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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1197/2012

ATA/451/2012 du 30.07.2012 ( DELIB ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.09.2012, rendu le 15.02.2013, REJETE, 1C_466/2012
Parties : RAPPAZ Henry / GRAND CONSEIL, BUREAU DU GRAND CONSEIL
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1197/2012-DELIB ATA/451/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 juillet 2012

 

 

dans la cause

 

Monsieur Henry RAPPAZ
représenté par Me Mauro Poggia, avocat

contre

GRAND CONSEIL

et

BUREAU DU GRAND CONSEIL

 



EN FAIT

1. Depuis 2005, Monsieur Henry Rappaz est député au Grand Conseil genevois, où il est notamment, par tirage au sort et pour l'année 2011-2012, membre de la commission de grâce.

2. Le 11 décembre 2006, suite à la réception d'un courrier privé adressé par une caisse d'assurance maladie à M. Rappaz en tant que député, la direction du service du Grand Conseil (ci-après : SGC), devenu depuis le secrétariat général du Grand Conseil, lui a adressé un courrier l'invitant notamment à « utiliser une signature de messagerie particulière pour [ses] messages privés afin d'éviter tout malentendu ».

3. Le 9 juillet 2007, la direction du SGC a derechef remercié M. Rappaz, « comme indiqué à plusieurs reprises », de ne pas donner l'adresse du Grand Conseil pour l'adressage de factures ne concernant pas le Parlement.

4. Le 5 décembre 2008, le Grand Conseil a discuté en séance plénière la motion M 1854, M. Rappaz s'exprimant en tant que rapporteur de minorité.

En fin de séance, le président du Grand Conseil a exclu de la séance M. Rappaz, Monsieur Eric Stauffer et Monsieur Roger Golay, ceux-ci ayant refusé de présenter des excuses suite aux propos tenus par les deux premiers cités, jugés offensants à l'égard de plusieurs collègues députés et d'un conseiller d'Etat.

5. Le 16 février 2009, la Cour correctionnelle de Genève a, dans le cadre de la procédure pénale P/4878/2001, condamné M. Ebner à une peine privative de liberté de trois ans, avec sursis partiel de dix-huit mois et délai d’épreuve de cinq ans, pour abus de confiance, faux dans les titres, escroquerie, infractions à la législation sur l'assurance-vieillesse et survivants, violation d’une obligation d’entretien et fraude dans la saisie (ACC/19/2009). Ce jugement a été confirmé le 18 décembre 2009 par arrêt de la Cour de cassation genevoise (ACAS/111/2009), et est entré en force à l'expiration du délai de recours au Tribunal fédéral. Les faits reprochés étaient antérieurs à l'année 2004.

6. Le 5 octobre 2009, M. Rappaz a signé un « contrat de prêt à usage de matériel informatique » avec l'Etat de Genève, soit pour lui le secrétariat général du Grand Conseil.

Sous point 5.1 intitulé « responsabilité », il était notamment indiqué que « dans le cadre d'une utilisation des ressources informatiques et des moyens de télécommunication, toute mesure utile doit être prise pour éviter un risque de confusion entre l'utilisation liée au mandat électif et l'utilisation privée tolérée ».

7. Le 8 décembre 2011, M. Ebner a déposé une demande de grâce auprès du Grand Conseil, afin d'obtenir un report de son entrée en détention suite au dépôt d'une demande de révision.

8. Le 26 janvier 2012, le Grand Conseil a rejeté la demande de grâce précitée, le préavis de la commission de grâce - soit le rejet de la demande - étant adopté par 64 « oui » et 1 abstention.

9. Le 30 janvier 2012 à 13h39, M. Rappaz a envoyé à M. Ebner, depuis son compte de messagerie électronique de député, un courriel dont la teneur est la suivante :

« Les cents [sic] députés de la Commission de Grâce ont tranché et le juge d'instruction Tappolet également. Le père de Victor [NDR : nom du personnage d'animation des cours de langue ayant conféré à M. Ebner sa notoriété] va enfin pouvoir troquer son costume trois pièces contre des salopettes et des bottes pour un voyage bien mérité dans les geôles de Bellechasse ou de la Plaine de l'Orbe où les grandes porcheries avec ses [sic] centaines de porcs attendent les bons services de ses prisonniers. Un rappel non négligeable au Sieur Christian Ebner pour ce long voyage bien mérité de plusieurs années dans l'au-delà de notre bonne société et pour saluer et souligner l'excellent travail de la Justice Genevoise.

La trahison d'amis est un crime odieux, sans aucun remord [sic] vous n'avez pas hésité à le commettre en prenant pour victime le malheureux responsable de la fiduciaire : Max Guntern et le soussigné, y compris toutes les malheureuses proies que vous avez escroqué [sic] par métier.

La justice a tranché. Reste votre épouse contre laquelle nous allons très prochainement nous retourner ; qu'elle en soit rassurée également.

Moralité : Vous aviez tout pour réussir une vie agréable professionnelle et familiale, artistique même, entouré d'amis sincères, mais vous avez préféré choisir de pratiquer le crime le plus odieux : celui de les voler et de les trahir. Finalement, l'adage qui vous sied à merveille dit que la vengeance est un plat qui se mange froid… surtout dans votre cellule!

HONTE A VOUS ET A CELLE QUI VOUS ACCOMPAGNE DANS VOTRE TRISTE FIN DE VIE! ».

10. Le 21 février 2012, l'avocat de M. Ebner s'est adressé au Grand Conseil en dénonçant la teneur des propos de M. Rappaz et l'utilisation par ce dernier de son compte de messagerie électronique en tant que député, en reprenant le message précité in extenso.

Cette correspondance a été enregistrée sous numéro d'objet parlementaire C 3034. Elle a été lue publiquement lors de la séance du Grand Conseil du 23 février 2012, un député appuyé par vingt de ses collègues l'ayant formellement demandé.

11. Le 24 février 2012, le Bureau du Grand Conseil (ci-après : le bureau) a procédé à l’audition de M. Rappaz. Aucun procès-verbal n'a été tenu.

12. Le même jour, le bureau a pris la décision - dans une composition qui ne ressort pas de celle-ci - d’exclure pour une durée de quatre mois M. Rappaz des commissions dont il est membre, cette décision étant déclarée exécutoire nonobstant une opposition susceptible d’être déposée dans les trente jours auprès du Grand Conseil, en application de l’art. 32B al. 2 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 (LRGC - B 1 01).

13. Le 13 mars 2012, M. Rappaz a écrit au président du Grand Conseil, contestant - en des termes virulents - la décision précitée, ainsi que la lecture en séance publique de la correspondance C 3034.

Une erreur dérisoire était à l'origine de cette dernière, à savoir « une bévue de choix d'adressage ». La sanction ne devait pas aller au-delà d'un blâme.

14. Le 22 mars 2012, le Grand Conseil, statuant à huis clos et sans débats, a entendu Monsieur Antoine Barde, membre du bureau, ainsi que M. Rappaz. Il a décidé de confirmer l’exclusion exécutoire nonobstant recours de M. Rappaz des commissions dont il était membre pour une durée de quatre mois.

Un tirage écrit de cette décision, daté du même jour et indiquant qu'elle était susceptible d’un recours dans les trente jours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), a été envoyé à M. Rappaz.

15. Par acte posté le 25 avril 2012, M. Rappaz a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif et à l’annulation des décisions prises respectivement le 24 février 2012 par le bureau et le 22 mars 2012 par le Grand Conseil, et principalement à ce qu’aucune sanction ne lui soit infligée pour le courriel envoyé le 30 janvier 2012 depuis la messagerie électronique du Grand Conseil, subsidiairement au prononcé d’un blâme.

Une sanction ne pouvait être prononcée que lorsqu'un député enfreignait la LRGC, ne se conformait pas à une injonction du bureau ou violait son secret de fonction ; or il n'avait pas enfreint la LRGC. Le seul reproche qui pouvait lui être adressé était de ne pas s'être assuré que le message était envoyé depuis sa messagerie privée, ce qui était d'une « remarquable banalité » et ne méritait en aucun cas une sanction se situant presque au maximum prévu par la LRGC. La lecture publique de la correspondance C 3034 était en outre de nature à porter atteinte tant à l'honneur de M. Rappaz qu'à celui de M. Ebner.

16. Le 8 mai 2012, le Grand Conseil a conclu au refus de restituer l'effet suspensif au recours.

17. Par décision du 9 mai 2012, la chambre administrative a admis la demande de restitution de l'effet suspensif au recours.

18. Le 30 mai 2012, le Grand Conseil a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

M. Rappaz avait déjà été rappelé à l'ordre quant à l'usage de sa messagerie et de son adresse de député en 2006 et 2007. En décembre 2008, il avait en outre été exclu d'une séance plénière par le président du Grand Conseil, sanction qui était exceptionnelle.

Lors de l'examen de la demande de grâce présentée par M. Ebner, que ce soit lors de la séance de la commission de grâce ou la plénière, M. Rappaz ne s'était pas spontanément récusé ; c'était dans les deux cas un collaborateur du secrétariat général du Grand Conseil, Monsieur Jean-Luc Constant, qui l'avait rappelé à ses devoirs.

La lecture publique de la correspondance C 3034 avait été demandée par vingt députés. Il s'agissait d'une procédure usuelle.

Le recours contre la décision du bureau était irrecevable, celle-ci ayant été annulée de par la décision sur opposition prise en séance plénière par le Grand Conseil. Le recours était également irrecevable concernant cette seconde décision, s'agissant d'une décision revêtant un caractère politique prépondérant.

Le comportement de M. Rappaz contrevenait aux art. 25 - dans la mesure où les députés prêtaient le serment de respecter les lois - et 26A LRGC. Le courriel avait été envoyé par ses soins en tant que député depuis sa messagerie officielle. Il ne pouvait pourtant ignorer la nécessité de prêter une attention particulière à la délimitation entre sphère privée et sphère officielle au vu des rappels à l'ordre qui lui avaient été faits déjà en 2006 et 2007.

De plus, le contenu du message était virulent, et contenait des menaces non voilées notamment vis-à-vis de l'épouse de M. Ebner. Le texte faisait une référence expresse à la commission de grâce, dont faisait partie l'intéressé. L'envoi de ce message au moyen du compte de messagerie officiel était une faute grave et très certainement intentionnelle, ou à tout le moins constitutive d'une négligence crasse. L'envoi du message litigieux discréditait en outre l'institution parlementaire, en donnant l'image « d'un Grand Conseil haineux qui défend un intérêt particulier plutôt que l'intérêt de la collectivité ». La sanction prononcée visait à rétablir l'image du Grand Conseil auprès de la population et poursuivait ainsi un intérêt public. Elle était également proportionnée à la gravité de l'acte reproché, dont l'intéressé tentait de minimiser la portée. Il était en effet inacceptable de se prévaloir de sa fonction de député pour menacer une personne faisant l'objet de poursuites pénales ainsi que son conjoint, afin de lui faire croire que le Parlement était « à ses ordres » pour refuser une grâce. La sanction revêtait un caractère symbolique fort, tout en n'entravant ni le fonctionnement du parti politique de M. Rappaz ni les droits politiques de ce dernier. L'intéressé avait en outre des antécédents.

19. Le 31 mai 2012, le juge délégué a donné aux parties un délai au 29 juin 2012 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

20. Le 29 juin 2012, M. Rappaz a persisté dans ses conclusions.

Le cas du courrier envoyé par sa caisse d'assurance maladie en 2006 ne pouvait être qualifié d'antécédent ; il n'était en rien responsable de cette erreur d'adressage. La correspondance de Publicitas concernait la campagne électorale pour les élections municipales de 2007, et n'avait donc pas de caractère privé. Quant à l'exclusion de séance de plénière en 2008, il avait lui-même été pris à partie par l'ensemble des intervenants en tant que rapporteur de minorité, et c'était à juste titre qu'il avait refusé de présenter des excuses.

Il n'avait en aucun cas eu l'intention de prendre part au vote de commission ou de séance plénière concernant M. Ebner, et l'intervention du collaborateur du Secrétariat général du Grand Conseil était parfaitement inutile. Si M. Constant était au courant d'une cause de récusation le concernant, c'était justement parce qu'il en avait fait état.

La sanction prononcée était susceptible de recours et ne revêtait pas de caractère politique prépondérant, s'agissant d'une sanction disciplinaire.

Il ne s'était pas exprimé dans le message électronique litigieux en tant que député, mais à titre personnel. Il ne l'avait fait qu'après que le Grand Conseil eut rejeté la demande grâce de M. Ebner. Enfin, la sévérité de la sanction était à mettre en lien avec son appartenance politique.

21. Le Grand Conseil ne s'est quant à lui pas manifesté.

Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Après avoir indiqué dans la décision dont est recours qu'elle était susceptible d'être portée dans les trente jours devant la chambre administrative et s'être exprimé sur le fond dans ses observations sur effet suspensif déposées le 8 mai 2012 sans contester la recevabilité du recours dirigé contre la décision sur opposition, le Grand Conseil conteste ladite recevabilité dans ses écritures au fond du 30 mai 2012.

2. Selon l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire ; la Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels.

Les cantons instituent des tribunaux supérieurs qui statuent comme autorités précédant immédiatement le Tribunal fédéral, sauf dans les cas où une autre loi fédérale prévoit qu’une décision d’une autre autorité judiciaire peut faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral (art. 86 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Pour les décisions revêtant un caractère politique prépondérant, les cantons peuvent instituer une autorité autre qu’un tribunal (art. 86 al. 3 LTF).

L'accès au juge étant garanti par la Constitution, il convient d'interpréter l'art. 86 al. 3 LTF, qui déroge à cette garantie, de manière stricte (ATF 136 II 436 consid. 1.2) ; seules les situations revêtant à l'évidence un caractère politique, dans lesquelles un contrôle par le juge n'apparaît pas admissible, sont visées. Il ne suffit donc pas que la cause ait une connotation politique, encore faut-il que celle-ci s'impose de manière indubitable et relègue à l'arrière-plan les éventuels intérêts privés en jeu ; le fait que la décision émane d'une autorité politique est un indice de son caractère politique, mais n'est pas toujours déterminant (ATF 136 I 42 consid. 1.5.3 et 1.5.4).

3. La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1, let. a et e, et 57 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA - E 2 05) ; sont réservées les exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ). Le recours à la chambre administrative n’est pas recevable contre les décisions du Conseil d’Etat et du Grand Conseil portant sur la levée du secret de fonction d’un de leurs membres ou anciens membres, en raison de leur caractère politique prépondérant au sens de l'art. 86 al. 3 LTF (art. 132 al. 7 let. b LOJ).

4. Contrairement au législateur fédéral, qui a exclu par principe les recours contre l'ensemble des actes de l'Assemblée fédérale (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_65/2012 du 14 février 2012 consid. 2.1), le législateur genevois n'a pas exclu tout contrôle judiciaire des actes du Grand Conseil.

En effet, même si ce dernier n'est pas mentionné expressément à l'art. 5 LPA en tant qu'autorité administrative, toute personne, institution ou organisme investi du pouvoir de décision par le droit fédéral ou cantonal constitue, à teneur de l'art. 5 let. g LPA, une telle autorité, si bien que les actes du Grand Conseil peuvent, le cas échéant et suivant les domaines concernés, être attaqués en justice.

5. Dans le cas d'espèce, la lecture des travaux préparatoires de la novelle ayant introduit l'art. 32B LRGC (soit la loi 10672) démontre clairement la volonté du législateur de ne pas soustraire le prononcé de sanctions disciplinaires prises sur la base de l'art. 32B LRGC au contrôle judiciaire : « Il apparaît donc que sur les deux sanctions aujourd’hui disponibles, l’une revêt clairement un statut équivalent à celui d’une sanction disciplinaire, touchant les droits et obligations d’un particulier d’une manière telle que ce dernier est en droit de faire vérifier la conformité au droit de la décision par un juge. Dans ces conditions, il apparaît plus transparent de distinguer deux types d’interventions : - la police des séances plénières, qui doit permettre au président de prendre des mesures immédiates, qui par essence ne sont pas sujettes à recours car elles relèvent exclusivement de l’organisation interne du parlement, sans toucher les droits et obligations des particuliers qui le composent ; - les sanctions disciplinaires, qui sont prononcées dans le respect des principes fondamentaux de la procédure administrative, et ouvrent le droit à un contrôle judiciaire. (…) Conformément aux règles valables après le 1er janvier 2009, les sanctions disciplinaires pourront être portées devant le Tribunal administratif » (Exposé des motifs, PL 10672 pp. 5 s.).

En outre, bien que prise par une autorité politique, la décision attaquée - qui revêt par ailleurs toutes les caractéristiques d'un tel acte au sens de l'art. 4 LPA - est une sanction de type disciplinaire, qui n'a pas que des conséquences organisationnelles mais prive notamment le député des jetons de présence (art. 47 LRGC) relatifs aux séances de commission. L'examen par une autorité judiciaire d'un acte de ce type est admissible et justifié ; du reste, la très grande majorité des sanctions disciplinaires pouvant être prononcées sur la base de la législation genevoise, que ce soit dans le domaine de la fonction publique ou des diverses professions et activités réglementées, relève de la compétence de la chambre administrative.

C'est dès lors à juste titre que la décision attaquée mentionne un recours à la chambre administrative, le grief d’irrecevabilité soulevé dans l'écriture responsive du 30 mai 2012 du Grand Conseil devant être écarté.

6. Le recours ayant par ailleurs été interjeté selon les formes prévues aux art. 64 et 65 LPA et dans le délai de trente jours prévu par l'art. 62 al. 1 let. a LPA, il doit être déclaré recevable dans son principe.

7. En revanche, le recours sera déclaré irrecevable en tant qu'il vise la décision prise par le bureau le 28 février 2012. En effet, par application analogique de l'art. 50 LPA, la décision sur opposition remplace la décision initiale, soit en l'espèce celle prise par le bureau. Ce dernier reste cependant bien un intimé dans le cadre de la procédure administrative même si le recours ne peut viser la décision qu'il a prise.

8. En outre, les griefs développés par le recourant au sujet de la lecture publique en séance plénière de la correspondance C 3034 - en application des art. 37 let. c et 103 al. 5 LRGC - sont irrecevables, dès lors notamment que l'objet du litige devant la chambre administrative est exclusivement circonscrit par la décision attaquée (ATA/252/2012 du 24 avril 2012 consid. 3 ; ATA/18/2012 du 10 janvier 2012 consid. 4a et les arrêts cités), laquelle ne porte que sur la sanction disciplinaire infligée au recourant.

9. Dans l'exercice de ses compétences disciplinaires et donc administratives, le bureau - ainsi que le Grand Conseil - se devaient d'appliquer la LPA, aucune des causes d'inapplicabilité énoncées à l'art. 2 LPA n'étant réalisée.

Si le bureau a dû prendre une décision dans l'urgence et pourrait se prévaloir de l'art. 2 let. c LPA, tel n'est pas le cas du Grand Conseil siégeant en séance plénière qui aurait dû verbaliser les propos des personnes qu'il a entendues, à savoir Messieurs Antoine Droin et Rappaz, pour respecter le droit d'être entendu du recourant d'une part, et permettre d'autre part à la juridiction de recours d'exercer son contrôle, sauf à vider de son sens la procédure de recours.

En l'espèce, les faits eux-mêmes ne sont pas contestés, le recourant ne contestant pas avoir adressé à M. Ebner le courriel reproduit ci-dessus au consid. 9 en fait ; seules la conscience d'utiliser la messagerie officielle et les circonstances de la récusation lors des votes sur la demande de grâce de M. Ebner sont litigieuses. M. Rappaz n'allègue pas une violation de son droit d'être entendu dont l'éventuelle violation pourrait être réparée devant la chambre de céans, de sorte que cette irrégularité n'a pas prêté à conséquence.

10. A teneur de l'art. 32B LRGC, intitulé « sanctions disciplinaires », si un député enfreint le règlement (c'est-à-dire la LRGC), ne se conforme pas à une injonction du bureau ou viole son secret de fonction, le bureau peut, sans préjudice des sanctions plus sévères prévues par le droit fédéral ou cantonal :

lui infliger un blâme ;

l'exclure pour six mois au plus des commissions dont il est membre.

Si le député s'oppose à la sanction, le Grand Conseil tranche à huis clos et sans débat, après avoir entendu un membre du bureau et le député concerné.

11. Les députés entrent en fonction après avoir prêté serment (art. 25 al. 1 LRGC). La formule de serment est la suivante : « Je jure ou je promets solennellement, de prendre pour seuls guides dans l’exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience, de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu’une délégation de la suprême autorité du peuple ; d’observer tous les devoirs qu’impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l’honneur, l’indépendance et la prospérité de la patrie ; de garder le secret sur toutes les informations que la loi ne me permet pas de divulguer » (art. 25 al. 2 LRGC).

Les députés ne sont pas autorisés à s’exprimer au nom du Grand Conseil ou d’une commission, ni à donner à leurs communications une forme de nature à induire en erreur quant à l’identité de leur auteur (art. 26A al. 1 LRGC).

En outre, le président rappelle à l’ordre le député, le conseiller d’Etat ou le fonctionnaire qui, en séance : a) profère des menaces à l’égard d’une ou de plusieurs personnes ; b) prononce des paroles portant atteinte à l’honneur ou à la considération ; c) emploie une expression méprisante ou outrageante ; d) trouble la délibération ; e) viole le règlement (art. 90 LRGC). Cette disposition trouve application, selon son texte et la systématique légale, lors des séances - qu'elles soient plénières ou de commission. Les lettres a à c décrivent toutefois des comportements qui, à l'évidence, ne peuvent être admis d'un député agissant dans l'exercice de ses fonctions, et revêtent dès lors un caractère plus général.

12. Le Grand Conseil allègue tout d'abord une violation par M. Rappaz de son serment de député. La question de savoir quelle portée disciplinaire peut revêtir une violation de la déclaration générale que constitue le serment souffrira néanmoins de rester ouverte, au vu des considérations qui suivent.

13. En effet, l'utilisation par le recourant de sa messagerie électronique officielle de député pour envoyer le courriel litigieux constitue une violation flagrante de l'art. 26A LRGC. Dans la mesure où il n'est pas même allégué que l'intéressé disposerait de ses cinq comptes de messagerie électronique dans le même environnement de travail informatique, et où son attention avait déjà été attirée par le passé sur la nécessité de bien distinguer entre ses sphères privée et officielle, on doit considérer que l'utilisation de la messagerie officielle par M. Rappaz a été délibérée, ce que la lecture du message lui-même, qui fait expressément référence à l'activité du Grand Conseil et de sa commission de grâce, ne fait que conforter.

14. En outre, et contrairement à ce que prétend le recourant, le texte même de son message peut lui être imputé à faute. En effet, ce dernier contient, outre des inexactitudes ne portant guère à conséquence (la commission de grâce est composée de 16 députés ; le juge d'instruction ne statuait pas sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale mais procédait à l'instruction préparatoire de la cause), des allégations fausses et potentiellement contraires à l'honneur (M. Ebner n'ayant notamment pas été condamné pour escroquerie par métier, ni pour des actes commis à l'encontre de MM. Guntern et Rappaz), ainsi que des menaces - au sens courant du terme tout au moins - vis-à-vis de l'épouse de M. Ebner. Le ton utilisé tout au long du message est particulièrement méprisant et sarcastique. De tels propos étaient enfin d'autant plus déplacés que M. Rappaz était membre de la commission de grâce ; qu'il ait attendu que le Grand Conseil statue sur la demande en grâce de M. Ebner pour se répandre en invectives n'y change rien, le respect des administrés étant attendu de tous les agents de l'Etat - élus ou nommés -, et ce notamment dans les domaines où ils exercent leur activité de manière spécifique (J.-M. VERNIORY/F. WAELTI, Le devoir de réserve des fonctionnaires, spécialement sous l'angle du droit genevois, PJA 2008 pp. 810-832, not. 813 s.).

15. La durée maximale de l'exclusion des commissions prévue par l'art. 32B LRGC est de six mois. En prononçant une mesure d'une durée de quatre mois, celui-ci a tenu compte de toutes les circonstances du cas d'espèce : une telle sévérité est justifiée par le comportement inadmissible du recourant et la durée de la sanction est ainsi proportionnée à la faute commise, ce indépendamment de la présence ou non d'« antécédents ». Elle se justifie en particulier par l'absence de prise de conscience de l'intéressé s'agissant du manquement à ses devoirs, M. Rappaz n'admettant avoir commis qu'une « erreur d'adressage ».

16. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté dans la mesure où il est recevable. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Au vu de l'issue du litige, il ne lui sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA), pas plus qu'au Grand Conseil, qui dispose d'un secrétariat général et ne s'est pas fait représenter.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 25 avril 2012 par Monsieur Henry Rappaz contre la décision sur opposition du Grand Conseil du 22 mars 2012 ;

met à la charge de Monsieur Henry Rappaz un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mauro Poggia, avocat du recourant, au Grand Conseil ainsi qu’au bureau du Grand Conseil.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

C. Sudre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :