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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2812/2005

ATA/716/2005 du 25.10.2005 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : FONCTIONNAIRE; MESURE DISCIPLINAIRE; SUSPENSION PROVISOIRE; SALAIRE
Normes : LPAC.28
Résumé : Commise administrative 3 suspendue par le Conseil d'Etat durant l'enquête administrative sans traitement. Il lui est reproché d'avoir violé son secret de fonction, en consultant et imprimant des extraits de la base de données Calvin et des registres de l'office à des fins personnelles, voire délictuelles (prévenue de séquestration, enlèvement et brigandage). Au vu de la gravité des faits, la suspension provisoire est confirmée, ainsi que la suspension de son traitement, l'intérêt de l'Etat à cesser toute prestation à sa charge et la gravité des faits lui étant reprochés devant primer à l'évidence son intérêt privé à toucher son salaire. Le fait qu'elle ne soit alors plus en mesure de subvenir aux besoins de son foyer n'y change rien, dans la mesure où elle pourra toucher, cas échéant, des indemnités de chômage.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2812/2005-CE ATA/716/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 25 octobre 2005

dans la cause

Madame X._________,
représentée par Me Jérôme de Montmollin, avocat

contre

CONSEIL D'éTAT


 


1. a. Née à Genève le 25 mars 1969, Madame X._______ a été engagée comme commise administrative 3 à l’office des poursuites et des faillites Arve-Lac du canton de Genève (ci-après : l’OPF) dès le 1er novembre 2000.

b. Elle est mariée à Monsieur X._______, lequel, employé comme ouvrier au service de la voirie du canton de Genève, touche un salaire mensuel net de CHF 3'862.65.-.

c. Tous deux vivent dans un appartement sis______ /GE, avec leur enfant, K.___ de 10 ans. Le loyer s’élève à CHF 2'400.- par mois.

2. Après une première année de service jugée bonne par ses supérieurs hiérarchiques, les prestations de Mme X._______ se sont dégradées durant les deuxième et troisième années.

Au vu des réserves émises par sa hiérarchie, la période probatoire de Mme X._______ a alors été prolongée d’une année, en date du 28 novembre 2003.

3. Cela étant, Mme X._______ a été nommée fonctionnaire dès le 1 novembre 2004.

A compter de cette date, son salaire s’est élevé à CHF 64'517.- par année, soit CHF 5'381.- mensuellement.

4. Le 23 juin 2005, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS) a sollicité l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de Mme X._______. Cette requête se basait sur les faits suivants :

- Les époux X._______ et deux autres individus avaient fait l’objet d’une dénonciation pénale de la part d’une connaissance de Mme X._______ ;

Ceux-ci étaient accusés d’avoir, dans la soirée du 15 mars 2005, enlevé, séquestré dans un véhicule, puis dépouillé une de leurs amies, plaignante, et, sous la contrainte, de l’avoir forcée à signer une reconnaissance de dette d’un montant de CHF 2'500.-. Puis, M. X._______ l’avait conduite en voiture à quelques centaines de mètres de____ il l’avait abandonnée en pleine nuit ;

- Suite au dépôt de cette plainte pénale, deux perquisitions avaient été conduites par la police judiciaire au domicile des époux X._______. Lors de la première, le 17 mars 2005, les agents avaient découvert des documents suspects, lesquels, lors de la seconde visite le lendemain, avaient disparu. Interrogée, Mme X._______ avait finalement admis les avoir cachés dans un casier à la Migros de____r place, la police a effectivement retrouvé de nombreux extraits provenant du fichier central de la population genevoise (ci-après : l’outil Calvin), ainsi que des imprimés de recherches effectuées par l’OPF, dont l’un portait le nom de la plaignante ;

- Entendue à ce sujet par la police, Mme X._______ avait confirmé sa présence lors de la commission des faits reprochés. Elle n’avait toutefois pris aucune part active à leur réalisation. Elle admettait avoir violé son secret de fonction, bien qu’affirmant l’avoir fait dans le seul dessein d’aider des amis ;

- Mme X._______ était prévenue de séquestration, d’enlèvement et de brigandage au sens des articles 183 et 140 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CPS - RS 311.0).

5. Mme X._______ a été incarcérée à la prison de Champ-Dollon dès le 21 mars 2005, puis, suite à sa relaxe prononcée par le juge d’instruction chargé de l’affaire, libérée en date du 7 avril 2005.

L’information pénale ouverte à son encontre est, à ce jour, toujours en cours.

6. Le 7 avril 2005, interrogé par le juge d’instruction sur les agissements de Mme X._______, l’OPF a eu l’occasion de préciser notamment que :

- les collaborateurs de l’OPF n’avaient pas le droit d’imprimer, pour leur usage personnel, des documents relatifs à l’identité ou au domicile de tiers, ni a fortiori, des documents concernant des poursuites de tiers ;

- Mme X._______ travaillait au service des notifications internes, chargée, entre autres, de notifier des actes de poursuites au guichet de l’office et d’enregistrer le résultat de la notification, et elle n’avait donc aucune raison d’être en possession d’actes de poursuites pour des tiers, ni d’emmener des documents à la maison.

7. A raison de ces faits, le Conseil d’Etat a pris un arrêté daté du 27 juillet 2005, notifié le 28 juillet 2005, décidant de l’ouverture d’une enquête administrative et prononçant la suspension provisoire, sans traitement, de Mme X._______.

Cet arrêté a été déclaré exécutoire nonobstant recours. La voie et le délai de recours étaient mentionnés.

8. Par acte posté le 8 août 2005, Mme X._______ a recouru auprès du Tribunal administratif contre l’arrêté du Conseil d’Etat. Elle sollicitait en outre la restitution de l’effet suspensif.

 

La suspension provisoire sans traitement lui causait un préjudice irréparable et la prévention d’une quelconque faute pénale de sa part ne suffisait manifestement pas à justifier cette mesure. Enfin, les griefs du Conseil d’Etat ne pouvaient être objectivement qualifiés de particulièrement graves.

Elle conclut à l’annulation de l’arrêté en tant qu’il la suspend provisoirement et supprime toute prestation à charge de l’Etat.

9. Le 26 août 2005, le Conseil d’Etat s’est opposé à la demande de restitution de l’effet suspensif.

10. Mme X._______ a été admise au bénéfice de l’assistance juridique, par décision du 30 août 2005 du vice-président du Tribunal de première instance.

11. Par décision présidentielle du 31 août 2005, la demande de restitution de l’effet suspensif a été rejetée et le sort des frais de justice réservé jusqu’à droit jugé au fond.

12. Le Conseil d’Etat a conclu au rejet de recours en date du 30 septembre 2005.

Les agissements de Mme X._______ étaient constitutifs d’abus de fonction et de nature à mettre en doute son sens des responsabilités. Le risque de la voir commettre des actions irréfléchies, sans égard pour les intérêts de l’Etat, était réel. Les conditions d’une suspension provisoire sans traitement étaient réunies, et cette mesure n’était pas disproportionnée.

Il précisait encore que la suspension provisoire querellée constituait une exécution anticipée à titre provisionnel de la fin des rapports de service en raison d’une faute alléguée.

13. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 lit. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Fonctionnaire de l’Etat de Genève, la recourante est soumise à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC – B 5 05).

 

3. La recourante reproche à l’autorité intimée d’avoir pris une décision disproportionnée à son encontre, tant en la suspendant provisoirement de ses fonctions qu’en lui supprimant tout traitement durant la durée de l’enquête administrative, laquelle mesure elle ne conteste pas.

4. a. A teneur de article 28 alinéa 1 LPAC, dans l’attente du résultat d’une enquête administrative, le Conseil d’Etat peut, de son propre chef, suspendre provisoirement le membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l’autorité qu’implique l’exercice de sa fonction. La suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l’Etat (al. 3).

b. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, la suspension provisoire pour enquête a un caractère temporaire et ne préjuge nullement de la décision finale. Dans cette mesure, la suspension apparaît comme une sorte de mesure provisionnelle, prise dans l’attente d’une décision finale relative à une sanction ou à un licenciement (ATA/261/2002 du 14 mai 2002 et les références citées).

Il est parfaitement possible que, malgré une suspension provisoire pour enquête, la décision finale, prise après instruction complémentaire et approfondie de la cause, ne débouche pas sur un licenciement avec effet immédiat, voire pas de licenciement du tout. Inversement, le fait qu'une suspension immédiate ne soit pas justifiée ne signifie nullement qu'un licenciement ne pourra pas être prononcé en fin de compte (ATA/261/2002 du 14 mai 2002).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a indiqué dans ses écritures que la suspension constituait en fait une exécution anticipée à titre provisionnel de la fin des rapports de service en raison d’une faute alléguée, de nature à rompre la confiance qu’implique l’exercice de la fonction de l’intéressée. En outre, conformément à l’article 28 alinéa 3 LPAC, le Conseil d’Etat a également suspendu toute prestation à sa charge.

5. Une telle mesure n’est justifiée que si trois conditions sont réalisées. La faute reprochée à l’intéressé doit être de nature à justifier une cessation immédiate de l’exercice de sa fonction si l’enquête la confirme (ATA V. du 14 février 1990). En outre, la prévention de faute doit être suffisante, même si la preuve absolue n’est pas possible à apporter étant donné précisément l’enquête administrative ou pénale en cours. Enfin, la suspension devra apparaître comme globalement proportionnelle, compte tenu de la situation de l’intéressée et des conséquences de sa suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l’intérêt de l’Etat à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que ses propres prestations (ATA/28/2001 du 16 janvier 2001).

S’agissant de la suspension de traitement, le Tribunal administratif a eu l’occasion de juger que, sur cette question, l’intérêt de l’Etat à ne pas verser au recourant son traitement aussi longtemps que dure la procédure était essentiel (ATA/107/2001 du 13 février 2001).

En l’espèce, il est reproché à la recourante d’avoir violé son secret de fonction, en consultant et imprimant des extraits de la base de données Calvin et des registres de l’OPF à des fins personnelles, voire délictuelles. Les autorités policières ont ainsi retrouvé à son domicile, en nombre, de tels documents, lesquels n’avaient aucune raison de s’y trouver. Or, il ressort de la déclaration de l’OPF au juge d’instruction que la recourante n’avait aucun droit d’imprimer pour son usage personnel de tels documents, ni, a fortiori, d’en posséder une grande quantité à son domicile. Les justifications de la recourante à ce sujet ne sont pas crédibles.

A l’évidence, les faits qui lui sont reprochés sont particulièrement graves. Ils sont donc de nature à remettre en cause la confiance qu’implique l’exercice de la fonction de commise administrative 3 à l’OPF.

La recourante a d’ailleurs reconnu en grande partie les faits, de sorte que la prévention est largement suffisante, sans qu’il soit nécessaire d’attendre l’issue de la procédure pénale en cours.

Dans ces circonstances, la suspension provisoire de la recourante apparaît également conforme au principe de la proportionnalité, et sera donc confirmée.

6. Le bien-fondé de la suspension provisoire étant admis, il reste à examiner si la suspension du traitement de la recourante est également conforme au principe de la proportionnalité.

Au vu de ce qui précède, la gravité des faits reprochés à la recourante et l’intérêt de l’Etat à cesser toute prestation à sa charge doivent à l’évidence l’emporter sur l’intérêt privé de cette dernière de continuer à percevoir son traitement. Par ailleurs, le fait que la recourante allègue ne pas être en mesure, sans traitement, de subvenir aux besoins de son foyer est sans conséquence, celle-ci pouvant toucher, cas échéant, des indemnités de chômage.

La mesure de suppression de traitement de la recourante sera donc également confirmée.

7. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. La recourante étant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à sa charge.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 août 2005 par Madame X._______ contre l’arrêté du Conseil d'Etat du 27 juillet 2005 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à Me Jérôme de Montmollin, avocat de la recourante, au Conseil d'Etat, ainsi qu’au Procureur général, pour information.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :