Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1710/2009

ATA/360/2009 du 28.07.2009 ( LDTR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1710/2009-LDTR ATA/360/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 juillet 2009

 

dans la cause

 

FONDS DE COMPENSATION DE L'ASSURANCE VIEILLESSE ET SURVIVANTS

et

X______ S.A.
représentés par Me Pierre Louis Manfrini, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

et

ASSOCIATION GENEVOISE DE DÉFENSE DES LOCATAIRES (ASLOCA)
représentée par Me Nils de Dardel, avocat

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS


EN FAIT

1. Le Fonds de compensation de l'assurance vieillesse et survivants (ci-après : le Fonds) est propriétaire de la parcelle no ______ feuille 32 de la commune de Genève-Cité, sise __, boulevard Z______, sur laquelle est érigé un immeuble à usage administratif et commercial, à l'exception d'un appartement de 4 pièces au 4ème étage.

Le Fonds avait acquis ce bien immobilier de X______ S.A. (ci-après : X______ S.A.) le 1er juillet 2008, dans le but d'y installer ses bureaux.

2. Le 2 septembre 2008, le département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : le département) a autorisé la rénovation, la transformation et la réaffectation partielle du bâtiment susmentionné, avec changement d'affectation du logement en bureau et suppression des marquises (autorisation DD ______ ; ci-après : l'autorisation).

L'autorisation, dont la demande avait été déposée par X______ S.A. le 2 janvier 2008, mentionnait notamment une condition 6, selon laquelle le changement d'affectation d'un logement (1 logement = 4 pièces) en locaux administratifs était compensé par le changement d'affectation de surfaces commerciales en logement (1 logement = 6 pièces), au 3ème étage de l'immeuble 6 (recte : 4), rue des Y______.

3. Le même jour, le département a autorisé la transformation et le changement d'affectation en logement d'un bureau en PPE appartenant à F______ S.A., au 3ème étage de l'immeuble 4 rue des Y______, sis sur la parcelle no ______, feuille 8 de la commune de Genève-Plainpalais (autorisation APA ______ ; ci-après : l'APA).

A teneur de la condition 6 de l'APA, le changement d’affectation de locaux administratifs en logement (1 logement = 6 pièces) se faisait en compensation du changement d'affectation d'un logement (1 logement = 4 pièces) en locaux administratifs au 4ème étage de l'immeuble 6, boulevard Z______.

4. Par acte du 6 octobre 2008, l'association genevoise de défense des locataires (ci-après : Asloca) a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) contre l'autorisation, concluant à son annulation.

Les exigences légales pour que la compensation soit admissible n'étaient pas remplies, la rue des Y______ n'étant pas dans le même secteur que le boulevard Z______ .

5. Le 8 avril 2009, la commission a admis le recours et annulé l'autorisation.

En regard de la qualité et de la situation respectives des deux logements, les conditions de compensation n'étaient pas réalisées. Le bâtiment de la rue Z______ était un immeuble protégé de la ceinture fazyste dont la qualité patrimoniale et esthétique était sans comparaison possible avec celui de la rue des Y______ , situé dans une ancienne usine. Le premier bénéficiait de vues magnifiques puisque l'on pouvait apercevoir la cathédrale, les Halles de l'Ile et le Jura. Il était traversant, bien ensoleillé et sis dans un environnement de qualité. Le boulevard était certes très bruyant en raison du passage du tram, mais il s'agissait "d'un bruit inhérent au bruit de la ville, bruit que connaiss[ai]ent de nombreux immeubles d'habitation se trouvant le long d'artères identiques". En outre, la cuisine, la salle de bain et une chambre donnaient sur l'arrière. L'appartement à transformer rue des Y______ était dans un environnement et un bâtiment sans intérêt. Il ne "correspond[ait] pas à un usage correspondant aux besoins prépondérant de la population". Il s'agissait « d'un 4 pièces » avec un vaste espace séparé partiellement par une paroi. Les WC se trouvaient entre la salle de bain et la cuisine à l'entrée de l'appartement. Le logement à créer était industriel. Les fenêtres, vastes, étaient basculantes, ne permettant pas une ouverture normale. Le logement était certes plus calme que celui du boulevard Z______ . Toutefois, le bruit de la circulation du carrefour de la Jonction était nettement perçu dans les locaux donnant sur la rue des Y______ . Enfin, "la qualité des vues entre les deux appartements, ainsi que la qualité des deux quartiers ne résist[ait] pas à la comparaison".

6. Par acte du 15 mai 2009, le Fonds et X______ S.A. ont recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision susmentionnée concluant préalablement à l'annulation, dans un jugement sur partie, de son dispositif en tant qu'il prononçait l'annulation complète de l'autorisation, avec la précision que les travaux de transformation et de rénovation de l'immeuble 6 boulevard Z______ ne concernant pas le logement du 4ème étage pouvaient être entrepris sans délai. Au fond, ils demandaient d'annuler la décision en tant qu'elle prononçait l'illégalité du chiffre 6 du dispositif de l'autorisation (cause A/1710/2009).

L'examen de la décision querellée démontrait que le seul grief retenu par la commission concernait la qualité de la compensation proposée en vue du changement d'affectation du logement du 4ème étage du 6, boulevard Z______ . Pour le reste, la commission avait admis le principe du changement d'affectation comme le reste des travaux, qui représentaient 97% du coût de l'investissement. En annulant purement et simplement l'autorisation, elle avait excédé son pouvoir de décision et ainsi violé le principe de la proportionnalité.

S'agissant des conditions de compensation, elles devaient être appréciées exclusivement à la lumière du but de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et dans la perspective des futurs occupants. Il fallait déterminer si l'appartement à créer et offert en compensation disposait d'un confort, d'une surface, d'un standing et d'un environnement acceptables. Les préoccupations de protection des sites n'avaient pas de pertinence. En l'espèce, privilégiant le fait que le bâtiment du 6 boulevard Z______ appartenait à la ceinture fazyste, la commission avait arbitrairement minimisé les nuisances sonores de l'appartement, ignorant notamment le cadastre du bruit établi par l'Etat de Genève, qui indiquait que les valeurs d'alarme au sens de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41.) étaient dépassées de jour comme de nuit. Quant au logement offert en compensation, il s'inscrivait dans des travaux de rénovation complète du quartier des Y______-P______ qui donnerait naissance à un environnement de logements de très haute qualité, ayant fait l'objet de critiques élogieuses dans les magazines spécialisés, dans un secteur qui n'était pas directement exposé au trafic routier et à ses nuisances. Le bâtiment de la rue des Y______ était en outre situé à proximité immédiate de la zone piétonne aménagée le long des rives du Rhône. L'appartement serait plus lumineux et son volume habitable plus important que celui du boulevard Z______ . Les deux logements étaient situés dans le quartier de la Jonction, les deux adresses appartenant au même arrondissement électoral et étant distantes de moins de 800 mètres.

7. Le DCTI a recouru auprès du Tribunal administratif le 18 mai 2009 contre la décision de la commission, concluant à son annulation et à la confirmation de l'autorisation (cause A/1733/2009).

Les conditions pour admettre la compensation entre les deux logements en cause étaient réalisées. Les objets étaient comparables et au moins équivalents. L'appartement du boulevard Z______ était situé dans un environnement bruyant, dans un quartier accueillant de nombreux locaux administratifs et commerciaux. Le caractère du quartier ne serait donc pas altéré par la transformation de ce logement en bureau. L'appartement de la rue des Y______ , très lumineux et d'un volume supérieur pour une surface supérieure de 2m2, était situé dans un secteur proche, dans une petite rue sans exposition directe au trafic routier près de la zone piétonne des rives du Rhône.

8. Par décision du 28 mai 2009, le juge délégué a joint les deux causes susmentionnées sous le n° A/1710/2009.

9. Le 5 juin 2009, le DCTI a soutenu le recours du Fonds et de X______ S.A..

10. Le 3 juillet 2009, le Fonds, X______ S.A., le DCTI et l'Asloca ont déposé des conclusions d'accord pour mettre fin au litige. Elles ont la teneur suivante :

" Plaise au Tribunal administratif :

Prendre acte du retrait de toute opposition et contentieux de la part de [l'Asloca] contre l'autorisation de construire délivrée le 2 septembre 2008 (DD ______) moyennant l'engagement souscrit par [X______ S.A.], par l'intermédiaire de F______ S.A., d'affecter à du logement assujetti au contrôle du loyer LDTR pendant 5 ans à raison d'un loyer de CHF 3'363.- par pièce et par an au maximum, une surface commerciale additionnelle de 106 m2 sise au rez supérieur de l'immeuble 4, rue des Y______ .

Cet engagement intervient en complément de la compensation prévue au chiffre 6 de l'autorisation DD ______ et est intégré à ce titre comme condition à celle-ci.

Prendre acte du fait que dès lors, toutes les parties acceptent que l'immeuble 6, boulevard Z______ , propriété du [Fonds] ait désormais une affectation entièrement commerciale, y compris les combles dudit immeuble, conformément à l'autorisation de transformation et rénovation délivrée le 2 septembre 2008 par le DCTI (DD ______) et telle que complétée conformément au chiffre 1 ci-dessus.

Annuler la décision de la [commission] du 8 avril 2008 en tant qu'elle annule l'autorisation de construire DD ______ permettant la transformation et la rénovation de l'immeuble 6, boulevard Z______ à Genève.

Compenser les frais et dépens".

EN DROIT

1. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le Tribunal administratif est lié par les conclusions des parties mais non par les motifs qu'elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA). Il connaît le droit d'office et ne peut se limiter à entériner l'accord auquel sont parvenues les parties (ATA/329/2009 du 30 juin 2009 ; ATA/76/2008 du 19 février 2008).

3. Tout bâtiment situé en zone à bâtir est soumis à la LDTR (art. 2 al. 1 LDTR et 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat des zones entrant dans son champ d'application. Pour ce faire, elle prévoit notamment des restrictions au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 LDTR).

Par changement d'affectation, on entend toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel (art. 3 al. 3 LDTR).

En l'espèce, les recourants souhaitent rénover un bâtiment à usage administratif et commercial, à l'exception d'un appartement qui doit être transformé en bureaux, ce qui correspond à un changement d'affectation. Le bâtiment concerné par cette modification se trouve dans le quartier Genève-Cité, soit en zone à bâtir au sens de l'art. 19 LaLAT. La LDTR est dès lors applicable au cas d'espèce.

4. La commission a annulé purement et simplement l'autorisation, après avoir mentionné dans ses considérants que les travaux de rénovation et le changement d'affectation étaient conformes à la loi mais que les conditions de la compensation entre l'appartement du boulevard Z______ et le projet de la rue des Y______ n'étaient pas réalisées, les qualités respectives de ces deux objets n'étant pas identiques.

a. Selon l'art. 7 LDTR, nul ne peut, sous réserve d'une dérogation au sens de l'art. 8, changer de tout ou partie d'un bâtiment soumis à la loi, qu'il soit occupé ou inoccupé.

b. La LDTR subordonne l'octroi d'une dérogation à l'interdiction du changement d'affectation à deux catégories de conditions. La première (art. 8 al. 1 LDTR) vise à sauvegarder la qualité de vie des habitations voisines et du quartier, dès lors que les locaux commerciaux et les bureaux sont susceptibles d'engendrer des immissions dérangeantes pour les habitants limitrophes d'une part, et que l'implantation de tels locaux dans un quartier peut en modifier la face et l'atmosphère d'autre part. La seconde catégorie de conditions (art. 8 al. 2 LDTR) se rapporte aux locaux destinés à être affectés à du logement en contrepartie et vise à garantir une certaine équité entre ceux-ci et les logements existants voués à disparaître (ATA/189/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/165/2003 du 25 mars 2003).

En l’espèce, il ressort des pièces des dossiers que la commission a admis à bon droit que les travaux de rénovation et le changement d’affectation étaient conformes aux exigences de la LDTR. En revanche, au vu de l’évolution du dossier, en particulier le fait que l’accord intervenu entre les parties permet de doubler la surface de compensation, dans une zone reconnue plus calme et suffisamment proche de l’immeuble 6, boulevard Z______ , permet de retenir, contrairement à la commission, que les logements projetés son équivalents à celui voué à disparaître.

Enfin, rien ne permet de comprendre les raisons de l'annulation totale de l'autorisation alors que la commission ne l'a estimée critiquable que sous le seul aspect de la compensation et avait la compétence de l'annuler partiellement (art. 69 al. 3 LPA). Ce faisant, elle a violé le principe de la proportionnalité, qui impose notamment qu’entre plusieurs mesures possibles, on choisisse celle qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés (ATF 125 I 474 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001).

5. Au vu de ce qui précède, la décision de la commission sera annulée. Compte tenu des conclusions d'accord du 3 juillet 2009, l'autorisation sera rétablie et complétée de manière à intégrer l'engagement de X______ S.A. d'affecter à du logement assujetti au contrôle du loyer LDTR pendant 5 ans à raison d'un loyer de CHF 3'363.- par pièce et par an au maximum, une surface commerciale additionnelle de 106 m2 sise au rez supérieur de l'immeuble 4, rue des Y______ et, compte tenu de cet engagement, du retrait par l'Asloca de toute contestation de l'autorisation. En outre, aucun émolument ne sera perçu ni aucune indemnité allouée.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 15 mai 2009 par le Fonds de compensation de l'assurance vieillesse et survivants et X______ S.A. le 18 mai 2009 par le département des constructions et des technologies de l'information contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 8 avril 2009 ;

au fond :

les admet ;

annule la décision de la commission de recours en matière de constructions du 8 avril 2009 ;

rétablit l'autorisation de construire DD ______ délivrée le 2 septembre 2008 ;

complète le chiffre 6 l'autorisation de construire DD ______ délivrée le 2 septembre 2008 comme suit :

 

"En outre, une surface commerciale additionnelle de 106 m2 sise au rez supérieur de l'immeuble 4, rue des Y______ sera affectée à du logement assujetti au contrôle du loyer LDTR pendant 5 ans, à raison d'un loyer de CHF 3'363.- par pièce et par an au maximum."

donne acte à X______ S.A. de son engagement à affecter la surface commerciale additionnelle de 106 m2 à du logement, conformément à la condition complémentaire susmentionnée ;

l'y condamne en tant que de besoin ;

donne acte à l'association genevoise de défense des locataires de ce qu'elle retire sa contestation de l'autorisation de construire DD ______ délivrée le 2 septembre 2008 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Louis Manfrini, avocat des recourants, à Me Nils de Dardel, avocat de l’association genevoise de défense des locataires, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière de constructions et au département des constructions et des technologies de l'information.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :