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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1911/2021

ATA/717/2021 du 06.07.2021 ( PRISON ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1911/2021-PRISON ATA/717/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juillet 2021

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ETABLISSEMENT FERMÉ LA BRENAZ



EN FAIT

1)Monsieur A______ séjourne à l'établissement fermé de la Brenaz (ci-après : la Brenaz).

2) M. A______ a fait, le 12 avril 2021, l'objet d'une sanction disciplinaire sous la forme d'une mise en cellule forte (arrêts), de la suppression de sport, visites, formations, loisirs et repas en commun (les promenades ayant été maintenues), pour une durée de deux jours, soit du 12 avril 2021 à 14h30 jusqu'au 14 avril 2021 à 14h30, pour avoir adopté un comportement contraire au but de l'établissement et causé du trouble à l'ordre ou à la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats.

Il lui était reproché d'avoir injurié un membre du personnel, refusé d'obtempérer et proféré des menaces verbales sur un codétenu.

3) Selon rapport d'incident du 12 avril 2021, M. A______, à 12h00, dans le couloir cellulaire, s'était placé à quelques centimètres d'un codétenu et lui avait dit « lui, c'est comme ma famille si tu le touches, je te nique ta race tu verras, tu l'insultes pas sinon je m'occupe de toi ». Suite à ces menaces, un agent de détention avait pris la décision de le placer en cellule, ce qu'il avait refusé tout en menaçant de se couper. L'agent de détention lui avait répondu que c'était son choix, mais que s'il passait à l'acte, le personnel serait là pour lui. En l'état, il devait être enfermé en raison des menaces proférées. M. A______ avait dit à plusieurs reprises à l'agent de détention : « parle mieux toi, tu vas voir, respecte ton grade ». L'agent n'avait pas répondu à ces provocations et lui avait demandé d'intégrer sa cellule. Une fois à l'intérieur, M. A______ lui avait dit : « fils de pute » et avait mis son pied pour empêcher la fermeture de la porte.

4) M. A______ a refusé de signer la notification de sanction qui lui a été signifiée le 12 avril 2021 à 14h30.

5) Selon la « fiche d'accompagnement – notification de sanction », signée par le sous-chef de l'établissement et la gardienne cheffe adjointe, copie de la sanction a été remise à M. A______ le 12 avril 2021.

6) M. A______ a fait l'objet d'une autre sanction, le 13 avril 2021, sous la forme d'une mise en cellule forte (arrêts), de la suppression de toutes les activités, y compris sport, visites, formations, loisirs et repas en commun (les promenades ayant été maintenues), pour une durée de cinq jours, soit du 14 avril 2021 à 14h31, correspondant à la fin de la première sanction, jusqu'au 19 avril 2021 à 14h31, pour avoir adopté un comportement contraire au but de l'établissement et causé du trouble à l'ordre ou à la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats.

Il lui était reproché des menaces verbales et insultes répétées sur des agents de détention et d'avoir exercé une violence physique ou verbale à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers.

7) Selon rapport d'incident du 12 avril 2021, M. A______, à 14h35, lors de son audition, après avoir été informé de sa sanction comportant sa mise en cellule forte, avait menacé un agent de détention en lui disant : « la vie de ma mère moi si je te retrouve dehors, tu vas voir ce que je vais te faire. Ça ne va pas se passer comme ça ». S'en était suivies plusieurs insultes dont « Nikumuk bande d'enculés et Zobi ». M. A______ était sorti du local en frappant un casier rouge inférieur d'un gros coup de poing, ce qui avait plié sa porte.

8) M. A______ a été entendu le 13 avril 2021 à 11h32 avant la notification de la seconde sanction. Il ne s'est pas exprimé et a refusé de signer le procès-verbal.

9) Selon la « fiche d'accompagnement – notification de sanction », signée par la gardienne cheffe adjointe, copie de la sanction a été remise à M. A______ le 13 avril 2021.

10) Ces deux incidents ont été filmés.

11) Les deux notifications de sanction comportent la mention de la voie de recours et le délai, de trente jours. Elles indiquent aussi qu'une copie en est remise notamment à l'intéressé.

12) M. A______ a formé recours contre ces deux sanctions auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par acte manuscrit portant la date du 27 mai 2021, le timbre collé sur l'enveloppe l'ayant contenu indiquant celle du 3 juin 2021.

Il a exposé qu'il avait le droit de recourir contre les sanctions disciplinaires, abusives. Il contestait les faits à la base de ces deux sanctions. Il n'avait pu en avoir connaissance que dernièrement, suite à sa demande de copies des sanctions qu'il n'avait reçues que le 27 mai 2021. Son très mauvais état de santé, physique et psychique, à la suite de « cette sanction », avait entraîné son hospitalisation « Réf. dossier médical ».

Il portait plainte pour ses conditions de détention, inhumaines, et il avait déjà adressé ses doléances à ce propos à l'office cantonal de la détention, à la cheffe du département de la sécurité, à la juridiction compétente, à la direction de la prison, à la ligue suisse des droits de l'homme, au Procureur général, notamment, sans obtenir de réponse. Il n’en pouvait tellement plus, au point d'avoir envie de mettre fin à ses jours, qu'il avait demandé à pouvoir changer de prison pour en finir avec cette peur, ces tortures morales et physiques.

13) M. A______ a produit dans la présente procédure un formulaire « demande d'entretien à transmettre » daté du 25 mai 2021, en l'occurrence à la direction et au greffe, aux termes duquel il demandait que lui soient envoyées les « dernières notifications de sanctions pour les 7 jours CF ainsi que le rapport détaillé afin de les fournir à ses avocats ». Il demandait aussi l'intégralité de son dossier comportant ses demandes, réclamations, PV d'entretien ( ).

Il lui a été répondu, le 27 mai 2021, que pour chaque sanction, copie lui en avait été remise. À titre exceptionnel, copies des sanctions des 12 et 13 avril 2021 lui était remise. Concernant son dossier, son avocat devait adresser une demande officielle.

14) Aux termes de sa réponse du 10 juin 2021, la direction de la Brenaz, à laquelle il a été demandé de se positionner sur la recevabilité du recours, a conclu à son irrecevabilité pour cause de tardiveté.

Les sanctions querellées avaient été notifiées à M. A______ les 12 et 13 avril 2021, comme en attestaient les deux documents « notification de sanction ». Il avait refusé de s'exprimer, puis de signer ces notifications de sanction. Il avait reçu copie de chacune d'elles le jour de leur notification respective.

Ainsi, le délai de recours contre la sanction du 12 avril 2021 était échu le 12 mai 2021 et celui de la sanction du 13 avril 2021, le 13 mai 2021. Le recours formé le 3 juin 2021 l'était donc tardivement.

15) M. A______, dans une réplique non datée et expédiée le 18 juin 2021, a juré sur l'honneur qu'il n'avait rien reçu les 12 et 13 avril 2021. Surtout, il demandait les images des cellules fortes pour prouver sa sincérité. Il ignorait complètement le contenu des notifications de sanctions. Par le passé, les copies de sanction lui avaient été remises à la sortie des séjours en cellule forte. D'ailleurs le papier était proscrit en cellule forte, de peur que les détenus ne mettent le feu.

Il avait été entendu une seule fois le 12 avril 2021, vers 14h00. Au vu du déroulement de l'entretien, il avait refusé de signer et avait « décliné » les faits. Il avait précisé qu'il ferait part à ses avocats des conditions abusives. Il n'avait en aucun cas été sorti de sa cellule forte pour un second entretien et la signature sur la deuxième notification, de même que « refus de signer », étaient complètement différents. Lors de l'entretien du 12 avril 2021, on lui avait dit que suite à son comportement et à son refus d'obtempérer, il aurait plus de jours que ceux mentionnés au début.

Il avait formé son recours dès réception, le 27 mai 2021, des sanctions en cause.

16) Les parties ont été informées, le 21 juin 2021, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté devant la juridiction compétente contre deux sanctions notifiées par la Brenaz, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Aux termes de l'art. 62 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (al. 1 let. a) ; le délai court dès le lendemain de la notification de la décision (al. 3 1ère phr., art. 17 al. 1 LPA).

Les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d'être prolongés (art. 16 al. 1 1ère phr. LPA), restitués ou suspendus, si ce n'est par le législateur lui-même. Celui qui n'agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (ATA/1209/2020 du 1er décembre 2020 consid. 3c et les références citées). Le strict respect des délais légaux se justifie pour des raisons d'égalité de traitement et n'est pas constitutif de formalisme excessif (ATF 142 V 152 consid. 4.2 in fine).

b. Les cas de force majeure sont réservés, conformément à l'art. 16 al. 1 2ème phr. LPA. Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (ATA/1127/2020 du 10 novembre 2020 consid. 4b et les références citées).

Pour examiner si l'intéressé a été « empêché sans sa faute d'agir dans le délai fixé », la jurisprudence procède par analogie avec les cas susceptibles de constituer des cas de force majeure au sens de l'art. 16 al. 1 LPA. Selon une jurisprudence constante, tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressée et qui s'imposent à elle de façon irrésistible (ATA/294/2009 du 16 juin 2009 ; SJ 1999 I p. 119 ; RDAF 1991 p. 45 ; Théo GUHL, Das Schweizerische Obligationenrecht, 9ème éd., 2000, p. 229, et les références citées).

Les cas de force majeure qui constituent au demeurant une institution générale du droit justifiant une prolongation de délai sont à interpréter restrictivement. Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le seul état de santé déficient au moment de la notification de la décision est insuffisant (ATA/212/2014 du 1er avril 2014), de même qu'une dépression importante (ATA/660/2015 du 23 juin 2015). Même le cas d'un administré atteint d'un cancer dont la situation de santé se péjorait et le traitement s'alourdissait, nonobstant un certificat mentionnant la nécessité de soins de l'intéressé et son incapacité à pouvoir gérer sa vie professionnelle et personnelle pendant six mois n'a pas été considéré comme cas de force majeure. Si l’impossibilité alléguée de pouvoir gérer sa vie privée pouvait expliquer que le recourant ne se soit pas rendu chez un avocat ou dans sa fiduciaire, voire qu’il n’ait pas eu la possibilité d’effectuer
lui-même une réclamation auprès de l'administration fiscale, cette assertion ne pouvait toutefois pas être comprise comme une totale incapacité de recevoir du courrier, de faire un téléphone, de solliciter de l’aide de la part d’un proche venu lui rendre visite, voire de contacter quelqu’un pour vaquer aux affaires administratives urgentes (ATA/888/2014 du 11 novembre 2014).

c. En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/991/2016 précité consid. 3b et les arrêts cités).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/340/2021 du 23 mars 2021 consid. 2a ; ATA/240/2017 du 28 février 2017 ; ATA/991/2016 précité consid. 3c et les arrêts cités), sauf si des éléments permettent de s'en écarter.

3) En l'espèce, il ressort des pièces établies par des fonctionnaires assermentés de la prison en lien avec les deux incidents ayant conduit au prononcé des deux sanctions litigieuses, que le recourant a, avant leur prononcé, eu l'occasion de s'exprimer, mais qu'il s'en est abstenu, ce qu'il reconnaît pour la première. Rien ne permet de douter, au-delà de ses seules affirmations, contredites par les documents en cause, qu'il n'aurait pas été entendu le lendemain en lien avec le second incident, intervenu en marge de la notification de la première sanction et lui ayant valu notamment cinq jours de cellule forte supplémentaires.

De même, rien, si ce n'est le fait que le recourant jure le contraire, ne permet de mettre en doute la teneur de ces mêmes documents selon lesquels les décisions des 12 et 13 avril 2021 ont été dûment notifiées au recourant le jour de leur établissement. Le fait qu'il ait refusé d'en accuser réception par l'apposition de sa signature n'y change rien.

Ces mêmes documents comportent la mention selon laquelle il en a reçu copie. En tout état, il a lui-même concédé que pour le cas où, comme il le prétend, on ne les lui aurait pas laissées en cellule forte pour des raisons de sécurité, elles lui auraient été remises au plus tard à sa sortie de la cellule forte, le 19 avril 2021.

Au moment de la notification de ces décisions, il a eu connaissance des griefs qui lui étaient faits et de la nature des sanctions prononcées. Le recourant n'explique pas autrement, que par une hospitalisation, en lien avec laquelle il ne donne aucun renseignement, notamment quant à la durée et au lieu, pour quelle raison il n'aurait pas déjà demandé, à sa sortie de cellule forte, copie des deux sanctions, si elles ne lui avaient réellement pas été remises auparavant et, pour quelle raison il a attendu plus d'un mois, soit le 27 mai 2021, pour en demander copie, de même que tout son dossier de la prison, pour le transmettre à ses avocats.

Dans ces conditions, il sera retenu que les deux décisions litigieuses ont bien été notifiées au recourant les 12 et 13 avril 2021, de sorte que le délai de recours de trente jours est arrivé à échéance respectivement au 12 mai 2021 pour la première et au 13 mai 2021 pour la seconde.

Formé le 27 mai 2021, le recours contre ces deux décisions est manifestement tardif.

Le recourant, qui se borne à faire état d'une hospitalisation, n'a pas non plus démontré l'existence d'un cas de force majeure, ce qui n'apparaît pas être le cas à teneur du dossier, étant rappelé l'interprétation restrictive qu'il y a lieu de donner à cette exception au respect d'un délai légal. Interjeté hors délai, le recours est par conséquent irrecevable pour ce motif.

4) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 27 mai 2021 par Monsieur A______ contre les décisions de l'établissement fermé la Brenaz des 12 et 13 avril 2021  ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'établissement fermé de la Brenaz.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Rieben et Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :