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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/679/2022

ATA/705/2023 du 27.06.2023 sur JTAPI/1365/2022 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 25.07.2023, rendu le 09.04.2024, REJETE, 9C_469/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/679/2022-ICCIFD ATA/705/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par BERNEY ASSOCIÉS SA, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2022 (JTAPI/1365/2022)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la contribuable) est une société inscrite au registre du commerce genevois depuis le ______ 2017 et a pour but l’achat, la vente, toutes transactions et promotions immobilières dans la Suisse romande, ainsi que toutes activités d'entreprise générale, de direction de travaux et pilotage de promotions immobilières.

b. Elle s’est engagée auprès des Chemins de fer fédéraux (ci-après : CFF) à acquérir des parcelles, sises sur la commune de B______, faisant partie du projet de C______, en vue d’y construire un bâtiment avec des surfaces administratives, commerciales et hôtelières ainsi qu’un parking souterrain. Elle leur a versé trois acomptes et a par ailleurs signé un contrat d’entreprise avec une entreprise de construction.

c. Suite à un remaniement parcellaire, le projet de la contribuable a été subdivisé en deux parties, le « projet Ouest » et le « projet Est ».

d. Par acte notarié du 12 juillet 2019, la I______ (ci‑après : I______) a acquis le projet Ouest, reprenant ainsi les droits et obligations y relatifs de la contribuable. Il en ressort notamment que :

-          le prix de cession du projet a été fixé en tenant compte d’un état locatif de CHF 7’879’512.-, capitalisé à 3,90% (art. 6 ch. 1) ;

-          la contribuable s’est engagée à conclure avec la I______ un contrat de bail, avec D______ pour colocataire, d’une durée de cinq ans et pour un loyer annuel de CHF 6’518’960.-, portant sur les surfaces locatives du projet Ouest après déduction de celles qui seraient utilisées par la I______. Ce contrat de bail pouvait être cédé à des tiers et, en cas de cession (partielle ou totale), cette dernière libérerait intégralement et définitivement la contribuable de son engagement en relation avec les surfaces louées (art. 5 let. d) ;

-          un contrat de bail avait déjà été signé par la contribuable et une promesse de bail avait été conclue avec E______ (ci-après : E______) pour une surface de 7’530 m2 et un loyer annuel de CHF 3’758’580.- (art. 5 let. e).

e. Le même jour, la I______ a conclu un contrat de bail avec la contribuable et D______, reprenant les éléments fixés dans l’acte notarié précité : la durée initiale était de cinq ans à compter de la remise des locaux et, en l’absence de locataires de substitution lors de la remise des locaux, soit entre 2022 et 2023, la contribuable devait verser les loyers convenus à la I______.

f. Par acte notarié du 11 décembre 2019, la I______ a également acquis le projet Est, reprenant ainsi les droits et obligations de la contribuable y relatifs. Il en ressort notamment que :

-          le prix de cession du projet a été fixé en tenant compte d’un état locatif de CHF 7’216’559.-, capitalisé à 4,30% (art. 4 ch. 1) ;

-          la conclusion de cet acte était notamment soumise à la signature de trois contrats de bail avec les entités suivantes : 1) la contribuable et D______ ; 2) F______ ; 3) G______ et H______ (art. 3 let. c) ;

-          la contribuable garantissait la présence de locataires à la date de réception du projet et la signature par ces derniers de baux aux conditions de l’art. 3 let. c (art. 6).

g. Le même jour, la I______ a conclu un contrat de bail avec la contribuable et D______, d’une durée initiale de cinq ans à compter de la remise des locaux et pour un loyer annuel de CHF 1’650’410.-. À l’instar du contrat de bail du 12 juillet, il était prévu que la contribuable pouvait transférer tout ou partie de son bail à un tiers, la libérant intégralement et définitivement de son engagement en relation avec les surfaces louées.

B. a. Le 15 juillet 2020, la contribuable a déposé sa déclaration fiscale 2019 auprès de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE).

À teneur de ses comptes pour l’année 2019, elle avait comptabilisé une « provision pour charge de participation aux aménagements des bâtiments » de CHF 5’219’900.- et une « provision pour garantie locative » de CHF 15’900’000.‑.

b. Le 2 novembre 2020, en réponse à une demande de renseignements de
l’AFC-GE portant notamment sur ces deux provisions, la contribuable a expliqué que :

-          la provision de CHF 5’219’900.- était en rapport avec les coûts prévus lors de l’entrée dans les locaux des locataires, qui devait avoir lieu en 2022. Il s’agissait d’une contrepartie aux aménagements de bâtiments, accordée avec la signature du bail. Les coûts avaient été estimés en tenant compte de la surface louée et d’un coût de CHF 700.- au m2 (soit CHF 3’824’100.- pour la partie Ouest et CHF 1’395’800.- pour la partie Est) ;

-          la provision de CHF 15’900’000.- était en relation avec les baux à loyer signés avec la I______ en 2019 sur les projets Ouest et Est. Il s’agissait d’une garantie locative donnée à la I______. Les surfaces étaient destinées à faire l’objet d’un transfert de bail. La provision – dont le détail du montant était fourni – avait été déterminée en fonction du risque à la date de réalisation des comptes, en avril 2020.

c. Le 29 décembre 2020, la contribuable a informé l’AFC-GE qu’un contrat avec l’E______ ainsi qu’un autre bail avaient été signés. Une importante surface restait encore à louer à la date de disposition des locaux prévue pour fin 2022 ou début 2023.

d. Le 28 janvier 2021, la contribuable a été taxée par bordereaux d’impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) et d’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour l’année 2019.

Il était précisé dans les avis de taxation que la provision de CHF 5’219’900.- ne pouvait pas être admise fiscalement au motif qu’elle s’apparentait à une provision pour charges futures. La provision de CHF 15’900’000.- ne pouvait pas non plus être admise puisque le risque couvert n’était ni certain, ni quasi-certain au 31 décembre 2019.

e. Le 26 février 2021, la contribuable a formé réclamation, estimant que les deux provisions litigieuses étaient commercialement justifiées et devaient être prises en considération.

S’agissant de la provision pour charge de participation aux aménagements des bâtiments, il était quasi-certain qu’elle devrait prendre en charge une partie des équipements lorsqu’elle aurait trouvé des locataires. Il était en effet d’usage, lors de la négociation de contrats de bail, que le bailleur prenne en charge une partie des futurs aménagements du locataire. Cela avait d’ailleurs été le cas pour deux baux négociés en 2019, mais résiliés en décembre 2019. Elle avait estimé, sur la base de son expérience, un coût d’aménagement de CHF 700 par m2, ce qui n’était pas déraisonnable sachant que le coût pour les deux baux précités avait été de CHF 3’224.- par m2.

La provision pour garantie locative concernait le risque existant sur les surfaces non louées à la remise de l’ouvrage en 2022-2023. En l’absence de locataires, elle devrait s’acquitter du loyer pour les surfaces disponibles.

f. Par décisions sur réclamation du 28 janvier 2022, l’AFC-GE a maintenu les taxations litigieuses au motif que les provisions comptabilisées n’étaient pas justifiées par l’usage commercial.

C. a. Le 25 février 2022, la contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre ces décisions, concluant à ce que les provisions pour charge de participation aux aménagements des bâtiments et garantie locative soient admises en déduction du bénéfice imposable.

Les prix de cession avaient été fixés en tenant notamment compte des états locatifs et de la garantie locative auprès de la I______ supportée par la contribuable. Les deux provisions avaient été suivies d’exercices en exercices et adaptées en fonction de la situation. La provision pour garantie locative n’était pas une provision pour charge future. L’AFC-GE devait prendre en considération l’existence d’un engagement ferme pris en 2019 par la contribuable quant au paiement de loyers à la I______. Il s’agissait d’un élément concret et certain matérialisé par des contrats. La notion d’imminence ne devait pas être comprise comme interdisant la constitution de provision pour des événements éloignés dans le temps, mais plutôt comme une obligation d’adaptation dynamique de la provision en fonction de l’écoulement du temps. Or, les montants des deux provisions litigieuses étaient adaptés en fonction de l’écoulement du temps et de la probabilité de pouvoir louer les locaux. Il n’était pas déraisonnable de considérer qu’il existait dès 2019 un engagement certain, voire quasi-certain, de devoir participer aux frais d’aménagement des locaux construits afin que ceux-ci soient viables et puissent être loués ou transférés à des tiers. Il n’était par ailleurs pas contradictoire de constituer tant une provision pour garantie locative qu’une provision pour aménagements locatifs. En effet, que les baux soient transférés ou non, les locaux devaient être aménagés, ce qui engendrerait dans tous les cas des frais. Enfin, en vertu du principe de déterminance, les provisions litigieuses ayant été passées en conformité avec le droit comptable, elles devaient être prises en compte par l’autorité fiscale.

b. Par jugement du 12 décembre 2022, le TAPI a rejeté le recours.

Même à considérer que les provisions litigieuses avaient été passées en conformité avec le droit commercial, l’autorité fiscale ne devait pas obligatoirement les accepter. Cette dernière devait s’assurer que la provision en cause était justifiée par l’usage commercial et exprimait le fait que le résultat de l’exercice ne pouvait pas être tenu pour définitif en raison d’un risque de perte réel, concret et imminent.

Si le risque allégué par la contribuable pour justifier une provision pour garantie locative existait effectivement, il y avait toutefois lieu de constater que les loyers pour les surfaces non louées ne seraient dus qu’à compter de la remise des locaux, soit au plus tôt en 2022, voire au début de 2023. Ce risque ne pouvait ainsi pas être qualifié de quasi-certain ou certain déjà en 2019 ou en avril 2020, lors de l’établissement des comptes. À cette époque, aucune prétention n’avait été ni adressée ni déposée en justice contre la contribuable par la I______, de sorte qu’il n’existait aucune probabilité qu’elle soit condamnée à payer le loyer convenu. Le fait qu’elle avait pris en 2019 un engagement ferme quant au paiement de loyers à la I______ n’y changeait rien. La contribuable s’était fondée sur des risques hypothétiques futurs et sa conception de l’imminence ne pouvait être partagée sous peine de vider de son sens l’aspect temporel de la notion de risque imminent et de contrevenir à la jurisprudence en la matière. La condition de quasi-certitude du risque couvert par la provision n’était pas remplie. La provision litigieuse n’était ainsi pas admissible fiscalement et l’AFC-GE avait à juste titre réintégré son montant dans le bénéfice imposable de la contribuable.

Il en allait de même de la provision en rapport avec les coûts prévus lors de l’entrée dans les locaux des locataires, celle-ci ne pouvant avoir lieu qu’à compter de la remise des locaux ou un court laps de temps auparavant. Il n’était pas acceptable de constituer une provision pour de tels travaux plus de deux ans auparavant. Il s’agissait en réalité d’une provision constituée en vue d’une utilisation future, soit une réserve non fiscalement déductible.

D. a. Le 12 janvier 2023, la contribuable a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant implicitement à son annulation et à ce que les provisions pour charge de participation aux aménagements des bâtiments et garantie locative, de respectivement CHF 5'219'900.- et CHF 15'900'000.- soient admises en déduction du bénéfice imposable. Elle demandait subsidiairement l’annulation des décisions sur réclamation du 28 janvier 2022 et le renvoi du dossier à l’autorité inférieure pour nouvelle décision.

Les provisions litigieuses n’étaient pas liées à une activité future, mais se trouvaient en relation directe avec les transactions intervenues durant l’exercice 2019, lors duquel les engagements à la base desdites provisions avaient été pris et les actes de cession signés. Il y avait lieu de tenir compte des éléments concrets et certains qui existaient alors, dont l’engagement ferme à l’égard de la I______ quant au paiement des loyers. Les risques justifiant la comptabilisation des provisions étaient donc bien nés durant l’année 2019. S’agissant de la question de l’imminence, il était soutenable de retenir que, dans le cadre d’un projet immobilier de grande ampleur, un délai de trois ans n’était pas une période excessivement longue. Le fait d’adapter les provisions à l’évolution dans le temps permettait de prendre en considération le caractère temporel de la provision.

Les provisions avaient été inscrites conformément au droit comptable, dans le but de mettre en relation des produits et des charges déjà connus en lien avec les mêmes opérations. Ne pas les reconnaître conduirait à une situation dans laquelle des produits auraient été comptabilisés et taxés sur un exercice tandis que les charges correspondantes ne pourraient être déduites au compte de résultat que postérieurement et, potentiellement, sans conséquence fiscale puisqu’il n’y aurait plus de produits imposables pour les compenser. Un tel cas de figure violait le principe comptable de délimitation périodique, indirectement applicable en matière fiscale par le principe de déterminance, ainsi que le principe de capacité contributive. Cela revenait à refuser la déduction de ses charges opérationnelles en lien avec les projets Est et Ouest.

Le TAPI ne s’était pas prononcé sur cette dernière problématique pertinente pour trancher le litige, en violation de son droit d’être entendue. Le jugement querellé n’était ainsi pas suffisamment motivé.

b. Le 7 février 2023, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours et au maintien de ses décisions sur réclamation, à défaut de nouveaux arguments ou pièces déterminantes susceptibles d’influer sur le sort du litige.

La recourante estimait à tort que le TAPI avait violé son droit d’être entendue en ne se prononçant pas sur les griefs en lien avec la violation des principes de l’autorité du droit comptable et de la capacité contributive, dès lors que les premiers juges avaient expliqué, de manière détaillée et jurisprudence à l’appui, les raisons qui les avaient conduits à refuser les provisions litigieuses.

C’était à bon droit que le TAPI avait considéré que les deux provisions n’étaient fiscalement pas admissibles en 2019 et qu’il se justifiait de réintégrer leurs montants dans le bénéfice imposable de la recourante. Une analyse objective des risques envisagés par ces provisions amenait à constater qu’elles ne couvraient pas, en 2019, des risques réels, concrets et imminents. Tant le versement de loyers à la I______, relatifs aux surfaces qui ne seraient pas louées à la remise de l’ouvrage, que la participation aux coûts d’aménagement des bâtiments loués à la fin des travaux concernaient des risques hypothétiques en 2019, leur réalisation éventuelle ne pouvant intervenir qu’au moment de la remise des locaux à la fin de l’année 2022 ou au début de l’année 2023.

c. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur l'admissibilité des provisions « pour charge de participation aux aménagements des bâtiments » de CHF 5'219'900.- et « pour garantie locative » de CHF 15'900'000.-, comptabilisées par la recourante pour l’année 2019.

2.1 La présente cause concerne la taxation IFD et ICC pour l’année fiscale 2019. Elle est régie par les dispositions de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), respectivement celles de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15).

2.2 La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1).

3.             Dans un premier grief, la recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue par le TAPI, lequel n’aurait pas suffisamment motivé son jugement s’agissant de l’examen de ses griefs en lien avec les principes du droit comptable, de la capacité contributive et de déterminance.

3.1 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit qu'elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 143 III 65 consid. 5.2 ). L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 83 consid. 4. 1). Elle ne doit, à plus forte raison, pas se prononcer sur tous les arguments (arrêt du Tribunal fédéral 2C_286/2022 du 6 octobre 2022 consid. 6.3 et les arrêts cités). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_56/2019 du 14 octobre 2019 consid. 2.4.1 et les arrêts cités).

3.2 Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet,
celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui‑ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_257/2019 du 12 mai 2020 consid. 2.5 ; ATA/1190/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b et les références citées).

3.3 En l’espèce, le TAPI a dument indiqué les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision. Il a considéré, d’une part, que si les provisions litigieuses avaient été passées en conformité avec le droit commercial, elles n’étaient fiscalement pas justifiées par l’usage commercial et, d’autre part, que les éléments provisionnés constituaient des risques hypothétiques futurs, sans influence sur la capacité contributive de la recourante durant l’année fiscale litigieuse. L’intéressée peut ne pas être d’accord avec ce point de vue et l’a d’ailleurs fait savoir par le dépôt de son recours, y exposant de manière détaillée en quoi ce raisonnement était selon elle critiquable, ce qui démontre qu’elle en a bien compris le sens. En tout état, même s'il devait être retenu que le TAPI n'a pas examiné l’ensemble des griefs soulevés par la recourante, cette éventuelle violation serait réparée dans le cadre du présent recours.

Ce grief sera en conséquence rejeté.

4.             La recourante estime que les provisions litigieuses doivent être admises en déduction de son bénéfice imposable.

4.1 Selon les art. 11 LIPM et 57 LIFD, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial sont considérés comme bénéfice net imposable (art. 12 al. 1 let. e LIPM et 58 al. 1 let. b LIFD). L'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58 al. 1 LIFD ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4e éd., 2012, p. 224).

4.2 Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial sont ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée. L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce également le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal, et sur lequel il sera revenu ci-après.

Selon l'art. 12 let. a LIPM, en vigueur durant l'exercice litigieux, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvements énoncés aux art. 12 let. b à i LIPM. L'art. 12 LIPM, même rédigé différemment, est de même portée que l'art. 58 al. 1 LIFD (ATA/380/2018 du 24 avril 2018 et les arrêts cités).

4.3 Selon l'art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultat pour les engagements de l'exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a), les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l'exercice (let. c). En ICC, les provisions justifiées par l'usage commercial sont également admises en déduction du bénéfice (art. 13 let. e LIPM).

4.4 L'admissibilité d'une provision au plan fiscal suppose qu'elle soit justifiée par l'usage commercial et qu'elle ait été dûment comptabilisée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.3). Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1).

Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1). Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues, et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/AFC, juin 2012, « L'imposition des personnes morales », in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Le droit fiscal ne permet pas la constitution par le biais de provisions de réserves latentes, pourtant tolérées en droit commercial (ATF 103 Ib 366 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 15 ad art. 63 LIFD). En particulier, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité à venir, constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1). Le droit fiscal n'admet ainsi pas la diminution artificielle du bénéfice par le biais de provisions injustifiées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015 consid. 3).

Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultat, ne sont pas admissibles, l'autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1). La dissolution d'une provision est susceptible d'intervenir dès qu'elle n'est plus justifiée commercialement, engendrant une correction en défaveur du contribuable (Robert DANON, in Danielle YERSIN/Yves NOËL, op. cit., n. 61 et 67 ad art. 58 LIFD).

4.5 Le droit fiscal et le droit comptable suisses poursuivent des objectifs différents. Le premier recherche une présentation qui fasse ressortir au mieux le résultat effectif et la réelle capacité contributive de l'entreprise, tandis que le second est avant tout orienté sur la protection des créanciers et fortement marqué par le principe de prudence (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 consid. 8 et les références citées). Dans ce contexte, les règles correctrices fiscales figurant à l’art. 58 al. 1 let. b et c LIFD visent à compenser le fait que le résultat comptable puisse s’éloigner de la réalité économique ; elles assurent une imposition du bénéfice qui tienne compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d’une société. Par leur intermédiaire, le droit fiscal cherche à se rapprocher d’un système fondé sur le principe de l’image fidèle (« true and fair »), comme celui prévalant dans les normes de comptabilité internationales (Pierre-Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice, vol. 2, 2005, p. 96-97).

Le principe de déterminance déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (Robert DANON, in Danielle YERSIN/Yves NOËL op. cit., ad art. 57-58, n. 74). Les écritures comptables effectivement passées doivent être reprises par le droit fiscal et le contribuable ne peut se prévaloir que des écritures qu'il a effectivement enregistrées dans ses comptes, lesquels lui sont d'ailleurs opposables (principe de comptabilisation). Ce dernier principe implique donc que le contribuable est lié par les comptes qu'il a joints à sa déclaration (Pierre-Marie GLAUSER, Apports, 2005, p. 89 ; Pierre-Marie GLAUSER, Goodwill et acquisitions d'entreprises. Une analyse sous l'angle du droit fiscal et comptable, p. 430). Si le contribuable a passé des écritures en faisant usage de sa liberté d'appréciation, lui permettre de les remettre en question reviendrait à tolérer un comportement contradictoire, ce d'autant plus si la modification du bilan est motivée par un souci d'économie fiscale. Celui qui, par exemple pour des raisons fiscales, ne fait pas valoir des charges justifiées, ne peut ultérieurement demander à modifier les comptes (Pierre-Marie GLAUSER, Apports, 2005, p. 91).

Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie de règles correctrices spécifiques. L’autorité peut en revanche s’écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou des normes fiscales correctrices l’exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2 ; 136 II 88 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_712/2020 précité consid. 4.2 ; 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 7.2).

Le contrôle du respect des normes comptables, même impératives, ne constitue toutefois qu'une étape de l'examen des comptes que doit effectuer d'office et préalablement l'autorité fiscale en application des art. 57 et 58 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_712/2020 précité consid. 4.2). Le respect du droit comptable, qui résulte des art. 957 ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), est une condition préalable nécessaire, mais non suffisante, de la justification commerciale d'une dépense. Dans une deuxième étape, l'autorité fiscale doit notamment s'assurer du respect des règles correctrices parmi lesquelles figure l'art. 58 al. 1 let. b LIFD (arrêts du Tribunal fédéral 2C_712/2020 précité consid. 4.2 ; 2C_508/2014 du 20 février 2015 consid. 5.3.1 ; Peter BÖCKLI, Neue OR-Rechnungslegung, Schulthess 2014, n° 228 ss, spéc. 231 et 235). Les règles correctrices en faveur du fisc permettent aux autorités fiscales de réintroduire dans le résultat fiscal des éléments qui n'apparaîtraient pas dans les comptes commerciaux ; les dispositions fiscales conduisent à la prise en compte d'un résultat que les états financiers ne faisaient pas apparaître en toute légalité. Ces reprises peuvent concerner aussi bien des refus de charges que des réintégrations de produits du compte de résultats (Pierre-Marie GLAUSER, IFRS et droit fiscal IFRS et droit fiscal, Les normes true and fair et le principe de déterminance en droit fiscal suisse actuel, Archives 74, p. 529 ss, p. 537 s.).

4.6 Le principe de déterminance déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (Robert DANON, in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], op. cit., n. 51 ad art. 57-58 LIFD). Les écritures comptables effectivement passées doivent être reprises par le droit fiscal et le contribuable ne peut se prévaloir que des écritures qu'il a effectivement enregistrées dans ses comptes, lesquels lui sont d'ailleurs opposables (principe de comptabilisation). Il découle du principe précité, en particulier du devoir de comptabilisation et de qualification qui incombe au contribuable, qu'une requalification d'une provision en une autre est exclue (Markus REICH/Marina ZÜGER, in Martin ZWEIFEL/Peter ATHANAS [éd.], Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, I/2a - Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer [DBG], art. 1-82, 2e éd., 2008, n. 7 ad art. 29 LIFD ; Jürg STOLL, Die Rückstellung im Handels- und Steuerrecht, 1992, p. 232).

4.7 En l’espèce, selon la recourante, il y a lieu de prendre en considération sa provision pour garantie locative de CHF 15’900’000.- au vu du risque de devoir verser, au cas où elle ne parviendrait pas à conclure des contrats de bail qui la libérerait de son engagement en relation avec les surfaces louées, un loyer à la I______. Il y a toutefois lieu de constater, à l’instar du TAPI, que ces loyers étaient potentiellement dus au plus tôt à la fin de l’année 2022. Le risque que représentait la non location de l’intégralité des surfaces, même à considérer qu’il se trouve en relation directe avec les engagements pris en 2019 par la recourante, ne pouvait pas être tenu pour imminent, ni certain ou quasi-certain lors de l’établissement des comptes relatifs à l’exercice 2019, de sorte que cette seconde condition fait défaut malgré l’engagement ferme de la contribuable de payer les loyers.

De même, l’analyse du TAPI selon laquelle la provision de CHF 5’219’900.- en lien avec les coûts prévus lors de l’entrée des locataires dans les locaux ne peut entrer en ligne de compte qu’à partir de la remise des locaux ou un court laps de temps auparavant, n’apparaît pas critiquable. La provision constituée pour ces travaux plus de deux ans avant leur réalisation doit être qualifiée de provision constituée en vue d’une utilisation future, soit une réserve non fiscalement déductible. L’argument de la recourante selon lequel un délai de trois ans n’apparaît pas excessif compte tenu de l’ampleur du projet ne permet pas de remettre en cause ce qui précède, une telle durée ne répondant en tout état pas à la notion d’imminence puisqu’elle ne pouvait pas, en 2019, savoir ce qu’il adviendrait de la location ou non des locaux en 2022 ou 2023.

C’est ainsi à bon droit que le TAPI a retenu que le fait que les provisions litigieuses auraient été passées en conformité avec le droit commercial n’implique pas qu’elles doivent être systématiquement admises par l’autorité fiscale qui doit s’assurer du respect de l’art. 58 al. 1 let. b LIFD. Cette disposition est effectivement une règle correctrice exigeant en particulier que la provision en cause soit justifiée par l’usage commercial. Elle exprime le fait que le résultat de l’exercice ne peut pas être tenu pour définitif en raison d’un risque de perte réel, concret et imminent, ce qui ne s’avère pas être le cas en l’occurrence.

La recourante n’ayant pas établi le bien-fondé de l'admissibilité des provisions « pour charge de participation aux aménagements des bâtiments » de CHF 5'219'900.- et « pour garantie locative » de CHF 15'900'000.- pour 2019, l’AFC-GE n’a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en réintégrant ces montants dans le bénéfice de la société.

Dès lors que la contribuable a été taxée sur la base des montants dont elle a bénéficié, la charge fiscale y relative correspond bien à sa capacité contributive, dont le principe veut que chaque contribuable participe à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation personnelle et en fonction de ses moyens, avec une charge fiscale adaptée à sa substance économique (ATF 131 II 562 consid. 3.7 et les références citées). Ce principe ne peut s’interpréter comme autorisant la contribuable à déterminer son bénéfice imposable à sa guise (ATF 137 II 353 consid. 6.4.4), celle-ci étant liée par les comptes joints à sa déclaration, y compris dans le cas où elle a fait valoir une charge qui ne s’avère pas justifiée d’un point de vue fiscal.

Il résulte de ce qui précède que le recours, mal fondé, doit être rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 janvier 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à BERNEY ASSOCIÉS SA, mandataire de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :