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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1313/2005

ATA/340/2005 du 10.05.2005 ( CH ) , ADMIS

Parties : ASSUAS / CHANCELLERIE D'ETAT
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1313/2005-CH ATA/340/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 10 mai 2005

dans la cause

 

ASSUAS
représentée par Me Mauro Poggia, avocat

contre

CHANCELLERIE D’ÉTAT


1. Lundi 18 avril 2005 à 11h45, deux personnes se sont présentées au service des votations et élections (ci-après : le SVE), qui dépend de la Chancellerie d’Etat (ci-après : la Chancellerie), dans le but de déposer une liste de candidatures au nom de l’association suisse des assurés (ci-après : l’Assuas ou l’association recourante). Le chef de ce service a alors exigé le paiement immédiat au comptant d’une somme de CHF 3'000.- pour enregistrer ladite liste. Il a refusé par ailleurs un paiement par « postcard » ou la signature d’une reconnaissance de dette, jusqu’au paiement du montant au comptant dans l’après-midi du même jour.

2. Le 18 avril 2005 encore, la Chancellerie, agissant par le chef du service des votations et élections, a adressé à Me Mauro Poggia, avocat au Barreau de Genève, une lettre dont le contenu est le suivant :

« Dépôt de deux candidatures à l’élection de seize juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances sociales – 5 juin 2005

Monsieur,

Nous confirmons n’avoir pas enregistré la liste de dépôt de deux candidatures à l’exécution mentionnée en référence.

Cette décision est motivée par le fait que la caution pour frais d’impression (article 33 – A 5 05.01) ne pouvait pas être versée en espèces à l’échéance du délai de dépôt par le déposant responsable».

3. Le 18 avril 2005 toujours, Assuas a invité la Chancellerie à revenir sur sa décision, qui procédait d’un excès de formalisme. L’association concluait à pouvoir être autorisée à déposer sa liste dès le lendemain, de même que le montant requis de CHF 3'000.-.

4. Le 19 avril 2005, le chef du SVE a confirmé sa propre décision de la veille. Il avait en outre informé ses interlocuteurs des voie et délai de recours en matière de droits politiques.

Il ne pouvait être question de proroger l’échéance du délai de dépôt d’une candidature, fixé au 18 avril à 12h00 par arrêté du Conseil d’Etat du 23 février 2005. De surcroît, les conditions pour déposer une liste de candidatures avaient été publiées dans la Feuille d’avis officielle entre le 28 février et le 18 avril 2005 et des copies intégrales supplémentaires avaient été remises les 5 et 18 avril 2005 à deux représentants de l’Assuas.

5. Par recours remis auprès d’une succursale de l’entreprise « La Poste » en date du lundi 25 avril 2005, Assuas, agissant par le ministère de Me Poggia, a recouru contre la décision précitée.

Cette association conclut à l’annulation de la décision de la Chancellerie du 18 avril 2005, à ce que sa liste de candidatures soit enregistrée et à ce qu’il soit donné acte, si besoin est, à son conseil, de ce qu’il se portait fort de la caution exigée à hauteur de CHF 3'000.- le tout avec suite de frais et dépens.

6. Le 6 mai 2005, la Chancellerie a répondu au recours.

Elle conclut principalement à l’irrecevabilité du recours et, subsidiairement, au rejet de celui-ci au motif que l’Assuas était certes une personne morale, mais non un groupement politique. Par ailleurs, selon l’article 1er de ses statuts du 30 avril 1997, elle était neutre tant du point de vue confessionnel que politique. Elle ne remplissait ainsi pas les conditions nécessaires pour agir en violation des droits politiques au sens de l’article 180 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05). Quant au versement d’une caution, il s’agissait d’un mécanisme dont la validité avait été reconnue par le Tribunal fédéral. L’association recourante ne pouvait dès lors se plaindre du refus d’inscrire sa liste.

1. Selon l'art. 180 alinéa premier let. d LEDP, le recours au Tribunal administratif est recevable contre la violation de la procédure des opérations électorales cantonales et communales.

a. Le délai de recours est de six jours en matière de votations et d'élections (art. 63 al. 1er let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985, LPA - E 5 10) par renvoi de l'art. 180 al. 2 LEDP. Selon l’article 17 al. 3 LPA, les délais qui expirent un dimanche sont reportés au premier jour utile suivant.

Déposé le lundi 25 avril 2005 contre une décision du lundi 18 avril 2005, le recours est recevable de ce point de vue.

b. Répondant au recours, la Chancellerie soutient que celui-ci est irrecevable, faute de qualité pour agir de l’association recourante.

Certes, l’association recourante a prévu dans ses statuts qu’elle était neutre tant sur le plan confessionnel que sur celui politique. Elle se voue toutefois, toujours à teneur de ses statuts, à l’information et à la défense des assurés et à la promotion d’un système cohérent de sécurité sociale. S’agissant de l’élection d’assesseurs devant représenter « paritairement » les partenaires sociaux (art. 56T LOJ, lettre c, dans sa teneur adoptée le 28 octobre 2004 ; http://www.geneve.ch/grandconseil/moteurPdf.asp?typeObj=PL&numObj=9384 au 6 mai 2005), on ne saurait sérieusement soutenir que la neutralité politique ou confessionnelle de l’association recourante l’empêcherait de participer au processus électoral conduisant à l’élection de juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances sociales.

Dans un arrêt récent (ATA/227/2005 du 19 avril 2005), le tribunal de céans a retenu que la formule précitée était « suffisamment vague pour que tout citoyen, bénéficiant de la formation spécifique requise par le règlement […] puisse se porter candidat ». Comme l’avait d’ailleurs soutenu le Conseil d’Etat lui-même à l’occasion de cette procédure, la formulation retenue permettait notamment à des citoyens n’exerçant pas d’activité professionnelle de représenter par exemple des assurés. Toujours selon le Conseil d’Etat dans la procédure ayant conduit à l’arrêt précité du 19 avril 2005, les candidatures ne devaient pas forcément émaner des partenaires sociaux et un candidat pouvait être présenté par une organisation qui ne soit ni un syndicat, ni un groupement de travailleurs ou une organisation patronale. Cette manière de comprendre le texte légal avait été approuvée par le tribunal de céans, qui avait ainsi admis que la novelle du 28 octobre 2004 pouvait être interprétée de manière conforme à l’article 25 lettres b et c du Pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte II – RS 0.103.2) .

On ne saurait donc suivre la Chancellerie dans sa réponse au recours de l’association intimée dès lors qu’elle reviendrait à restreindre indûment le cercle des personnes morales habilitées à présenter des candidats à l’élection de magistrats de l’ordre judiciaire. Il serait en outre non seulement singulier, mais encore étonnant, de restreindre ce droit à l’égard d’une association qui se voue à la promotion d’un système cohérent de sécurité sociale ainsi qu’à l’information des assurés sociaux.

Le recours est donc également recevable de ce point de vue.

2. Selon l'art. 81 al. 4 LEDP, pour toutes les élections - sauf celles du Conseil national - les frais d'impression et d'expédition des bulletins sont à la charge des partis politiques, autres associations ou groupements.

L'art. 33 al. 4 RLEDP, dans sa teneur au 2 juin 1997, entré en vigueur le 23 juin 1997, prévoit que lorsque les bulletins électoraux sont imprimés par le département alors que les frais d'impression sont à la charge des partis politiques, autres associations ou groupements, le département pouvant exiger le dépôt d'une avance en espèces avant de procéder à l'enregistrement de la liste des candidats.

3. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif (ATA/544/1997 du 9 septembre 1997), l’article 33 al. 4 RLEDP ne pose pas en lui-même d’exigence nouvelle par rapport à l'art. 81 al. 4 LEDP. Il n'est en effet pas contraire à l'esprit de la loi, en application de laquelle les frais d'impression des bulletins de vote sont à la charge des partis politiques, de prévoir une avance de frais de la part du débiteur lorsque les bulletins sont imprimés par les pouvoirs publics.

Cette disposition est au demeurant conforme aux préoccupations exprimées par le Conseil fédéral dans son message à l'appui de la nouvelle loi fédérale sur les droits politiques, à teneur duquel il importe de prévenir les risques d'abus découlant de la prise en charge des frais d'impression des bulletins de vote sans que cela ne conduise à l'établissement de prescriptions prohibitives (FF 1975 I p. 1337 et suivantes). La solution adoptée par le législateur genevois a enfin été considérée comme conforme au système constitutionnel tant fédéral que cantonal par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1P.673/2001 du 25 octobre 2001).

A cet égard, le principe même d'une avance de frais ne saurait donc être qualifié de dirimant.

4. L’association recourante critique la procédure applicable au paiement de l’avance des frais d’impression des bulletins, qu’elle taxe d’excessivement formaliste.

a. La jurisprudence a tiré de l’article 29 alinéa 1 Cst, et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst), le principe de l’interdiction du déni de justice formel qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel (arrêt du Tribunal fédéral 2A.507/2002 du 31 mars 2004, consid. 5.2 et références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.109/2004 du 10 mars 2004, consid. 2.1 et références citées). C’est en particulier le cas lorsque la violation d’une règle de forme de peu d’importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d’irrecevabilité en matière judiciaire (ATA/473/2004 du 25 mai 2004 ; ATA/561/2003 du 23 juillet 2003 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. II, Berne 2002, p. 230 et ss n° 2.2.4.6 et références citées). Selon ce dernier auteur, il y a formalisme excessif lorsque l’administration, au lieu de déclarer l’acte irrecevable, aurait pu aviser facilement l’intéressé et que le vice aurait pu être aisément corrigé ou lorsque, de toute manière, le vice n’a pas de conséquence sur l’ordre de la procédure ni sur la régularité de la décision à prendre (eodem loco, p. 232).

b. L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de comportement imposée au justiciable par le droit cantonal, soit dans la sanction qui lui est attachée. En tant qu'il sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif poursuit le même but que le principe de la bonne foi déduit de l'art. 4 aCst. (Cf. J.-F. EGLI et O. KURZ, La protection de la bonne foi dans le procès : quelques exemples tirés de la jurisprudence in Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, Zurich 1992, p. 225-226). Les autorités ont le devoir de se comporter avec bonne foi à l'égard des administrés. Cette obligation suppose toutefois que l'administré est lui-même de bonne foi (ATF 121 I 177 p. 180; ATF 119 Ib 64 consid. 3 et les arrêts cités).

c. Il ressort de la LEDP qu'à plusieurs occasions, le Conseil d'Etat est tenu d'obéir à un certain calendrier. Par exemple, il doit convoquer les électeurs au moins onze jours avant le dernier jour du scrutin, s'agissant de l'affichage de la convocation des électeurs (art. 20 LEDP) ou il doit mettre à disposition des partis ou groupements les espaces disponibles pour leurs affiches le 14ème jour précédent le dernier du scrutin (art. 30 al. 5 let. b LEDP ; cf. également ATA/274/2004 du 30 mars 2004, consid. 1e). Le respect de ces délais nécessite celui d’une marche à suivre précise tant à l’égard des autorités publiques que des citoyens.

En l’espèce, le SVE s’est écarté de sa pratique antérieure, telle qu’exposée dans l’ATA/544/1997 du 9 septembre 1997, selon laquelle le groupement dont il est exigé qu’il dépose une caution, pouvait se voir accorder un bref délai pour le faire. Ainsi que le fait remarquer avec pertinence l’association recourante, les frais d’impression du bulletin ne sont engagés qu’après la vérification des autres conditions permettant l’enregistrement d’une liste. Il n’y a donc aucun intérêt digne de protection qui interdise d’accorder un très bref délai à un groupement pour le paiement de la caution qui est exigée de lui, à tout le moins lorsqu’un représentant de ce groupement offre de signer une reconnaissance de dette. Or, les représentants de l’association recourante s’étaient offerts à verser la somme attendue d’eux l’après-midi même. On ne discerne dès lors guère d’exigences tirées de l’application de la LEDP ou de l’intérêt financier de l’Etat permettant de refuser une telle solution.

Enfin, rien n’indique que les personnes concernées étaient de mauvaise foi et qu’il y avait lieu de s’écarter à leur égard de la pratique sus-décrite.

d. La position de l’Etat procède également d’une rigueur excessive du fait que le dépôt d’une caution n’est qu’une simple faculté offerte à la Chancellerie et non une obligation générale (cf. art. 33 al. 4 RLEDP). La mention de cette faculté dans la Feuille d’avis officielle n’emporte pas l’obligation de chaque groupement de se munir d’une somme de plusieurs milliers de francs en liquide dans le seul but de répondre à une éventuelle exigence en ce sens de l’Etat, qui ne soutient au demeurant pas avoir posé les mêmes conditions à l’écart des autres personnes physiques ou morales ayant déposé une liste pour la même élection.

Ce serait donc faire preuve d’un formalisme exagéré que d’empêcher un groupement de proposer des candidats à une élection au motif qu’il ne serait pas en mesure de payer sur-le-champ et en numéraire la somme exigée de lui.

5. Bien fondé, le recours doit être admis. Il incombera à la Chancellerie, respectivement au SVE, de vérifier si la liste que l’association recourante comptait déposer, remplit toutes les conditions légales et de procéder à l’ensemble des opérations requises à cet égard, avant de l’enregistrer, le cas échéant, après le paiement de la caution.

6. L’association recourante, qui obtient gain de cause, a droit en outre à une indemnité de procédure, puisqu’elle a procédé par le ministère d’un avocat. Celle-ci sera arrêtée à CHF 2'000.-.

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 avril 2005 par Assuas contre la décision de la Chancellerie d’Etat du 18 avril 2005 ;

au fond :

l’admet ;

annule ladite décision ;

renvoie le dossier à la Chancellerie d’Etat pour procéder au sens des considérants ;

dit qu’une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à Assuas à la charge de l’Etat ;

communique le présent arrêt à Me Mauro Poggia, avocat d’Assuas et à la Chancellerie d’Etat.

Siégeants : M. Paychère, président, Mme Hurni, M. Thélin et Mme Junod, juges, M. Bellanger, juge suppléant

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.:

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :