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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1420/2006

ATA/406/2006 du 26.07.2006 ( DCTI ) , REJETE

Parties : SCHWEIZER Alfred et autres, BOUTELLIER Roland, FERRAT Jacqueline / COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, BOHNERT Robert
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1420/2006-DCTI ATA/406/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 juillet 2006

dans la cause

Madame Jaqueline FERRAT

Monsieur Roland BOUTELLIER

Monsieur Alfred SCHWEIZER

représentés par Me Nicolas Wisard, avocat

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

et

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

et

Monsieur Robert Bohnert
représenté par Me Christian Lüscher, avocat


1. Madame Francine Savoy-Bohnert et Monsieur Robert Bohnert (ci-après : les requérants), domiciliés 22, chemin des Pinsons, 1226 Thônex / Genève, sont copropriétaires de la parcelle n° 4321, feuille 29, commune de Thônex, à l’adresse 33-35 chemin des Pinsons.

Cette parcelle, d’une surface de 802 m2, est située en zone de construction 5 au sens de l’article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30). Elle est vierge de toute construction.

Elle est grevée de plusieurs servitudes, notamment d’une servitude de non bâtir au profit de l’Etat de Genève (PJD 146/1961) et d’une restriction de bâtir un seul logement par parcelle, également au profit de l’Etat de Genève (PJD 114/1972)

2. Madame Jaqueline Ferrat, Messieurs Roland Boutellier et Albert Schweizer (ci-après : Mme Ferrat et autres ou les recourants) sont propriétaires des parcelles voisines, respectivement les parcelles n° 4670 à l’adresse 18, chemin des Pinsons, n° 4118, 27, chemin des Pinsons et n° 4483, 25, chemin des Pinsons.

3. Le 10 mai 2005, M. Bohnert a déposé auprès du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information ; ci-après : le département) une demande définitive d’autorisation de construire deux villas jumelles avec garage sur la parcelle n° 4321. Il a sollicité une dérogation au sens de l’article 59 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). A la question posée de savoir si l’adoption ou la radiation des servitudes étaient nécessaires à la réalisation du projet, il a répondu par la négative. La demande a été enregistrée au département (sous numéro DD 99’893).

4. Le département a requis les préavis nécessaires, notamment celui du conseil municipal de la commune de Thônex, qui ont tous ont été favorables, y compris concernant la dérogation du rapport de surface portée à 31%.

5. Le 26 juin 2005, M. et Mme Schweizer ont présenté leurs observations au département. Le projet des requérants ne respectait pas les servitudes inscrites au registre foncier en faveur de l’Etat de Genève. La parcelle n° 4321 était la dernière parcelle constructible du lotissement. Toutes les autres respectaient les restrictions de bâtir. L’ensemble des habitants profitait donc d’une ordonnance de construction imposée par ces règles qui augmentait sensiblement la qualité de vie de leur habitat.

En autorisant la réalisation de ce projet, les voisins de la parcelle n° 4321 seraient les seuls du lotissement à perdre un privilège dont les autres jouissaient grâce au respect des distances entre les habitations imposées par les servitudes. Ils discutaient également l’indice d’utilisation du sol démesuré de 0,31 % qui dépassait très largement celui du lotissement.

6. M. et Mme Boutellier ont présenté leurs observations au département le 30 juin 2005. Le projet des requérants ne respectait pas l’article 59 alinéa 4 LCI, était contraire aux servitudes foncières existant sur la parcelle au profit de l’Etat de Genève et enfin, il était susceptible de générer une modification complète du quartier car en vertu du principe de l’égalité de traitement, tout propriétaire de l’une ou l’autre des parcelles du lotissement pourrait solliciter une densification supérieure à 0,2, sans que le département ne puisse le lui refuser.

7. Par décision du 29 septembre 2005, le département a accordé l’autorisation sollicitée. Le chiffre 11 de ladite autorisation précisait que les servitudes de non bâtir existantes sur la parcelle seraient radiées avant le début des travaux. Ladite autorisation a été publiée dans la feuille d’avis officielle du 5 octobre 2005.

8. Mme Ferrat et autres ont saisi la commission de recours en matière de construction (ci-après : la commission) par acte du 4 novembre 2005. Ils ont conclu à l’annulation de l’autorisation délivrée, retenant que celle-ci était contraire à l’article 59 LCI, les constructions n’étant pas compatibles avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier. L’accord de la commune et celui de la commission d’architecture reposaient sur des bases incomplètes, si tant est que ces autorités n’avaient pas connaissance de l’existence de servitudes. En admettant un indice d’utilisation du sol de 0,31, le département violait le principe d’égalité de traitement envers les propriétaires de toutes les autres parcelles du lotissement. De plus, il n’y avait ni cohérence ni vision d’ensemble du quartier dans la décision du département d’imposer une nouvelle politique de densification.

9. Les 7 décembre 2005 et 18 janvier 2006, les servitudes de restriction de bâtir et de non bâtir ont été radiées au registre foncier.

10. Par décision du 1er mars 2006, notifiée le 14 du même mois, la commission a rejeté le recours.

Mme Ferrat et autres n’étaient pas recevables à soulever le motif relatif à l’existence d’une servitude au bénéfice d’un tiers dans la mesure où ils n’en étaient pas bénéficiaires. De plus, cette question était devenue sans objet dans la mesure où la radiation de ladite servitude avait été opérée au registre foncier. Les griefs basés sur l’article 59 LCI n’étaient pas fondés, le département jouissant d’une aptitude d’appréciation importante dans l’application de l’article 59 alinéa 4 lettre b LCI.

11. Mme Ferrat et autres ont saisi le Tribunal administratif d’un recours contre la décision précitée par acte du 13 avril 2006.

La commission avait violé l’article 60 lettre b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) en déclarant irrecevables les griefs relatifs à la portée des servitudes. Ce faisant, elle avait soumis la recevabilité du recours à un critère de titularité du droit subjectif en cause qui serait étranger à la LPA. Hors, la radiation des servitudes ne pouvait pas intervenir sans respecter les règles procédurales du droit de l’aménagement du territoire et en particulier présupposait une enquête publique. Cette procédure n’avait pas été respectée en l’espèce. Il en résultait que l’autorisation querellée avait été délivrée en violation du régime d’aménagement grevant la parcelle n° 4321 de sorte qu’elle avait été délivrée illégalement et que son annulation s’imposait.

12. Le département a présenté ses observations le 23 mai 2006. La commission avait certes dénié à juste titre aux opposants le droit de se prévaloir de servitudes dont ils n’étaient pas les bénéficiaires mais elle n’en avait en aucun cas fait une condition de recevabilité du recours, recevabilité qu’elle avait par ailleurs admise. Ce grief était infondé. Quant à la prétendue violation des règles procédurales du droit de l’aménagement du territoire, les servitudes en causes avaient été constituées au seul profit de l’Etat de Genève sur la base du droit civil. Or, ce dernier n’imposait aucune obligation de procéder à une enquête pour requérir la radiation des servitudes. L’autorisation querellée, délivrée sur la base de préavis positifs recueillis dans le cadre de l’instruction de la demande, ne pouvait être que confirmée et le recours rejeté.

13. M. Bohnert s’est déterminé le 30 mai 2006.

Les deux seuls griefs soulevés devant le Tribunal administratif avaient trait à l’application de l’article 60 lettre b LPA fait par la commission, d’une part, et à la procédure ayant conduit à la radiation des servitudes, d’autre part.

Ni l’un ni l’autre n’étaient fondés.

Dans sa décision, la commission avait constaté que la radiation des servitudes était un pur problème de droit privé relevant des seuls tribunaux civils qui ne pouvait être examiné par les juridictions administratives. Mme Ferrat et autres se méprenaient en assimilant les servitudes à un plan d’affectation. La procédure qu’ils préconisaient, en particulier le recours à une enquête publique, n’était pas prévue par la loi. En l’espèce, la radiation des servitudes était intervenue conformément aux règles de droit privé seules applicables en l’espèce.

Sur le fond, la commission avait estimé que les conditions tant formelles que matérielles posées par l’article 59 alinéa 4 lettre b LCI étaient respectées de sorte que l’autorisation querellée était pleinement valable. Ainsi, aucune violation de l’article 61 LPA n’était à déplorer.

Il conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a LPA).

2. La qualité pour agir des recourants est donnée, ceux-ci étant tous voisins au sens de la jurisprudence du Tribunal administratif (ATA/232/2006 du 2 mai 2006 et les références citées).

3. La zone 5 est destinée à recevoir des maisons d’habitation notamment des villas.

4. a. Les recourants font valoir tout d'abord la mise en évidence d'une servitude de restriction de bâtir plus d'une villa affectant la parcelle n° 4321.

b. Selon les principes généraux du droit, il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans les conflits de droit privé pouvant s'élever entre un requérant et un opposant. La législation genevoise en matière de police des constructions a pour seul but d'assurer la conformité du projet présenté avec les prescriptions en matière de construction et d'aménagements intérieurs et extérieurs des bâtiments et des installations. En revanche, elle n'a pas pour objet de veiller au respect des droits réels, comme les servitudes par exemple (art. 3 al. 6 LCI ; ATA/653/2004 du 24 août 2004).

En l’espèce, les servitudes ont été radiées avant l’ouverture du chantier et cela conformément au chiffre 11 de l’autorisation discutée. Partant, les griefs des recourants sur ce point sont dénués de tout objet, de sorte que le Tribunal administratif renoncera à étudier plus avant les arguments y relatifs (ATA/334/2006 du 14 juin 2006 et les références citées).

5. Le chapitre VI LCI (art. 58 ss) règle les constructions de la cinquième zone.

a. Selon l'article 59 alinéa 1 LCI, la surface de construction en 5ème zone, exprimée en m2 de plancher, ne doit pas excéder 20% de la surface de la parcelle. Toutefois, lorsque les circonstances le justifient et que cette mesure est compatible avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier le département peut autoriser exceptionnellement, avec l'accord de la commune exprimé sous la forme d'une délibération municipale, et après consultation de la commission d'architecture, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d'habitats groupés dont la surface de plancher habitable n'excède pas 40% de la surface du terrain, 44% lorsque la construction est de haut standard énergétique, reconnu comme tel par le service compétent…(art. 59 al. 4 let. b LCI).

b. Lors des travaux préparatoires de l'article 129 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 25 mars 1961 (aLCI), dont la teneur correspond presque intégralement à l'article 59 LCI, il a été relevé que, pour éviter une dispersion des constructions et un gaspillage des terrains encore à bâtir en zone villas, il était souhaitable que les autorités, dans certains cas bien définis et moyennant certaines précautions, puissent autoriser la construction de villas en ordre contigu avec un indice d'utilisation du sol plus élevé que ce n'était le cas dans l'ancienne loi. Pour éviter une urbanisation excessive de la zone villas, laquelle conduirait à la réalisation systématique de constructions en ordre contigu, il importait que de telles réalisations soient soumises à des critères bien délimités. La zone villas ne devait pas se confondre avec la 4ème zone, qui était réservée à de petits immeubles d'habitation (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève, 1983, pp. 428 ss).

Il résulte ainsi, tant du libellé de la loi que des travaux préparatoires, que l'octroi d'une dérogation en faveur d'un indice d'utilisation supérieur à 20 % est soumis à certaines conditions.

6. a. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, la question de la compatibilité du projet doit être examinée en relation avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, conditions qui constituent une clause d’esthétique, analogue à celle contenue à l’article 15 LCI faisant appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées. Le contenu de telles notions varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Alors que la clause d'esthétique est un des éléments que le département doit prendre en considération pour statuer en opportunité sur l'octroi d'une autorisation de construire quand le rapport de surface n'excède pas 20 % (art. 15 al. 1 et 59 al. 1 LCI), le législateur en a fait une condition indispensable pour autoriser une dérogation au rapport de surfaces de 20 % (ATA/314/2006 du 13 juin 2006 et les références citées).

Le pouvoir d'appréciation de l'administration n'est limité que par l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (ATA/609/2004 du 5 août 2004 ; ATA/59/2004 du 20 janvier 2004 ; A. GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel, 1984, p. 332-333 ; B. KNAPP, op. cit., p. 34-36, n° 160-169). Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi. Lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/609/2004 précité).

b. Chaque fois que l’autorité administrative suit les préavis des commissions consultatives, l’autorité de recours doit s’imposer une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/129/2003 du 11 mars 2003 ; T. TANQUEREL, La pesée des intérêts vue par le juge administratif in C.-.A. MORAND, La pesée globale des intérêts, Droit de l’environnement et aménagement du territoire, Bâle et Francfort-sur-le-Main, 1996, p. 201). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes.

c. En l’espèce, l’ensemble des préavis recueillis est favorable au projet. Dès lors, le Tribunal administratif, s’imposant la réserve qui lui incombe en matière d’esthétique des constructions, ne peut que constater qu’en accordant l’autorisation de construire, le département n’a ni abusé de son pouvoir d’appréciation ni excédé celui-ci. C’est ainsi à juste titre que la commission a confirmé l’autorisation accordée, de sorte que le grief des recourants à cet égard devrait aussi être écarté. Cette densification du sol dans la 5ème zone est conforme à la politique cantonale genevoise en matière d’aménagement du territoire (ATA/752/2002 du 3 décembre 2002 ; ATA/98/1998 du 4 mars 1998). Certes, les parcelles avoisinantes comportent pour la majeure partie une seule villa construite en ordre contigu avec celle de la parcelle voisine. Si l’ordonnance de la construction projetée ne respecte pas exactement celle des constructions existantes, cet élément n’est à lui seul pas constitutif d’inégalité de traitement qui conduirait au refus de la dérogation sollicitée.

7. Il résulte de ce qui précède que le département n’a pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en accordant l’autorisation querellée de sorte que le recours ne peut être que rejeté.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement. Ceux-ci se verront astreints, conjointement et solidairement, au paiement d’une indemnité de procédure de CHF 2’500.- en faveur de M. Bohnert (art. 87 LPA).

* * * *


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 avril 2006 par Madame Jacqueline Ferrat, Messieurs Roland Boutellier et Alfred Schweizer contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 1er mars 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’500.- ;

alloue à Monsieur Robert Bohnert une indemnité de procédure CHF 2’500.- à la charge conjointe et solidaire des recourants ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Wisard, avocat des recourants, à la commission cantonale de recours en matière de constructions, au département des constructions et des technologies de l'information ainsi qu'à Me Christian Lüscher, avocat de M. Robert Bohnert.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :