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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/988/2006

ATA/573/2007 du 13.11.2007 ( DCTI ) , ADMIS

Parties : KAPLUN ET CLAESSEN KAPLUN Marc et Elisa, KAPLUN CLAESSEN Elisa, ROUGE François et SI CLOS DE FOSSARD, SI CLOS DE FOSSARD / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/988/2006-DCTI ATA/573/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 13 novembre 2007

dans la cause

Madame Elisa CLAESSEN TEN AMBERGEN
Monsieur Marc KAPLUN

représentés par Me Karin Grobet Thorens, avocate

et

SI CLOS DE FOSSARD
Monsieur François ROUGE
représentés par Me François Bellanger, avocat

 

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

et

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION



EN FAIT

1. Madame Elisa Claessen Ten Ambergen, épouse de Monsieur Marc Kaplun (ci-après : les époux Claessen Kaplun), est propriétaire de la parcelle n° 2555, feuille 24 du cadastre de la commune de Chêne-Bougeries, sise au 48, chemin de Fossard.

Monsieur François Rouge est administrateur et actionnaire unique de la SI Clos de Fossard (ci-après : la SI ou la société), laquelle est propriétaire des parcelles voisines n° 2556 et n° 2557.

Les trois parcelles précitées sont sises en cinquième zone de construction.

2. Sur les parcelles n° 2555 et n° 2556 est érigée une maison de maître inscrite à l’inventaire des immeubles dignes de protection depuis le 12 août 2002. Anciennement propriété de la famille Naville-Labarthe, elle est bâtie selon un plan en "U", avec deux ailes encadrant une cour d’honneur. Les époux Claessen Kaplun et M. Rouge occupent chacun une moitié du corps du bâtiment.

3. Le 17 juin 2002, une convention a été signée entre la société et les époux Claessen Kaplun, laquelle a mis fin à un différend surgi à la suite de travaux importants entrepris par la société dans la partie du bâtiment lui appartenant.

Cette convention prévoyait que la société renoncerait à l’usage de l’une des deux servitudes dont l’assiette était située sur le terrain des époux Claessen Kaplun et qu’en limite de propriété, sur la parcelle appartenant à la SI, M. Rouge ferait poser une clôture et planter une haie d’une hauteur maximale de deux mètres. Les frais de ces installations devaient être supportés par la SI.

Conformément à cette convention, une clôture a été installée et une haie plantée.

4. Au cours de l’année 2004, Mme Claessen Kaplun a procédé à des plantations et à la construction d’une terrasse au moyen de dalles anciennes de Bourgogne.

5. Les pièces produites au dossier montrent que la cour d’honneur était déjà en partie engazonnée à l’origine et qu’un magnolia et un pommier y étaient plantés.

6. A la demande de M. Rouge, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS) s’est rendue sur place et a constaté que des « aménagements inadaptés avaient été réalisés en péjorant cette ancienne propriété, soit :

- l’espace de la cour (avait) été fractionné par la mise en place d’une clôture grillagée, d’une haie et d’une palissade, élément étranger au caractère du lieu. Elle (avait) ainsi perdu sa cohérence spatiale et historique relevée à maintes reprises comme une qualité majeure de ce site ;

- les aménagements du sol et le choix des matériaux (engazonnement, faux jardin à la française, plates-bandes, buis d’ornement et dallage en pierre) (portaient) atteinte au caractère sobre et à la minéralité du traitement de la cour d’accès ;

- la teinte appliquée sur le portail d’entrée de la propriété, d’un bleu vif, (s’avérait) également peu judicieuse eu égard à l’environnement du chemin Fossard ».

7. Par lettre signature du 11 octobre 2005, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département ou le DCTI) a informé la SI qu’il avait, par décision du même jour, ordonné à Mme Claessen Kaplun de déposer une requête en autorisation de construire portant sur les travaux qu’elle avait réalisés sans autorisation sur sa parcelle.

En ce qui concernait la SI, le département a ordonné, en application des articles 129 et suivants de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), de supprimer la barrière litigieuse située sur sa parcelle ou, si elle entendait la maintenir, de déposer une requête en autorisation de construire en bonne et due forme.

8. Le 15 octobre 2005, les époux Claessen Kaplun ont déposé une demande d’autorisation portant sur les aménagements précités par la voie de la procédure accélérée (ci-après : APA).

9. Le 10 février 2006, le DCTI a refusé l’autorisation sollicitée au motif que "les aménagements extérieurs projetés porteraient atteinte à la qualité spatiale de la cour de cet ensemble et à la simplicité du lieu". Il a fait sien le préavis défavorable de la CMNS du 11 janvier 2006.

10. Par décision du même jour, le département a ordonné la suppression des clôtures-palissades, des dallages, des plantations et de l’engazonnement litigieux.

11. Par actes du 16 mars 2006, les époux Claessen Kaplun ont simultanément déposé deux recours, l’un auprès du Tribunal administratif pour ce qui était de l’ordre de démolition, et l’autre auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : CCRC), s’agissant du refus d’autoriser les travaux en question.

12. Dans leur recours au Tribunal administratif, les époux Claessen Kaplun ont allégué que l’article « 106 LCI » contenait une clause esthétique. Quand bien même l’autorité administrative disposait d’une latitude de jugement, le Tribunal administratif pouvait revoir librement le caractère esthétique ou non des installations incriminées. L’impact concret des aménagements et des plantations, en particulier sur l’esthétique des lieux et la modestie de ces installations, ne pouvait justifier la démolition de ces dernières. En ce qui concernait la terrasse, le préavis de la CMNS était contesté. L’aménagement effectué était beaucoup plus harmonieux que celui consistant en la construction de places de parking, projet au préalable autorisé par le département. Au surplus, les aménagements n’étaient pas visibles depuis la voie publique et un accord était intervenu avec leur voisin à ce sujet. Enfin, le principe de la proportionnalité était violé, car les aménagements incriminés étaient mineurs et il n’existait aucun intérêt public à leur démolition.

Ils ont conclu à la restitution de l’effet suspensif à la décision de démolition du 10 février 2006, à la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé par la CCRC, à l’annulation de la décision du 10 février 2006 et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

13. Dans leur recours auprès de la CCRC, les époux Claessen Kaplun ont développé les arguments contenus dans l’acte dont ils ont saisi le Tribunal administratif. De surcroît, les plantations ne pouvaient être considérées comme des constructions ou des installations, dans la mesure où elles ne remplissaient pas les qualités requises par la jurisprudence du Tribunal fédéral et la doctrine. En effet, les modifications apportées par les plantations et l’engazonnement ne modifiaient pas sensiblement l’espace extérieur. S’agissant en particulier de la plantation de la haie, celle-ci résultait du partage de la bâtisse en deux habitations et marquait la limite de propriété. Ainsi, les plantations et l’engazonnement n’étaient pas soumis à la loi. Le principe de la bonne foi était également violé, dans la mesure où le projet antérieur devait comporter trois habitations et que le département avait autorisé la création de plusieurs places de parking dans la cour, aménagements plus critiquables d’un point de vue esthétique. Enfin, la terrasse qu’ils avaient réalisée était similaire à celle mise en place sur la parcelle voisine, de sorte que le principe de l’égalité de traitement était également violé.

Ils ont conclu principalement à l’annulation de la décision relative à la terrasse et à la clôture, à la constatation que les plantations et l’engazonnement n’étaient pas soumis à autorisation, et subsidiairement à ce que le dossier soit renvoyé au département pour la délivrance d’une autorisation visant la totalité des aménagements prévus.

14. Le 5 avril 2006, le juge délégué a suspendu l’instruction de la procédure jusqu’à droit jugé par la CCRC.

15. Par décision du 20 juillet 2006, la CCRC a admis le recours des époux Claessen Kaplun et a invité le département à délivrer l’autorisation sollicitée.

Les alentours des bâtiments mis à l’inventaire n’étaient pas concernés par cette inscription. Il y avait dès lors lieu de leur appliquer les normes de la 5ème zone dans laquelle était située la parcelle faisant l’objet de la requête en autorisation. Le département n’aurait pas dû soumettre le projet à la CMNS, celle-ci n’étant pas compétente pour en connaître, et son préavis devait être écarté. Pour cette raison déjà, la décision du département devait être annulée.

D’autre part, le projet était conforme aux normes de la zone étudiée et le fait de soumettre à autorisation l’engazonnement d’une surface ou la plantation de végétation était pour le moins curieux.

Enfin, l’article 15 LCI n’était pas applicable, puisque l’espace concerné n’était pas visé par cette disposition, car il était privé.

16. Le 12 septembre 2006, M. Rouge et la SI ont recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée.

a. La décision querellée n’avait pas été notifiée à la SI alors que celle-ci avait demandé à intervenir dans la procédure par devant la CCRC. En ne se prononçant pas sur cette demande, la CCRC avait nié à tort la qualité de partie de la société, en violation de l’article 147 alinéa 2 LCI. Elle avait ainsi causé un tort irréparable à la société en la privant du droit de participer à la procédure. En ne statuant pas sur sa demande d’intervention, elle avait commis un déni de justice formel. La décision de la CCRC était par conséquent affectée d’un vice formel grave qui justifiait à lui seul son annulation.

b. La procédure accélérée ne pouvait être utilisée dans le cas d’espèce, dès lors que l’objet initial de la demande d’autorisation était la réalisation d’aménagements extérieurs, d’une clôture et d’un portail. Il ne s’agissait pas d’un objet portant sur la modification intérieure d’un bâtiment existant ou modifiant l’aspect général de celui-ci. Le projet avait donc été instruit selon une procédure qui ne permettait pas de respecter les garanties offertes par le législateur aux administrés. La décision y relative était ainsi affectée d’un vice particulièrement grave, étant donné qu’elle avait été prise en violation de règles essentielles de procédure. Sa nullité devait être constatée pour ce motif.

c. La CCRC avait violé les articles 9 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) et 5 alinéa 2 lettre c du règlement d’exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 (RPMNS - L 4 05.01) en rejetant le préavis de la CMNS comme dénué de pertinence. Or, les travaux effectués dans la cour concernaient le bâtiment au sens de cette dernière disposition.

d. La CCRC avait violé l’article 15 alinéa 2 LCI dans la mesure où elle aurait dû tout au moins recueillir le préavis de la commission d’architecture. L’article 15 alinéa 1 LCI était applicable aux travaux litigieux, car ceux-ci donnaient sur la voie publique ou étaient visibles depuis les parcelles voisines.

Ils concluent préalablement à l’audition de Madame Sabine Nemec Piguet, cheffe du service des monuments et des sites et, principalement, à l’annulation de la décision litigieuse, à la confirmation de la décision de refus et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

17. Par décision du 26 septembre 2006, le Tribunal administratif a ordonné la jonction des causes A/988/2006-DCTI et A/3308/2006-DCTI sous le n° A/988/2006-DCTI.

18. Le 13 octobre 2006, le département s’est déterminé sur les recours précités. Sur le recours dirigé contre la décision de la CCRC interjeté par la SI et M. Rouge, il s’en est rapporté à justice. Sur celui dirigé contre l’ordre de démolition déposé par les époux Claessen Kaplun, sa décision respectait le principe de la proportionnalité et était fondée en droit. Le recours devait donc être rejeté et sa décision du 10 février 2006 confirmée.

19. Dans leurs observations du 20 octobre 2006, les époux Claessen Kaplun concluent à la confirmation de la décision rendue par la CCRC le 20 juillet 2006, en reprenant l’argumentation développée dans leurs précédentes écritures. En résumé, l’ensemble des aménagements litigieux avait été exécuté d’entente avec M. Rouge et la SI. Ni la LPMNS ni l’article 106 LCI n’étaient applicables au cas d’espèce, car les aménagements n’étaient pas visibles depuis la voie publique.

20. Le Tribunal administratif a organisé un transport sur place le 13 novembre 2006.

Un haut portail en fer, dont la couleur faisait l’objet de discussions avec la CMNS, donnait accès à la propriété des époux Claessen Kaplun. Après avoir franchi le portail précité, le juge délégué a constaté la présence de deux clôtures. Celle sise à l’ouest séparait les deux propriétés et celle sise au sud, parallèle au chemin de Fossard, était érigée en prolongation de la partie nord de la façade, avec une porte ouvrant sur la cour d’honneur et sur une sorte de jardin à la française.

La maison avait une forme de "U", occupée au nord par les époux Claessen Kaplun et au sud par M. Rouge.

Les époux Claessen Kaplun avaient divisé la cour en deux dans le sens de la longueur au moyen d’une palissade en bois jouxtant la maison sans la toucher, suivie d’une clôture grillagée le long de laquelle des buissons avaient été plantés. Le sol avait été aménagé. Il y avait une terrasse en pierres sur la partie la plus proche de la maison et du gazon, de même que diverses plantes, sur la partie la plus à l’ouest de la parcelle. La palissade, la terrasse et la partie engazonnée et plantée étaient litigieuses.

M. Kaplun a relevé que la propriété avait subi de multiples aménagements depuis la date de sa construction en 1776. Un reportage photographique montrait la présence d’arbres dans la cour jusqu’à fin 1996. Avant la rénovation, la cour était goudronnée et il y avait aussi du tout-venant.

Le représentant du département a déclaré qu’il s’en rapportait à justice. Toutefois, si le tribunal devait renvoyer la cause au département, ce dernier exigerait l’enlèvement de la palissade et la remise en état de la cour avec du tout-venant.

Depuis le premier étage de la maison Claessen Kaplun, le juge délégué a constaté qu’une haie divisait la cour. Dans la propriété de M. Rouge, il y avait aussi une terrasse en dalles de pierre et en galets, de même qu’un jeune platane dans un grand bac, mais il n’y avait pas d’engazonnement, car la terrasse s’arrêtait au niveau de l’immeuble d’en face, comportant un studio.

La cour était intégrée dans le « U » formé par le bâtiment et n’était pas visible depuis la voie publique. Dans la propriété de M. Rouge, le juge délégué a constaté la présence d’un jardin engazonné et planté sur la partie sud. Il a demandé au représentant du DCTI de se renseigner sur la question de savoir si une autorisation avait été délivrée à M. Rouge pour la réfection de la cour d’honneur.

M. Kaplun a attiré l’attention du juge délégué sur la présence de luminaires au sol, de même que sur une installation d’arrosage automatique fixe et sur des spots en façade, au-dessus des premières fenêtres, servant à éclairer la maison.

M. Rouge a insisté sur le fait que le rétrécissement de l’espace facial de la cour en raison de la pose de la palissade et des grillages le chagrinait. Le mandataire des époux Claessen Kaplun a insisté sur le fait que les aménagements ne touchaient pas au corps du bâtiment.

Le mandataire de M. Rouge a souhaité que le tribunal tranche la question de savoir si la cour d’honneur faisait partie intégrante de la maison protégée.

21. Par courrier du 7 décembre 2006, le département a informé le Tribunal administratif qu’aucune requête en autorisation de construire n’avait été déposée par la SI pour des aménagements extérieurs. S’agissant du studio aménagé par la SI dans un des autres bâtiments de la parcelle n° 2556, celui-ci n’avait pas non plus fait l’objet d’une demande d’autorisation. La société serait en conséquence interpellée pour qu’elle se détermine et le département ordonnerait, cas échéant, le rétablissement d’une situation conforme au droit.

22. Le 19 janvier 2007, les époux Claessen Kaplun ont complété leurs observations du 20 octobre 2006. Aucun préavis de la CMNS n’était nécessaire dès lors que les aménagements en question n’étaient pas soumis à autorisation. Le transport sur place réalisé avait permis de constater que ceux-ci n’étaient pas visibles depuis l’extérieur de la propriété et ce, même lorsque le portail d’accès était ouvert, la terrasse en particulier se situant en retrait du bâtiment. La clause d’esthétique prévue par l’article 15 LCI, « et non 106 LCI comme mentionné dans le mémoire précité suite à une erreur de frappe », n’était pas applicable. Même si cette disposition trouvait application, le caractère modeste des aménagements réalisés ne justifiait pas un refus d’autorisation. M. Rouge avait lui aussi procédé à des aménagements sur sa parcelle, qui étaient bien plus importants.

Enfin, le fait d’alléguer que la CCRC n’avait pas donné suite à sa demande d’intervention constituait un abus de droit de la part de la société. En sa qualité d’administrateur et d’actionnaire unique de la SI, M. Rouge avait bel et bien eu la possibilité de s’exprimer. La SI n’avait pas été lésée dans le cadre de l’instruction menée par la CCRC, puisque M. Rouge avait pris part aux débats et avait pu faire valoir ses arguments.

Les époux Claessen Kaplun ont persisté dans toutes leurs conclusions tout en précisant que si le Tribunal administratif devait annuler la décision de la CCRC, ils solliciteraient à titre subsidiaire que soit autorisé le maintien à titre précaire des aménagements litigieux, leur intérêt privé prévalant sur l’intérêt public à leur enlèvement, ce qu’ils avaient déjà soutenu antérieurement.

23. Le 19 janvier 2007, M. Rouge et la SI ont transmis leurs observations suite au transport sur place précité. Selon eux, ce transport avait permis de corroborer leurs allégations, en particulier le fait que la cour d’honneur faisait partie intégrante du bâtiment construit en "U". Si le Tribunal administratif n’estimait pas que la cour d’honneur devait être protégée pour cette raison, ils persistaient dans leur demande d’audition de Mme Nemec-Piquet. De plus, le Tribunal administratif avait erré dans l’orientation des lieux et des modifications y relatives ont été sollicitées.

S’agissant des aménagements extérieurs réalisés par la SI, ils étaient sans pertinence dans le cadre de cette procédure. Cela étant, lesdits aménagements consistaient en un système d’arrosage automatique et d’éclairage intégré au sol qui ne changeaient pas la nature ou l’apparence de la cour d’honneur. Les plantations visant à dissimuler la palissade litigieuse représentaient le seul élément qui modifiait l’aspect de ladite cour. En cas de suppression de cette palissade, M. Rouge et la SI pourraient enlever ces plantations de manière à restituer son unité à la cour d’honneur. En tout état, le principe de la légalité prévalait sur celui de l’égalité, l’exception à ce principe n’étant pas réalisée en l’espèce dès lors que le comportement du DCTI n’avait pas été contraire à la loi. Même si cela avait été le cas, sa lettre du 7 décembre 2006 attestait de sa volonté d’appliquer la loi et excluait toute invocation de la règle de l’égalité dans l’illégalité.

24. Par pli du 30 janvier 2007, le juge délégué a informé le mandataire de M. Rouge et de la SI qu’il avait procédé aux corrections demandées, s’agissant notamment de l’orientation des lieux, laquelle avait été revue dans le sens sollicité.

EN DROIT

1. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. M. Rouge et la SI allèguent en premier lieu une violation de la qualité de partie de la société en tant que la CCRC n’aurait pas donné suite à la demande d’intervention de la SI ; la décision de la CCRC serait pour ce motif affectée d’un vice de forme grave justifiant, à lui seul, son annulation. Ils se fondent sur un courrier daté du 9 mai 2006.

b. Selon l’article 147 alinéa 2 LCI, les avis publiés par la CCRC mentionnent que les tiers disposent d’un délai de trente jours, dès la deuxième parution, pour intervenir dans la procédure et que, s’ils s’abstiennent de cette démarche, ils n’auront plus la possibilité de recourir contre la décision de la commission, ni de participer aux procédures ultérieures.

c. Il est constant que M. Rouge a, dans son courrier précité, saisi la CCRC dans un délai de trente jours dès la 2ème parution dans la Feuille d’Avis Officielle (ci-après : FAO). Sa demande d’intervention pouvait cependant prêter à confusion, puisqu’il a effectivement mentionné être l’administrateur et actionnaire unique de la société, mais a employé la première personne, soit "…je vous informe souhaiter intervenir dans la procédure et avoir un accès complet au dossier…".

d. Certes, la CCRC aurait dû également admettre l’intervention de la SI. Cela étant, l’absence de participation formelle de la SI ne lui a causé aucun dommage dans le cadre de l’instruction réalisée par la CCRC, puisque de fait son administrateur et actionnaire unique a pris part aux débats et a pu faire valoir ses arguments. Elle n’a de surcroît pas été privée de recourir contre la décision de la CCRC, puisqu’elle a formellement qualité de partie devant le Tribunal administratif.

e. Le recours sur ce point est par conséquent mal fondé.

3. Il convient en second lieu d’examiner la question de la procédure accélérée choisie par le département pour la demande d’autorisation déposée par les époux Claessen Kaplun, confirmée par la CCRC, mais contestée par M. Rouge et la SI.

a. Selon l’article 3 alinéa 7 LCI, le département peut traiter par une procédure accélérée les demandes d’autorisation relatives à des travaux portant sur la modification intérieure d’un bâtiment existant ou ne modifiant pas l’aspect général de celui-ci. La procédure accélérée peut également être retenue pour des constructions nouvelles de peu d’importance ou provisoires (...).

b. La lecture des travaux préparatoires démontre que le législateur entendait bien limiter l’APA à des objets de peu d’importance, tels que la construction de murets, portails, etc. (MGC 1987 III, pp. 6971 ss, notamment 6972).

c. Il s’ensuit que le choix de la procédure adoptée par le département ayant pour objet les installations litigieuses de peu d’importance n’est pas arbitraire. Les droits des tiers ont été sauvegardés par la publication dans la FAO des 5 et 12 avril 2007 de la saisie de la CCRC par les époux Claessen Kaplun suite au refus d’autorisation.

4. Il convient en troisième lieu de déterminer si les aménagements litigieux situés dans la cour d’honneur sont soumis ou non à la LPMNS, ce qui est allégué par M. Rouge et la SI, mais contesté par les époux Claessen Kaplun.

5. a. En vertu de l’article 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l’histoire de l’art ou de l’architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords.

b. Cette disposition n’a toutefois aucun effet concret, mais définit le champ d’application dans lequel l’autorité doit agir. La protection réelle commence par l’inscription à l’inventaire (art. 7 LPMNS) (MGC 1976/II 1903 ; ATA/796/1998 du 8 décembre 1998).

c. Les immeubles inscrits à l’inventaire doivent être maintenus et leurs éléments dignes d’intérêt préservés. L’article 90 LCI est applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles (art. 9 al. 1 LPMNS).

d. Cette disposition prévoit ainsi que les ensembles dont l’unité architecturale et urbanistique est complète sont maintenus. En cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés.

e. Dans le cas d’une procédure de classement, le Conseil d’Etat peut interdire de modifier les abords immédiats de l’immeuble classé (art. 15 al. 4 LPMNS). Cette faculté offerte à l’exécutif cantonal n’existe pas pour la mise à l’inventaire d’un immeuble.

f. En l’espèce, l’inscription à l’inventaire du 12 août 2002 concerne les bâtiments n° C249 et n° C1143 correspondant à l’ancienne Maison Naville-Labarthe exclusivement. Les abords du bâtiment en question, et en particulier la cour d’honneur, ne font pas l’objet de la protection. Les aménagements réalisés par les époux Claessen Kaplun dans la cour d’honneur ne sont dès lors pas soumis à la LPMNS. La demande d’audition de Mme Nemec-Piguet, requise par M. Rouge et la SI, est dès lors inutile.

6. Reste à déterminer si les aménagements litigieux devaient faire l’objet d’une autorisation.

7. a. Aux termes de l’article 1 alinéa 1 lettre a LCI, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation. La lettre d de l’article précité prévoit que nul ne peut modifier la configuration du terrain.

b. La notion de construction ou installation est indéterminée, laissant ainsi à la jurisprudence le soin de la définir : il faut entendre par là « tous les aménagement durables créés par la main de l’homme, qui sont fixés au sol et qui ont une incidence sur son affectation, soit qu’ils modifient sensiblement l’espace extérieur, soit qu’ils aient des effets sur l’équipement ou qu’ils soient susceptibles de porter atteinte à l’environnement ». La notion de construction et d’installation étant de droit fédéral, les cantons ne peuvent s’en écarter (P. ZEN-RUFFINEN, C. GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, Berne 2001, p. 213-214 et les références citées).

8. Dans un arrêt du 18 juillet 2003 dans la cause 1A.77/2003, le Tribunal fédéral a considéré qu’en matière de plantations, l’impact concret qu’elles pouvaient avoir sur l’affectation du sol et sur l’esthétique du paysage, dépendait notamment de l’importance et du type de plantations, de leur surface, de leur densité et de leur agencement, ainsi que de leur situation dans l’environnement existant. (…) Un agrandissement du jardin, par la plantation de quelques arbres dans l’environnement proche de la maison d’habitation, pourrait échapper à l’assujettissement. En revanche, la création d’un véritable parc paysager d’une certaine étendue, sur une surface auparavant libre de toute plantation comportait un impact important sur le paysage, ainsi qu’un changement d’affectation nécessitant une autorisation.

9. En l’espèce, les pièces versées au dossier montrent que les plantations et l’engazonnement installés par les époux Claessen Kaplun sont très simples. Les plantations ne sont par ailleurs pas destinées à prendre avec les années des proportions considérables. Le Tribunal administratif relève que l’on se trouve en présence d’un agrandissement modeste du jardin par la plantation de quelques arbustes et plantes sur une surface qui, à l’origine, était déjà en partie engazonnée et qui comportait des arbres bien plus imposants que le jardin "à la française" aménagé par les époux Claessen Kaplun. L’arrêt précité concernait au contraire une surface de parcelle de 4,2 hectares, dont une grande partie avait fait l’objet de plantations d’arbres impliquant une modification brutale du paysage.

Au vu de ce qui précède, les plantations et l’engazonnement litigieux ne peuvent être assimilés à des constructions ou des installations au sens de l’article 1 LCI et ne sauraient en conséquence être soumis à autorisation.

10. S’agissant des dallages et des clôtures palissades, il n’est pas contesté que ce sont des constructions et installations soumises à autorisation. A ce sujet, il convient de remarquer que les dernières installations - au sujet desquelles M. Rouge s’est dit chagriné lors du transport sur place -  avaient fait l’objet d’un accord entre la SI d’une part et les époux Claessen Kaplun d’autre part.

11. Cela étant, une autorisation de construire ne peut être délivrée que si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone [art. 22 al. 2 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700)].

a. Selon l’article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), la cinquième zone est une zone résidentielle destinée aux villas.

b. Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, parce que les lieux concernés se trouvent dans une zone protégée (art. 15 al. 2 LCI), cette circonstance confère un poids certain à son préavis dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours . En revanche, le Tribunal administratif ne s’impose pas de réserves face à un préavis négatif de la CMNS lorsque ce dernier a été requis sans nécessité et que l’objet architectural litigieux n’est pas complexe (ATA/440/2006 du 31 août 2006 et références citées).

c. Selon une jurisprudence constante, le Tribunal administratif, lorsqu’il est confronté à des préavis divergents, a d’autant moins de raisons de s’imposer une certaine restriction de son propre pouvoir d’examen qu’il a procédé, comme en l’espèce, à un transport sur place (ATA/440/2006 précité).

d. En l’espèce, les aménagements litigieux, à savoir le dallage et les clôtures palissades, ne sont ni complexes ni contraires aux normes régissant la 5ème zone. Tous les préavis usuels ont été requis. Ils ont tous été favorables au projet, avec des réserves ou sans observations, à l’exception de celui de la CMNS. La consultation de la CMNS n’était pas obligatoire pour les raisons évoquées ci-dessus, de sorte que son préavis négatif ne revêt pas de valeur contraignante. L’autorisation devrait être délivrée sur cette base.

12. M. Rouge et la SI allèguent encore l’applicabilité de l’article 15 LCI.

a. Lorsque le droit cantonal prévoit une clause d’esthétique, toute construction et installation y est soumise, même si elle correspond, par ses dimensions, aux prescriptions de la zone où elle se trouve (P. ZEN RUFFINEN, op. cit. p. 388 n. 890).

b. Les exigences relatives à l’esthétique des constructions sont rédigées sous la forme d’une clause d’esthétique négative, lorsqu’elles prohibent l’enlaidissement d’une localité ou d’un quartier, tel est le cas de l’article 15 alinéa 1 LCI (P. ZEN RUFFINEN, op. cit. p. 388 n. 891).

c. L’article 15 alinéa 1 LCI dispose que "le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public".

d. Les dispositions sur l’esthétique des constructions visent uniquement la protection d’intérêts publics (JT 1988 I 485 486).

e. En l’espèce, le transport sur place a établi que les installations litigieuses ont été installées dans un espace privé qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 15 LCI précité. L’arrêt du Tribunal administratif cité par M. Rouge et la SI concernait au contraire le cas d’un jardin d’hiver qui, bien qu’invisible depuis la rue, l’était néanmoins depuis le verger ou les vignes alentours, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

En d’autres termes, l’article 15 LCI n’est pas applicable dans la présente cause, de sorte que mal fondé, ce grief sera écarté.

13. En tous points mal fondé, le recours de M. Rouge et de la société sera rejeté. Celui des époux Claessen Kaplun contre la décision du département du 10 février 2006 de supprimer les aménagements litigieux sera en revanche admis et dite décision annulée.

Un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge du département. Un émolument, de CHF 1'500.- également, sera mis à la charge de M. Rouge et de la SI, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA).

Une indemnité de CHF 3'000.- sera allouée aux époux Claessen Kaplun à la charge de l’Etat de Genève, de M. Rouge et de la SI, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mars 2006 par Madame Elisa Claessen Ten Ambergen et Monsieur Marc Kaplun contre la décision du département des constructions et des technologies de l’information du 10 février 2006 ;

déclare recevable le recours interjeté le 12 septembre 2006 par Monsieur François Rouge et la SI Clos de Fossard contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 20 juillet 2006 ;

au fond :

admet le recours interjeté le 16 mars 2006 par Madame Elisa Claessen Ten Ambergen et Monsieur Marc Kaplun contre la décision du département des constructions et des technologies de l’information du 10 février 2006 ordonnant la suppression des clôtures-palissades, des dallages, des plantations et de l’engazonnement effectués sur leur parcelle ;

rejette le recours interjeté le 12 septembre 2006 par Monsieur François Rouge et la SI Clos de Fossard contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 20 juillet 2006 invitant le département à délivrer l’autorisation sollicitée ;

annule la décision du département des constructions et des technologies de l’information du 10 février 2006 refusant l’autorisation sollicitée et ordonnant la suppression des installations litigieuses ;

confirme la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 20 juillet 2006 invitant le département à délivrer l’autorisation sollicitée ;

met à la charge du département des constructions et des technologies de l’information un émolument de CHF 1'500.- ;

met à la charge de Monsieur François Rouge et de la SI Clos de Fossard, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue à Madame Elisa Claessen Ten Ambergen et à Monsieur Marc Kaplun Claessen Kaplun une indemnité de procédure de CHF 3'000.- à la charge de l’Etat de Genève et de M. Rouge et de la SI Clos de Fossard pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Karin Grobet Thorens, avocate de Madame Elisa Claessen Ten Ambergen et de Monsieur Marc Kaplun, à Me François Bellanger, avocat de Monsieur François Rouge et de la SI Clos de Fossard, au département des constructions et des technologies de l’information, ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière de constructions et à l’office fédéral du développement territorial.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :