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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3043/2007

ATA/548/2007 du 30.10.2007 ( DES ) , REJETE

Descripteurs : ; LIBERTÉ ÉCONOMIQUE ; DENRÉE ALIMENTAIRE ; E-COMMERCE ; BOISSON ; SPIRITUEUX
Normes : LDAI.3 ; LVEBA.2
Parties : 24HCHRONO SARL / OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION DU COMMERCE
Résumé : La livraison de boissons alcooliques à la suite d'une commande électronique, doit être assimilée à la vente à l'emporter. Partant, cette activité est soumise à la LVEBA.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3043/2007-DES ATA/548/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 30 octobre 2007

dans la cause

 

24HCHRONO SARL
représentée par Me Alexandre Schwab, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION DU COMMERCE


 


EN FAIT

1. La société 24hChrono Sàrl (ci-après : 24h) a été inscrite au registre du commerce du canton de Genève, où elle a son siège, le 2 mai 2007. Elle a pour but social le transport et le commerce de denrées alimentaires et de tous produits de consommation ainsi que toutes prestations dans le domaine des services aux personnes, notamment dans l'organisation de leurs activités, les transports ou la mise à disposition de biens. Le site http://www.24hChrono.ch contenait notamment l’information selon laquelle les livraisons se feraient dans les quarante-cinq minutes 24 heures sur 24 et que les commandes seraient payées « par principe » au moyen d’une carte de crédit mais qu’en cas de paiement par espèces, le livreur établirait manuellement une facture. Les ventes aux mineurs seraient exclues, la société se réservant la faculté de vérifier l’identité des acheteurs d’alcool ou de tabac (site consulté le 10 octobre 2007).

2. Agissant au nom des futurs associés au sein de la société alors en formation, l'avocat de cette dernière s'est adressé le 11 avril 2007 à l'office cantonal de l'inspection du commerce (ci-après : l'OCIC). La future société serait active dans le domaine du commerce et du transport des denrées alimentaires au sens de l'article 3 de loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 9 octobre 1992 (LDAI - RS 817.0). Toutes les activités se dérouleraient par le biais d'internet et la société n'exploiterait pas de boutique accessible au public. S'agissant de plats confectionnés par des restaurants partenaires, ceux-ci seraient préparés par lesdits établissements puis acheminés directement au domicile du client ; il s'agirait ainsi d'un service de livraison. Il en irait de même pour des produits de luxe, tels que champagne, caviar et cigares, qui seraient entreposés dans les locaux de la société mais vendus directement par le producteur ou le commerçant concerné, de sorte que la société n’apparaîtrait que comme livreur. Enfin, elle comptait vendre elle-même différentes boissons comme des sodas, à l'exclusion de toutes celles alcoolisées.

La question de l'application de la loi cantonale sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques du 22 janvier 2004 (LVEBA - I 2 24) paraissait devoir être écartée, car la société en formation ne vendrait pas "à l'emporter" des boissons alcooliques, ce qui l'excluait dès lors du champ d'application de la loi. De surcroît, les normes cantonales avaient pour objet la prévention de l'alcoolisme au volant et celui des jeunes alors que 24h entendait expressément interdire la vente d'alcool aux mineurs. Par contre, la société en formation considérait qu'elle devait être soumise à la loi fédérale sur l'alcool du 21 juin 1932 (loi fédérale sur l’alcool - RS 680), ce qui aurait pour conséquence la délivrance d'une patente au sens de l'article 41a alinéa 1er de la loi.

3. Le 4 juin 2007, 24h s'est adressée à nouveau à l'OCIC. La LVEBA avait pour but de garantir l'ordre public, en particulier la tranquillité et la sécurité publiques, notamment en protégeant les jeunes de la consommation compulsive d'alcool vendu à l'emporter. La société ne vendrait pas à l'emporter mais livrerait à domicile, ce qui réduirait les nuisances au voisinage. L'OCIC était prié de rendre une décision formelle.

4. Le 9 juillet 2007, l'OCIC a rendu une décision au terme de laquelle 24h était soumise à la loi fédérale sur l’alcool ainsi qu'à la LDAI. Ces deux lois fédérales ne comportaient aucune distinction entre la vente à l'emporter et celle à domicile. Les cantons conservaient la faculté d'édicter des dispositions propres en matière de vente d'alcool, pour autant qu'elles ne contredisent pas le droit fédéral et n'entravent pas la réalisation des buts poursuivis par le législateur fédéral. Enfin, la LVEBA s’appliquait également à la recourante.

La LVEBA avait pour but le maintien de l'ordre public, en particulier de la tranquillité et de la santé publiques. Elle s'inscrivait dans une volonté de prévention de la consommation de boissons alcooliques en rendant plus difficile l'acquisition de celles-ci.

5. Le 16 juillet 2007, la société a déposé une demande de reconsidération auprès de l'OCIC.

6. Par acte daté du 9 août mais déposé au greffe du Tribunal administratif la veille déjà, la société a recouru contre la décision du 9 juillet 2007 et à ce qu'il soit dit qu'elle n'était pas soumise à la LVEBA, avec suite de frais et dépens.

L'office intimé avait excédé son pouvoir d'appréciation en considérant que l'activité projetée par la recourante avait le caractère de vente à l'emporter. La décision entreprise violait également le principe de la légalité, car la LVEBA avait pour but principal la lutte contre l'alcoolisme des jeunes, l'accès aux stations service, aux kiosques et aux commerces de location de films vendant des boissons alcoolisées étant beaucoup trop facile. Or, les activités déployées par la recourante ne touchaient en aucun cas une clientèle mineure et n'étaient pas susceptibles de troubler la paix publique. Seules seraient inscrites comme clientes, les personnes âgées de plus de 18 ans et titulaires d'une carte bancaire. En outre, la recourante proposait des produits de haute gamme, dont les prix seraient inaccessibles aux jeunes. Enfin, les faits avaient été constatés de manière incomplète.

7. Le 14 septembre 2007, l'OCIC a répondu au recours. Le 9 juillet 2007, cette autorité avait rendu une décision soumettant la vente de boissons alcooliques par 24h à une autorisation préalable. Le 16 juillet 2007, la recourante avait déposé une demande de reconsidération et le 8 août 2007, l'OCIC avait confirmé par téléphone sa décision du 9 juillet 2007 à l'intéressée.

L'office intimé conclut au rejet du recours avec suite de frais pour les motifs suivants : la loi fédérale sur l’alcool et la LDAI, de rang fédéral, régissaient la vente de boissons alcooliques sans distinguer entre les formes "à l'emporter" et "à domicile". L'article 2 LVEBA contenait l'expression "vente à l'emporter de boissons alcooliques" sans la définir. L'exposé des motifs à l'appui du projet de cette loi mentionnait que celui-ci constituait un effort de prévention de la consommation de boissons alcooliques "et plus particulièrement à l'égard des conducteurs de tous âges et des jeunes". Selon le rapporteur, il y avait lieu de lutter contre l'accès trop facile aux boissons alcooliques après l'heure légale de fermeture des magasins, notamment pour les jeunes. Selon l'article 11 alinéa 1er LVEBA, la vente à l'emporter était interdite de 21 heures à 7 heures dans tous les types de commerces. Les commandes par le biais d'un site internet faciliterait l'accès à l'alcool et contreviendrait au but de la LVEBA ainsi qu'à ceux contenus dans le droit fédéral.

8. Le 17 septembre 2007, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'article 14 LPA réserve la faculté du juge de prononcer la suspension de la procédure administrative lorsque le sort de celle-ci dépend de la solution d'une question relevant de la compétence d'une autre autorité.

En l'espèce, la recourante a déposé une demande en reconsidération auprès de l'office intimé, datée du 16 juillet 2007. Cette dernière a exposé toutefois dans son mémoire de réponse qu'elle entendait maintenir la décision entreprise et qu'elle avait signalé sa position à la recourante. Il n'y avait dès lors pas lieu de suspendre la présente procédure.

3. Les parties divergent sur la question de la soumission des activités de la recourante à la LVEBA, l'intéressée ayant admis dans ses lettres des 11 avril et 4 juin 2007 à l'OCIC l'application notamment de la loi fédérale sur l’alcool et de la LDAI.

Les questions de savoir si la recourante est soumise à la loi fédérale sur le commerce itinérant du 23 mars 2001 (la loi fédérale sur le commerce itinérant – RS 943.1), à la loi sur l'exercice des professions ou industries permanentes, ambulantes et temporaires du 27 octobre 1923 (la loi sur l'exercice des professions - I 2 03) ainsi que celle de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) seront examinées d’office, comme l’exige l’article 69 alinéa 1er in fine (ATA/666/2004 du 24 août 2004 et ATA/388/1997 du 24 juin 1997) ; le Tribunal administratif n’est par ailleurs pas lié par les motifs invoqués par les parties.

4. A teneur de l'article 42 alinéa 1er de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la Confédération accomplit les tâches que lui attribue la Constitution. Il en résulte que les cantons sont au bénéfice d'une clause générale de compétence et que la Confédération n'a que des compétences d'attribution. Le droit fédéral ne peut évincer les lois cantonales régissant le même domaine que lorsqu'une compétence exclusive est reconnue à la Confédération.

a. Sous l'empire de la Constitution fédérale du 19 mai 1874 (aCst), le régime des boissons alcooliques était réglé par les articles 32 bis à 32 quater aCst. Selon la première disposition, la Confédération avait le droit de légiférer, notamment sur la vente des boissons distillées (al. 1er), de manière à en "diminuer la consommation et partant l'importation et la production". Le but principal de cette norme était donc de protéger la santé publique et la loi fédérale sur l’alcool constituait un des moyens d'atteindre ce but (cf. Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, volume 2, n° 53 et suivants ainsi que 102 et suivants ad art. 32 bis).

S'agissant de régler le commerce des boissons alcooliques obtenues par fermentation, l'article 34 aCst réglait la compétence des cantons pour soumettre à des restrictions "exigées par le bien public", l'exercice de la profession d'aubergiste et le commerce de détail des boissons spiritueuses. Cette disposition autorisait notamment l'introduction d'une clause du besoin tant pour l'exploitation des auberges que celle des commerces. Selon la doctrine, outre la clause du besoin, les cantons peuvent soumettre l'exploitation des auberges et commerces à toutes sortes de restrictions policières, notamment sur la prévention des incendies, l'hygiène des locaux, les heures de fermeture des établissements, etc. (op. cit. n° 35 ad art. 32 quater).

b. Le régime détaillé des articles 32 bis à 32 quater aCst a été remplacé par l'article 105 Cst. selon lequel la législation sur la vente de l'alcool obtenu par distillation relève de la Confédération, laquelle tient compte en particulier des effets nocifs de la consommation. La nouvelle disposition ne concerne donc que l'alcool distillé par opposition aux boissons fermentées, telles le vin, la bière et le cidre, qu'elle ne régit pas.

S'agissant du régime de vente des boissons distillées, la doctrine, citant les travaux préparatoires, considère que les restrictions de police ou de politique sociale comme la clause du besoin peuvent être maintenues ou introduites sans habilitation spéciale (J.-F. Aubert et P. Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zurich 2003, n° 9 ad art. 105). D'autres auteurs considèrent que la compétence législative de la Confédération est exclusive, s'agissant toujours des boissons distillées (B. ehrenzeller et Ph. Mastronardi (éds), Die schweizerische Bundesverfassung : Kommentar, Zurich, n° 3 ad art. 105).

5. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’article 105 Cst. donne à la Confédération le pouvoir de légiférer en matière d’alcool obtenu par distillation en tenant compte des effets nocifs qui découlent de la surconsommation ; quant à l’article 118 Cst., il permet à la Confédération de prendre des mesures afin de protéger la santé, notamment quant à l’utilisation de denrées alimentaires. L’Etat fédéral ne dispose toutefois pas d’une compétence législative complète exhaustive, notamment en matière de publicité pour le tabac et l’alcool. Les cantons conservent des compétences générales en matière de politique sanitaire et de réglementation de l’utilisation du domaine privé et public (s’agissant des boissons alcooliques : ATF 128 I 295 consid. 3e p. 303 ; s’agissant de la lutte contre le tabagisme au titre des produits présentant un danger pour la santé : ATF 133 I 110 consid. 4.2 p. 116-117). Le Tribunal fédéral a jugé de même que l’interdiction de la vente de boissons distillées et fermentées dans les stations services et les magasins annexes à celles-ci non seulement ne contredit pas le droit fédéral mais se situe dans la même ligne que celui-ci visant à parer aux dangers de la consommation d’alcool, entre le complétant dans le domaine de la circulation routière (Arrêt du Tribunal fédéral 2.P 278/2004 du 4 avril 2005).

Il résulte ainsi de l’examen du texte constitutionnel, de la jurisprudence et de la doctrine que les cantons conservent une compétence pour légiférer en matière de consommation d’alcool tant distillé que fermenté, notamment dans le but de protéger la santé publique et la jeunesse de la consommation excessive de produits alcoolisés. Malgré la loi fédérale sur l’alcool et la LDAI, les cantons peuvent donc légiférer pour autant que les dispositions qu’ils édictent ainsi n’entravent pas les buts que le législateur fédéral entend poursuivre.

6. La recourante bénéficie de la garantie de la liberté économique au sens de l’article 27 alinéa 1er Cst. Toute restriction à ce droit doit ainsi être fondée sur une base légale, même formelle si la restriction est grave, être justifiée par l’intérêt public et être proportionnée au but visé.

a. La recourante conteste l’existence même d’une base légale. Elle soutient que la LVEBA ne s’applique pas au commerce qu’elle entend exploiter, dès lors que l’article 2 de la loi cantonale, sous le titre « champ d’application » a la teneur suivante : « la présente loi régit la vente à l’emporter de boissons alcooliques ». Or selon l’intéressée, les boissons alcooliques qu’elle vend ne seraient pas à l’emporter mais à « l’apporter » (sic), dès lors que le client passerait commande par le biais d’un site internet et verrait sa carte de crédit débitée avant que la marchandise ne lui soit livrée.

Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique ; ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d'interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

b. Selon le Grand Robert de la langue française (tome III, Paris 1987, p. 925) l’expression « plat à emporter » est opposée à « consommer sur place ». On parle alors de « vente à emporter » opposée à « à livrer ». La locution à valeur d’adjectif « à l’emporter » est désignée comme régionale.

La livraison de boissons alcooliques au domicile du consommateur s’oppose ainsi à la vente à l’emporter ainsi qu’à la consommation sur place à teneur de ce dictionnaire. Le législateur cantonal paraît avoir donné une acception plus large à l’expression « à l’emporter » puisque selon l’exposé des motifs de la loi cantonale (MGC 2001/2002 XII 6715) « la vente à l’emporter  de boissons alcooliques » vise également la distribution par automate ou par colportage, notamment dans les lieux fréquentés par les conducteurs de véhicules à moteur ou par les jeunes. Selon le dictionnaire précité (tome II, p. 715), l’action de colporter est le fait de transporter avec soi des marchandises pour les vendre. Dans le colportage, le vendeur se rend au domicile de ses éventuels chalands pour leur proposer sa marchandise alors que la recourante recueille des commandes par voie électronique avant de livrer la marchandise ainsi acquise.

Il convient ainsi de retenir que le sens donné par la LVEBA « à la vente à l’emporter » comporte toutes les formes de transaction qui n’impliquent pas la consommation immédiate et sur place de boissons alcooliques.

7. Du point de vue de la systématique du droit fédéral et cantonal pertinent, il y a lieu d'examiner l'application de la loi fédérale sur le commerce itinérant, de la loi cantonale sur l'exercice des professions et de la LRDBH.

a. La loi fédérale sur le commerce itinérant a pour objet l’activité de toute personne qui vend des marchandises « que ce soit par une activité itinérante, par la sollicitation spontanée de particuliers à domicile » (art. 2 al. 1er let. a). Le commerce de la recourante n’est pas itinérant et elle ne sollicite pas les particuliers à domicile, la consultation de son site Internet supposant une démarche active du chaland, qui passe commande comme il le ferait par téléphone ou par écrit auprès d’un autre commerce.

La recourante n’est donc pas soumise à la loi fédérale sur le commerce itinérant.

b. La loi cantonale sur l'exercice des professions soumet celles ambulantes à l'obtention préalable d'une patente délivrée par le département de l'économie et de la santé, selon l'article 4 de ladite loi. A teneur de l'article 5 (al. 1er let. a), est notamment considéré comme une profession ambulante le colportage, c'est-à-dire la profession consistant à circuler de maison en maison ou de rue en rue pour y vendre ou y offrir des marchandises que le marchand transporte avec lui et dont il fait la livraison immédiate. Selon l'article 5 alinéa 2, les fabricants de liqueur et négociants domiciliés dans le canton et hors du canton sont tenus d'obtenir une patente spéciale « assimilée à celle des professions ambulantes » pour prendre commande de spiritueux distillés, de toutes espèces, en quantité inférieure à quarante litres et de faire les livraisons qui en sont la suite.

L'activité de la recourante ne saurait être assimilée à du colportage, dès lors qu'il ne s'agirait pas de faire livraison immédiate de marchandise transportée par le vendeur, mais de les livrer après commande. Quant à la patente spéciale prévue par l'article 5 alinéa 2 de la loi sur l'exercice des professions, il s'agit en effet d'une autorisation que la recourante doit requérir pour autant qu'elle vende des boissons distillées. Elle doit en effet être qualifiée de négociante dans le canton de Genève faisant effectivement livraison de spiritueux distillés dont elle a pris auparavant commande. Comme le Tribunal administratif connaît du droit d’office, il lui appartient dès lors d’indiquer à l’autorité intimée qu’elle devrait examiner la question de la soumission de la recourant à cette disposition de la loi cantonale, si cette dernière venait à requérir de nouvelles autorisations.

c. La LRDBH régit l'exploitation à titre onéreux d'établissements voués à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place ainsi que l'exploitation à titre onéreux d'établissements voués à l'hébergement (art. 1er let. a et b LRDBH). Selon la jurisprudence du tribunal de céans, la soumission à cette loi suppose l’accès pour le public à une installation exploitée par une personne physique et permettant la consommation sur place de boissons et d’aliments (ATA/223/2005 du 19 avril 2005 ; a contrario lorsque ni boissons, ni mets ne sont consommés sur place : ATA/36/2005 confirmé par Arrêt du Tribunal fédéral 2P.90/2005 du 18 avril 2006). La recourante entend se consacrer notamment à la vente de produits alimentaires préparés pouvant être assimilés à de la restauration ainsi qu'au débit de boissons. Il est en revanche établi qu'elle ne disposera pas de locaux destinés à la consommation sur place desdits articles, de telle sorte que la LRDBH ne lui est pas applicable.

L'examen systématique du droit cantonal conduit ainsi à conclure que la recourante n'est pas soumise à la LRDBH, mais qu'elle doit requérir une autorisation de vendre des boissons distillées au sens de la loi sur l'exercice des professions, laquelle doit comporter notamment les conditions fixées par les articles 41a et 42 de la loi fédérale sur l’alcool.

8. Si l’on examine le but poursuivi par cette loi cantonale soit la préservation de l’ordre public en particulier et de la santé publique, de tout trouble provoqué par le propriétaire ou l’exploitant d’un établissement vendant des boissons alcooliques ainsi qu’en raison de la construction, de l'aménagement et de l'implantation des locaux, il convient d’admettre que la vente de boissons alcooliques par l’unique biais de la livraison à domicile n’est pas de nature à troubler l’ordre ou la tranquillité publique. Par contre, le fait d’échapper à l’application de cette loi et singulièrement à celle de son article 11, qui proscrit la vente de boissons alcooliques de 21h00 à 07h00, pourrait être considérée comme de nature à contrecarrer le but de préservation de la santé publique poursuivi tant par le législateur cantonal que par celui fédéral. Selon la doctrine, les cantons peuvent prendre des mesures de police visant à protéger la santé publique
(E. GRISEL, Liberté économique : libéralisme et droit économique en Suisse, Berne 2006, p. 199-201, n° 465 et suivants). La consommation excessive de boissons alcoolisées est un danger concret menaçant l'ordre public et à propos duquel les cantons sont loisibles de prendre des mesures qui seraient au demeurant également licites si elles étaient considérées comme relevant uniquement de la politique sociale (op. cit. p. 208-209, n° 491-494).

9. Même en considérant que l’expression « vente à l’emporter » comprend la livraison de boissons alcooliques à l’acheteur, à l’exclusion de toute vente publique, il conviendrait encore d’examiner si cette restriction à la liberté économique correspond à un intérêt public et si elle est conforme au principe de la proportionnalité.

a. L’intérêt public à la limitation de la consommation de boissons alcooliques obtenue soit par distillation, soit par fermentation est reconnu par le Tribunal fédéral (ATF 128 I 295 précité consid. 5a/bb. p. 309). La soumission de la recourante à la LVEBA, et singulièrement à la disposition interdisant la vente de boissons alcooliques de 21h00 à 07h00, constituerait une mesure apte à produire le résultat escompté (règle de l'aptitude), soit une diminution de la consommation d'alcool. Il n'y a guère de mesure moins incisive qu'une interdiction qui serait de nature à atteindre le même but (règle de la nécessité), même si la recourante annonce sur son site Internet sa volonté de ne pas vendre d’alcool ou de tabac à des mineurs.

b. Il convient encore de déterminer s'il existe un rapport raisonnable entre le but visé et l'intérêt privé compromis, soit celui de la recourante à vendre des boissons alcooliques entre 21h00 et 07h00.

La consultation du site de la recourante (www.24hchrono.ch le 10 octobre 2007) permet de constater que celle-ci vend des produits fort divers, comme des cigares, des lunettes de soleil ou des produits alimentaires. Certes, dans un tel contexte, la vente d'alcool n'est pas négligeable et peut constituer un apport important pour la recourante. Il n'en demeure pas moins que de nombreuses entreprises proposent des produits alimentaires à l'emporter ou par voie de livraison sans que la vente de boissons alcooliques ne soit une condition de leur survie économique. On ne voit guère pour quel motif il en irait différemment de la recourante, qui ne le prétend d'ailleurs point.

10. Il convient ainsi d'assimiler, du point de vue du but poursuivi et de l'intérêt protégé, la livraison de boissons alcooliques à la suite d'une commande électronique à une vente à l'emporter, même si la signification donnée à ce terme par le législateur cantonal peut ne pas correspondre au sens communément admis. Il en résulte que la recourante est soumise à la LVEBA et qu'il lui appartient, en exécution de la décision querellée, de requérir une autorisation de vente en application de cette loi cantonale. A supposer qu'elle obtienne l'autorisation prévue par la LVEBA, la recourante serait notamment soumise aux limitations de l'horaire d'exploitation, interdisant la vente de boissons alcooliques entre 21h00 et 07h00. L’autorité intimée devra également examiner la question de la soumission à la loi sur les professions.

Le système du droit cantonal conduit à considérer qu'un établissement voué à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place est régi par la LRDBH et doit satisfaire en outre au droit fédéral pour la vente de boissons distillées. S'agissant des formes de commerce qui n'impliquent pas la consommation sur place des boissons alcoolisées, elles relèvent, outre du droit fédéral en matière de boissons distillées, en règle générale du droit cantonal et singulièrement de la LVEBA dont le but général est la limitation de la consommation de boissons distillées ou fermentées contenant de l'alcool.

11. Le recours est mal fondé. La société recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais de la procédure arrêtés en l'espèce à CHF 2'000.- (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 août 2007 par la société 24hChrono SARL contre la décision de l'office cantonal de l'inspection du commerce du 9 juillet 2007 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 2'000.- ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alexandre Schwab, avocat de la recourante ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection du commerce et au secrétariat d’Etat à l’économie.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin et Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :