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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2040/2011

ATA/535/2013 du 27.08.2013 sur JTAPI/92/2012 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : ; CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; PROTECTION DES MONUMENTS ; ZONE À PROTÉGER ; VOISIN ; EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION ; ESTHÉTIQUE
Normes : LCI.15; LCI.106
Parties : DEPARTEMENT DE L'URBANISME, BUREAU D'ARCHITECTURE JOSEPH ET STEPHANE PIERRE CERUTTI (SNC) / DEPARTEMENT DE L'URBANISME, BUREAU D'ARCHITECTURE JOSEPH ET STEPHANE PIERRE CERUTTI, BRIFFOD Nicolas, DE PRETER Michel, BRIFFOD Anna et Nicolas, DE KEERSMAECKER Marie-Dominique
Résumé : Autorisation de construire délivrée malgré un préavis défavorable de la commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS), modifiant un projet entré en force en 2008, pour lequel ladite commission avait préavisé favorablement. Recours des requérants rejeté au motif qu'aucun motif objectif ne permettait au département de valider la position exprimée par la CMNS dans la première procédure puis de ne pas en tenir compte dans la deuxième.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2040/2011-LCI ATA/535/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2013

1ère section

 

dans la cause

 

BUREAU D'ARCHITECTURE JOSEPH ET STÉPHANE PIERRE CERUTTI (SNC)
représenté par Me Didier De Montmollin, avocat

et

DÉPARTEMENT DE L'URBANISME

contre

 

Madame Anna et Monsieur Nicolas BRIFFOD
représentés par Me François Bellanger, avocat

et

Madame Marie-Dominique DE KEERSMAECKER

et

Monsieur Michel DE PRETER

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2012 (JTAPI/92/2012)


EN FAIT

AS Immo S.A., Monsieur Joseph Jacques Cerutti, de Comvest S.A., de Reanimmo S.A. et Monsieur Marc-Etienne Enrico Righi sont copropriétaires de la parcelle n° 8'030, sise au 82, chemin de Mancy, feuille 62 de la commune de Collonge-Bellerive.

Cette parcelle, sur laquelle sont édifiés une ancienne ferme datant de 1928 (bâtiment n° 322), ainsi qu'un hangar (ancienne grange) incluant des écuries (bâtiment n° 1'682), forme l'entrée du village de Collonge-Bellerive au sud, en arrivant par la route d'Hermance.

Elle jouxte au nord la parcelle n° 9'325, copropriété de Madame Anna et de Monsieur Nicolas Briffod, sur laquelle sont édifiés une maison d'habitation, ainsi que des dépendances, dont plusieurs murs sont mitoyens des constructions sises sur la parcelle n° 8'030.

La parcelle n° 9'326, voisine de la propriété des époux Briffod au nord, comporte une autre maison d'habitation dont Madame Marie-Dominique De Keersmaecker et Monsieur Michel De Preter sont copropiétaires. Elle est distante d'environ 50 mètre de la parcelle n° 8'030.

L'ensemble de ces parcelles est situé en zone 4B protégée avec, pour les parcelles n°s 9'325 et 8'030, un empiètement sur la zone agricole.

Le 19 décembre 2008, le département des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis lors le département de l'urbanisme (ci-après : le DU ou le département) a autorisé, sur la parcelle n° 8'030, la transformation et l'agrandissement de la ferme (bâtiment n° 322), ainsi que la prolongation d'un mur (DD 101'950-1).

Le même jour, il a autorisé la démolition du hangar et des écuries situés sur la même parcelle (bâtiment n° 1'682 ; M 6'019-1).

Ces deux autorisations sont actuellement en force.

Les autorisations précitées le 19 décembre 2008 prévoyaient la construction de logements à l'intérieur de la ferme - dont l'enveloppe extérieure était maintenue - et dans les bâtiments devant remplacer l'ancienne grange et les écuries.

Le préavis délivré par le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) le 3 novembre 2008 dans le cadre de ce projet était favorable.

Il soulignait les qualités patrimoniales importantes du site, préconisant l'usage de matériaux traditionnels adaptés aux caractéristiques des villages genevois (tuiles plates, crépis bâtard, chaux, ciment, charpente et solivage traditionnel, menuiserie en bois, etc.).

La commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS) s'est également prononcée sur ce projet à plusieurs reprises. Le 2 septembre 2008, elle a relevé que si le bâtiment d'habitation avait gardé son identité et son caractère architectural d'origine (construction datant de 1928), elle constatait, par contre, que la grange et les écuries avaient subi d'importantes transformations ayant entraîné la perte des qualités patrimoniales d'origine (charpente modifiée, poutre sectionnée, tirant supprimé, plancher déplacé, etc.). Au vu de ces éléments, elle ne s'opposait pas à la démolition du hangar, des écuries ainsi que d'un dépôt adjacent.

Le 23 février 2010, le bureau d'architecture Joseph et Stéphane Pierre Cerutti (ci-après : le requérant) a requis l'autorisation de construire sur la parcelle n° 8'030 un immeuble d'habitation comportant un garage souterrain, un rez-de-chaussée, un étage, des combles habitables, ainsi qu'une galerie destinée à accueillir des chambres et des sanitaires. Le rez-de-chaussée était affecté au commerce sur 120 m2 environ et le reste du bâtiment à du logement (autorisation DD 103'458).

L'implantation du nouveau bâtiment était modifiée et un passage était créé à l'aplomb de la façade mitoyenne de la propriété des époux Briffod.

La construction de ce bâtiment impliquant la démolition de l'ensemble des bâtiments existants, une autorisation de démolir a été également sollicitée (M 6376-1).

Ce projet devait remplacer celui de 2008, non réalisé par les requérants.

Dans le cadre de cette nouvelle procédure, de nombreux préavis ont été recueillis.

La direction générale de l'aménagement du territoire (ci-après : DGAT) s'est montrée favorable au projet, sous réserve qu'aucune construction n'empiète sur la zone agricole.

La commune a délivré un préavis favorable le 26 avril 2010 tout en regrettant que l'architecture du bâtiment ne soit pas plus en harmonie avec les immeubles de l'entrée du village.

a. Considérant que la requête précitée nécessitait une visite des bâtiments concernés dont la valeur avait été fixée 4 + et 5 dans le cadre du recensement architectural cantonal, la CMNS réservé son préavis dans l'attente de l'analyse de Madame Babina Chaillot Calame, historienne de l'art et membre de la commission, qui a souligné les éléments suivants :

« Cet ensemble de bâtiment est situé à l'entrée sud du village de Collonge-Bellerive, à l'est du carrefour de la route d'Hermance et au nord des chemins transversaux menant de la Pallanterie aux rives du lac (ch. de Mancy, de Blémant et du Port-de-Bellerive).

Son implantation, légèrement en retrait de la route principale et suivant un arc de cercle, préserve une perspective dégagée sur l'entrée du village et mène une vision intéressante sur le chemin de Blémant. Ce dispositif courbe est souligné par un mur en maçonnerie de moellons qui encercle une cour située à l'ouest des bâtiments.

(…) construits par étapes entre 1905 et 1948, (ceux-ci) témoignent de l'évolution de l'exploitation agricole : une première dépendance comprenant grange et écuries en 1905 auxquel est accolé un logement avec couvert et bûcher en 1928, un hangar en 1937 et diverses annexes en 1948 (sellerie, écurie pour chevaux, étable à porcs…).

La volumétrie des différents corps de bâtiments et leur typologie sont caractéristiques des constructions rurales de la région genevoise de la première moitié du XXe siècle.

Sans valeur intrinsèque exceptionnelle, ces bâtiments constituent un ensemble dont l'intérêt patrimonial réside essentiellement dans leurs qualités spatiale, volumétrique et historique caractéristiques de la campagne genevoise.

L'implantation à l'entrée du village signale le début du tissu villageois ancien tandis que l'emplacement en retrait de la route principale ménage un certain dégagement. Les différents corps de bâtiments s'imbriquant les uns dans les autres présentent des hauteurs de gabarits différenciées et des ouvertures variées, sous forme de cours et jardins. Les dépendances adossées au mur mitoyen nord et protégées par un autre mur qui encercle la cour à l'ouest relèvent d'un tracé ancien et sont des éléments qui font la qualité d'un village. Les différentes formes et fonctions des bâtiments témoignent de l'évolution de l'exploitation agricole au cours du XXe siècle.

Aujourd'hui désaffectés, les bâtiments et le hangar pourraient se prêter à une réhabilitation en logements pour autant que ceux-ci s'intègrent à l'implantation, aux volumes et aux gabarits existants, de manière à respecter le caractère villageois et le tissu ancien du site ainsi que le dégagement des vues. »

b. S'appuyant sur ce rapport et relevant que le nouveau projet n'apportait que peu de logements supplémentaires par rapport au projet initial, la CMNS s'est opposée à la démolition globale des bâtiments situés sur la parcelle n° 8'030. Elle préconisait de s'en tenir au projet de réhabilitation initial (préavis du 29 juin 2010 déposé dans le cadre de la procédure de démolition M 6'376).

c. Son préavis du même jour rendu dans le cadre de la procédure d'autorisation de construire DD 103'458 a la même teneur. Bien que la possibilité d'une densification ou d'un développement ultérieur en deuxième front des bâtiments n'était pas exclue, elle persistait à s'opposer à la démolition de l'intégralité des bâtiments existants.

Par lettre du 12 avril 2010 adressée au département, la société d'art public, devenue « Patrimoine Suisse », s'est également opposée au projet.

L'ancienne ferme se situait en zone protégée et faisait partie de manière significative du tissu villageois par sa position, sa volumétrie et son dessin modeste. Elle avait une substance patrimoniale certaine.

Plusieurs voisins se sont également opposés au projet lors de la procédure d'autorisation de construire, en contestant notamment son implantation (rupture avec l'alignement existant), ses qualités esthétiques (rupture avec le caractère villageois des constructions existantes), sa hauteur et son gabarit. Ils se montraient en revanche, globalement, favorables à la réalisation du projet initial.

Le 26 mai 2011, le département a délivré les autorisations de construire définitive et de démolir sollicitées (DD 103'458 et M 6376-1).

Ces autorisations ont été publiées dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 1er juin 2011.

Le 1er juillet 2011, les époux Briffod ont recouru contre ces deux autorisations auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant à leur annulation au motif, notamment, que le département aurait dû suivre ces préavis défavorables de la CMNS. D'autres arguments, liés à l'affectation du bâtiment, à l'application des règles sur les gabarits, au nombre d'étage et aux limites de propriétés étaient également soulevés.

Le même jour, Mme De Keersmaecker et M. De Preter ont également recouru après du TAPI contre les autorisations précitées. Ils concluaient à leur annulation pour les mêmes motifs.

Les deux procédures ont été jointes.

Les parties ont été entendues par le juge délégué du TAPI le 11 novembre 2011.

Le requérant a précisé à cette occasion que l'immeuble projeté s'inscrivait dans le cadre d'une demande de renseignements visant la construction de trois immeubles sur ladite parcelle ainsi que sur les parcelles voisines. Selon les époux Briffod, cette demande avait été refusée par le département le 3 mai 2011, ce que ni le département ni le requérant n'ont alors contesté.

Après avoir joint les causes, le TAPI a admis les recours par jugement du 30 janvier 2012.

Les préavis de la CMNS devaient être obligatoirement requis en application des art. 15 et 106 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Le département s'était écarté de ceux rendus par la CMNS en 2010 sans en expliquer les raisons, alors même qu'il avait suivi la position de cette dernière dans les procédures de 2008. Ce faisant, il avait excédé son pouvoir d'appréciation.

Cet élément ayant justifié l'admission du recours, les autres griefs soulevés par les recourants n'ont pas été examinés.

Le 7 mars 2012, le requérant a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement en concluant à son annulation, en sollicitant le rétablissement des autorisations délivrées en 2011, ainsi que l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le préavis de la CMNS n'avait qu'un caractère consultatif ; le département pouvait donc s'en écarter, ainsi qu'il résultait de la lecture des art. 3 al. 3, 15 al. 2 et 106 LCI, 47 al. 1 et 48 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), ainsi que de l'art. 5 al. 1 de son règlement d'application (règlement d’exécution de LPMNS du 29 novembre 1976 – RPMNS - L 4 05.01).

Dans son préavis du 29 juin 2010, la CMNS avait en outre elle-même reconnu que les bâtiments concernés étaient sans «valeur intrinsèque exceptionnelle ». En effet, la maison d'habitation était insalubre et inoccupée. Elle n'avait aucun intérêt culturel ou esthétique. La démolition des deux tiers de l'ensemble avait d'ailleurs été autorisée en 2008 (hangar et écuries).

La pénurie de logement constituait un intérêt public prépondérant devant primer la protection de ces bâtiments de moindre valeur architecturale.

Le motif invoqué ne pouvait à lui seul justifier l'annulation des autorisations de construire et de démolir précitées. En n’entrant pas en matière sur les autres arguments développés par les voisins, le TAPI avait reconnu leur conformité aux règles sur l'aménagement du territoire et aux normes de construction.

Le département a également recouru contre ce jugement le 7 mars 2012 en prenant les mêmes conclusions et en développant les mêmes arguments.

Comme la CMNS, le département comportait des spécialistes dans le domaine de l'architecture. Il s'était écarté des préavis de la CMNS en raison des contradictions qu'ils contenaient. En effet, cette commission s'était déclarée favorable à la démolition de la grange et des écuries en 2008 tout en considérant que la valeur patrimoniale de l'ensemble rural considéré résidait dans la relation des bâtiments entre eux. Elle avait ainsi implicitement reconnu que la valeur patrimoniale du site ne primait pas sur les intérêts privés et publics en cause. Par ailleurs, en soutenant dans son préavis de 2010 que ces bâtiments, sans valeur intrinsèque exceptionnelle, constituaient un ensemble dont l'intérêt patrimonial résidait essentiellement dans leurs qualités spaciale, volumétrique et historique, caractéristiques de la campagne genevoise, elle avait affiché un manque de conviction évident quant à la valeur patrimoniale de cet ensemble.

En s'écartant du préavis négatif de cette commission, mais en suivant le préavis favorable de la commune et des autres services consultés, le département n'avait pas excédé son pouvoir d'appréciation, dans le contexte de la pénurie de logements qui sévissait actuellement dans le canton de Genève.

Le TAPI a déposé son dossier le 9 mars 2012.

Le 2 mai 2012, les époux Briffod ont répondu au recours en concluant à son rejet.

Ils sollicitaient préalablement l'audition de Mme Chaillot Calame.

Sur le fond, le jugement attaqué était exempt de reproche. Les préavis de la CMNS étaient très détaillés et argumentés. Ils ne comportaient aucune contradiction avec ceux délivrés en 2008 lors de la première procédure d'autorisation de construire et de démolir. La position constante de cette commission était de promouvoir un développement modéré du site dans le sens proposé initialement. Le département ne pouvait s'écarter sans motif objectif des préavis rendus par la CMNS.

Le 18 mai 2012, Mme De Keersmaecker et M. De Preter ont déposé leurs observations en prenant les mêmes conclusions que les précités.

Les bâtiments concernés se situaient en zone de village protégé. Ce statut comportait des exigences liées à l'intégration du projet dans le tissu bâti. Or, la construction projetée était inesthétique. Elle n'avait aucun style villageois et ne s'alignait pas de manière cohérente avec l'ensemble des bâtiments existants. L'intérêt public à la construction de logements était préservé par l'autorisation de 2008, le nouveau projet ne prévoyant que peu de logements supplémentaires par rapport au projet initial.

Le juge délégué a convoqué les parties à un transport sur place le 15 octobre 2012.

a. Selon l'architecte en charge du projet, l'autorisation de construire délivrée en 2008 prévoyait la reconstruction presqu’à l'identique du hangar, la rénovation de l'habitation et la reconstruction des écuries qui se trouvaient derrière, dans un style contemporain et nouveau. Dans le nouveau projet, il s'agissait de démolir l'ensemble des bâtiments existants pour en reconstruire un seul, non pas mitoyen du mur des époux Briffod, mais plus au centre de la parcelle, en ménageant un passage entre leur habitation et l'immeuble à construire.

b. M. Briffod a informé les parties qu'un projet de plan directeur communal (ci-après : projet de PDCom) prévoyant la protection des bâtiments existants était en consultation. Selon ce document, l'ensemble rural considéré devait garder son caractère villageois et conserver son aspect.

c. Les parties se sont accordées sur le fait que la partie intérieure du bâtiment habitable était dans un état de délabrement avancé et qu'elle ne présentait pas de valeur patrimoniale particulière.

Le 19 décembre 2012, le département a indiqué n'avoir pas d'observations complémentaires à formuler.

Le 21 décembre 2012, le requérant a persisté dans ses conclusions.

Les prises de position de la CMNS à deux années d'intervalles, concernant la même parcelle, étaient incohérentes.

Le jugement attaqué consacrait un véritable droit de véto en faveur de la CMNS qui était contraire à la loi.

Lors du transport sur place, les voisins avaient admis l'absence de valeur patrimoniale de la maison d'habitation dont la démolition était demandée. Dès lors, rien ne justifiait le maintien de ce bâtiment. La construction prévue s'intégrait parfaitement dans l'environnement architectural existant et ne dénaturait pas le paysage. Les percées de verdure étaient d'ailleurs plus généreuse qu'actuellement.

Le PDCom n'était encore qu'un projet. Il n'avait pas été adopté. Il était en outre postérieur aux autorisations querellées. La protection souhaitée concernait principalement la préservation des écrins de verdure autour du village et la limitation des constructions créant des obstacles dans les parties visuelles (point 37 du projet de PDCom). Le bâtiment projeté préservait le patrimoine sous ces deux aspects. A son point 40, le PDCom préconisait la réalisation de logements respectant la structure villageoise, ce qui était le cas en l'espèce.

L'état de délabrement des constructions existantes rendait illusoire leur inscription à l'inventaire.

Le même jour, les époux Briffod ont persisté dans la demande d'audition de Mme Chaillot Calame. Ils n'étaient pas opposés au principe de la réhabilitation desdits bâtiments, ainsi qu'en avait témoigné leur absence d'opposition au projet de 2008. Ce dernier respectait beaucoup mieux le tissu bâti et l'image de l'ensemble rural en cause. L'avis de la CMNS devait être suivi sur ce point.

Mme De  Keersmaecker et M. De Preter ne se sont pas déterminés bien qu'ils y aient été invités.

Le 4 janvier 2013, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La demande d'audition de Mme Chaillot Calame, formée par les époux Briffod sera rejetée, la position de cette historienne ayant été exposée en détail dans les préavis de la CMNS versés à la procédure.

3. Selon l'art. 106 al. 1er LCI, dans les villages protégés, le département, sur préavis de la commune et de la CMNS fixe dans chaque cas particulier l’implantation, le gabarit, le volume et le style des constructions à édifier, de manière à sauvegarder le caractère architectural et l’échelle de ces agglomérations ainsi que le site environnant.

En l'espèce, la parcelle litigieuse est incluse dans une zone protégée, soit au sein d'un périmètre délimité à l’intérieur d’une zone à bâtir ordinaire ou de développement, qui a pour but la protection de l’aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés (art. 12 al. 5 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 -LaLAT - L 1 30).

Le préavis de la CMNS devait ainsi obligatoirement être requis.

4. Cette obligation légale consacre la volonté du législateur de confier à une commission, composée de spécialistes extérieurs au département et éloignés des pressions politiques, la mission de protéger le patrimoine dans de telles zones (art. 1 et 46 LPMNS ; MGC 2005-2006/V A 3505).

5. Bien qu'il doive être obligatoirement requis, le préavis de la CMNS n'a qu'un caractère consultatif (art. 47 LMPNS et 3 al. 3 LCI) ; l’autorité reste libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur (ATA/51/2013 du 21 janvier 2013 ; ATA/719/2011 du 22 novembre 2011 et les références citées). Lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/304/2013 du 14 mai 2013 ; ATA/417/2009 du 25 août 2009 ; ATA/902/2004 du 16 novembre 2004 ; ATA/560/2004 du 22 juin 2004 ; ATA/253/1997 du 22 avril 1997).

Dans un tel cas en effet, le préavis de la commission a un poids certain, notamment dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours, dont le pouvoir d'examen est limité à l'excès ou à l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/126/2013 du 26 février 2013 et arrêts cités).

6. En l'espèce, les recourants s'appuient sur le caractère consultatif des préavis de la CMNS pour solliciter le rétablissement des autorisations querellées. Ils relèvent l'existence de contradictions dans la position de cette commission, ainsi que la présence d'un intérêt public prépondérant - représenté par le besoin impérieux de logements en cette période de pénurie - qui permettraient au département de s'écarter desdits préavis.

Ces arguments ne sont pas convaincants. En effet, c'est en vain que l'on cherchera une quelconque contradiction dans les positions de la CMNS de 2008 et de 2010-2011. Au sein des deux procédures, elle s'est montrée favorable à un développement impliquant la création de logements. Elle n'a pas émis d'objection sur le principe de la démolition du hangar et des écuries. Dans les deux projets, elle a réfuté l'idée de la démolition de la ferme, soulignant l'importance de conserver l'enveloppe et le caractère villageois de celle-ci. Elle n'a pas contesté que l'intérieur de ce bâtiment était sans intérêt architectural, raison pour laquelle elle était favorable à sa complète réhabilitation depuis 2008. Elle a cependant insisté sur les qualités spatiale et volumétrique des bâtiments concernés, caractéristiques des constructions rurales de la région genevoise de la première moitié du XXème siècle, que la réfection autorisée en 2008 respectait mieux que le nouveau projet.

Cet avis est partagé par les auteurs du projet de PDCom, ainsi que par la SAP, qui proposent également la sauvegarde intégrale de l'ancienne ferme.

La position de la CMNS s'appuie par ailleurs sur une visite des lieux et une analyse détaillée et documentée, concluant à une protection spatiale et volumétrique pour les raisons exposées ci-dessus.

La commune s'est certes montrée favorable, tout en regrettant cependant que l'architecture du bâtiment ne soit pas plus en harmonie avec les bâtiments de l'entrée du village, ce qui n'est pas sans portée et confirme les difficultés d'intégration du bâtiment projeté dans la vision partagée des autorités concernées par la protection de cette zone.

Enfin, l'existence d'un intérêt prépondérant n'a pas été démontrée ; les recourants n'ont pas allégué, en particulier, que le nouveau projet apporterait un nombre significatif de logements supplémentaires par rapport au premier projet, qui permettrait d'admettre la prépondérance de cet intérêt public sur les intérêts justifiant la protection du bâtiment en cause.

Dépourvu de motifs pertinents, le département ne pouvait s'écarter des préavis documentés de la CMNS.

Les recours seront dès lors rejetés.

7. Le département étant exempté des frais de procédure, le requérant sera seul condamné au versement d'un émolument de CHF 1'000.-. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée aux époux Briffod, pris conjointement, à la charge du requérant pour CHF 750.- et de l'Etat de Genève pour CHF 750.-. Aucune indemnité ne sera allouée à Mme De Keersmaecker et à M. De Preter, qui n'ont pas mandaté d’avocat et n'ont pas allégué avoir encouru des frais pour leur défense (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 7 mars 2012 par le bureau d'architecture Joseph et Stéphane Pierre Cerutti, d'une part, et par le département de l'urbanisme, d'autre part, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2012 ;

au fond :

les rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge du bureau d'architecture Joseph et Stéphane Pierre Cerutti SNC ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à Madame Anna et Monsieur Nicolas Briffod, pris conjointement et solidairement, à la charge pour moitié du bureau d'architecture Joseph et Stéphane Pierre Cerutti SNC et de l'Etat de Genève;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure à Madame Marie-Dominique De Keersmaecker et à Monsieur Michel De Preter ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Didier de Montmollin, avocat du bureau d'architecture Joseph et Stéphane Pierre Cerutti SNC, à Me François Bellanger, avocat de Madame Anna et de Monsieur Nicolas Briffod, à Madame Marie-Dominique De Keersmaecker et à Monsieur Michel De Preter, au département de l'urbanisme, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :