qu’à année de construction égale, la limite au-delà de laquelle le propriétaire est présumé pouvoir supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer est fixée, sauf exception, au 3e quartile. Le département tient compte, dans son appréciation, des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération au sens des articles 269 et suivants du code des obligations (art. 5 al. 2 RDTR).

c. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion d’examiner l’article 11 alinéa 3 LDTR dans un recours contre la loi (RDAF 2002 I p. 38). L’interprétation conforme à la Constitution de cette disposition implique que son application soit limitée aux cas des logements qui, sans être des logements de luxe, sont loués à un prix qui apparaît, avant les travaux, comme abusivement élevés et qui correspond déjà à ce qui serait admissible après transformation. Cette interprétation ne va pas au-delà de la protection contre les loyers procurant un rendement abusif (art. 269 CO) et la réserve selon laquelle le blocage des loyers doit être économiquement supportable permettra à l’autorité de respecter le principe de la proportionnalité lors de l’application de cette disposition. Ainsi, l’état locatif admissible après travaux devrait être inférieur à l’état locatif réel avant travaux pour échapper au blocage des loyers qui dépassent déjà CHF 3'225.-/ la pièce par an avant les travaux.

d. Selon la jurisprudence et la doctrine, le rendement net d’un immeuble résulte du rapport existant entre les fonds propres investis par le propriétaire et le loyer, après déduction des charges d’exploitation et des intérêts débiteurs sur les capitaux empruntés. Le rendement des fonds propres est admissible lorsqu’il n’excède pas de plus d’un demi pour-cent le taux de l’intérêt hypothécaire de 1er rang (ATF 123 II 171 ; JT 1998 I 191, ATF 120 II 104 ; D. LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 1997, p. 291).

6. a. Afin de prouver que les travaux n’étaient pas économiquement supportables sans augmentation des loyers, le recourant a fourni par l’intermédiaire de sa régie un certain nombre de pièces au département, au stade de l’instruction de sa requête en autorisation de construire. Selon celles-ci, l’état locatif des immeubles au 31 décembre 2000 était de CHF 562'080.-. Ce montant n’est pas contesté.

b. Les pièces remises par le recourant ont permis au département d’établir un état locatif admissible, soit ne procurant pas de rendement excessif selon le calcul suivant :

A. rentabilisation des fonds propres : 4,25% de CHF 529'441.- CHF 22'501.-

B. charges financières : 5% de CHF 3'400'000.- CHF 170'000.-

C. charges d’entretien et d’exploitation, selon base 2001 CHF 120'200.-

Total : État locatif admissible avant travaux CHF 312'701.-

D. rentabilisation du coût des travaux  CHF 156'906.-

Total : Etat locatif admissible après travaux CHF 469'906.-

7. a. Le taux applicable pour renter les fonds propres dépend du taux de référence, qui était de 4,5 % fin 2000 (http://www.asloca.ch/indices.htm-banque cantonale de Genève; le 19 octobre 2004) et non de 3,75 % comme retenu par la régie et le département. En conséquence, c’est un taux admissible de 5 % qui doit être appliqué au calcul de la rentabilisation des fonds propres, ce poste passant ainsi de CHF 22'501.- à CHF 26'472.-.

b. Un document bancaire, remis par le recourant, datant du 6 décembre 2000 indique un taux d’intérêt de 6 % pour un emprunt de CHF 3'400'000.-. C’est donc un taux de 6 % qui doit être pris en compte dans le calcul des charges financières portant ce montant à CHF 204'000.- au lieu des CHF 170'000.- retenus par le département.

c. Reste à fixer le montant des frais d’entretien et des charges courantes. En règle générale, il y a lieu d’établir des moyennes sur plusieurs années et éviter de calculer un rendement sur la base d’un exercice exceptionnel. Si le poste « frais d’entretien » enregistre une brusque variation, due à des dépenses extraordinaires, il convient de déterminer la nature des travaux afin de ne pas en tenir compte s’il s’agit de travaux à plus-value ou de procéder à un étalement sur plusieurs exercices (D. LACHAT, op. cit., p. 293-294).

Les pièces produites par le recourant sont des extraits trimestriels du compte de gestion du 1er juin 1997 au 31 décembre 2001 établis par l’agence immobilière MMB S.A. Pour mémoire, le recourant a indiqué ne pas avoir en sa possession les pièces concernant les années 1982 à 1997, jusqu’en juillet bien qu’il soit propriétaire de la moitié des immeubles depuis 1982 et, auparavant, détenteur de la moitié des actions de la S.I. propriétaire.

Les documents produits ne permettent pas d’établir le détail des charges d’entretien. Nonobstant, il ne se justifie pas de combler ces lacunes par des mesures d’instructions supplémentaires, puisque l’issue du litige n’en serait pas affectée. En effet, comme il sera démontré plus loin, même en tenant compte de l’intégralité des charges figurant sur les pièces produites, le rendement de l’immeuble s’avère suffisant.

Le montant des charges à teneur des pièces figurant au dossier s’élève à :

1997 : charges courantes : CHF 12'082.- frais d’entretien : CHF 49'382.-

chiffres pour le deuxième semestre uniquement

1998 : charges courantes : CHF 19'110.- frais d’entretien : CHF 93'757.-

1999 : charges courantes : CHF 14'294.- frais d’entretien : CHF 229'833.-

2000 : charges courantes : CHF 15'204.- frais d’entretien : CHF 247'334.-

2001 : charges courantes : CHF 21'695.- frais d’entretien : CHF 94'006.-

Moyenne sur quatre ans et demi : CHF 127'577.-.

d. Le montant de rentabilisation du coût des travaux, fixé par le département à CHF 156'906.-, correspond à une augmentation possible de CHF 968.- pièce/an. Le calcul a été effectué selon les règles de l’article 11 alinéa 1 LDTR et n’est pas contesté par les parties.

e. Ainsi, même si l’on effectue une moyenne annuelle des charges en tenant compte des années 1999 et 2000 qui apparaissent comme exceptionnelles et sans déterminer avec plus de précision les charges admissibles selon les critères établis plus haut, l’état locatif admissible après travaux reste tout de même inférieur à l’état locatif réel selon le calcul suivant :

 

 

A. rentabilisation des fonds propres : 5% de CHF 529'441 CHF 26'472.-

B. charges financières : 6% de CHF 3'400'000 CHF 204'000.-

C. charges d’entretien et d’exploitation CHF 127'577.-

Etat locatif admissible avant travaux CHF 358'049.-

D. rentabilisation du coût des travaux CHF 156'906.-

Etat locatif admissible après travaux CHF 514'955.-

Etat locatif réel avant travaux CHF 562'080.-

En conséquence, le recourant n’a pas apporté la preuve requise par l’article 11 alinéa 3 LDTR, confirmant ainsi l’appréciation faite par le département. Le recours sera rejeté sur ce point.

B. Ordre de restitution du trop-perçu des loyers

8. Le recourant fait grief au département d’avoir imposé cette mesure avant que la décision fixant l’état locatif ne soit exécutoire.

Le tribunal de céans a déjà jugé qu’une mesure visant la restitution des loyers trop-perçus est une forme de remise en état au sens de l’article 129 lettre e LCI (ATA/774/1999 du 21 décembre 1999 confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1A.37/2000 du 13 avril 2000). Une mesure visant rétroactivement les loyers pratiqués constitue une mesure de rétablissement d’une situation conforme au droit ; l’ordre de restituer le trop-perçu des loyers répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité (ATA/774/1999 précité et les références; RDAF 1994 p. 107). L’état locatif litigieux étant confirmé, l’ordre de restitution ne peut qu’être confirmé également.

Par conséquent, le recours sera rejeté sur ce point.

C. Amende administrative du 25 avril 2003

9. Est passible d’une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- tout contrevenant à la loi cantonale sur les constructions et installations diverses du 14 avril 1988 (LCI – RS L 5 05 ; art. 137 al. 1). Le montant maximum de l’amende est de CHF 20'000.- lorsqu’une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation, mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (art. 137 al. 2). Il est tenu compte dans la fixation du montant de l’amende du degré de gravité de l’infraction, la récidive étant considérée comme une circonstance aggravante (art. 137 al. 3).

10. a. Les amendes administratives sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des amendes ordinaires pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister (ATA/813/2001 du 4 décembre 2001; P. MOOR, Droit administratif : Les actes et leur contrôle, tome 2, Berne 2002, ch. 1.4.5.5 pp. 139-141; P. NOLL et S. TRECHSEL, Schweizerisches Strafrecht: allgemeine Voraussetzungen der Strafbarkeit, AT I, 5ème édition, Zurich 1998, p. 40). C'est dire que la quotité de la peine administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/813/2001 du 18 février 1997 ; tome 2, Berne 1991, ch. 1.4.5.5, p. 95-96). En vertu de l'article 1 alinéa 2 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1981 (LPG - E/3/1), il y a lieu de faire application des dispositions générales contenues dans le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O), sous réserve des exceptions prévues par le législateur cantonal à l'article 24 LPG.

b. Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. Selon des principes qui n'ont pas été remis en cause, l'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi (A. GRISEL, Traité de droit administratif, vol. 2, Neuchâtel, 1984, pp.646-648 ; ATA G. du 20 septembre 1994) et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende (ATA/245/1999 du 27 avril 1999 ; G. du 20 septembre 1994 ; Régie C. du 8 septembre 1992). La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès (ATA/131/1997 du 18 février 1997). Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/443/1997 du 5 août 1997).

11. Lors d’une visite des trois immeubles construits sur la parcelle __________ à Carouge, effectuée le 19 mars 2002 par le département, il a été constaté que deux immeubles faisaient l’objet de travaux de rénovation complète et le troisième avait déjà fait l’objet d’une rénovation récente portant sur l’immeuble et les logements. Aucune requête en autorisation de construire relative à ces travaux n’avait été enregistrée au département. L’obligation de requérir une autorisation en application de la LDTR ne faisant aucun doute et n’étant pas contestée, le principe de l’amende est acquis.

En revanche, les faits rapportés par les intimés-locataires concernant un bail antidaté introduisant une location de meubles fictive ne seront pas pris en compte, l’amende examinée ici n’ayant pas été infligée pour les sanctionner.

12. Le Tribunal administratif relève tout d’abord que dans le cas d’espèce, toutes les autorisations ont pu être délivrées. Les travaux entrepris sont donc conformes aux dispositions légales, de sorte que le maximum de l’amende est de CHF 20'000.-.

13. Le recourant est un professionnel de l’immobilier et il s’est vu infliger à plusieurs reprises des sanctions administratives pour des faits identiques (ATA B. du 14 mars 1990 et B. du 19 septembre 1990), cela sans compter les multiples procédures auxquelles il a été lié comme contrevenant aux normes légales régissant l’aménagement du territoire. C’est pourquoi le fait d’alléguer la difficulté de la distinction légale entre travaux assujettis et non assujettis à la LDTR ainsi qu’une absence de formation juridique est particulièrement audacieux. Il en va de même lorsque le recourant invoque la pratique du département qui n’amenderait pas les propriétaires « revenant à des pratiques normales ». En effet, on ne voit pas comment on pourrait considérer que le recourant a une pratique « normale » alors qu’il récidive dans la construction sans autorisation, même s’il lui arrive en d’autres occasions, de respecter la législation en la matière.

14. Vu l’ampleur des travaux effectués sans autorisation, portant de surcroît sur trois immeubles et les antécédents du recourant, le montant de CHF 10'000.-, qui représente la moitié du maximum prévu par la loi, respecte pleinement le principe de la proportionnalité et la jurisprudence du Tribunal administratif en la matière.

Le recours en tant qu’il porte sur l’amende sera rejeté.

15. a. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à charge du recourant.

b. Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée aux intimés-locataires et à l’Asloca, à la charge du recourant.

* * * * *

préalablement :

ordonne la jonction des procédures A/933/2003 et A/2465/2003 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés par Monsieur B__________ les 30 mai et 22 décembre 2003 contre la décision du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement du 25 avril 2003 et la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 12 novembre 2003 ;

 

 

 

au fond :

les rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1’500.- ;

alloue une indemnité de procédure en CHF 2'000.- aux locataires intimés et à l’Asloca, à la charge de M. B__________ ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Petroz, avocat du recourant, à Me François Zutter, avocat des intimés-locataires et de l’Asloca, à la commission cantonale de recours en matière de constructions ainsi qu’au département de l’aménagement, de l’équipement et du logement.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :