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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/504/2005

ATA/227/2005 du 19.04.2005 ( CE ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.05.2005, rendu le 06.10.2005, RETIRE, 1P.325/2005
Descripteurs : ELECTION(DROITS POLITIQUES); JUGE; INTERPRETATION
Normes : LEDP.180 al.2; CST-GE 49; CST-GE 50; CST-GE 132
Parties : DOBLER Olivier / CONSEIL D'ETAT
Résumé : L'élection des juges assesseurs du TCAS est soumise à l'art. 25 litt.b et c Pacte II. Selon la novelle du 28 octobre 2004, les "16 juges assesseurs doivent représenter paritairement les partenaires sociaux". Cette formulation est suffisamment vague pour que tout citoyen, bénéficiant de la formation spécifique requise par le règlement (E 2 05.05) et n'ayant pas atteint l'âge de 72 ans (60F litt.c LOJ) puisse se porter candidat. Recours rejeté.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/504/2005-CE ATA/227/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 19 avril 2005

dans la cause

 

 

Monsieur Olivier DOBLER

contre

CONSEIL D'ÉTAT


 


1. Par arrêté du 23 février 2005, publié dans la Feuille d’Avis Officielle (ci-après : FAO) le 25 février 2005, le Conseil d’Etat a fixé au dimanche 5 juin 2005 l’élection des juges assesseurs au Tribunal cantonal des assurances sociales (ci-après : TCAS), le dépôt des listes de candidatures étant quant à lui fixé au lundi 18 avril 2005 avant midi.

A teneur de l’article 56T litt c LOJ dans sa teneur au 28 octobre 2004 (PL 9384), ces assesseurs, au nombre de 16, devaient représenter paritairement les partenaires sociaux. De plus, ils devaient bénéficier d’une formation spécifique sur les questions juridiques et d’assurances sociales, dont les modalités étaient fixées par règlement.

2. Par acte posté le 3 mars 2005, M. Olivier Dobler, citoyen genevois enregistré au rôle des électeurs de ce canton, selon attestation de la Chancellerie d’Etat valable jusqu’au 31 décembre 2005, a interjeté recours contre cet arrêté auprès du Tribunal administratif en concluant à son annulation. Il demandait de plus à ne pas être condamné au paiement d’un émolument, mais à se voir allouer une indemnité de procédure.

M. Dobler a fait valoir que la qualité pour recourir devait lui être reconnue, qu’il soit ou non candidat à l’élection, car en sa qualité de citoyen et électeur de ce canton, il était atteint dans un intérêt juridiquement protégé au sens de l’article 25 du Pacte international sur les droits civils et politiques (Pacte II – RS 0.103.2).

Le nouvel article 56T litt c LOJ précité avait fait l’objet d’une modification rédactionnelle car le texte précédent prévoyait que la moitié des juges assesseurs du TCAS devaient être proposés par des associations représentatives des employeurs et l’autre moitié par des associations représentatives des salariés.

Cette nouvelle formulation ne modifiait en rien le mode de désignation de ces assesseurs.

Aussi, les considérants du Tribunal administratif dans son arrêt du 30 mars 2004 gardaient toute leur pertinence.

Cette fonction de juge assesseur résultait d’une élection populaire directe, raison pour laquelle l’article 25 litt b Pacte II s’appliquait.

Selon cette dernière disposition, toute restriction au droit de se porter candidat devait reposer sur des critères objectifs et raisonnables.

M. Dobler a sur ce point repris l’argumentation qu’il avait développée en 2004 :

a. Le fait de devoir être proposé de manière paritaire par des partenaires sociaux constituait une restriction ne reposant pas sur un critère raisonnable : elle entravait l’éligibilité des nombreux citoyens professionnellement inactifs et elle n’était pas adéquate vu l’importance des compétences attribuées au TCAS qui ne relevaient pas du monde du travail, comme les assurances accidents, maladie, militaire ou prestations complémentaires, parce que financées exclusivement par l’Etat. En ce sens, cette fonction différait sensiblement de celle exercée par les juges prud’hommes.

b. Si par impossible, seul s’appliquait l’article 25 litt c Pacte II relatif aux nominations, la restriction dénoncée était encore plus inadmissible car cette novelle contrevenait aux principes du mérite, de l’égalité des chances et de la sécurité d’emploi pour accéder à la fonction publique. Elle violait l’article 11 CEDH qui garantissait le droit d’association, et donc celui de non-association, alors que la novelle contraignait le candidat à être membre d’une organisation ayant qualité de partenaire social, ce qui était également contraire à l’article 23 alinéa 3 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst féd. – RS 101).

c. Les ingérences ainsi autorisées des partenaires sociaux n’étaient en rien nécessaires au sens de l’article 11 § 2 CEDH.

d. Enfin, l’article 34 Cst féd. garantissait les droits politiques des citoyens. Combiné avec l’article 8 Cst féd. consacrant le principe de l’égalité, il conférait un droit à l’égalité renforcé qui n’était pas respecté, puisque l’article 56T litt c LOJ n’instaurait pas un découpage fonctionnel au sein des électeurs. Ce système donnait plus de poids aux employeurs, alors qu’ils étaient moins nombreux que les salariés, et entravait l’éligibilité de tous ceux qui n’étaient ni salariés, ni employeurs, parce qu’indépendants ou professionnellement inactifs.

Le Tribunal fédéral (ATF 126 I 235) avait déjà admis la constitutionnalité de certains tribunaux paritaires sous l’angle des droits garantis au justiciable mais non sous celui du respect des droits politiques du citoyen.

Dans le cadre des litiges relatifs à l’octroi de prestations en matière de PCF, LAM, LAA ou LAMal, il n’existait aucun motif sérieux justifiant une composition paritaire du TCAS.

e. Pire, dans les litiges relatifs aux régimes d’assurances dans la gestion desquels les partenaires sociaux avaient une influence de droit ou de fait importante, le justiciable qui soutiendrait un autre point de vue pourrait légitimement craindre que son procès ne soit pas équitable au sens de l’article 6 CEDH, chacun des partenaires sociaux siégeant en représentant un.

f. Enfin, l’article 8 Cst féd. consacrait l’égalité entre l’homme et la femme. L’accès au monde du travail était cependant plus réduit pour la population féminine. Son accès aux partenaires sociaux était plus difficile et elle se trouvait ainsi défavorisée dans l’exercice de ses droits politiques.

2. Le 31 mars 2005, le Conseil d’Etat sous la plume du Chancelier, a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

a. L’arrêté attaqué ne constituait pas une décision au sens de l’article 4 LPA, susceptible de recours auprès du Tribunal administratif en application de l’article 56A LOJ.

Il ne s’agissait pas davantage d’une violation de la procédure des opérations électorales au sens des articles 180 alinéa 2 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05).

Quant aux tribunaux genevois, ils pouvaient procéder à un contrôle préjudiciel de constitutionnalité des actes législatifs cantonaux de niveau infraconstitutionnel mais uniquement lors d’un acte d’application individuel et concret, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

L’entrée en matière sur le recours consacrerait une violation du droit fédéral.

De plus, M. Dobler n’avait pas interjeté de recours en droit public auprès du Tribunal fédéral contre la loi elle-même, entrée en vigueur le 25 décembre 2004. Ses griefs actuels, dirigés contre la loi, contrevenaient au principe de la bonne foi des administrés, consacré par l’article 5 alinéa 3 Cst féd.

b. Si le tribunal entrait néanmoins en matière sur le fond du recours, il devrait le rejeter. Contrairement aux allégués de M. Dobler, la modification opérée avait élargi le cercle des candidats possibles, notamment aux assurés, aux assureurs, aux indépendants et inactifs. Les candidatures ne devaient pas émaner des partenaires sociaux et un candidat pouvait être présenté par une organisation qui ne soit ni un syndicat ni un groupement de travailleurs ou une organisation patronale.

Même si le Tribunal administratif en avait jugé différemment dans son arrêt du 30 mars 2004, le Conseil d’Etat maintenait que l’article 25 litt b et c Pacte II ne s’appliquait pas aux élections par le peuple des autorités judiciaires, lesquelles n’existaient que dans certains Etats des Etats-Unis et certains cantons suisses, dont Genève. Ce faisant, le Conseil d’Etat se référait à la pratique de l’interprète autorisé dudit Pacte, soit le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, institué par les articles 28 ss de ce texte.

c. A supposer que l’article 25 litt c Pacte II soit applicable, il rejoignait les exigences d’indépendance attendues des juges. Dans son arrêt du 30 mars 2004, le Tribunal administratif avait considéré comme contraire à l’article 25 Pacte II l’obligation faite au candidat par l’article 56T aLOJ, d’être proposé par une association représentative des employeurs ou des salariés. Cette obligation ayant été supprimée par la novelle, ce grief devait être rejeté.

Il en était de même des violations alléguées de la liberté de non –association (ATF 124 I 207 consid. 4), ou du principe d’égalité. Enfin, aussi bien les femmes que les non-actifs pouvaient être candidats, de sorte que cet argument tombait à faux.

3. A sa requête, un délai au 6 avril a été donné à M. Dobler pour répliquer. Le recourant a fait parvenir une réplique au Tribunal administratif et, vu l’urgence, celle-ci a été adressée par télécopie à la Chancellerie d’Etat avec un délai au 8 avril à 12h00 pour dupliquer.

Ces écritures n’apportent pas d’éléments nouveaux sur le fond de la cause.

Sur quoi, celle-ci a été gardée à juger.

1. La loi modifiant l’article 56T LOJ (PL 9384) a été adoptée le 28 octobre 2004 par le Grand Conseil. Elle a été publiée dans la FAO le 8 novembre 2004 et elle est entrée en vigueur le 25 décembre 2004. Elle n’a fait l’objet d’aucun recours.

2. L’arrêté pris par le Conseil d’Etat le 23 février 2005 et fixant l’élection des juges assesseurs au TCAS au 5 juin 2005 et le dépôt des listes de candidatures au lundi 18 avril 2005 a été publié le 25 février 2005 dans la FAO.

Cet arrêté faisait référence aux article 49, 50 et 132 de la Constitution genevoise du 24 mai 1847 (A 2 00), à la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ – E 5 02), à la LEDP (A 5 05) et au règlement relatif à la formation spécifique des juges assesseurs au TCAS du 26 janvier 2005 (E 2 05.05), mais ne mentionnait aucune voie de recours.

Le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les violations de la procédure des opérations électorales indépendamment de l’existence d’une décision au sens de l’article 56A alinéa 2 LOJ (art. 180 al. 2 LEDP).

Dans son arrêt Dobler c/ Conseil d’Etat du 30 mars 2004 (ATA /274/2004 du 30 mars 2004), définitif et exécutoire, le tribunal de céans a déjà admis que « la fixation par le Conseil d’Etat de la date d’un scrutin entre dans la définition des opérations électorales et peut faire l’objet d’un contrôle. Le recours est recevable à cet égard ». De plus, dans ce même arrêt, et malgré l’opinion inverse de l’intimé, le tribunal de céans a admis qu’il pouvait procéder à un contrôle préjudiciel de la constitutionnalité de la légalité des lois et règlements. Son pouvoir s’exerce aussi bien par rapport au droit fédéral que par rapport au droit cantonal (ATA/121/2005 du 8 mars 2005 ; ATA/274/2004 du 30 mars 2004).

Il n’y a pas lieu de s’écarter de ces récentes jurisprudences.

De plus, le recours, posté le 3 mars 2005, respecte le délai de 6 jours fixé par l’article 63 alinéa premier lettre c LPA en matière d’élections, ce délai ayant commencé à courir le lendemain de la parution du 25 février 2005.

Enfin, la qualité pour recourir de M. Dobler n’est pas contestée. En conséquence, le recours est recevable.

3. En raison du principe « ne bis in idem », il n’y a pas lieu de revenir sur l’admission par le Tribunal administratif du fait que l’élection des juges assesseurs est soumise à l’article 25 litt b et c Pacte II, puisque Genève est l’un des cantons dans lequel l’ensemble des juges a toujours été élu par le peuple, le Tribunal fédéral ayant souligné récemment qu’il n’existait pas fondamentalement de différence de statut entre les juges professionnels et les assesseurs (arrêt du Tribunal fédéral 1P.487/2003 du 27 janvier 2004).

4. Selon la novelle du 28 octobre 2004 les « 16 juges assesseurs doivent représenter paritairement les partenaires sociaux ». Cette formulation est suffisamment vague pour que tout citoyen, bénéficiant de la formation spécifique requise par le règlement (E 2 05.05) et n’ayant pas atteint l’âge de 72 ans (art. 60 F litt c LOJ), puisse se porter candidat. En effet, comme le rappelle l’intimé dans sa réponse au recours, cette formulation permet notamment à des citoyens n’exerçant pas d’activité professionnelle de représenter par exemple des assurés. La notion de partenaires sociaux ne s’entend ainsi pas exclusivement d’associations patronales ou de celles regroupant des salariés, comme l’ancien texte, jugé trop restrictif pour ce motif.

Ilfaut donc admettre que la novelle peut être interprétée de manière conforme à l’article 25 litt b et c Pacte II.

Les griefs soulevés par le recourant n’empêchent pas le corps électoral d’élire des juges assesseurs représentatifs de différents milieux.

Au vu de ce qui précède, la novelle est conforme aux textes de rang supérieur, qu’il s’agisse du Pacte II, de la CEDH, de la Cst fédérale, de la Cst cantonale ou encore de la LEDP.

5. Mal fondé, le recours sera rejeté. La procédure n’est pas gratuite, comme le sait le recourant (ATA/121/2002 du 26 février 2002). Pour tenir compte de sa situation financière, seul un émolument de CHF 250.- sera mis à sa charge. Vu l’issue du litige, il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2005 par Monsieur Olivier Dobler contre l’arrêté du Conseil d'Etat du 23 février 2005 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 250.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à Monsieur Olivier Dobler ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :