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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/286/2000

ATA/587/2000 du 26.09.2000 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : LOGEMENT; SEPARATION DES POUVOIRS; LEGALITE; DELEGATION LEGISLATIVE; TPE
Normes : LGL.31C al.2; RLGL.6 al.1 litt.b
Résumé : En limitant le cercle des bénéficiaires de prestations de la LGL, l'art.6 al.1 litt.b RLGL dépasse le cadre d'une simple clause d'exécution en créant une norme primaire. La clause de délégation n'est pas suffisante pour autoriser le règlement à limiter le cercle des bénéficiaires de prestations de la LGL.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 26 septembre 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur J. F.

représenté par le Centre social protestant, mandataire

 

 

 

contre

 

 

 

 

OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT

 



EN FAIT

 

1. Monsieur J. F., né le 13 janvier 19.., d'origine ..., est domicilié rue ... , 12.. ... Genève. Il est le fils de Madame M. M. née le 1er janvier 19.., habitant à la même adresse.

 

2. M. F. est entré en Suisse le 23 juin 1988. A son arrivée, il a été attribué par l'office fédéral des réfugiés au canton de Fribourg.

 

3. En automne 1992, il a déménagé à Genève et vit depuis lors dans ce canton. Le 1er octobre 1992, il a été admis provisoirement au bénéfice d'un permis F, délivré à Genève et valable jusqu'au 19 juillet 2000.

 

4. Parallèlement à ses études de pharmacie qu'il a abandonnées entre-temps, l'intéressé a travaillé comme aide de cuisine à l'hôpital. Il a perdu son emploi et a touché les prestations d'assistance selon le barème pour requérants d'asile. A l'heure actuelle, il est arrivé en fin de droits.

 

5. En octobre 1997, Mme M. sa mère, est arrivée en Suisse, où elle a été mise au bénéfice d'un permis F le 17 décembre 1998. Elle a partagé, avec son fils, un appartement de deux pièces, soit une chambre avec cuisine, où M. F. dormait à même le sol, la chambre étant trop exiguë pour y placer un second lit.

 

6. a. Le 20 avril 1999, M. F. a adressé à l'office cantonal du logement (ci-après : l'office) une demande de logement subventionné. Il a exposé que ses revenus ne lui permettaient pas de trouver, sur le marché libre, un appartement répondant à ses besoins et à ceux de sa mère.

 

b. Le 28 avril 1999, l'office a refusé d'entrer en matière, au motif que le requérant était titulaire d'un permis F.

 

7. M. F. a alors consulté le centre social protestant. Au terme d'un échange nourri de correspondance, l'office a refusé, par décision du 15 décembre 1999, de reconsidérer sa position en se fondant sur l'article 6 du règlement d'exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 24 août 1992 (RLGL - I 4 05.01).

 

8. a. Le 11 janvier 2000, M. F. a élevé réclamation contre la décision précitée de l'office.

 

b. L'office a maintenu sa position par décision sur réclamation du 15 février 2000.

 

9. Le 10 mars 2000, M. F., par la plume de son mandataire, a recouru au Tribunal administratif en concluant à la mise à néant de la décision litigieuse. Il a invoqué les motifs suivants :

 

a. La violation du principe de la séparation des

pouvoirs;

 

La décision litigieuse se fondait sur l'article 6 RLGL, adopté par le pouvoir exécutif; or cette disposition réglementaire allait au-delà d'une simple clause d'exécution. L'habilitation du Conseil d'Etat à édicter des clauses de substitution dépendait de la validité de la délégation législative. En l'espèce, la clause de délégation n'indiquait pas les grandes lignes que devait respecter le règlement et ne satisfaisait donc pas aux exigences posées par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

 

b. La violation de l'esprit de la loi;

Le but de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05) était de permettre aux personnes à revenus modestes d'accéder à des logements décents à prix abordables. En excluant du champ d'application de la loi les titulaires de permis F, souvent particulièrement défavorisés, l'article 6 alinéa 1 lettre b RLGL était contraire à l'esprit du législateur.

 

c. La violation du principe de l'égalité de

traitement dans la loi;

 

En ne mentionnant pas les bénéficiaires d'une admission provisoire, l'article 6 alinéa 1 lettre b RLGL opérait une distinction qui ne trouvait aucune justification dans les faits à réglementer. En effet, M. F. habitait en Suisse depuis juin 1988 et à Genève depuis 1992. Il se trouvait ainsi dans la même situation qu'un titulaire de permis B, pouvant, quant à lui, bénéficier des prestations de la LGL. Il n'y avait aucune justification, s'agissant de l'octroi de prestations sociales cantonales, de traiter différemment le titulaire d'un permis F de celui d'un permis B, dans la mesure où il remplissait toutes les autres conditions prévues par la loi. En effet, à l'instar du permis F, l'autorisation de séjour B devait être renouvelée chaque année.

 

d. La violation du principe de l'égalité de

traitement devant la loi;

 

Le recourant se trouvait dans la même situation qu'un titulaire de permis B, lequel pouvait bénéficier des prestations de la LGL. L'inégalité consacrée à l'article 6 alinéa 1 lettre b RLGL se répercutait donc sur la décision et créait une inégalité de traitement par rapport à d'autres bénéficiaires de ces prestations.

10. L'intimé a conclu au rejet du recours.

 

a. L'article 31C alinéa 2 LGL, qui donnait mandat au Conseil d'Etat d'édicter les dispositions d'exécution de ladite loi, constituait une base légale adéquate pour l'adoption des dispositions d'exécution qui figuraient dans le RLGL. L'article 6 RLGL ne procédait donc pas d'une violation de la séparation des pouvoirs.

 

b. La situation des titulaires de permis F n'était pas identique à celle des titulaires de permis B. Les premiers étaient autorisés à résider en Suisse de manière provisoire et pouvaient être renvoyés sans délai dans leur pays d'origine. Dans ce cas, il n'y avait aucune garantie pour le bailleur d'avoir un locataire susceptible de tenir ses engagements en matière de durée du bail.

 

11. Les parties ont été entendues en audience le 7 juin 2000. Leur comparution personnelle n'a pas permis de débloquer la situation, les deux parties restant campées sur leur position.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56a de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. De jurisprudence constante, le Tribunal administratif peut exercer par voie d'exception, à l'occasion d'un cas concret, le contrôle de la validité d'une disposition légale (ATA M. du 22 septembre 1998, R. du 3 juin 1997 et les références citées; R. ZIMMERMANN, L'évolution récente du contrôle préjudiciel de la constitutionnalité des lois en droit genevois, RDAF, 1988, pp. 1 ss). En conséquence, la juridiction de céans est compétente pour examiner si, dans le cas d'espèce, le Conseil d'Etat a outrepassé ses fonctions en édictant la disposition litigieuse du RLGL et si la décision prise en application de ce dernier doit être annulée.

 

3. a. L'article 130 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst. gen. - A 2 00) consacre expressément le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 70 Cst. gen.). L'autorité exécutive genevoise est chargée de l'exécution des lois et prend à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 116 Cst. gen.). Elle peut donc disposer intra legem et non pas praeter legem. A moins d'une délégation expresse, le Conseil d'Etat ne peut pas poser de nouvelles règles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations (ATF 114 Ia 288; ATA A.F. et J.D. du 14 octobre 1989; B. KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle 1991, nos. 322, 353; P. MOOR, Droit administratif, Berne 1991, nos. 3.3.3.1-3).

 

b. Les ordonnances législatives d'exécution sont le complément d'une loi au sens formel. Elles sont des règles obligatoires, unilatérales, générales et abstraites permettant d'exécuter une loi formelle qui n'est pas directement applicable. Elles ne peuvent énoncer que des règles secondaires (ATF 104 Ib 209 X.). Même en l'absence d'une loi formelle, le Conseil d'Etat est habilité, en vertu de l'article 116 Cst. gen., à adopter des règles d'exécution (B. KNAPP, op. cit. nos. 350 ss, P. MOOR, op cit. no. 3.3.3.2).

 

c. Les ordonnances législatives de substitution sont le substitut d'une loi au sens formel. Elles peuvent contenir des règles juridiques nouvelles ou règles primaires. L'exécutif qui les édicte ne tire pas sa compétence de la Constitution, mais d'un acte formel du législateur, qui se dessaisit de son pouvoir en faveur de l'exécutif. Cette délégation se fait sur la base d'une clause de délégation.

4. a. L'article 31C alinéa 2 LGL dispose que le Conseil d'Etat édicte les dispositions d'exécution de ladite loi. Se fondant sur cette disposition légale, le Conseil d'Etat a édicté, le 24 août 1992, le RLGL, dont l'article 6 précité.

 

b. L'article 6 alinéa 1 lettre b RLGL dispose que les personnes qui désirent bénéficier d'un logement subventionné doivent :

 

"être, en principe depuis deux ans au moins, titulaires d'une attestation pour Confédérés, d'une autorisation d'établissement ou d'un permis de séjour".

 

Cette disposition, édictée par le Conseil d'Etat sur la base de l'article 31C alinéa 2 LGL, dépasse le cadre d'une simple clause d'exécution. En définissant le cercle des bénéficiaires, elle crée des droits subjectifs par des règles primaires. En effet, les prestations de la LGL contribuent à la mise en oeuvre du droit au logement, garanti par l'article 10A Cst. gen.; elles sont parfois une condition indispensable pour pouvoir accéder à un logement décent et adéquat. S'agissant de la réalisation d'un droit constitutionnel, la détermination du cercle des bénéficiaires des prestations de logement constitue un élément essentiel. L'article 6 RLGL, définissant les critères qui créent le droit subjectif aux prestations, pose des exigences nouvelles par rapport à la LGL; il va au-delà de sa fonction de clause d'exécution. Cette disposition est donc une ordonnance législative de substitution.

 

c. Se référant à un arrêt rendu par le tribunal de céans (ATA M. 22 septembre 1998), l'intimé soutient que des dispositions d'exécution sont nécessaires pour préciser le contenu de la LGL, qui ne pose que des principes. Cependant, en l'occurrence, la disposition incriminée n'est pas une clause d'exécution, mais bien une clause de substitution qui affecte les droits des administrés.

 

5. a. Il faut encore examiner si l'ordonnance de substitution repose sur une clause de délégation valable.

 

La validité de la clause de délégation est subordonnée à quatre conditions cumulatives: une telle délégation ne doit pas être prohibée par le droit cantonal; elle doit figurer dans une loi au sens formel, soumise au référendum; elle doit se limiter à une matière déterminée; enfin, elle doit indiquer le contenu essentiel de la réglementation, c'est-à-dire son objet, son but et son étendue (B. KNAPP, op. cit. nos 318 ss, P. MOOR, op. cit. no. 3.3.3.3, AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, nos 1630 ss). Un règlement se fondant sur une délégation législative qui ne respecte pas ces conditions manque de base légale et viole de ce fait le principe de la séparation des pouvoirs.

 

b. Si, en l'espèce, la clause de délégation satisfait aux trois premières conditions, elle ne constitue pourtant pas une base légale suffisante pour restreindre le cercle des bénéficiaires aux prestations de la LGL. En effet, aucune indication au sujet de la durée de séjour et du statut requis ne figure dans la loi. Bien au contraire : les articles 30 et 30A LGL, en posant les conditions relatives aux locataires pour l'obtention des allocations, tiennent compte seulement des limites de revenu, et non de critères personnels. Dès lors, force est de constater que les conditions posées à la lettre b de l'article 6 RLGL ne trouvent aucun appui dans la loi elle-même et qu'en les introduisant dans son règlement, le Conseil d'Etat a violé le principe de la séparation des pouvoirs.

 

6. Dès lors, le recours sera admis et la décision attaquée annulée.

 

7. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant. Une indemnité de CHF 1'500.- sera allouée au recourant, à la charge de l'Etat de Genève.


 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 10 mars 2000 par Monsieur J. F. contre la décision de l'office cantonal du logement du 15 février 2000;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision du 15 décembre 1999 de l'office du logement social;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue une indemnité de CHF 1'500.- à M. J. F., à la charge de l'Etat de Genève;

 

communique le présent arrêt au centre social protestant, mandataire du recourant, ainsi qu'à l'office cantonal du logement.

 


Siégeants : M. Schucani, président, Mme Bonnefemme-Hurni, MM. Thélin, Paychère, juges, M. Peyrot, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci