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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4317/2015

ATA/576/2017 du 23.05.2017 ( LIPAD ) , REJETE

Recours TF déposé le 29.06.2017, rendu le 21.07.2017, IRRECEVABLE, 1C_352/2017, 1E_32/2017
Descripteurs : PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(EN GÉNÉRAL) ; COMMUNICATION ; ACCÈS(EN GÉNÉRAL) ; DOCUMENT ÉCRIT ; SECRET PROFESSIONNEL ; DONNÉES PERSONNELLES ; PROTECTION DES DONNÉES ; PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : LIPAD.24; LIPAD.26.al2.letf; LIPAD.26.al2.letg; LIPAD.26.al2.leti
Résumé : Examen du droit à la transmission d'une lettre adressée par un avocat au Conseil d'État sous l'angle du droit à la transparence et des exception liées au secret professionnel et à la protection des données personnelles de tiers ainsi qu'aux atteintes à la sphère privée ou familiale. Accès refusé, le document contenant des éléments dont la divulgation serait susceptible de porter une atteinte notable à la sphère privée et familiale de tiers. Question laissée ouverte de savoir si la transmission rendrait également inopérantes les restrictions d'accès prévues par les lois régissant les procédures judiciaires et administratives.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4317/2015-LIPAD ATA/576/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

CONSEIL D'éTAT

et

Monsieur B______,
appelé en cause



EN FAIT

1) Monsieur A______, domicilié à Chêne-Bourg, a demandé par courrier du 12 juin 2015 à la Chancellerie d’État (ci-après : la chancellerie) la transmission d’un courrier du 5 juin 2014 adressé au président et aux membres du Conseil d’État par Monsieur B______, avocat, concernant son client, Monsieur C______.

Il avait eu connaissance de cette lettre lors de la lecture, pendant une session du Grand Conseil le 2 décembre 2014, d’un autre courrier également rédigée par Me B______, dans lequel ce dernier informait les députés avoir envoyé le courrier du 5 juin 2014.

2) Le 26 juin 2015, la Chancelière d’État, au nom du Conseil d’État, a accusé réception de la demande de M. A______ qui serait traitée lors d’une prochaine séance.

3) Le 15 juillet 2015, par courriel adressé à la chancellerie, M. A______ s’est étonné de n’avoir pas encore obtenu satisfaction suite à sa demande.

4) Par lettre du 22 juillet 2015, le Conseil d’État a rejeté la demande de M. A______ qui portait sur un courrier couvert par le secret professionnel de l’avocat et contenant des données personnelles dont la divulgation serait propre à porter atteinte à la sphère privée ou familiale des personnes concernées.

5) Le 29 juillet 2015, M. A______ a requis du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : le préposé) la transmission du courrier litigieux.

6) Par recommandation du 26 octobre 2015, le préposé a préconisé au Conseil d’État le maintien de son refus de transmettre le document sollicité.

7) Par arrêté du 11 novembre 2015, le Conseil d’État a refusé la transmission à M. A______ de la lettre que Me B______ lui avait adressée le 5 juin 2014.

Le document requis consistait en un courrier émanant d’un avocat inscrit au registre cantonal des avocats et relatant plusieurs procédures judiciaires concernant son mandant, M. C______. Le contenu de ce courrier était couvert par le secret professionnel de l’avocat. De plus, le document contenant des données personnelles concernant des tiers cités qui étaient de par leur nature propres à porter atteinte à la sphère privée ou familiale des personnes concernées. M. A______ n’alléguait, ni ne démontrait aucun intérêt prépondérant justifiant la transmission de ces données. Un accès partiel par le biais d’un éventuel caviardage ne pouvait pas entrer en considération dans la mesure où le contenu du document s’en trouverait déformé au point d’induire en erreur sur le sens ou la portée du courrier.

8) Par envoi mis à la poste le 10 décembre 2015, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du Conseil d’État, en concluant à la remise du courrier litigieux.

9) Le 21 janvier 2016, le Conseil d’État a remis son dossier et conclu au rejet du recours.

10) Par courriers des 4 et 25 février, 24 et 29 juin 2016, M. A______ a informé la chambre administrative de la procédure de demande d’assistance judiciaire et de son issue négative (arrêt du Tribunal fédéral du 4 mai 2016 1C_190/2016) ainsi que de la demande de révision faite à l’encontre de cet arrêt.

11) Par décision du 4 août 2016 du juge délégué à l’instruction de la cause, Me B______ a été appelé en cause.

12) Le 24 novembre 2016, M. A______ a déposé des observations, persistant dans ses conclusions.

13) Le 1er décembre 2016, Me B______ a déposé des observations concluant au rejet du recours.

Ses intérêts n’étaient pas concernés par la procédure.

14) À la demande du juge délégué, le courrier du 5 juin 2014 adressé par Me B______ au Conseil d’État lui a été transmis sous pli scellé le 6 avril 2017.

15) Suite à quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 7 avril 2017

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant souhaite obtenir la transmission d’un courrier envoyé le 5 juin 2014 par Me B______ au Conseil d’État en se fondant sur la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

3) a. La LIPAD régit à la fois l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).

b. En édictant cette loi, le législateur genevois a renversé le principe du secret assorti d’exceptions prévalant jusqu’alors dans l’administration genevoise, au profit de celui de la transparence sous réserve de dérogations
(MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7675 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9679 ss). Il a érigé la transparence au rang de principe aux fins de renforcer tant la démocratie que le contrôle de l’administration et de valoriser l’activité étatique et favoriser la mise en œuvre des politiques publiques (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7671 ss).

Le principe de transparence est un élément indissociable du principe démocratique et de l’État de droit prévenant notamment des dysfonctionnements et assurant au citoyen une libre formation de sa volonté politique (ATA/1060/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3 et les références citées). Ce droit trouve depuis 2013 une assise constitutionnelle à l’art. 28 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). Ni cette disposition, ni l’art. 9 al. 3 Cst-GE n’ont cependant une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2015 1C_379/2014 consid. 5.4 ; Bulletin officiel de l’Assemblée constituante genevoise, Tome IV p. 1888 s ; Rapport sectoriel 102 du 30 avril 2010 de la Commission 1 « Dispositions générales et droits fondamentaux », p. 49).

c. Selon l’art. 24 LIPAD, toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (art. 24 al. 1 LIPAD). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (art. 24 al. 2 LIPAD).

Par document, la LIPAD entend tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique. Sont notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions, ainsi que les documents pouvant être établis sur la base d’informations existantes par un traitement informatisé simple. Les notes à usage personnel ainsi que les brouillons ou autres textes inachevés ne constituent pas des documents (art. 25 LIPAD).

Les communications reçues par l’institution font également partie des documents au sens de la LIPAD (MGC 2000 45/VIII, 7641-7714, p. 7693).

En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que le courrier litigieux constitue un document au sens de la LIPAD.

4) a. En dérogation à ce principe de transparence, sont toutefois soustraits au droit d’accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose (art. 26 al. 1 LIPAD). La loi prévoit à l’al. 2 let. a à l de l’art. 26 LIPAD, les cas où, notamment, cet accès doit être refusé. Cette énumération n’est pas exhaustive mais correspond aux exceptions qui « constituent des clauses de sauvegarde suffisante pour les informations qui ne doivent pas être portées à la connaissance du public » (cf. MGC 2000 45/VIII 7641-7714, p. 7691).

C’est le cas par exemple lorsque cet accès est propre à rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g) ou à révéler des informations couvertes par des secrets professionnels, de fabrication ou d’affaires, le secret fiscal, le secret bancaire ou le secret statistique (art. 26 let. i LIPAD). Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).

b. S’agissant de l’exception liée au secret professionnel retenu par l’intimé pour refuser l’accès du document au recourant, l'avocat y est soumis pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l'exercice de sa profession ; cette obligation n'est pas limitée dans le temps et est applicable à l'égard des tiers. Le fait d'être délié du secret professionnel n'oblige pas l'avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés. Il veille à ce que ses auxiliaires respectent le secret professionnel (art. 13 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). Cette obligation est rappelée à l’art. 12 al. 1 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10). Elle est susceptible de sanctions disciplinaires et sa violation est sanctionnée pénalement par l’art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

Cependant, la correspondance d’un avocat avec les autorités, dans le cadre d’un mandat donné par son client, n’est pas couverte par le secret professionnel comme le serait en revanche une correspondance entre l’avocat et son client qui est couverte par le secret de l’avocat indépendamment du lieu dans lequel elle se trouve (Pascal MAURER/Jean-Pierre GROSS, Loi sur les avocats, commentaire romand, Michel VALTICOS, Christian REISER, Benoît CHAPPUIS [éd.], 2010, ad. art. 13, n. 230 et 249).

En conséquence, le refus d’accès sur la base du secret professionnel de l’avocat n’est donc pas fondé, le Conseil d’État n’étant pas lui-même lié par ce secret réservé aux avocats dans l’exercice de leur profession.

5) L’intimé fonde également le refus d’accès sur l’interdiction de divulguer des éléments qui porteraient atteinte à la sphère privée ou familiale et qui reviendraient à transmettre des données personnelles à des tiers (art. 26 al. 2 let. f et g LIPAD).

a. Sont soustraits au droit d’accès les documents qui sont propres à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives (art. 26 al. 2 let. e LIPAD), rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles – soit toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD) – à des tiers (art. 26 al. 2 let. f LIPAD), ou porter atteinte à la sphère privée ou familiale (art. 26 al. 2 let. g LIPAD).

b. L’exception au droit d’accès prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD vise à ce que l’accès aux documents ne rende pas inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers. Ces restrictions légales-ci sont prévues à l’art. 39 LIPAD (ATA/758/2015 du 28 juillet 2015). La communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé est réglée par l’art. 39 al. 9 LIPAD. Selon cette disposition, la communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si : a) une loi ou un règlement le prévoit explicitement ; b) un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose. Par personne concernée, il faut entendre la personne physique ou morale au sujet de laquelle des données sont traitées (art. 4 let. g LIPAD).

c. La seule révélation d’un fait appartenant à la sphère privée constitue une atteinte à la personnalité que l’art. 28 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) protège (arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 7 ; Andreas BUCHER, Personnes physiques et protection de la personnalité, 2009, p. 99). Dans le cadre de l’art. 26 al. 2 let. g LIPAD, l’exception au droit d’accès aux documents est réalisée lorsque celui-ci implique une atteinte notable à la sphère privée d’administrés ou d’institutions. Il n’exclut pas automatiquement l’accès à tout document concernant la sphère privée d’un tiers mais exige une pesée des intérêts en présence (ATA/758/2015 précité ; MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7697).

En l’espèce, le courrier litigieux contient, selon le contenu qu’en a présenté l’avocat devant le Grand Conseil, des informations précises concernant des « dérives » liées à des procédures judiciaires et des demandes de règlement et de réparation. Le courrier contient un exposé de faits détaillé impliquant de nombreux tiers. Ces éléments sont de nature à porter une atteinte notable à la sphère privée et familiale qui est protégée par les exceptions au droit d’accès.

Ainsi, l’intérêt à la protection de cette sphère s’avère supérieur à celui à la transparence. À ceci s’ajoute que, dans la mesure où ceci serait pertinent, le recourant ne fait valoir aucun intérêt privé qui permettrait d’avoir une autre appréciation.

Point n’est donc besoin de procéder à la pesée des intérêts prévue à l’art. 39 al. 9 LIPAD, ni à l’examen de la possibilité d’un accès partiel au sens de l’art. 27 LIPAD (ATA/213/2016 du 8 mars 2016).

En conséquence, c’est à juste titre que le Conseil d’État a refusé la transmission intégrale au recourant du courrier du 5 juin 2014 reçu de Me B______. Il n’est ainsi pas nécessaire d’examiner si sa transmission rendrait également inopérantes les restrictions d’accès au dossier prévues par les lois régissant les procédures judiciaires et administratives, dont notamment l’art. 44 LPA qui prévoit que seules les parties et leurs mandataires sont admis à consulter les pièces d’un dossier destinées à servir de fondement à une décision.

6) Vu ce qui précède, le recours, infondé, sera rejeté.

Un émolument de CHF 1000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l’appelé en cause n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 décembre 2015 par Monsieur A______ contre la décision du Conseil d’État du 11 novembre 2015 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;



dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, au Conseil d'État, à Monsieur B______, appelé en cause, ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, M. Pagan, juges, Mme Steiner Schmid, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

A. Piguet Maystre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :