Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/332/2017

ATA/583/2017 du 23.05.2017 ( PROF ) , REJETE

Descripteurs : AVOCAT ; REGISTRE PUBLIC ; EUROPE ; ACCORD SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ; RECONNAISSANCE D'UN DIPLÔME ; NATIONALITÉ
Normes : LLCA.2.al2; LLCA.27.al1; LLCA.28; LPAv.22.al1; ALCP.9; ALCP.1.annexeIII; Directive 98/5/CE.1.al2; Directive 98/5/CE.2; Cst.9; Cst.5.al3
Résumé : Recours contre le refus d'inscription de la recourante, canadienne, mariée à un anglais et inscrite au barreau de Paris, au tableau des avocats UE/AELE. Seul un avocat ayant la nationalité d'un pays de l'UE ou de l'AELE peut se faire inscrire au tableau des avocats UE/AELE. Pas de violation du principe de la bonne foi. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/332/2017-PROF ATA/583/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2017

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

COMMISSION DU BARREAU


EN FAIT

1) Madame A______, ressortissante du Canada née le ______1977, mariée à un ressortissant du Royaume-Uni et inscrite comme avocate au barreau de Paris depuis le 15 mai 2013, est au bénéfice d’un permis d’établissement en Suisse, en sa qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union Européenne (ci-après : UE) ou de l’Association européenne de libre échange (ci-après : AELE).

2) Le 3 novembre 2016, Mme A______ a déposé auprès de la commission du barreau (ci-après : la commission) une demande d’inscription au tableau des avocats membres de l’UE ou de l’AELE autorisés à pratiquer la représentation en justice en Suisse de manière permanente sous leur titre d’origine (ci-après : le tableau des avocats UE/AELE).

3) Par décision du 15 décembre 2016, la commission a refusé l’inscription de de l’intéressée au tableau des avocats UE/AELE.

En tant que ressortissante d’un État tiers, non membre de l’UE ou de l’AELE, elle ne bénéficiait pas de libre circulation des personnes reconnues par la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61) aux avocats de l’UE et de l’AELE.

4) Par acte du 30 janvier 2017, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi d’une exception dans son cas, afin qu’elle puisse s’inscrire au tableau des avocats UE/AELE.

Lorsqu’elle avait décidé d’examiner les possibilités d’obtenir le brevet d’avocat suisse, elle avait appelé la commission, qui l’avait informée qu’étant avocate d’un État membre de l’UE, elle devrait pouvoir s’inscrire tableau des avocats UE/AELE.

Établie en Suisse depuis 2009, elle prévoyait de demander la nationalité suisse dans les deux prochaines années. Elle était qualifiée pour pratiquer la profession d’avocat dans un État membre de l’UE. Du fait de son mariage avec un ressortissant anglais, elle bénéficiait depuis huit ans de la libre circulation des personnes selon l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), même si elle n’était pas de nationalité européenne. Elle avait donc le droit de travailler et circuler librement en Suisse et dans l’UE. Son statut était assimilable à celui d’un ressortissant de l’UE. Aucune discrimination ne s’effectuait sur la base de la nationalité des membres de la famille des citoyens européens. La LLCA était venue compléter l’ALCP, de sorte qu’il ne devrait pas y avoir de retenue pour qu’elle puisse également bénéficier de la LLCA, en sa qualité d’avocate dans un État de l’UE et de membre de la famille d’un ressortissant européen.

5) Par réponse du 10 février 2017, accompagnée de son dossier, la commission a persisté dans sa décision, sans formuler d’observations.

6) En l’absence de requête complémentaire ou de réplique de l’intéressée dans le délai au 13 mars 2017 imparti par le juge délégué, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 - LPAv - E 6 10 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours porte sur la conformité au droit de la décision de l’autorité intimée refusant l’inscription de la recourante au tableau des avocats UE/AELE.

3) La recourante affirme qu’elle devrait être assimilée à un ressortissant de l’UE.

a. La LLCA détermine les modalités selon lesquelles les avocats ressortissants des États membres de l’UE ou de l’AELE peuvent pratiquer la représentation en justice (art. 2 al. 2 LLCA).

b. L'avocat ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE habilité à exercer dans son État de provenance sous un titre figurant en annexe – en France, le titre d’« avocat » – peut pratiquer la représentation en justice en Suisse à titre permanent, sous son titre professionnel d'origine, après s'être inscrit au tableau (art. 27 al. 1 LLCA). L'autorité de surveillance tient un tableau public des avocats des États membres de l'UE ou de l'AELE autorisés à pratiquer la représentation en justice en Suisse de manière permanente sous leur titre d'origine (art. 28 al. 1 LLCA). L'avocat s'inscrit auprès de l'autorité de surveillance du canton sur le territoire duquel il a une adresse professionnelle. Il établit sa qualité d'avocat en produisant une attestation de son inscription auprès de l'autorité compétente de son État de provenance. Cette attestation ne doit pas dater de plus de trois mois (art. 28 al. 2 LLCA).

c. L’avocat désireux de figurer sur le tableau des avocats UE/AELE doit adresser une demande écrite, accompagnée de l’attestation requise, à la commission du barreau (art. 22 al. 1 LPAv).

4) a. La conclusion de l’ALCP a impliqué pour la Suisse de régler dans la LLCA les modalités d’accès aux activités d’avocat en Suisse pour les avocats ressortissants des États membres de l’UE, en transposant en droit suisse la réglementation communautaire pertinente, soit notamment la directive 98/5/CE du parlement européen et du Conseil de l’UE du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (ci-après : la directive 98/5/CE), étant précisé que les directives sur la reconnaissance des diplômes ne s’appliquent que si les conditions relatives à la circulation des personnes sont remplies (FF 1999 5331, p. 5339, 5358, 5375 et 5387). Les art. 27 à 29 LLCA règlent ainsi l’exercice permanent de la profession d’avocat, sous le titre d’origine, par les avocats ressortissants des États membres de l’UE conformément à la directive 98/5/CE (FF 1999 5331, p. 5378).

b. L'objectif de l’ALCP, en faveur des ressortissants des États membres de l’UE et de la Suisse, est d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (let. a), de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée (let. b), d'accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil (let. c) et d'accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux (let. e ; art. 1 ALCP).

c. Les parties contractantes règlent, conformément à l'annexe I à l’ALCP, les droits liés à la libre circulation des personnes, notamment le droit au séjour des membres de la famille, quelle que soit leur nationalité (art. 7 let. d ALCP). Les membres de la famille d'une personne ressortissant d'une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s'installer avec elle (art. 3 al. 1 annexe I ALCP). Le conjoint est notamment considéré comme membre de la famille, quelle que soit sa nationalité (art. 2 al. 2 annexe I ALCP). Le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d'une personne ayant un droit de séjour, quelle que soit leur nationalité, ont le droit d'accéder à une activité économique (art. 3 al. 5 annexe I ALCP).

d. Afin de faciliter aux ressortissants des États membres de l’UE et de la Suisse l'accès aux activités salariées et indépendantes et leur exercice, ainsi que la prestation de services, les parties contractantes prennent les mesures nécessaires, conformément à l'annexe III à l’ALCP, concernant la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres et la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des parties contractantes concernant l'accès aux activités salariées et non salariées et l'exercice de celles-ci ainsi que la prestation de services (art. 9 ALCP). Les parties contractantes conviennent d'appliquer entre elles, dans le domaine de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, les actes juridiques et communications de l’UE auxquels il est fait référence à la section A de l’annexe III à l’ALCP, conformément au champ d'application de l'ALCP (art. 1 annexe III ALCP). Parmi les actes juridiques applicables figure la directive 98/5/CE (point 3 section A annexe III ALCP).

La directive 98/5/CE a pour objet de faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat à titre indépendant ou salarié dans un État membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle (art. 1 al. 1 directive 98/5/CE). On entend par « avocat » toute personne, ressortissant d'un État membre, habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l'un des titres professionnels mentionnés – parmi lesquels, pour la France, celui d’avocat –(let. a) et par « titre professionnel d'origine » le titre professionnel de l'État membre dans lequel l'avocat a acquis le droit de porter ce titre avant d'exercer la profession d'avocat dans l'État membre d'accueil (let. d ; art. 1 al. 2 directive 98/5/CE). Tout avocat a le droit d'exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d'origine, les activités d'avocat telles que précisées à l'art. 5 directive 98/5/CE (art. 2 directive 98/5/CE).

5) Lorsque la LLCA parle de ressortissants de l’UE et de l’AELE, il s’agit bien de nationaux des États parties, autrement dit ceux qui en ont la nationalité à titre exclusif ou partagé, et non pas les avocats qui sont seulement autorisés à plaider dans l’État considéré et qui y exercent leur activité principale (François BOHNET/Simon OTHENIN-GIRARD/Philippe SCHWEIZER in Michel VALTICOS/Benoît CHAPPUIS/Christian M. REISER [éd.], Commentaire romand, Loi sur les avocats, 2010, n. 2 ad art. 2 ; François BOHNET/Vincent MARTENET, Droit de la profession d’avocat, 2009, n. 835 et 849 ; Alexander BRUNNER/Matthias-Christophe HENN/Kathrin KRIESI, Anwaltsrecht, 2015, p. 18).

6) En l’espèce, la recourante affirme qu’elle devrait pouvoir s’inscrire au tableau des avocats UE/AELE, en sa qualité d’avocate au barreau de Paris et d’épouse d’un ressortissant anglais.

Il ressort toutefois expressément des textes clairs tant de la LLCA que de la directive 98/5/CE – applicable à la Suisse conformément à l’ALCP et intégrée en droit suisse par la LLCA –, que seul un avocat ayant la nationalité d’un pays de l’UE ou de l’AELE peut se faire inscrire au tableau des avocats UE/AELE. Or, la recourante est canadienne et n’allègue pas détenir une seconde nationalité. Elle ne remplit dès lors pas les conditions d’inscription au tableau des avocats UE/AELE.

Par ailleurs, si le statut de conjointe d’un ressortissant de l’UE permet à la recourante de bénéficier d’un droit de séjour et du droit d’exercer une activité lucrative en Suisse, elle ne lui est d’aucun secours pour la reconnaissance de son titre d’avocate, les règles sur le regroupement familial de l’ALCP octroyant au conjoint un droit d’exercer d’une activité économique, mais sans inclure de droit à la reconnaissance de ses diplômes, certificats et autres titres, les dispositions à ce sujet étant uniquement applicables aux ressortissants de l’UE eux-mêmes.

L’autorité intimée a par conséquent à bon droit constaté que les conditions d’inscription de la recourante au tableau des avocats UE/AELE n’étaient pas réalisées.

7) Sans invoquer expressément ce grief, la recourante semble reprocher à l’autorité intimée une violation du principe de la bonne foi, du fait des informations données par la commission.

a. Valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). La protection de la bonne foi ne s’applique pas si l’intéressé connaissait l’inexactitude de l’indication ou aurait pu la connaître en consultant simplement les dispositions légales pertinentes (ATF 135 III 489 consid. 4.4 ; 134 I 199 consid. 1.3.1).

Selon la jurisprudence, les assurances ou les renseignements erronés donnés par les autorités confèrent des droits aux justiciables lorsque les cinq conditions cumulatives suivantes sont remplies. Tout d’abord, une promesse concrète doit avoir été émise à l’égard d’une personne déterminée. Il faut ensuite que l’autorité ait agi dans le cadre et dans les limites de sa compétence, que la personne concernée n’ait pas été en mesure de se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement fourni, qu’elle se soit fondée sur ce renseignement pour prendre des dispositions qu’elle ne peut ensuite modifier sans subir de préjudice et, enfin, que la loi n’ait pas subi de changement depuis le moment où la promesse a été faite (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; ATA/420/2017 du 11 avril 2017 consid. 5c et les références citées).

b. En l’espèce, la recourante indique avoir été informée par la commission du fait que, en tant qu’avocate d’un État membre de l’UE, elle « devrait pouvoir » s’inscrire au tableau des avocats UE/AELE. L’emploi du conditionnel par la recourante elle-même démontre qu’aucune assurance ne lui a été donnée. Au demeurant, même à retenir que tel aurait été le cas, la recourante aurait pu se rendre compte du caractère erroné de l’information simplement en consultant la LLCA –, de sorte qu’elle ne pourrait se prévaloir du principe de la bonne foi.

Au vu de ce qui précède, la recourante ne peut se prévaloir du principe de la bonne foi pour contester la décision litigieuse.

8) Dans ces circonstances, la décision de l’autorité intimée est conforme au droit et le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

9) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2017 par Madame A______ contre la décision de la commission du barreau du 15 décembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, à la commission du barreau, ainsi qu’à l’ordre des avocats.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

A. Piguet Maystre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :