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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3658/2022

ATA/327/2023 du 28.03.2023 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3658/2022-FORMA ATA/327/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 mars 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. a. Madame A______ s’est inscrite au programme « Horizon académique de l’Université de Genève » durant l’année académique 2020-2021. Ce programme vise à valoriser et renforcer les compétences de personnes réfugiées. Il est une mesure de l'Agenda intégration Suisse et du programme d’intégration cantonal. Les participants suivent des cours de français et de leur branche d’études, passent des examens et, le cas échéant, reçoivent des crédits ECTS virtuels.

b. À la fin de l’année académique 2020-2021, Mme A______ a fait l’examen « en blanc » de la première année de bachelor en médecine.

c. Elle a suivi les cours de bachelor en médecine en 2021-2022. Lors de la session de juin 2022, elle a obtenu la note de 2.25.

d. Par décision du 24 juin 2022, le doyen de la faculté de médecine a prononcé l’élimination de la candidate des études de bachelor en médecine humaine.

e. Cette décision n’a pas été contestée.

f. Par décision du 2 septembre 2022, Mme A______ a été exmatriculée de l’Université de Genève.

g. Par courriel du 21 septembre 2022, elle a sollicité un entretien avec le conseiller académique de la faculté de médecine, venant d’apprendre que contrairement à ce qui lui avait été indiqué par la coordinatrice du « programme Horizon », elle ne pourrait pas répéter l’année. Le même jour, le conseiller lui a indiqué qu’il pouvait la recevoir, mais qu’il était impossible d’obtenir une dérogation pour redoubler.

h. Par courriel du 27 septembre 2022, Mme A______ a demandé à pouvoir se représenter à l’examen. Elle avait eu des difficultés et des problèmes de santé lors de son arrivée en Suisse. La coordinatrice du « programme Horizon » lui avait indiqué le 7 juillet 2022 que, malgré sa note inférieure à 3, elle pourrait répéter l’année au motif qu’elle faisait partie du programme précité.

i. Le 3 octobre 2022, le doyen de la faculté de médecine a répondu à l’étudiante que le règlement d’études ne prévoyait pas de dérogation en cas d’obtention d’une note éliminatoire à l’examen de première année. Il ne pouvait être tenu compte de ses arguments, dès lors que la décision d’élimination n’avait pas été contestée.

B. a. Par acte expédié le 5 novembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, Mme A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Ses problèmes de santé avaient été ignorés, comme ses précédentes études dans le domaine de la médecine et elle avait été mal informée sur la possibilité de redoubler.

b. Dans le délai imparti pour produire des documents complémentaires, elle a exposé que son père, professeur d’université, avait été licencié en Turquie en 2017, puis emprisonné. Elle était arrivée en Suisse en 2019 et avait demandé l’asile. Elle était suivie par un psychiatre et sous médication. Elle n’avait pas été en état de passer les examens, ce dont elle ne s’était pas rendue compte sur le moment. Elle avait été mal informée par la personne accompagnant les étudiants réfugiés.

c. La faculté de médecine a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours. Le recours remettait en cause la décision d’élimination, qui toutefois était entrée en force.

d. Dans sa réplique, la recourante a insisté sur le fait qu’elle ne s’était pas opposée à la décision d’élimination du fait que la coordinatrice du « programme Horizon » lui avait dit, lors de leur entretien le 7 juillet 2022, qu’un redoublement était possible. Elle avait fait confiance à la coordinatrice concernant les droits spécifiques accordés aux étudiants réfugiés. Sa compréhension était qu’elle était toujours dans le programme précité et qu’à ce titre, elle était autorisée à redoubler la première année. Après l’entretien du 7 juillet 2022, elle en avait informé son assistante sociale, qui lui avait indiqué qu’elle devait faire une demande de bourse d’études, qu’elle avait obtenue.

e. La faculté de médecine a estimé que ces faits ne modifiaient pas sa position.

f. Lors de l’audience d’enquêtes, qui s’est tenue le 27 février 2023 devant la chambre administrative, Madame B______, coordinatrice du « programme Horizon académique », a déclaré que ce programme comportait quatre modules, qui étaient fonction du niveau de français des étudiants. Mme A______ avait été admise au module 2. Celle-ci avait suivi des cours en qualité d'auditrice auprès de la faculté de médecine ainsi que des cours de français. Ayant atteint le niveau B2 de langue, elle avait intégré en tant qu'étudiante régulière la première année de médecine. Le 7 juillet 2022, l’étudiante lui avait expliqué qu'elle avait échoué à l'examen de médecine de première année et demandé si elle pouvait refaire l'année. Dans la compréhension du témoin, Mme A______ faisait toujours partie du « programme Horizon académique ». Elle lui avait donc répondu par l’affirmative. Elle ne se souvenait pas si elle lui avait indiqué qu'elle pouvait se représenter aux examens. Elle confirmait avoir pris des notes le 7 juillet 2022, notamment pour s'assurer du soutien en faveur de la recourante du service d'aide sociale du canton de Vaud et pour étayer la demande auprès de la faculté de médecine. Finalement, elle n'avait pas fait la démarche auprès de la faculté, en raison d'un surcroit de travail.

En septembre 2022, la recourante lui avait écrit en l'informant de son exmatriculation et en lui demandant un rendez-vous. Lorsqu’elles s’étaient vues, elle avait pris conscience du fait qu'elle avait compris la demande du mois de juillet comme une demande de refaire une année académique dans le « programme Horizon », alors qu’en réalité la demande de l’étudiante visait à doubler la première année de médecine. Elle avait donc mal compris la demande que la recourante lui avait présentée en juillet 2022. Elle lui avait alors expliqué qu’elle ne pouvait pas intervenir dans les décision prises par la faculté de médecine. Elle lui avait en revanche expliqué la procédure d'opposition.

g. Dans ses déterminations après enquêtes, la recourante a fait valoir que le fait que la coordinatrice s’était trompée dans les informations qu’elle lui avait données ne lui était pas imputable. Outre le droit d’étudier la médecine en Suisse, elle avait également perdu un an d’études, dès lors qu’après la décision d’exmatriculation, elle n’avait pas pu respecter les délais d’inscription pour se réorienter. Elle avait aussi subi un dommage financier, ayant dû rembourser la bourse d’études qui lui avait été allouée.

h. La faculté de médecine a persisté dans ses conclusions. En juillet 2022, la recourante n’était plus au bénéfice du « programme Horizon ». L’information que la coordinatrice lui avait donnée était donc fondée sur un fait erroné. Par ailleurs, elle ne liait pas la faculté de médecine. La recourante aurait dû se rendre compte que celle-ci n’était pas habilitée à l’autoriser à redoubler.

i. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Se pose, en premier lieu, la question de savoir si le recours est recevable.

2.1 Selon l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

Pour qu’un acte administratif puisse être qualifié de décision, il doit revêtir un caractère obligatoire pour les administrés en créant ou constatant un rapport juridique concret de manière contraignante. Ce n’est pas la forme de l’acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/775/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3a ; ATA/657/2018 du 26 juin 2018 consid. 3b et les arrêts cités).

2.2 En l’espèce, la recourante a dirigé son recours contre le courrier du doyen de la faculté de médecine du 3 octobre 2022. Ce courrier fait suite aux courriers de la recourante des 21 et 27 septembre 2022, par lesquels à la suite de la décision d’exmatriculation du 2 septembre 2022, elle avait exposé au doyen qu’elle venait d’apprendre que, contrairement à ce qui lui avait été indiqué, elle ne pourrait pas répéter l’année. Elle avait demandé à pouvoir obtenir une dérogation pour poursuivre les études et exposait que la coordinatrice du « programme Horizon » lui avait indiqué le 7 juillet 2022 que malgré sa note inférieure à 3, elle pourrait répéter l’année au motif qu’elle faisait partie du programme précité.

Les deux courriers de la recourante devaient, selon le principe de la bonne foi, être compris comme une contestation de la décision d’exmatriculation et une demande de redoublement.

Le courrier du doyen du 3 octobre 2022 ne se prononce pas sur la contestation de la décision d’exmatriculation – se référant uniquement à la décision d’élimination – et refuse d’accorder à la recourante une dérogation en vue d’effectuer à nouveau la première année d’études de médecine. S’inscrivant dans la suite de la décision d’exmatriculation, les écrits de la recourante devaient être compris comme une opposition à celle-ci que le doyen a rejetée. Ainsi, quand bien même ce courrier ne se prononce pas sur la décision d’exmatriculation, il constitue néanmoins une décision susceptible de recours, dans la mesure où il refuse à la recourante la possibilité de redoubler.

Pour le surplus, le recours a été formé dans le délai légal (art. 62 al. 1 let. a LPA).

Le recours est donc recevable.

3.             Il n’est pas contesté que la décision d’élimination est entrée en force, ni que la note de 2.25, inférieure à 3, n’autorise pas, selon le règlement d’études applicable, à redoubler. Ce point ne sera donc pas développé plus avant.

4.             Est, en revanche, litigieuse la question de savoir si la recourante peut se prévaloir du principe de la protection de la bonne foi pour en déduire le droit de pouvoir se représenter à la première année d’études en faculté de médecine humaine.

4.1 Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.3 ; 137 I 69 consid. 2.5.1 ; 131 II 627 consid. 6.1). Une particularité du droit à la protection de la bonne foi consiste dans le fait qu'il peut, le cas échéant, contraindre l'autorité à prendre une décision contraire à la loi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_18/2015 et 1C_20/2015 du mai 2015 consids. 3.1.1).

Un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent ainsi obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, (2) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_617/2019 du 27 mai 2020 consid. 4.1). Pour que le justiciable puisse invoquer cette protection, il faut que l'autorité qui a donné son assurance ait été compétente pour le faire ou que le justiciable ait pu la considérer comme telle (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 127 I 31 consid. 3a).

4.2 En l’espèce, il ressort du dossier et de l’audition du témoin que la recourante a bénéficié de l’aide du « programme Horizon ». Dans ce cadre, elle a suivi des cours de français et des cours dispensés par la faculté de médecine et effectué les examens de première année « en blanc ». Elle a ensuite suivi les cours auprès de cette faculté comme étudiante régulière et échoué aux examens de première année.

Il est ressorti de l’audition de la coordinatrice du « programme Horizon » que celle-ci a répondu par l’affirmative à la question de la recourante de savoir si elle pouvait suivre à nouveau les cours de première année d’études de médecine, malgré l’échec aux examens dont elle lui avait parlé. La recourante soutient qu’elle avait accordé crédit à l’indication de la coordinatrice du programme précité, qui l’avait suivie, selon laquelle, elle pouvait redoubler la première année. Selon la faculté, l’intéressée aurait dû se rendre compte que la coordinatrice n’était pas habilitée à l’autoriser à effectuer une nouvelle fois sa première année de médecine.

Il n’est pas contesté que cette information était erronée. Il faut cependant suivre la recourante lorsqu’elle soutient qu’elle pouvait se fier à ce renseignement. En effet, le « programme Horizon », spécialement destiné aux étudiants réfugiés, comme la recourante, leur permet d’intégrer, respectivement de poursuivre leurs études universitaires après leur arrivée en Suisse. Il prévoit un certain nombre d’allégements à cet effet. Ainsi, dès lors que des mesures particulières leur permettent, notamment, de suivre des cours et de passer des examens, la recourante pouvait, de bonne foi, partir de l’idée que la coordinatrice du programme à qui elle s’est adressée était compétente pour l’informer sur la possibilité de redoubler.

La recourante n’a pas caché des informations à la coordinatrice ni cherché d’une autre manière à l’induire en erreur sur sa situation. À la suite de ce renseignement, elle n’a pas contesté la décision d’élimination ni ne s’est réorientée dans son choix d’études. Elle a, par ailleurs, formé une nouvelle demande de bourse en vue du redoublement de l’année d’étude et requis le soutien du service social vaudois, dont elle dépendait.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les conditions très restrictives permettant de protéger la confiance placée dans les assurances reçues sont remplies en l’espèce. En effet, la recourante a reçu une information, dont elle ne pouvait se rendre compte immédiatement de l'inexactitude, qui se rapportait à une situation concrète la concernant, venant d’une personne qui était censée agir dans les limites de ses compétences et a pris des dispositions en fonction de cette information (absence de contestation de la décision d’élimination et de réorientation universitaire, demande de bourse et d’aide sociale). Pour le surplus, la réglementation applicable n’a pas subi de modification.

Partant, il convient de protéger la confiance que la recourante a placée dans cette information et de l’autoriser à redoubler la première année d’études auprès de la faculté de médecine, quand bien même elle n’en remplit pas les conditions d’admission.

Le recours sera ainsi admis et le dossier renvoyé à la faculté de médecine afin qu’elle admette la recourante en première année de bachelor en médecine humaine.

5.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante plaidant en personne (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 novembre 2022 par Madame A______ contre la décision de l’Université de Genève du 3 octobre 2022 ;

au fond :

l’admet et annule cette décision ;

renvoie le dossier à la faculté de médecine humaine afin qu’elle admette Madame A______ en première année de bachelor en médecine humaine ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'à l'Université de Genève.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :