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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1420/2012

ATA/71/2013 du 06.02.2013 ( LAVI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ; AIDE AUX VICTIMES ; INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE ; DOMMAGE ; TORT MORAL ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL) ; LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS
Normes : LAVI.1ss, LAVI.22.al1; LAVI.25; LAVI.27
Résumé : Le tribunal correctionnel a relevé que les conséquences des actes subis tant par le recourant que pour une autre victime étaient catastrophiques. Pour cette raison, leur a octroyé un même montant, soit CHF 20'000.- à titre de tort moral. Le tribunal correctionnel a donc estimé que les conséquences pour celles-ci étaient identiques. De plus, le fait que la recourante ne se soit pas soumise à un traitement médical ne signifie pas que l'agression n'a pas eu de conséquences importantes pour elle. L'instance LAVI s'est fondée trop largement sur l'absence de rapports médicaux et un certain mal-être préexistant pour diminuer de près de 65 % le montant alloué selon les critères du droit civil par le Tribunal correctionnel. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, c'est un montant de CHF 15'000.- qui devait être alloué à titre de réparation morale.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1420/2012-LAVI ATA/71/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 février 2013

 

 

 

dans la cause

 

Madame X______
représentée par Me Tirile Tuchschmid Monnier, avocate

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI

 



EN FAIT

1. Madame X______, née le ______ 1992, est domiciliée à Y______ dans le canton de Genève.

2. Le 18 février 2010, Mme X______ a déposé plainte pénale contre inconnu en raison d'abus sexuels dont elle avait été victime la nuit du 13 au 14 février 2010. Elle effectuait cette démarche sur conseil du Docteur C______, son pédopsychiatre, à qui elle s'était confiée trois jours auparavant.

3. Le 19 février 2010, une audition filmée de Mme X______ a été effectuée par la police. Il en est ressorti en substance les éléments suivants :

Son père avait quitté le foyer familial lorsqu'elle avait dix ans. Elle avait souffert de dépression et avait été hospitalisée durant un mois. Elle était suivie psychologiquement depuis. Elle vivait habituellement chez sa mère, avec qui elle était toutefois en conflit. Pour cette raison, il lui arrivait d'aller dormir chez des amis.

Durant la semaine du 8 au 14 février 2010, elle était allée dormir chez une amie. Cette dernière ne pouvant l'héberger durant la nuit du 13 au 14 février 2010, Mme X______ devait dormir chez un autre ami. Ce dernier ayant eu un empêchement elle s'était rendue chez Monsieur Z______ qui l'avait invitée à dormir chez lui.

Durant la nuit, il l'avait violée à deux reprises, la première sans préservatif, la seconde avec. Il l'avait tenue fermement et l'avait giflée, tandis qu'elle manifestait clairement son désaccord.

4. Le 23 février 2010, Mme X______ a formellement déposé plainte pénale contre M. Z______, qu'elle avait reconnu sur présentation d'une planche photographique, et s'est constituée partie civile, notamment en tant que victime au sens de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5).

Un examen gynécologique pratiqué le même jour n'avait pas mis en évidence de lésions traumatiques fraîches ou récentes. L'examen médical avait, quant à lui, mis en exergue une dermabrasion d'aspect récent au niveau de la face interne de son coude droit.

5. Le 24 février 2010, M. Z______ a été interpellé et placé en garde à vue puis en détention préventive.

6. Le 25 février 2010, le juge d'instruction a inculpé M. Z______ de viols et de menaces commis sur la personne de Mme X______.

7. Le 7 octobre 2010, le Dr C______ a été entendu par le juge d'instruction.

Il suivait Mme X______ depuis le 17 avril 2009 dans le cadre d'une consultation demandée par la mère de celle-ci et faisant suite à des difficultés relationnelles entre elles. Les symptômes constatés chez Mme X______ lors de la consultation du 25 février 2010 pouvaient être considérés comme suivant un épisode de stress aigu.

8. Le 16 novembre 2010, Mme X______, sous la plume de son mandataire, a déposé, afin de préserver ses droits, « une requête conservatoire d'indemnisation » auprès de l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : l'instance LAVI), en concluant à l'octroi d'une indemnisation, voire une réparation morale.

La procédure pénale à l'encontre de M. Z______ était toujours en cours et une seconde victime avait été violée par celui-ci.

9. Le 14 décembre 2010, lors de son audition par l'instance LAVI, Mme X______ a déclaré consulter un pédopsychiatre deux fois par semaine, et prendre des médicaments tous les jours pour se calmer et s'empêcher de se faire du mal. Elle ne travaillait pas mais bénéficiait de l'aide de l'Hospice général. Elle vivait chez son ami et souhaitait trouver une place d'apprentissage pour devenir assistante dentaire. Ella avait eu beaucoup de problèmes dans le passé et était allée à l'hôpital psychiatrique suite à une dépression due à son enfance. L'agression était à l'origine d'un blocage, surtout sur le plan professionnel.

10. Par arrêt du 7 octobre 2011 (P/3365/2010), M. Z______ a été reconnu coupable par le Tribunal correctionnel de viols, à l'égard de Mme X______ et de Madame A______. Le tribunal l'a condamné à une peine privative de liberté d'ensemble de six ans, a ordonné un traitement ambulatoire, et l'a condamné à payer à Mme X______ la somme de CHF 20'000.- à titre de tort moral et à Mme A______ la somme de CHF 20'000.-, avec intérêts à 5 % dès le 29 septembre 2009, à titre de tort moral.

L'arrêt du Tribunal correctionnel relevait que « les conséquences des actes subis par les parties plaignantes ont été pour toutes les deux catastrophiques. Ceux-ci sont intervenus alors qu'elles se trouvaient, tant l'une que l'autre, dans une situation de vulnérabilité particulière, étant mineures et sans endroit où dormir le jour des faits. Les souffrances subies par Mme X______ en lien avec son agression sont importantes. Le prévenu s'est attaqué à elle malgré son jeune âge et sa situation de fragilité particulière. Il n'a pas hésité à user de sa force physique pour la contraindre à subir à deux reprises l'acte sexuel. La somme de CHF 20'000.- réclamée à titre de tort moral lui sera allouée ».

11. Par arrêt du 19 décembre 2011 (AARP/203/2011), la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a pris acte du retrait de l'appel formé par M. Z______ contre le jugement du Tribunal correctionnel du 7 octobre 2011 et a rayé la cause du rôle.

12. Le 17 janvier 2012, Mme X______ a sommé l'instance LAVI de bien vouloir se prononcer sur sa requête au vu de l'indigence de M. Z______.

13. Le 24 janvier 2012, l'instance LAVI a invité Mme X______ à lui transmettre les copies des rapports médicaux produits dans le cadre de la procédure pénale.

14. Le 30 janvier 2012, Mme X______ a informé l'instance LAVI qu'aucun rapport médical n'avait été produit dans le cadre de la procédure pénale et qu'elle était suivie sporadiquement par des intervenants du centre LAVI et par le service des tutelles d'adultes, dans le cadre de la curatelle volontaire demandée par sa mère.

15. Par ordonnance n. 2010/3045 du 26 mars 2012, l'instance LAVI a alloué à Mme X______ une somme de CHF 7'000.- à titre de réparation morale.

Les conditions d'une réparation morale étaient remplies, et la somme allouée par la justice pénale ne pouvait être obtenue de l'auteur de l'infraction, lequel purgeait une peine de prison de six ans. Il ressortait du dossier qu'il était titulaire d'une attestation de délai de départ et d'aide d'urgence et qu'il avait l'interdiction de travailler au moment des faits. Selon la jurisprudence, l'instance LAVI pouvait, en se fondant sur l'état de fait arrêté par les autorités pénales, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime sur la base de considérations juridiques propres.

Le calcul de la réparation morale due aux victimes d'infractions commises après le 1er janvier 2009 se faisait selon une échelle dégressive, indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci pouvaient servir à déterminer quels types d'atteintes donnaient lieu à l'octroi des montants les plus élevés. La Conférence suisse des offices de liaison LAVI recommandait une réduction de 30 à 40 % du montant qui aurait été alloué à titre de réparation morale sous l'ancien droit. Le montant alloué devait tenir compte de la souffrance effectivement ressentie par la victime. En matière d'atteinte à l'intégrité sexuelle, il fallait tenir compte de la peur et de l'angoisse qu'avait engendrée la violence subie par la victime, violence susceptible de laisser des traces profondes dans la personnalité (dépression, état suicidaire).

Il ressortait du dossier que Mme X______ était en 2010 une adolescente fragile. Elle n'avait pas consulté de psychologue suite à son agression et aucun rapport médical n'avait été produit. Le mal-être de la victime était préexistant aux événements du 13 février 2010. Le Dr C______, entendu dans le cadre de l'instruction pénale, faisait état d'un stress aigu suite à l'agression. Tenant compte des circonstances de l'agression et des souffrances de Mme X______, une somme de CHF 7'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi. Aux termes de l'art. 28 LAVI, aucun intérêt n'était dû pour la réparation morale.

16. Par acte posté le 11 mai 2012, Mme X______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'ordonnance précitée, concluant à son annulation, et à ce qu'il soit dit et constaté qu'elle avait droit à un montant de CHF 20'000.- à titre de réparation pour tort moral « conformément à l'arrêt du Tribunal correctionnel du 7 octobre 2011 », cela « sous suite de frais et dépens ».

Les conditions à l'octroi d'une réparation morale étant remplies, seule demeurait litigieuse l'ampleur de cette réparation. Les recommandations invoquées par l'instance LAVI n'avaient pas force de loi. L'ampleur de la réparation morale dépendait avant tout de la gravité de la souffrance résultant de l'infraction.

Les deux viols qu'elle avait subis la nuit du 13 au 14 février 2010 l'avaient extrêmement affectée. Quant bien même elle n'avait pas consulté un psychologue par la suite, les souffrances étaient bien présentes. Le Dr C______ ainsi que Madame B______, intervenante LAVI et psychologue, avaient constaté des symptômes et un état de stress post-traumatique. L'intensité de la souffrance était réelle et consécutive aux deux agressions subies avec violence.

Selon une attestation établie le 9 mai 2012 par Mme B______ relevait que les dires et les comportements observés chez Mme X______ témoignaient d'une atteinte importante et d'une grande détresse suite à l'agression qu'elle avait subie et qu'elle essayait de gérer au mieux compte tenu de ses ressources et vulnérabilités.

Enfin, l'autre victime de M. Z______, Mme A______, avait obtenu de l'instance LAVI un montant de CHF 15'000.- à titre de tort moral.

Il en résultait que le montant retenu par le Tribunal correctionnel, soit CHF 20'000.-, devait également lui être alloué dans le cadre de l'indemnisation prévue par l'art. 23 LAVI. Aucun motif de réduction de l'indemnité au sens de l'art. 27 LAVI ne pouvait au surplus être retenu.

17. Invitée à répondre, l'instance LAVI, a conclu au rejet du recours le 19 juin 2012.

Le calcul de la réparation morale à verser aux victimes d'infractions commises après le 1er janvier 2009 se faisait selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci pouvaient servir à déterminer quels types d'atteintes donnaient lieu à l'octroi des montants les plus élevés. L'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ) avait établi à titre indicatif des tables selon le type d'atteinte subie ; le montant supérieur de la fourchette en cas d'atteinte grave à l'intégrité sexuelle était de CHF 10'000.- ; quant au montant supérieur de la fourchette en cas d'atteinte très grave à l'intégrité sexuelle, celui-ci était de CHF 15'000.-. Pour évaluer le montant de la réparation morale, il fallait tenir compte de l'ensemble des circonstances.

Le fait que Mme X______ se soit mise en situation de danger, les éléments relevés par le Dr C______ s'agissant de l'intensité du traumatisme psychique subi par elle, l'absence de rapport médical et le suivi sporadique auprès des intervenants du centre LAVI et du service des tutelles d'adultes dans le cadre d'une curatelle volontaire permettaient à l'instance LAVI d'arrêter équitablement le montant de la réparation morale ex aequo et bono à CHF 7'000.-.

L'attestation du 9 mai 2012 signée par Mme B______ avait été émise sur demande du conseil de Mme X______ et postérieurement au prononcé de l'ordonnance, de sorte qu'elle ne pouvait être admise. En tout état de cause, celle-ci n'apportait pas d'éléments nouveaux susceptibles de modifier son appréciation.

Compte tenu de la prudence avec laquelle il s'agissait d'établir des comparaisons avec d'autres affaires, l'instance LAVI n'avait pas alloué le même montant qu'à Mme A______ de manière délibérée.

18. Le 25 juin 2012, le juge délégué a octroyé à Mme X______ et à l'instance LAVI un délai au 17 août 2012 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

19. Le 3 juillet 2012, l'instance LAVI a informé la chambre administrative qu'elle n'avait pas d'observation complémentaire à formuler.

20. Mme X______ n'a pas présenté de requête ou d'observation complémentaire, si bien que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 19 de la loi d'application de la LAVI, du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Selon l’art. 61 LPA, la chambre administrative est habilitée à revoir une décision pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation, et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. a et b LPA), mais pas sous l'angle de l’opportunité (art. 61 al. 2 LPA).

3. Aux termes de l'art. 68 LPA, sauf exception prévue par la loi, le recourant peut invoquer des motifs, des faits et des moyens de preuves nouveaux qui ne l’ont pas été dans les précédentes procédures.

En l'espèce, l'instance LAVI estime que l'attestation datée du 9 mai 2012 et signée par Mme B______ ne doit pas être admise car elle est postérieure à l'ordonnance du 26 mars 2012.

Compte tenu de l'absence d'exceptions prévues par la loi, la disposition légale susmentionnée autorise la recourante à invoquer des moyens de preuves nouveaux dans le cadre du présent recours, de sorte que ladite attestation pourra être prise en considération.

4. La conclusion de la recourante tendant à ce qu'il soit dit et constaté qu'elle a droit à un montant de CHF 20'000.- à titre d'indemnité pour tort moral ne peut, au vu des circonstances, qu'être comprise comme tendant en réalité à l'allocation d'un montant correspondant. Il n'y a donc pas lieu d'examiner si la condition de subsidiarité posée par la jurisprudence (ATA/370/2012 du 12 juin 2012 consid. 2) pour une action de type constatatoire est remplie.

5. La loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 4 octobre 1991 (aLAVI) a été abrogée à la suite de l’entrée en vigueur de la LAVI (art. 46 LAVI), soit le 1er janvier 2009. L’ancien droit reste toutefois applicable aux requêtes déposées pour des faits qui se sont déroulés avant l’entrée en vigueur de la novelle (art. 48 let. a LAVI). Les faits à l'origine de la requête d'indemnisation datant du mois de février 2010, l'exception précitée ne trouve pas application et c'est ainsi la LAVI dans sa teneur actuelle qui est applicable au cas d’espèce.

6. Entrée en vigueur le 1er janvier 1993, l’aLAVI a été adoptée pour assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant l’aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990, vol. II pp. 909 ss, not. 923 ss). La LAVI révisée poursuit toujours le même objectif (ATF 134 II 308 consid. 55 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2011 du 26 juin 2012 consid. 4.2) ; elle maintient notamment les trois « piliers » de l'aide aux victimes (conseils, droits dans la procédure pénale et indemnisation y compris la réparation morale), la refonte visant pour l'essentiel à résoudre les problèmes d'application qui se posaient dans le premier et le dernier de ces trois domaines (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6701).

L’instance LAVI statue sur les demandes d’indemnisation au sens des art. 19 à 29 LAVI (art. 14 al. 1 LaLAVI).

7. A droit au soutien prévu par la LAVI toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime).

La reconnaissance de la qualité de victime au sens de la LAVI dépend de savoir, d’une part, si la personne concernée a subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle et, d’autre part, si cette atteinte a été directement causée par une infraction. La qualité de victime au sens de la LAVI ne se confond donc pas avec celle de lésé, dès lors que certaines infractions n’entraînent pas d’atteintes - ou pas d'atteintes suffisamment importantes - à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle (ATF 120 Ia 157 consid. 2d).

8. En l’espèce, la qualité de victime de la recourante au sens de la LAVI est établie et non contestée, dès lors qu'elle a subi, selon une décision de justice entrée en force, deux viols, constitutifs d'une atteinte grave à l'intégrité sexuelle.

Seul demeure litigieux le montant de la réparation morale.

9. a. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

b. Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b.bb). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 2 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu’elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc, p. 175).

c. Il est également prévu un montant maximum pour les indemnités (CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même, art. 23 let. a LAVI). Le législateur n'avait en somme pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle avait subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b.aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011, consid. 3).

d. La demande de réparation morale doit être formulée dans le délai de cinq ans à compter de la date de l'infraction ou du moment où la victime a connaissance de l'infraction ; à défaut, ses prétentions sont périmées (art. 25 al. 1 LAVI). Si la victime a fait valoir des prétentions civiles dans une procédure pénale avant cette échéance, elle peut introduire sa demande de réparation morale dans le délai d'un an à compter du moment où la décision relative aux conclusions civiles ou le classement sont définitifs (art. 25 al. 3 LAVI) - il s'agit ainsi d'un délai supplémentaire qui trouve application lorsque le délai prévu à l'art. 25 al. 1 LAVI est déjà dépassé.

e. La réparation morale en faveur de la victime peut être réduite ou exclue si celle-ci a contribué à causer l'atteinte ou à l'aggraver (art. 27 LAVI).

f. Enfin, selon l'art. 28 LAVI, aucun intérêt n'est dû pour l'indemnité et la réparation morale.

10. En sus de la jurisprudence rendue en la matière et vu le renvoi exprès opéré par l'art. 22 al. 1 LAVI, la chambre administrative se fondera également sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 27), ou le cas échéant de l'art. 47 CO, étant précisé que des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles au sens de cette disposition (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012, consid. 3.1.1).

a. L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte - ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances - et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées ; H. REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4e éd., 2008, n. 442 ss). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5a). Le fait que la victime ne se soit pas soumise à un traitement médical ne veut pas dire que l'agression n'a pas eu de conséquences importantes pour elle (ATA M. du 30 mai 1995, cité in V. MONTANI/O. BINDSCHEDLER, La jurisprudence rendue en 1995 par le Tribunal administratif et le Conseil d'Etat genevois, SJ 1997 17-45, p. 22 s. n. 23).

b. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a ; 117 II 60 consid. 4a, et les références citées ; 116 II 736 consid. 4g). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une somme d’argent. C’est pourquoi, son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en fixera donc le montant proportionnellement à la gravité de l’atteinte et évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 118 II 410 ss ; 89 II 25-26).

c. En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres affaires ne doit intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison n'est néanmoins pas dépourvue d'intérêt et peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 130 III 699 consid. 5.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 4A_741/2011 du 11 avril 2012, consid. 6.3.3).

Le Tribunal fédéral et la chambre de céans ont ainsi avalisé des montants de CHF 10’000.- à CHF 20’000.- alloués à des victimes pour des faits de viol ou d’agression sexuelle (Arrêts du Tribunal fédéral 6B_354/2011 du 10 octobre 2011, consid. 5.3 ; 6P.1/2007 du 30 mars 2007 et la jurisprudence citée ; ATA/12/2009 du 13 janvier 2009). Une épouse a été indemnisée à hauteur de CHF 50’000.- pour le tort moral subi en raison du décès de son mari à la suite d’une agression (ATA/69/2007 du 6 février 2007).

11. L'instance LAVI se réfère dans la décision attaquée aux Recommandations du 21 janvier 2010 de la Conférence suisse des offices de liaison LAVI (édictées par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales) ainsi qu'aux tables émises par l'OFJ. Ces textes sont dépourvus de force obligatoire et ne sauraient donc lier le juge.

Le premier d'entre eux prévoit que « l’introduction d’un montant maximal de CHF 70’000.- pour les atteintes les plus graves entraîne en principe une réduction des sommes attribuées à titre de réparation morale au sens de l’aide aux victimes. En général, par rapport aux montants calculés sur la base de l'aLAVI, la réparation morale évaluée selon la LAVI sera réduite d’environ 30 à 40 % » (ch. 4.7.2 p. 42). Le commentaire qui accompagne aussitôt ce passage précise quant à lui que « les pourcents sont mentionnés uniquement à titre indicatif et se basent sur la réflexion suivante : l’indemnité maximale pour atteinte à l’intégrité selon la loi fédérale sur l’assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20) se monte à CHF 126’000.- tandis que les réparations morales accordées en droit civil pour les atteintes les plus graves s’élèvent à CHF 150’000.-. Pour autant qu’on le sache, aucune réparation morale n’a dépassé CHF 100’000.- sous l’ancien droit de l’aide aux victimes. La réparation morale de droit civil doit prendre en considération des éléments propres à l’auteur (culpabilité par exemple) qui ne jouent aucun rôle dans les réparations morales de l’aide aux victimes. Par rapport à ce qui précède, le montant maximal introduit par la révision de la LAVI du 23 mars 2007 pour les atteintes les plus graves s’élève à CHF 70’000.-, c’est-à-dire environ à 30 à 40 % des limites selon la LAA, le droit civil et la pratique de l’aide aux victimes selon l'aLAVI ».

Quant au second, il sied de préciser que, selon l'art. 45 al. 3 LAVI, le Conseil fédéral peut notamment instaurer des forfaits ou des tarifs pour la réparation morale, faculté dont il n'a pas fait usage jusqu'à présent. L'OFJ a néanmoins rédigé, en octobre 2008, un Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d’aide aux victimes d’infractions, à l'intention des autorités cantonales en charge de l’octroi de la réparation morale au titre de la LAVI. Ce guide se fonde sur la LAVI bien qu'il ait été adopté avant la date de son entrée en vigueur. Il cite comme facteurs permettant d'élever ou de réduire le montant de la réparation morale notamment l’âge de la victime, la durée de l’hospitalisation, les opérations douloureuses, les cicatrices permanentes, le retentissement sur la vie professionnelle ou privée, l’intensité et la durée du traumatisme psychique, la dépendance vis-à-vis de tiers, la répétition des actes, le fait que l’auteur n’ait pas été retrouvé et condamné. Il y est retenu, pour les atteintes à l'intégrité sexuelle, un montant de CHF 0.- à CHF 10'000.- pour les atteintes graves, et de CHF 10'000.- à CHF 15'000.- pour les atteintes très graves, précisant que dans des situations d’une exceptionnelle gravité, l’autorité pourrait aller au-delà des montants proposés (pp. 9-10). Les atteintes à l'intégrité physique font l'objet d'un tableau à part.

12. En l’espèce et incontestablement, la recourante a subi des atteintes graves à son intégrité sexuelle et psychique. Alors que la recourante, mineure, en rupture, fragile et en manque de repères, se trouvait en position de faiblesse, elle a été contrainte à subir, à deux reprises, l'acte sexuel, la première sans préservatif, la seconde avec.

Comme l'a relevé l'arrêt du Tribunal correctionnel du 7 octobre 2011, les conséquences des actes subis tant pour la recourante que pour Mme A______ ont été catastrophiques. Pour cette raison, le tribunal leur a octroyé un même montant, soit CHF 20'000.- à titre de tort moral. Le Tribunal correctionnel a donc estimé que les conséquences pour celles-ci étaient identiques. De plus, et comme rappelé par la jurisprudence déjà citée, le fait que la recourante ne se soit pas soumise à un traitement médical ne signifie pas que l'agression n'a pas eu de conséquences importantes pour elle. Cela est d'ailleurs corroboré par le Dr C______, qui a relevé que la recourante se trouvait en état de stress aigu suite à l'agression. Mme B______ a, par ailleurs, attesté que les dires et les comportements observés chez la recourante témoignaient d'une atteinte importante et d'une grande détresse suite à l'agression qu'elle avait subie et qu'elle essayait de gérer au mieux compte tenu de ses ressources et vulnérabilités ; l'absence d'expression d'affects n'était pas synonyme d'absence d'affect. Enfin, selon ses déclarations du 14 décembre 2010 par-devant l'instance LAVI, la recourante devait prendre des médicaments pour se calmer et s'empêcher de se faire du mal. Son agression était pour elle à l'origine d'un blocage, surtout sur le plan professionnel.

L'instance LAVI a donc certes intégré la gravité de l'atteinte dans le cas d'espèce. Elle s’est toutefois fondée trop largement sur les facteurs limitatifs qu'elle cite, à savoir l'absence de rapports médicaux et un certain mal-être préexistant, en diminuant de près de 65 % le montant alloué selon les critères du droit civil par le Tribunal correctionnel.

La chambre de céans retiendra donc, en fonction de l'ensemble des circonstances précitées que c'est un montant de CHF 15'000.- qui devait être alloué à titre de réparation morale à la recourante.

13. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, l'ordonnance attaquée annulée et un montant de CHF 15'000.- alloué à la recourante à titre de réparation morale.

Aucun émolument ne sera mis à charge de la recourante, la procédure étant gratuite (art. 30 al. 1 LAVI cum 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mai 2012 par Madame X______ contre l'ordonnance de l’instance d'indemnisation LAVI du 26 mars 2012 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule l'ordonnance de l'instance d'indemnisation LAVI du 26 mars 2012 ;

alloue à Madame X______ un montant de CHF 15'000.- à titre de réparation du tort moral en lien avec les atteintes à l'intégrité physique et psychique qu'elle a subies en date des 13 et 14 février 2010 ;

rappelle qu'en vertu de l'art. 7 LAVI, le canton de Genève est subrogé à concurrence du montant versé dans les prétentions que la victime peut faire valoir en raison de l'infraction ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame X______ une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Tirile Tuchschmid Monnier, avocate de la recourante, à l'instance d'indemnisation LAVI, ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :