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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/920/2023

ATA/373/2023 du 13.04.2023 sur JTAPI/313/2023 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/920/2023-MC ATA/373/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 avril 2023

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE recourant

contre

Monsieur A______ intimé
représenté par Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat

_________





Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mars 2023 (JTAPI/313/2023)


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ indique être né le ______ 1985 en Algérie. Il est démuni de toute pièce d'identité.

b. Les 8 juin et 22 juillet 2022, il a été condamné par ordonnances pénales du Ministère public genevois (ci-après : MP) pour séjour illégal en Suisse.

c. Le 24 novembre 2022, à la suite d'un avis de recherche en raison de son implication potentielle dans un vol commis en date du 2 septembre 2022, il a été interpellé au B______, sis rue C______ , 1202 Genève, où il vivait depuis environ deux mois.

Le 25 novembre 2022, le MP l’a condamné par ordonnance pénale à une peine privative de liberté de nonante jours pour vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937- CP - RS 311.0), utilisation frauduleuse d’un ordinateur (art. 147 al. 1 CP) et entrée et séjour illégaux en Suisse (art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

d. Le 25 novembre 2022, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______. Un délai au 2 décembre 2022 lui était imparti pour quitter le territoire suisse ainsi que le territoire des États-membres de l'Union européenne et des États associés à Schengen. La décision était immédiatement exécutoire.

B. a. Le 25 novembre 2022, en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

b. Par jugement du 20 décembre 2022, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a partiellement admis l’opposition de M. A______ et réduit à neuf mois la durée de l’interdiction territoriale.

c. Par arrêt du 10 janvier 2023, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a confirmé le jugement du TAPI.

Le principe d’une mesure d’interdiction de périmètre était fondé au vu de l’absence de titre de séjour du recourant et de sa condamnation pénale pour vol et usage abusif d’un ordinateur, soit deux crimes au sens de l’art. 10 al. 2 CP. Le recourant faisait valoir que sa condamnation n’était pas encore entrée en force et qu’il avait formé opposition contre l’ordonnance de condamnation. Ceci n’était toutefois pas déterminant s’agissant d’analyser le risque de commission d’infractions, dès lors que l’autorité était en présence de soupçons fondés sur des indices concrets. Le recourant contestait tout lien avec le vol du sac à dos et soutenait qu’il n’était que présent lorsqu’un individu avait payé avec la carte volée. La chambre de céans observait que les achats avaient eu lieu dans le quartier des Eaux-Vives attenant au lieu où le vol avait été commis et peu après celui-ci. À la police, le recourant s’était reconnu sur les images de vidéosurveillance. Il avait admis fréquenter régulièrement le « bateau Genève ». Lorsque l’image du dénommé « D______ » lui avait été présentée, il avait admis le connaître, précisant qu’il « était parti de Genève actuellement » et ajoutant : « Vous me demandez si j’étais avec lui sur le bateau, je vous réponds qu’il m’est arrivé d’être avec lui à cet endroit effectivement. Je ne connais pas son nom. J’étais avec lui dans un foyer à Plan-les-Ouates en septembre ». Il avait encore indiqué que celui-ci lui avait acheté des cigarettes. Le MP semblait avoir retenu la coactivité voire la complicité à l’endroit du recourant, quand bien même ce dernier n’aurait pas lui-même soustrait le sac, effectué le geste de payer avec la carte volée ni porté lui-même le casque audio. L’ensemble de ces circonstances suffisait ainsi pour permettre au commissaire de police de retenir un risque de commission d’infractions.

C. a. Le 14 février 2023, après audition de M. A______ suite à son opposition à l’ordonnance pénale du 25 novembre 2022, le MP lui a adressé un avis de prochaine clôture de l'instruction, l’informant que les infractions de vol et d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur allaient être classées.

b. Par courrier du 22 février 2023, M. A______ a requis du commissaire de police la reconsidération de sa décision du 25 novembre 2022.

c. Par courrier du 28 février 2023, le commissaire de police a refusé d’entrer en matière sur la demande. Les faits que M. A______ invoquait n’étaient pas pertinents dès lors qu’une mesure d’interdiction pouvait être prononcée en présence de simples soupçons, aucune condamnation n’étant nécessaire. L’intéressé faisait par ailleurs l’objet d’une décision de renvoi, en force, et une décision d’interdiction d’entrée en Suisse pouvait être prononcée à son encontre.

d. Par acte du 14 mars 2023, M. A______ a sollicité du TAPI la levée de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée laquelle avait été prononcée, puis confirmée, à la suite et en raison de l'ordonnance pénale du 25 novembre 2022.

e. Par ordonnance du 15 mars 2023, le MP a classé les infractions aux art. 139 et 147 CP.

f. Lors de l'audience du 16 mars 2023 devant le TAPI, M. A______ a indiqué que l'ordonnance de classement partiel du Ministère public devait être considérée comme un fait nouveau, quand bien même elle ne serait pas en force, ce que la représentante du commissaire de police a contesté. Elle a relevé que M. A______ remplissait les conditions de l'art. 74 al. 1 let. b LEI, ne s'étant pas conformé à la décision de renvoi du 25 novembre 2022. L'interdiction de périmètre était ainsi fondée sur ce motif également.

g. Par jugement du 16 mars 2023, le TAPI a admis la demande formée le 14 mars 2023 par M. A______ et a ordonné la levée de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée. Les conditions de l’art. 74 al. 1 let. a LEI n’étaient plus remplies au vu de l’ordonnance de classement. Une mesure fondée sur la let. b du même article n’avait jamais été examinée. Si le commissaire l’estimait fondée, il lui appartenait de la prononcer, celle-ci devant être « dans un rapport raisonnable avec la seule infraction à la LEI commise par l’intéressé ». Un éventuel recours contre le jugement n'aurait pas d'effet suspensif.

D. a. Par acte du 31 mars 2023, le commissaire de police a interjeté recours contre ce jugement. Il a conclu à son annulation et, cela fait, au rétablissement de la mesure telle que confirmée par la chambre de céans le 10 janvier 2023.

M. A______ était dépourvu de papiers d’identité et de tout document de voyage, se trouvait illégalement en Suisse et avait été condamné à deux reprises de ce chef. Dans de tels cas, la ville de Bienne prononçait des interdictions de pénétrer dans l’ensemble du canton de Berne d’une durée de deux ans. L’intéressé était par ailleurs dépourvu de ressources. Le classement n’était que partiel et ne concernait pas l’infraction de séjour illégal selon l’art. 115 al. 1 let. b LEI. Il avait été prononcé en application de l’art. 319 al. 1 let. a du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), soit lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’était établi. Le fait que le magistrat pénal estime qu’il n’existe pas de « soupçon justifiant une mise en accusation » pénale selon l’art. 319 al. 1 let. a CPP ne faisait pas pour autant disparaître les faits retenus par la chambre administrative et considérés par celle-ci comme constituant un ensemble de circonstances suffisantes « pour permettre au commissaire de police de retenir un risque de commission d’infractions ». Ainsi, selon le constat de la chambre de céans, il existait des éléments concrets fondant, en droit administratif, le soupçon que M. A______ commette des infractions sur le territoire genevois, indépendamment du sort de la procédure pénale.

Par ailleurs, l’intéressé séjournait illégalement en Suisse et violait en conséquence des dispositions de police des étrangers. Cette situation justifiait le prononcé d’une mesure fondée sur l’art. 74 al. 1 let. b LEI.

b. M. A______ a conclu au rejet du recours. La chambre administrative avait pris en considération, dans son arrêt du 10 janvier 2023, le fait qu’il y avait une condamnation pénale, bien qu’il s’agisse d’une ordonnance qui n’était pas encore entrée en force. Il était ainsi inexact de considérer que la chambre de céans aurait pris la même décision s’il avait uniquement été mis en prévention pour ces infractions et non condamné. En application du principe in dubio pro duriore, même un soupçon insuffisant pour fonder un verdict de culpabilité imposait au MP un renvoi en jugement et excluait un classement, s’il présentait quelque solidité. En l’espèce, il devait être retenu que le MP avait nié toute solidité au soupçon retenu initialement, en ayant l’intégralité de la procédure à sa disposition. M. A______ n’avait pas été acquitté par un tribunal au bénéfice du doute et en vertu de la présomption d’innocence, mais innocenté par le MP.

Le choix du commissaire de police de recourir, plutôt que de prononcer une nouvelle mesure, comme l’y avait invité le TAPI dans son jugement, s’il s’y estimait fondé, interpellait sur son intérêt digne de protection. Il était d’autant plus critiquable que, pour le cas où le recours serait admis, l’intimé n’aurait à sa disposition qu’un recours relativement limité au Tribunal fédéral, étant ainsi privé de plusieurs degrés de juridiction. En tous les cas, le prononcé d’une mesure en application de l’art. 74 al. 1 let. b LEI serait disproportionné, l’aptitude de la mesure à atteindre les résultats escomptés étant inexistante. En effet, s’il était question de contrôler M. A______ afin d’organiser son départ de Suisse et non de protéger le territoire d’un trouble à l’ordre public à l’instar de la mesure prévue par la let. a, le fait de lui interdire l’accès au territoire contrôlé par l’autorité chargée d’organiser le départ de Suisse aurait pour conséquence de compliquer la tâche de cette autorité. Il apparaissait pour le surplus douteux de prendre des mesures de contrainte envers un administré en vue d’un renvoi pour lequel les autorités n’avaient rien n’entrepris. M. A______ faisait par ailleurs l’objet d’un suivi psychiatrique et devait subir une intervention chirurgicale.

c. Dans sa réplique, le commissaire de police a persisté dans ses conclusions. Les principes administratifs applicables à l’art. 74 al. 1 let. a LEI, soit de simples soupçons fondés sur des éléments concrets, étaient « aux antipodes » de ceux applicables en procédure pénale, soit la présomption d’innocence et l’établissement de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Les mesures de prévention de la commission d’infractions et de protection de l’ordre et la sécurité publics relevant de la compétence du commissaire ne dépendaient pas de l’existence, ni même de l’issue, d’une procédure pénale.

Par ailleurs, l’intimé, qui se prétendait algérien, était démuni de tout document de voyage ou d’identité et ses origines, prénom et patronyme exacts n’étaient pas établis. D’expérience, la probabilité que ces éléments soient connus à moyenne échéance était quasiment inexistante, de sorte qu’une assignation à un lieu de résidence, évoquée par le recourant comme plus adéquate, serait contradictoire avec la décision de renvoi définitive et exécutoire dont il avait fait l’objet et qu’il lui incombait de mettre en œuvre par lui-même, prioritairement à toute intervention des autorités administratives.

d. Dans sa duplique, M. A______ a relevé qu’en procédure pénale, au stade de l’instruction devant le MP, en cas de doute, le procureur était contraint de renvoyer la cause devant le Tribunal.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

La question de l’intérêt à agir du commissaire de police souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 3 avril 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le litige porte sur une demande de reconsidération de la décision d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève.

3.1 L'autorité administrative qui a pris une décision entrée en force n'est obligée de la reconsidérer que si sont réalisées les conditions de l'art. 48 al. 1 LPA. Une telle obligation existe notamment lorsque des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b LPA ; faits nouveaux « anciens » ; ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5b). Une telle obligation existe également lorsque la situation du destinataire de la décision s'est notablement modifiée depuis la première décision (art. 48 al. 1 let. b LPA). Il faut entendre par là des faits nouveaux « nouveaux » ou novae véritables, c'est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'autorité a fondé sa décision, justifiant par là sa remise en cause (ATA/1620/2019 du 5 novembre 2019 consid. 3a ; ATA/159/2018 du 20 février 2018 consid. 3a). Pour qu'une telle condition soit réalisée, il faut que survienne une modification importante de l'état de fait ou des bases juridiques, ayant pour conséquence, malgré l'autorité de la chose jugée rattachée à la décision en force, que cette dernière doit être remise en question (ATA/539/2020 précité consid. 4b ; ATA/1244/2019 du 13 août 2019 consid. 5).

Saisie d'une demande de reconsidération, l'autorité examine préalablement si les conditions de l'art. 48 LPA sont réalisées. Si tel n'est pas le cas, elle rend une décision de refus d'entrer en matière qui peut faire l'objet d'un recours dont le seul objet est de contrôler la bonne application de cette disposition (ATF 117 V 8 consid. 2 ; 109 Ib 246 consid 4a).

3.2 En l’espèce, à juste titre, le recourant ne conteste plus l’existence d’un fait nouveau. En effet, si l’intimé a fait l’objet de deux condamnations à l’art. 115 LEI pour entrée et séjour illégaux en Suisse, l’ordonnance prononcée par le MP le 15 mars 2023, portant sur les infractions aux art. 139 et 147 CP, classe les seules autres infractions qui lui étaient reprochées. Il s’agit dès lors d’un fait nouveau important, un classement valant acquittement au sens de l’art. 320 al. 4 CPP. Le délai de recours contre ladite ordonnance était de dix jours (art. 322 al. 2 CPP). Aucun document au dossier n’indique que l’ordonnance aurait été contestée. En tous les cas, au vu des circonstances du cas d’espèce, la condition du fait nouveau serait remplie même en cas de recours contre l’ordonnance pénale.

4.             Le commissaire conteste que les conditions de l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne soient plus remplies.

4.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

4.2 a. Lorsque le complexe de faits soumis au juge administratif a fait l’objet d’une procédure pénale, le juge administratif est en principe lié par le jugement pénal, notamment lorsque celui-ci a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/712/2021 du 6 juillet 2021 consid. 7a ; ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7f et les références citées). Il convient d’éviter autant que possible que la sécurité du droit soit mise en péril par des jugements opposés, fondés sur les mêmes faits (ATF 137 I 363 consid. 2.3.2). Le juge administratif peut toutefois s’en écarter lorsque les faits déterminants pour l'autorité administrative n'ont pas été pris en considération par le juge pénal, lorsque des faits nouveaux importants sont survenus entre-temps, lorsque l'appréciation à laquelle le juge pénal s'est livré se heurte clairement aux faits constatés, ou encore lorsque le juge pénal ne s'est pas prononcé sur toutes les questions de droit (ATF 139 II 95 consid. 3.2 ; 136 II 447 consid. 3.1 ; 129 II 312 consid. 2.4).

4.3 Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l’autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit et de l’appréciation juridique à laquelle s’est livrée le juge pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/712/2021 précité consid. 7a).

4.4 En l’espèce, le magistrat en charge de la procédure pénale a retenu que le prévenu contestait les faits et qu’« en l’absence de tout élément de preuve objectif tel qu’un témoin, aucun soupçon qui justifierait une mise en accusation n’[était] établi, de sorte que le classement de la procédure pénale [était] ordonné s’agissant de ces faits ». Au vu du dossier que le magistrat pénal est seul à détenir et habilité à trancher, aucun soupçon n’était établi. S’agissant d’une question d’établissement des faits, en fonction de pièces versées au dossier pénal, il convient d’en prendre acte, ce classement valant acquittement (art. 320 al. 4 CPP).

Le commissaire considère pouvoir se fonder sur les considérants de l’arrêt de la chambre de céans du 10 janvier 2023. Tel n’est pas le cas. En effet, ce que la chambre de céans avait à l’époque considéré comme éléments concrets pouvant fonder des soupçons s’est révélé ne pas être fondé dans le cadre de l’examen, par le MP, des circonstances dans lesquelles s’était déroulé le vol et l’utilisation frauduleuse de la carte de crédit. Le procureur est en possession d’un dossier et d’éléments que la chambre ne détient pas, à l’instar des images vidéo ou de la plainte de la victime. Aucune pièce du dossier administratif ne permet aujourd’hui de s’éloigner de l’appréciation faite par le MP. Il n’est notamment pas allégué par le commissaire que des faits déterminants pour l'autorité administrative n'auraient pas été pris en considération par le juge pénal ou que l'appréciation à laquelle le juge pénal s'est livré se heurte clairement aux faits constatés, ou encore lorsque le juge pénal ne s'est pas prononcé sur toutes les questions de droit. Il convient dès lors de tenir compte de l’ordonnance de classement et de considérer que l’intimé a été acquitté de ces deux infractions. Dans ces conditions, avouer fréquenter régulièrement le « bateau Genève » et avoir été filmé dans un commerce proche du lieu du vol en compagnie de l’utilisateur de la carte de crédit, ne remplissent pas la condition d’indices concrets fondant un soupçon de commission d’infraction par l’intimé. Ceci est d’autant plus vrai que la chambre de céans avait déjà relevé la particularité du statut de l’intéressé, précisant que le MP « semblait avoir retenu la coactivité voire la complicité à l’endroit du recourant, quand bien même ce dernier n’aurait pas lui-même soustrait le sac, effectué le geste de payer avec la carte volée ni porté lui-même le casque audio ».

Le dossier ne comprenant aucune autre infraction qu’un séjour illégal, l’une des deux conditions nécessaires et cumulatives, soit que l’étranger trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics, n’est plus remplie. La mesure d’interdiction territoriale fondée sur cette base légale n’est plus justifiée.

5.             Le commissaire considère que la mesure doit être maintenue, le justiciable remplissant les conditions de la let. b de l’art. 74 al. 1 LEI.

5.1 Selon l'art. 74 al. 1 let. b LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire ( ATF 144 II 16 consid. 2.1 p. 18).  

5.2 L'assignation d'un lieu de résidence ou l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI vise à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), mais aussi, en tant que mesure de contrainte poursuivant les mêmes buts que la détention administrative, à inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse (ATF 144 II 16 consid. 4 ; arrêt 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.1 ; Gregor CHATTON/Laurent MERZ in Commentaire Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. II, 2017, n° 22 ad art. 74 LEtr).

5.3 La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité. Elle doit être apte à atteindre le but visé (ATF 144 II 16 consid. 2.2 ; 142 II 1 consid. 2.3), ce qui implique notamment qu'une mesure fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI ne peut être prononcée que si un départ de Suisse est effectivement possible, car elle ne peut atteindre son but que dans ce cas (ATF 144 II 16 consid. 2.3). Il suffit qu'un départ volontaire soit possible (ATF 144 II 16 consid. 4.6 et 4.8 a contrario). La mesure doit aussi ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi et il doit exister un rapport raisonnable entre ce but et le moyen choisi (ATF 144 II 16 consid. 2.2 ; 142 II 1 consid. 2.3).  

5.4 Le seul fait de ne pas avoir quitté le territoire dans le délai qui lui était imparti ne justifie pas une interdiction de pénétrer dans un périmètre donné (Gregor CHATTON/Laurent MERZ in Commentaire Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit, n° 21 ad art. 74).

5.5 Les juges peuvent – par substitution de motifs – confirmer une détention en retenant la base légale correcte, quand bien même les instances précédentes se seraient trompées de type de détention (Gregor CHATTON/Laurent MERZ in Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit. n° 16 ad. art. 76 et n° 11 ad. art. 78 et les références citées).

5.6 En l’espèce, la question de savoir si la mesure prise en application de l’art. 74 al. 1 let. b pourrait se substituer, devant la chambre de céans, à celle prise en application de la let. a souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

La décision de renvoi a été prononcée par l’OCPM le 25 novembre 2022, avec un délai pour quitter la Suisse au 2 décembre 2022. Elle était immédiatement exécutoire. La première condition de l’art. 74 al. 1 let. b LEI serait en conséquence remplie.

S’agissant de la seconde, l’intéressé allègue, sans être contredit, qu’en l’état aucune démarche n’a été entreprise en vue de son renvoi. Le délai est relativement récent, puisque par décision exécutoire nonobstant recours du 25 novembre 2022, l’OCPM lui a imparti un délai au 2 décembre 2022. Ce délai a toutefois coïncidé avec l’interpellation de l’intimé le 24 novembre 2022 et la procédure pénale aboutissant à son acquittement des deux crimes dont il était accusé.

À teneur du procès-verbal devant le TAPI, le justiciable est domicilié au B______ à la rue C______, lieu où il a d’ailleurs été interpellé le 24 novembre 2022 et où il indiquait résider depuis septembre 2022.

Il ressort par ailleurs d’un certificat médical établi par les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) qu’il est régulièrement suivi au Service de Médecine de premier Recours depuis mars 2022, en consultation Ambulatoire Mobile de Soins communautaires (CAMSCO) et des dépendances, depuis septembre 2022 et a commencé un suivi en consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique du Grand-Pré depuis décembre - janvier 2023.

Sous réserve de deux condamnations pour séjour illégal, il n’a pas fait l’objet de condamnations.

Dans ces conditions, la mesure prévue à l’art. 74 al. 1 let. b LEI serait inapte à atteindre son premier but consistant à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), le domicile de l’intéressé et les lieux de son suivi médical étant connus.

Le second objectif de la mesure, soit inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse serait pertinent. Toutefois la mesure apparaitrait en l’état disproportionnée, sous l’angle notamment du sous-principe de la nécessité, dès lors qu’il ne serait pas établi à satisfaction de droit que l’intéressé va refuser de quitter le territoire. L’attention de l’intéressé est en conséquence expressément attirée sur son obligation de quitter la Suisse, en application de la décision définitive et exécutoire du 25 novembre 2022 de l’OCPM, sous peine de se voir soumis à des mesures de contrainte.

Le recours sera en conséquence rejeté en tant qu’il est recevable.

6.             Aucun émolument de procédure ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l’intimé à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu’il est recevable le recours interjeté le 4 avril 2023 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mars 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure CHF 1'000.- à Monsieur A______ à charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat de Monsieur A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal adminsitratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :