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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/206/2014

ATA/540/2014 du 17.07.2014 ( LOGMT ) , ADMIS

Descripteurs : LOGEMENT SOCIAL ; REVENU DÉTERMINANT ; DÉDUCTION DU REVENU DÉTERMINANT ; DÉLÉGATION LÉGISLATIVE ; OBLIGATION D'ENTRETIEN ; ALLOCATION DE LOGEMENT ; BASE DE CALCUL
Normes : LRD.5 ; LRD.15 ; RRD.4B
Résumé : L'art. 5 LRD prévoit de manière exhaustive les déductions à prendre en compte pour fixer le revenu déterminant des personnes demandant des prestations sociales. En prévoyant un coefficient unique de 0,91 % du revenu pour déterminer le droit à des allocations de logement, le nouvel article 4B RRD va au-delà de ce que permet la clause de délégation législative ancrée à l'art. 15 LRD.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/206/2014-LOGMT ATA/540/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 juillet 2014

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par l’Association genevoise des locataires (ASLOCA), mandataire

contre

OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT ET DE LA PLANIFICATION FONCIÈRE

 



EN FAIT

1) Madame A______ occupe, avec ses trois enfants mineurs, un appartement dont le nombre de pièces est six, sis 1______ rue B______, au
Grand-Saconnex. Cet immeuble est soumis au régime des habitations bon marché (ci-après : HBM).

Selon l’avis de situation reçu le 17 septembre 2013 de l’office du logement, devenu depuis lors office cantonal du logement et de la planification foncière
(ci-après : OCLPF), le revenu brut de Mme A______ était de CHF 114'208.-. Son revenu déterminant selon la loi sur le revenu déterminant le droit aux prestations sociales cantonales du 19 mai 2005 (LRD – J 4 06) était de CHF 103'929.-. Son revenu déterminant selon la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05), après application de la déduction forfaitaire de CHF 27'500.-, était de CHF 76'429.-.

2) Le 18 septembre 2013, Mme A______ a informé l’OCPLF que, dès le 1er octobre 2013, son compagnon, Monsieur C______, emménagerait dans son appartement. L’intéressé recevait, treize fois par année, un salaire net de CHF 6'187,90. Il était en procédure de divorce et versait à son épouse une contribution d’entretien de CHF 3'350.- par mois, conformément à un arrêt prononcé par la chambre civile de la Cour de justice le 30 août 2013.

3) Le 24 septembre 2013, l’OCPLF a demandé un certain nombre de pièces justificatives complémentaires, lesquelles ont été transmises par les intéressés.

4) Par décision du 18 novembre 2013, l’OCPLF a décidé d’astreindre Mme A______ au paiement d’une surtaxe, de CHF 1'322,35 par mois dès le 1er octobre 2013 puis de CHF 2'644,70 par mois dès le 1er octobre 2014.

Les cinq personnes occupant le logement de six pièces de l’intéressée réalisaient un revenu annuel brut de CHF 219'562.- (CHF 122'324.- pour Mme A______ et CHF 97'238.- pour M. C______), soit un revenu LRD de CHF 199'802.-. Une fois pris en compte les déductions forfaitaires applicables, le revenu déterminant était supérieur au barème d’entrée du logement en question, fixé à CHF 87'960.-.

5) Le 25 novembre 2013, Mme A______ a réclamé de la décision précitée. Il convenait de déduire des revenus pris en compte la pension alimentaire versée par M. C______, soit CHF 40'200.-.

6) Le 9 décembre 2013, l’OCPLF a rejeté la réclamation, et maintenu sa décision. La LRD et son règlement d’application prévoyait de multiplier le revenu annuel brut par 0,91 %, à l’exclusion de tout autre règle de calcul. Il n’y avait dès lors pas lieu de déduire des pensions alimentaires dans le cadre du calcul.

7) Par acte mis à la poste le 24 janvier 2014, Mme A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision sur réclamation précitée, concluant à son annulation ainsi qu’à la prise en compte dans le calcul effectué des pensions alimentaires versées par son compagnon.

Les dispositions légales en vigueur prévoyaient cette déduction et tout autre mode de calcul violerait le principe de l’interdiction de l’arbitraire et de l’égalité de traitement.

Au surplus, son revenu retenu dans la décision du 18 novembre 2013 était supérieur à celui pris en compte en septembre 2013.

8) Le 28 février 2014, l’OCPLF a conclu au rejet du recours, reprenant et développant son argumentation antérieure. Le coefficient prévu par la LRD englobait le paiement de la pension alimentaire et les contributions d’entretien pour les enfants versées au conjoint divorcé.

La différence dans le revenu retenu pour Mme A______ provenait des documents transmis. L’avis de situation du 17 septembre 2013 était fondé sur le revenu brut tiré du dernier avis de taxation de l’impôt cantonal et communal alors que le nouveau se fondait sur les pièces transmises.

9) Le 31 mars 2014, Mme A______ a maintenu sa position, dans le cadre de l’exercice de son droit à la réplique.

10) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L’art. 31C al. 1 let. a de la LGL indique que, dans ce texte, il faut entendre par « revenu » le revenu déterminant du titulaire du bail résultant de la LRD, additionné à celui des autres personnes occupant le logement, dont à déduire une somme de CHF 10'000.- pour la première personne, de CHF 7’500.- pour la deuxième personne et de CHF 5’000.- par personne dès la troisième personne occupant le logement.

3) L’art. 3 al. 1 LRD prévoit que les éléments composant le revenu déterminant, lorsqu'ils y figurent, se définissent conformément à la législation fiscale genevoise, en particulier la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Une liste exemplative des éléments faisant partie du revenu figure à l’art. 4 LRD, notamment les avances sur pensions alimentaires (let. c) et les les prestations reçues en vertu d'une obligation d'entretien ou d'assistance fondée sur le droit de la famille au sens de l'art. 27, let. f LIPP (let. m).

Les déductions admises sont énumérées exhaustivement à l’art. 5 LRD. En font partie la pension alimentaire et les contributions d'entretien pour les enfants versées au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait au sens
des art. 8 al. 2 et 33 LIPP.

4) Faisant usage de la clause de délégation figurant à l’art. 15 LRD, le Conseil d’État a édicté le règlement d'exécution de la loi sur le revenu déterminant le droit aux prestations sociales cantonales du 6 décembre 2006 (RRD - J 4 06.01), dont l’art. 4B, entré en vigueur le 1er avril 2013 et intitulé « période de référence et calcul du revenu déterminant pour les prestations aux locataires », a la teneur suivante :

«  1. Pour les prestations aux locataires, notamment celles octroyées en application de la loi générale sur le logement et la protection des locataires, du 4 décembre 1977, le revenu déterminant est établi sur la base du revenu brut actuel, qui est en principe pris en considération, en dérogation à l'art. 2. Il appartient au locataire de justifier sans délai au service compétent toute modification significative de revenu ainsi que tout changement dans la composition du groupe de personnes occupant le logement, survenant en cours de bail. En cours de bail, à défaut d'annonce de modification de situation par le locataire, le service compétent peut tenir compte des revenus pris en considération pour l'impôt des années précédentes.

2. Le revenu déterminant des personnes soumises à l’impôt au barème ordinaire ainsi que celui des personnes imposées à la source est établi sur la base du revenu calculé en application de l'alinéa 1, multiplié par le coefficient 0,91. »

5) a. L’art. 2 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst-GE - A 2 00) consacre le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 80 Cst-GE). Le Conseil d’État genevois, en tant qu’autorité exécutive, est chargé de l’exécution des lois et prend à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 101 Cst-GE). Il ne peut donc disposer praeter legem. À moins d’une délégation expresse, il ne peut pas poser des règles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations non prévues par la loi (ATF 114 Ia 288 ; ATA/63/2004 du 20 janvier 2004 ; ATA/587/2000 du 26 septembre 2000 ; Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle 1991, n. 322, 353 ; Pierre MOOR, Droit administratif, Berne 1991, n. 3.3.3.1-3). Seule la clause générale de police peut justifier une entorse à ce principe, mais il faut que l’ordre public soit menacé de manière grave, directe, imminente, sans qu’aucune autre mesure légale ne puisse être prise ou aucune norme adoptée en temps utile (Pierre MOOR, op cit. n. 4.2.2.9, p. 337).

b. Les ordonnances administratives ne peuvent contenir que des normes mineures, d’ordre procédural, administratif ou technique (Pierre MOOR, op cit. n. 3.3.5.2). Elles ne sont contraignantes que pour les membres de l’administration, qui, en raison de leurs rapports de service, sont soumis à une relation de puissance spéciale avec les organes hiérarchiques supérieurs (Pierre-Louis MANFRINI, Nature et effets juridiques des ordonnances administratives, Genève 1978, p. 43). N’ayant pas force de loi, elles ne peuvent créer de règles de droit ou contraindre les particuliers à adopter un certain comportement (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Vol. 2, 2ème éd., Berne 2006, p. 563 n. 1601 ss). La notion de règle de droit est définie à l’art. 22 al. 4 de la loi sur l’Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 (loi sur le Parlement - LParl – RS 171.10). Sont réputées fixant des règles de droit les dispositions générales et abstraites d’application directe qui créent des obligations, confèrent des droits ou attribuent des compétences (art. 22 al. 4 LParl).

c. Les ordonnances législatives d’exécution sont le complément d’une loi au sens formel. Elles sont des règles obligatoires, unilatérales, générales et abstraites permettant d’exécuter une loi formelle qui n’est pas directement applicable. Elles ne peuvent énoncer que des règles secondaires (ATF 104 Ib 209). En matière d’administration de prestations, il appartient au législateur de définir les lignes fondamentales des prestations publiques à fournir (ATF 128 I 113 consid. 3b p. 121 ; ATA/452/2012 du 30 juillet 2012).

6) En l’espèce, le Grand Conseil a édicté, dans la LRD, des règles précises indiquant que l’ensemble des revenus de la personne concernée devaient être pris en compte et énumérant exhaustivement les déductions à faire pour fixer le revenu déterminant. L’art. 4B al. 1 RRD, en prévoyant pour les prestations aux locataires l’application d’un coefficient unique sur le revenu brut, coefficient qui engloberait l’ensemble des déductions à prendre en compte selon l’art. 5 LRD, est manifestement contraire à la lettre et à l’esprit de cette loi. Il entraîne des inégalités de traitement, notamment dans des situations telles que celles de la recourante.

7) En conséquence, la décision litigieuse ne peut qu'être annulée, car fondée sur un texte réglementaire dépassant manifestement le cadre de la délégation législative, et donc dépourvu de base légale. La cause sera renvoyée à l’autorité intimée, afin qu’elle rende une nouvelle décision, respectant la LRD.

8) Au vu de cette issue, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’État de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 janvier 2014 par Madame A______ contre la décision de l’office du logement du 9 décembre 2013 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de l’office du logement du 9 décembre 2013 ;

renvoie le dossier à l’autorité intimée pour nouvelles décisions au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 

 

communique le présent arrêt à Madame A______, représentée par l’Association genevoise des locataires (ASLOCA), ainsi qu'à l’office cantonal du logement et de la planification foncière.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Sudre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :