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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2542/2004

ATA/505/2005 du 19.07.2005 ( JPT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2542/2004-JPT ATA/505/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 19 juillet 2005

2ème section

dans la cause

 

Monsieur B.__________
représenté par Me Jacopo Rivara, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ


 


1. Monsieur B.__________, ressortissant suisse né en 1935, est chauffeur de taxi. Il exploite, depuis 1992, un service de taxis avec permis de stationnement.

2. Le 5 mai 2004, Monsieur L.__________, dessinateur de cuisines, a déposé plainte contre M. B.__________. Ce matin-là, alors qu’il avait entamé une manœuvre pour quitter la place où il avait stationné son véhicule à la rue Plantamour, M. B.__________ était arrivé à toute allure au volant de son taxi. Il s’était arrêté à sa hauteur, était sorti de son véhicule, l’avait menacé avec une paire de ciseaux qu’il tenait dans sa main droite et l’avait finalement frappé d’un coup de poing au visage avant de quitter les lieux.

Le jour-même, M. B.__________ a été entendu par la police. Il a exposé que, circulant à la rue Plantamour, il avait remarqué un véhicule qui quittait une place de stationnement sans égard pour les autres usagers de la route. Il avait dû freiner brusquement et avait alors ouvert sa portière. M. L.__________ était venu vers lui en insistant sur le fait qu’il avait la priorité. Son attitude avait été menaçante. Une discussion avait eu lieu au sujet du droit de priorité, puis M. L.__________ était reparti. M. B.__________ a contesté avoir frappé l’autre chauffeur. Il avait dans sa main droite un natel ainsi qu’un trousseau de clés.

M. L.__________ a produit un constat médical établi par la Dresse Rossier des hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Cette praticienne avait constaté une douleur à la palpation de la musculature para cervicale droite et de la région sous-mentonnière, avec un léger érythème et une dermabrasion pouvant correspondre à un début d’hématome. Le patient était choqué et anxieux. Aucune autre lésion n’a été mise en évidence lors de l’examen.

3. a. Nanti du rapport de police, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le département) a invité M. B.__________ à se déterminer. Ce dernier avait manifestement manqué à son devoir général de courtoisie envers les autres usagers de la route.

b. Par ordonnance de condamnation du 8 juin 2004, le Procureur général a condamné M. B.__________ à une amende de CHF 300.- pour lésions corporelles simples de peu de gravité et menaces.

c. Par courrier du 27 octobre 2004, M. B.__________ a indiqué qu’il avait formé opposition à l’ordonnance de condamnation précitée. L’affaire était convoquée devant le Tribunal de police.

4. Le 15 novembre 2004, le département a infligé à M. B.__________ une amende de CHF 300.-. Ses contestations étaient manifestement contredites par le rapport de police.

5. Le 15 décembre 2004, M. B.__________ a saisi le Tribunal administratif d’un recours concluant préalablement à ce que l’instruction soit suspendue jusqu’à droit jugé au pénal.

Il a relevé que s’il était acquitté devant le Tribunal de police, aucune amende administrative ne pourrait lui être infligée et, dans l’hypothèse où il serait condamné, le principe « ne bis in idem » s’opposerait à ce qu’une telle amende lui soit infligée pour le même motif.

6. Le 31 janvier 2005, le département s’est opposé au recours. Il ressortait du rapport dressé suite à la plainte de M. L.__________ que M. B.__________ avait manifestement contrevenu à son devoir général de courtoisie. Le principe « ne bis in idem » ne s’opposait pas à ce qu’une personne soit poursuivie, d’une part pour lésions corporelles simples et, d’autre part, pour violation du devoir de courtoisie.

7. Il ressort du dossier que M. B.__________ a deux antécédents en matière de discipline des taxis :

- une mise en garde lui avait été adressée suite à une altercation le 27 septembre 1989 ;

- une amende administrative de CHF 100.- lui avait été infligée le 22 août 2001 pour avoir parqué son véhicule sur une station sans être resté à proximité immédiate.

8. Le 11 avril 2005, M. B.__________ a versé à la procédure le jugement du 15 mars 2005 du Tribunal de police. Il avait été acquitté du chef de menaces, reconnu coupable de voies de faits et condamné à CHF 200.- d’amende. Le tribunal avait de plus transmis au Parquet le rapport de contravention, afin qu’une amende soit infligée à M. L.__________ pour entrave aux usagers de la route dans le cadre d’un démarrage.

M. B.__________ a souligné que, lors de cette audience, M. L.__________ s’était comporté de manière extrêmement arrogante et méprisante.

9. Le 14 avril 2005, le département a maintenu sa décision.

10. Interpellé par le tribunal, le Parquet de Monsieur le Procureur général a indiqué, le 1er juillet 2005, que la contravention établie à l’encontre de M. L.__________ n’avait pas été contestée.

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2 La nouvelle loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (Ltaxis – H 1 30) est entrée en vigueur le 15 mai 2005. Selon l’article 61 de ce texte, les dispositions des articles 28 à 31 de la loi su le service des taxis du 26 mars 1999 (aLTaxis) restent applicables aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi.

3. a. L’aLTaxis a pour but d’assurer un exercice de cette profession et une exploitation des taxis conforme aux exigences de la sécurité et de la moralité publiques et de la loyauté des transactions commerciales.

b. Les articles 21 et 22 aLTaxis énumèrent les obligations des chauffeurs et des exploitants, tout en déléguant au Conseil d’Etat le pouvoir de fixer les règles de comportement et les autres obligations des chauffeurs (art. 21 al. 6 aLTaxis).

c. Selon l’article 45 alinéa premier du règlement d'exécution de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 4 mai 2005 (Rtaxis – H 30.01), qui reprend la substance des articles 26 alinéa 1 du règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (aRTaxis ), les chauffeurs de taxis sont tenus par un devoir général de courtoisie, notamment à l’égard des agents des services de police. Ce devoir de courtoisie interdit notamment aux personnes concernées de se répandre en propos discourtois, voire grossiers. Il s’agit d’une obligation légale, dont la jurisprudence a confirmé la validité (ATA/680/2004 du 24 août 2004 et les références citées).

4. En cas de violation de la aLTaxis ou de son règlement d'exécution, le département peut prononcer la suspension de la carte professionnelle pour une durée de dix jours à six mois ou encore le retrait de la carte professionnelle (art. 29 al. 1 aLTaxis). Indépendamment du prononcé des sanctions précitées, le département peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 20'000.- à toute personne ayant enfreint la loi ou le règlement (art. 31 al. 1 aLTaxis). L'administration jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende (ATA/259/2001 du 24 avril 2001 ; ATA/131/1997 du 18 février 1997 ; G. du 20 septembre 1994 et les arrêts cités) et la juridiction de céans ne le censure qu'en cas d'excès.

a. Les amendes administratives sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer de manière claire des amendes du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui peuvent également être infligées par une autorité administrative en première instance (ATA/756/2004 du 28 septembre 2004 ; ATA/705/2003 du 23 septembre 2003 ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. II, Les actes administratifs et leur contrôle, 2ème édition, 2002, p. 141 n. 1.4.5. ; P. NOLL/S. TRECHSEL, Schweizerisches Strafrecht : allgemeine Voraussetzungen der Strafbarkeit, AT I, 5ème édition, 1998, p. 40 ; C.-A. JUNOD, Infractions administratives et amendes d'ordre in Semaine judiciaire 1979 165 (169-171).

S'agissant de fixer la quotité de la peine, il y a lieu de faire application des principes généraux régissant le droit pénal (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.531/2002 du 27 mars 2003, publié in RDAF 2004 I 75, confirmant sur ce point un ATA/468/2002 du 27 août 2002 ; ATA/168/2004 du 25 février 2004 ; ATA/123/1997 du 18 février 1997). Ainsi, en vertu de l'article 1 alinéa 2 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1981 (LPG – E 3 1), les dispositions générales du Code pénal sont applicables aux infractions punies par le droit pénal réservé au canton, pour autant qu'il n'y est pas dérogé par la LPG. L'article 24 LPG déclare inapplicable aux contraventions prévues par les lois pénales du canton les articles 13, 14, 15, 48, 49, 50, 57 et 103 CP. L'article 63 CP dispose que la peine doit être fixée d'après la culpabilité du délinquant, en tenant compte des mobiles, des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier.

b. La punissabilité du contrevenant exige que celui-ci ait commis une faute (Arrêt 1P.531/2002 précité ; ATF 101 Ib 33 consid. 3 ; ATA/168/2004 du 25 février 2004 ; P. MOOR, op. cit., n. 1.4.5.), fût-ce sous la forme d'une simple négligence. La sanction doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/168/2004 du 25 février 2004 ; ATA/443/1997 du 5 août 1997). Matériellement, malgré l'aspect de répression individuelle qu'une mesure peut prendre, l'administration doit non seulement veiller au respect du droit par ceux qui en tirent avantage, mais aussi particulièrement lorsque la violation est grave, manifester sa vigilance par la sévérité de la sanction qu'elle prononce. (ATF 111 Ib 213 ; 103 Ib 126 ; 100 1a 36 ; P. MOOR, op. cit., p. 118 n. 1.4.3.1.). Quand bien même le principe de la proportionnalité doit être respecté et l'amende administrative mesurée d'après les circonstances du cas, la sévérité s'impose pour détourner le contrevenant et stimuler le respect de la loi dans l'intérêt de la collectivité (ATF 100 1a 36).

5. En l’espèce, le Tribunal administratif constate qu’il est établi, en particulier par la contravention qui lui a été infligée, que M. L.__________ avait commis, à l’origine, une faute de la circulation. Il ressort de plus du jugement du Tribunal de police que c’est M. L.__________ qui, après cette erreur, est sorti de son véhicule et s’est approché de celui du recourant. Cette même autorité précise, dans son jugement, que le recourant avait quelque raison d’être en colère, compte tenu du comportement de M. L.__________.

En ce qui concerne les antécédents du recourant, il y a lieu de tenir compte du temps écoulé depuis la simple mise en garde qui lui avait été adressée le 27 septembre 1989 et l’amende de CHF 100.-, infligée en 2001, pour des faits totalement différents de ceux qui font l’objet de la présente procédure.

Dans ces circonstances, le Tribunal administratif considérera qu’il y a lieu de renoncer à toute sanction.

6. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision litigieuse sera annulée. Une indemnité de procédure, de CHF 1'000.-, lui sera allouée, à la charge de l’Etat de Genève. Un émolument, en CHF 300.-, sera mis à la charge de ce dernier.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 décembre 2004 par Monsieur B.__________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 15 novembre 2004 lui infligeant une amende de CHF 300.- ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du département de justice, police et sécurité du 15 novembre 2004 ;

met à la charge de l’Etat de Genève un émolument de CHF 300.- ;

alloue au recourant une indemnité de procédure en CHF 1'000.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Jacopo Rivara, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, MM. Paychère, Thélin, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :