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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/707/2012

ATA/647/2014 du 19.08.2014 sur JTAPI/334/2013 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 24.09.2014, rendu le 29.09.2014, IRRECEVABLE, 2C_865/2014, 2C_866/2014
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/707/2012-ICCIFD ATA/647/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 août 2014

1ère section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Trittenfid SA, soit pour elle Monsieur Patrick Tritten, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 mars 2013 (JTAPI/334/2013)


EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : la société) est une société anonyme sise à B______, et inscrite au registre du commerce de Genève depuis le 17 janvier 1958. Son but statutaire est : achat, vente, construction, location et exploitation de tous immeubles et ce tant en Suisse qu'à l'étranger.

2) Le 3 novembre 2011, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié à la société ses bordereaux de taxation concernant tant l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) que l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) pour les années 2008, 2009 et 2010.

Les différentes décisions de taxation contenaient toutes le passage suivant à titre d'observations :

« En application de la jurisprudence du Tribunal fédéral (notamment l'ATF 2C_461/2008 du 23.12.2008), le prêt de CHF 6'762'432.- consenti par la société à son actionnaire doit être considéré comme un prêt simulé constituant une prestation appréciable en argent dans la mesure où il n'aurait manifestement pas été octroyé à des tiers absolus dans des circonstances identiques.

Les principaux critères ou indices sur lesquels notre administration s'est fondée pour arriver à cette conclusion sont les suivants :

      les garanties existantes sur prêt qui sont insuffisantes ;

      le plan de remboursement prévu est insuffisant ;

      la solvabilité ainsi que la capacité de remboursement de l'emprunteur ne sont pas démontrées ».

Cela étant, les chiffres retenus par l'AFC-GE pour le bénéfice net imposable dans le canton et le capital propre imposable dans le canton étaient, pour les trois exercices, inférieurs ou égaux à ceux contenus dans les déclarations fiscales remises par la société.

3) Le 11 novembre 2011, par l'intermédiaire de son mandataire, la société a élevé réclamation contre les décisions de taxation précitées, sans prendre de conclusions formelles mais en critiquant la qualification faite par l'AFC-GE de l'avance à l'actionnaire.

4) Par six décisions sur réclamation du 31 janvier 2012, l'AFC-GE a rejeté la réclamation. Au terme d'explications développées sur quatre pages, elle concluait que le prêt en cause devait être considéré comme simulé et donc constitutif d'une distribution dissimulée de bénéfices.

5) Le 27 février 2012, la société a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions sur réclamation précitées, concluant que « cette avance à l'actionnaire n'[était] pas simulée ».

6) Le 10 août 2012, l'AFC-GE a conclu au rejet (recte : à l'irrecevabilité) du recours. La rectification de la taxation dans le sens demandé n'impliquerait aucune diminution d'impôt, si bien que la société n'avait pas d'intérêt actuel au recours.

7) Par jugement du 18 mars 2013, le TAPI a rejeté le recours.

La qualité pour recourir supposait l'existence d'un intérêt actuel, concret et pratique à obtenir l'annulation de la décision attaquée. Le TAPI déclarait irrecevables les recours en matière fiscale lorsque les conclusions, bien que tendant à l'annulation d'une taxation, n'impliquaient pas une diminution de l'impôt.

La société n'avait pas conclu à l'annulation de ses bordereaux de taxation, mais maintenait ses recours pour ne pas faciliter des « rétorsions ultérieures » de l'AFC-GE, alors qu'elle pourrait le cas échéant faire valoir ses droits dans ce cadre.

8) Par acte déposé le 22 avril 2013, la société a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, sans prendre de conclusions formelles au fond.

Le jugement du TAPI était « anticonstitutionnel ». Tout le contentieux préalable à la réponse de l'AFC-GE devant le TAPI portait sur le fond du litige, et non sur une question de forme. Il était évident que l'AFC-GE ouvrirait une procédure en rappel d'impôts. Si l'on suivait le jugement attaqué, cela déboucherait sur une entrée en force des taxations litigieuses, alors que le fond du problème n'aurait pas pu être abordé, ce qui privait la société de son droit d'accès à la justice.

9) Le 24 mai 2013, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Une juridiction ne pouvait aborder le fond d'un recours que si celui-ci était recevable. Le raisonnement du TAPI sur l'intérêt à recourir ne prêtait pas le flanc à la critique.

10) Le 17 septembre 2013, le juge délégué, sur demande du même jour de la recourante et alors que la cause était déjà gardée à juger, lui a fixé un délai au 4 octobre 2013 pour répliquer.

11) Le 7 octobre 2013, la recourante a persisté dans ses conclusions.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 10 octobre 2013.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante n'a pas respecté le délai qui lui avait été imparti pour produire son écriture de réplique, qu'elle avait pourtant déjà sollicité après que la cause fut gardée à juger.

Dans la mesure où ladite écriture ne contient aucune nouveauté par rapport à l'acte de recours, et au vu de ce qui suit, il n'y a aucun intérêt pratique à la déclarer irrecevable, si bien que la chambre de céans renoncera à l'écarter du dossier.

3) L'objet du litige porte sur la recevabilité du recours de la société au TAPI concernant ses taxations IFD et ICC 2008, 2009 et 2010.

4) La loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) ne contient pas de règle procédurale particulière concernant la qualité pour recourir, à plus forte raison sur la question spécifique de l'intérêt actuel et pratique à recourir. La solution du litige est donc la même en droit fédéral et en droit cantonal, si bien qu'il sera statué par le biais d'une décision unique (ATF 135 II 260).

5) a. À teneur de l’art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/544/2014 du 17 juillet 2014 consid. 3a ; ATA/343/2012 du 5 juin 2012 consid. 2 et les références citées). La chambre administrative a déjà jugé que les lettres a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/281/2012 du 8 mai 2012 ; ATA/5/2009 du 13 janvier 2009 et les références citées).

Cette notion de l’intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d’unité de la procédure qui figure à l’art. 111 al. 1 LTF (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.1 ; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 pp. 4126 ss et 4146 ss).

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 ; 2C_811/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1 ; ATA/245/2012 du 24 avril 2012 ; Pierre MOOR/ Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449 n. 1367). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1).

6) Dans le domaine fiscal, le Tribunal fédéral a jugé à propos de la question des reports de pertes que lorsqu'un contribuable reçoit une taxation sur un bénéfice nul et qu'il n'a en conséquence pas d'impôt à payer, le montant des pertes qui ont conduit à la taxation sur un bénéfice nul constitue uniquement un motif de la décision de taxation, de sorte que ce montant ne bénéficie pas de la force de chose jugée matérielle ; dans la mesure par conséquent où un contribuable souhaite que le montant de la perte à reporter sur la période fiscale suivante soit arrêté conformément à l'art. 67 LIFD, un intérêt actuel digne de protection lui fait défaut, si bien que le report de pertes doit être examiné au moment où il est demandé, en particulier pour les périodes fiscales ultérieures (arrêts du Tribunal fédéral 2C_696/2013 du 29 avril 2014 consid. 3.2 et les arrêts cités ; 2C_973/2012 du 4 octobre 2013 consid. 4.2 = RF 2014 65 ; arrêt du Tribunal fédéral in RDAF 2001 II 261).

7) La chambre de céans, se référant à un arrêt vaudois (arrêt du Tribunal cantonal vaudois in RDAF 2003 II 47), a par ailleurs confirmé récemment qu'était sans intérêt actuel le recours du contribuable dont les conclusions, bien que tendant à l'annulation d'une décision de taxation, n'impliquaient pas une diminution de l'impôt dû (ATA/101/2014 du 18 février 2014 consid. 3b).

8) En l'espèce, tout comme devant l'instance précédente, la société recourante ne conteste pas que l'annulation des décisions de taxation n'impliquerait vu les circonstances aucune diminution de l'impôt dû, mais invoque en substance une violation du droit à l'accès au juge, car les décisions de taxation entreraient selon elle en force et ne lui ménageraient aucune occasion de contester le point de vue de l'AFC-GE à propos de la nature du prêt qu'elle a consenti à l'un de ses actionnaires.

9) Il n'en est rien. S'il résulte en effet des principes précités que c'est à juste titre que le TAPI a déclaré son recours irrecevable faute d'intérêt actuel et concret à l'annulation des décisions attaquées, la jurisprudence fédérale précitée doit également être appliquée mutatis mutandis, et il y a ainsi lieu de considérer que la qualification du prêt à l'actionnaire ne ressortit qu'aux motifs des décisions de taxation litigieuses et non à leur dispositif, si bien que la recourante pourra le cas échéant faire porter le contentieux relatif à d'éventuelles décisions ultérieures aussi sur cette question.

À cet égard, quel que soit le degré de probabilité de l'ouverture par l'AFC-GE d'une procédure ultérieure, cette dernière n'a pas encore été engagée, et le TAPI, tout comme la chambre de céans, ne pouvait en l'état que la décrire de manière hypothétique.

Il résulte de ce qui précède que la présente procédure ne révèle aucune violation du droit à l'accès au juge, tel que prévu par les art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

10) Mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 avril 2013 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 mars 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ SA, représentée par Trittenfid SA, soit pour elle Monsieur Patrick Tritten, mandataire, à l'administration fiscale cantonale, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :