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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/661/2000

ATA/28/2001 du 16.01.2001 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; SUSPENSION DANS LA PROFESSION; CE
Normes : LPAC.28
Résumé : Confirmation d'une suspension provisoire de fonctionnaire avec suppression de traitement qui a usé de sa fonction pour octroyer des prestations sociales à des proches.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 16 janvier 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur J.-P. C.

représenté par Me Jean-Charles Sommer, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

1. Le 15 février 1996, Monsieur J.-P. C. a été engagé en qualité de conseiller en recyclage auprès du service de l'insertion professionnelle (ci-après : le SIP) de l'office cantonal de l'emploi (ci-après : l'OCE). Son statut était celui d'employé occupant une fonction non permanente.

 

2. Dès le 1er mai 1997, M. C. a été mis au bénéfice d'un engagement en qualité d'employé et a été promu chef d'agence/de section à l'OCE.

 

3. Le 1er février 2000, il a été nommé fonctionnaire.

 

4. Au cours d'un entretien téléphonique avec le directeur général de l'OCE, la responsable de la caisse de chômage du SIP s'est étonnée de l'octroi d'une allocation d'initiation au travail (ci-après : AIT) à l'association "...", association qui n'avait, à son sens, pas d'activité réelle.

 

Suite à cette conversation téléphonique, le directeur général de l'OCE a chargé le directeur du SIP de procéder à l'audition de M. C.. En effet, ce dernier avait créé, en 1995, l'association "..." (ci-après: l'association) qui n'était, à cette date, plus active, mais dont il était encore le répondant financier. Cependant, il s'est avéré que M. C. n'a jamais demandé au Conseil d'Etat l'autorisation d'exercer cette activité accessoire.

 

5. Le 12 avril 2000, le directeur et la directrice adjointe du SIP ont entendu M. C..

 

L'intéressé a reconnu chacun des faits consignés dans le rapport du 17 avril 2000, adressé au directeur général de l'OCE. Ce rapport a notamment établi que :


- M. C. gérait le dossier de chômage de sa compagne, Mme X., depuis le 3 mars 1997;

 

- Plusieurs cours avaient été accordés à Mme X. durant cette période, dont un cours de deux semestres au sein de l'école ..., non reconnue par l'OCE, pour un montant de CHF 18'000.-;

 

- Mme X. recevait une AIT mensuelle de CHF 6'200.- pour une durée d'un an;

 

- La demande d'AIT avait été remplie par M. C.;

 

- L'employeur de Mme X. était l'association, fondée par M. C.;

 

- M. C. avait signé lui-même la lettre d'engagement de Mme X..


 

6. Le 12 mai 2000, la direction du SIP a notifié, respectivement à l'association et à Mme X., sa décision d'annuler l'octroi d'AIT du 1er février 2000.

 

7. Par arrêté du 7 juin 2000, le Conseil d'Etat a ouvert une enquête administrative à l'encontre de M. C. et a ordonné sa suspension provisoire sans traitement.

 

8. Par acte expédié le 16 juin 2000, M. C. a interjeté recours contre l'arrêté du Conseil d'Etat par-devant le Tribunal administratif. Le recourant a conclu à l'octroi de l'effet suspensif et à l'annulation de l'arrêté du 7 juin 2000.

 

9. Dans sa détermination du 28 juin 2000, le Conseil d'Etat s'est opposé à la restitution de l'effet suspensif au recours.

10. Par décision du 29 juin 2000, le président du Tribunal administratif a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif, sollicitée par M. C..

 

11. Le 20 juillet 2000, le Conseil d'Etat a transmis au Tribunal administratif ses observations quant à la décision de suspension provisoire sans traitement contenue dans l'arrêté du 7 juin 2000. Le 5 juillet 2000, un rapport complémentaire établi par la direction du SIP avait fait apparaître qu'un autre dossier, concernant cette fois-ci la fille de la compagne de M. C., Mme C. Y., avait été traité de manière identique par l'intéressé : dans la gestion du dossier de Mme Y., M. C. avait décidé de l'octroi d'AIT pour la période du 1er décembre 1999 au 31 mai 2000. Tant la demande d'AIT que la lettre d'engagement de l'association avaient été signées par M. C., lequel avait aussi signé la décision d'AIT remplie par un collaborateur. Le Conseil d'Etat a conclu au rejet du recours de M. C. au motif que la prévention de faute du celui-ci était suffisante pour justifier une cessation provisoire des rapports de service.

 

12. Le 12 octobre 2000, le juge délégué a entendu M. C.. Lors de cette audience, le recourant a contesté avoir favorisé sa compagne et la fille de cette dernière. L'école ..., école privée d'art et de technique, dans laquelle Mme X. et sa fille avaient été placées, était connue de l'office pour les placements; M. C. était resté dans le cadre de la loi en octroyant ces mesures de placement dans cette école. Enfin, la création de l'association "..." répondait à sa mission de placement au sein de l'OCE.

 

Excusé à l'audience, le Conseil d'Etat a reçu copie du procès-verbal. Le Tribunal administratif lui a imparti un délai échéant au 15 novembre 2000 pour lui faire part de ses observations.

 

13. Le 15 novembre 2000, le Conseil d'Etat a indiqué que l'OCE n'avait placé personne auprès de l'école .... Seul M. C. y avait placé Mme X. et la fille de cette dernière. Quant à l'implication de M. C. dans l'association, elle engendrait une confusion inadmissible des rôles, source de conflits d'intérêts évidents.

 

14. Par courrier du 28 novembre 2000, le recourant s'est déterminé sur le courrier du Conseil d'Etat. Il a tout d'abord insisté sur le fait que son activité parallèle auprès de l'association étant bénévole, cela le dispensait de solliciter une autorisation auprès du Conseil d'Etat pour l'exercer. Enfin, il a souligné la réinsertion professionnelle de Mme Y. grâce au placement auprès de l'Ecole ..., dont elle avait bénéficié.

 

EN DROIT

 

1. Le Tribunal administratif a déjà admis sa compétence en matière de suspension provisoire d'un fonctionnaire, dans une jurisprudence rendue à propos de l'ancien article 26 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), devenu aujourd'hui l'article 28 LPAC (ATA R. du 7 avril 1998; B. du 2 mars 1993), Il n'y a pas lieu de s'écarter de cette jurisprudence.

 

Par ailleurs interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Selon l'article 21 alinéa 2 lettre b LPAC, le Conseil d'Etat ou le conseil d'administration peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service du fonctionnaire en respectant le délai de résiliation. L'article 22 LPAC définit comme motif objectivement fondé l'insuffisance des prestations (let. a), le manquement grave ou répété aux devoirs de service (let. b), et l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. c).

 

3. Lorsque le Conseil d'Etat envisage une résiliation pour un motif objectivement fondé, il doit ordonner l'ouverture d'une enquête administrative, qu'il confie à un ou plusieurs magistrats ou fonctionnaires, en fonction ou retraités (art. 27 al. 2 LPAC).

 

4. L'article 28 alinéa 1 LPAC prévoit que dans l'attente d'une enquête administrative ou d'une information pénale, le Conseil d'Etat ou le conseil d'administration peut, de son propre chef ou à la demande de l'intéressé, suspendre provisoirement le membre du personnel auquel il est reprochée une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction (...). La suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l'Etat ou de l'établissement (al. 3). A l'issue de l'enquête administrative, il est veillé à ce que l'intéressé ne subisse aucun préjudice réel autre que celui qui découle de la décision finale.

 

5. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, la suspension provisoire pour enquête a un caractère temporaire et ne préjuge nullement de la décision finale (ATA M. du 23 mai 2000; R. précité). Le Tribunal administratif a donc admis qu'une suspension ne saurait être ordonnée lorsque ni une sanction disciplinaire, ni un licenciement ne sont envisageables. Dans cette mesure, la suspension apparaît comme une sorte de mesure provisionnelle, prise dans l'attente d'une décision finale relative à une sanction ou à un licenciement (ATA M. précité; R. précité; B. du 3 mars 1993).

 

6. Il résulte du caractère de mesure provisionnelle de la suspension prévue par l'article 28 LPAC que les conditions de cette suspension ne sont pas identiques à celles de la décision finale.

 

Ainsi, l'article 28 LPAC ne limite pas la suspension au cas où un licenciement est envisagé, mais bien lorsqu'il est reproché au fonctionnaire une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction.

 

7. Dans le cas présent, la suspension constitue en fait une exécution anticipée à titre provisionnel de la fin des rapport de service en raison d'une faute alléguée, de nature à rompre la confiance qu'implique l'exercice de la fonction de l'intéressé. Une telle mesure n'est justifiée que si trois conditions sont remplies:

 

a. La faute reprochée à l'intéressé, si l'enquête la confirme, doit être de nature à justifier une cessation immédiate de l'exercice de sa fonction. Il serait en effet manifestement contraire au principe de proportionnalité de prononcer une mesure de suspension, alors qu'il apparaîtrait d'emblée que la faute ne justifie pas un licenciement avec effet immédiat. Dans l'examen des conséquences de la faute, l'autorité peut effectuer, au stade de la mesure provisionnelle, une appréciation (H. SCHROF, D. GERBER, Die Beendigung der Dienstverhältnisse in Bund und Kantonen, 1985, pp. 188-1899). Elle doit cependant tenir compte du fait que le licenciement avec effet immédiat ne peut être prononcé que pour une "raison particulièrement grave" et non, comme le licenciement à terme, simplement pour une "raison grave" (ATA V. du 14 février 1990).

 

b. La prévention de faute à l'encontre de l'intéressé doit être suffisante, même si, s'agissant d'une mesure provisionnelle, prise précisément pendant la durée d'une enquête administrative ou pénale, une preuve absolue ne peut évidemment pas être exigée. Les charges devront être plus strictement établies lorsque l'autorité assortit la suspension de la suppression de toute prestation à la charge de l'Etat.

 

c. La suspension devra apparaître comme globalement proportionnelle, compte tenu de la situation de l'intéressé et des conséquences de sa suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l'intérêt de l'Etat à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que ses propres prestations. Sur ce dernier point, le Conseil d'Etat doit certes prendre en considération que la loi fait de la suppression des prestations de l'Etat la règle, mais sans pour autant perdre de vue qu'une latitude d'appréciation lui est laissée, laquelle doit être exercée dans le respect du principe de proportionnalité.

 

Il se peut donc fort bien que, malgré une suspension, la décision finale, prise après instruction complète et approfondie de la cause, ne comporte pas de licenciement avec effet immédiat. Dans l'autre sens, le fait qu'une suspension immédiate ne soit pas justifiée ne signifie nullement qu'un licenciement ne pourra pas être prononcé en fin de compte.

 

8. En l'espèce, il est reproché au recourant d'avoir adopté un comportement de nature à porter préjudice à l'intérêt de l'Etat (art. 20 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale du 7 décembre 1987 (RLPAC - B 5 05 01)) et à la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (art. 21 let. c RLPAC), d'avoir violé le devoir de remplir consciencieusement et avec diligence les devoirs de sa fonction (art. 22 al. 1 RLPAC), enfreint ses obligations au sens du règlement sur les cadres intermédiaires de l'administration cantonale (B 5 05.06) et d'avoir exercé une activité accessoire incompatible avec sa fonction, en violation de l'article 9 RLPAC.

 

Le recourant a reconnu avoir usé de sa fonction pour octroyer des prestations à sa compagne et avoir accordé une AIT à une association qui était l'employeur de sa compagne et dont il était lui-même également le répondant financier. En outre, il n'a pas nié la gravité de ces faits, qui lui sont imputés.

Ainsi, la prévention de faute est avérée, dès lors que le recourant a admis les faits concernant le dossier de sa compagne et que le dossier les établit à l'envi. Un tel comportement est de nature à altérer toute relation de confiance et à justifier une cessation provisoire des rapports de service. Il s'agit en effet de violation des devoirs élémentaires imposés aux membres du personnel de l'Etat.

 

9. La suspension avec suppression du traitement apparaît comme globalement proportionnée au regard de l'existence certaine et de la gravité des fautes du recourant, de ses fonctions de chef d'agence/de section de l'OCE - impliquant un pouvoir de décision en matière de prestations de l'assurance chômage - des doutes qui peuvent planer quant au traitement d'autres dossiers qui pourraient poser des problèmes analogues et de l'intérêt de l'Etat.

 

10. Au vu de ce qui précède, les conditions d'une suspension provisoire avec suppression de toute prestation à la charge de l'Etat sont en l'espèce réalisées et la décision attaquée ne peut être que confirmée.

 

11. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 16 juin 2000 par Monsieur J.-P. C. contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 7 juin 2000;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'000.-;

 

communique le présent arrêt à Me Jean-Charles Sommer, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 

 


Siégeants : M. Schucani, président, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, MM. Thélin, Paychère, juges.


 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci