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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2818/2018

ATA/307/2019 du 26.03.2019 ( MARPU ) , REJETE

Parties : KYOS SARL / CENTRALE COMMUNE D'ACHATS
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2818/2018-MARPU ATA/307/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mars 2019

 

dans la cause

 

KYOS Sàrl

contre

CENTRALE COMMUNE D'ACHATS

 



EN FAIT

1. Le 7 mai 2018, l’État de Genève, représenté par la centrale commune d’achats (ci-après : CCA), a publié un appel d’offres en procédure ouverte, soumis à l’accord GAT/OMC ainsi qu’aux accords internationaux, concernant un marché de fournitures, concernant la protection opérationnelle unifiée contre les « malwares », appelés en français « maliciel », logiciel malveillant, voire « pourriciel ».

Selon le dossier d’appel d’offres, les soumissionnaires devaient remplir toutes les rubriques du cahier des charges dans un tableau informatique et produire un certain nombre de documents.

Ce tableau était constitué d’un nombre important de rubriques, dont il était indiqué si elles étaient « impératives et éliminatoires », « à apprécier et à évaluer » ou « pour information ». Les candidats devaient indiquer s’ils acceptaient ou pas chacune des rubriques, puis décrire et spécifier le produit ou la solution proposée pour cette rubrique, ainsi que son prix.

2. Kyos Sàrl (ci-après : Kyos) a déposé une offre à une date qui ne ressort pas de la procédure. À la rubrique « SAN – 19 », indiquée comme étant « impérative et éliminatoire », le produit ou service demandé était « la solution doit permettre l’intégration d’une Gold image ». Kyos avait coché la case « non » en indiquant « les images utilisées sur notre outil d’analyse Sandbox sont Windows XP et Windows 7 x86/x64. Ces OS sont les plus enclins à déclencher l’action malveillante d’un binaire malicieux (APT, Targeted Attack ou autres) ».

3. Interpellé par la CCA le 7 août 2018, les services informatiques à qui les logiciels concernés étaient destinés ont confirmé à la CCA que la fonctionnalité « SAN – 19 » était indispensable pour eux, expliquant techniquement les motifs. L’exigence d’une « Gold image » permettait de faire « détonner » les logiciels malveillants sur un poste strictement similaire à ceux déployés par les services de l’État. La précision donnée par Kyos n’était pas satisfaisante, car tous les « éditeurs de bacs à sable » permettaient de faire détonner des « malwares » sur les versions standards des systèmes d’exploitation.

4. Par décision du 8 août 2018, la CCA a exclu Kyos de la procédure, dès lors que son offre ne satisfaisait pas à une exigence impérative et obligatoire, soit celle figurant sous à la rubrique « SAN – 19 ».

5. a. Par acte mis à la poste le 20 août 2018 et reçu le 22 août 2018 par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Kyos a recouru contre la décision précitée.

La solution proposée était éditée par l’entreprise Kaspersky Lab, à laquelle Kyos avait soumis son projet d’offre pour validation. L’offre initialement soumise répondait « oui » à la question « SAN – 19 ». Celle renvoyée à Kyos par Kaspersky Lab avait été modifiée, la case « non » ayant été cochée sans que cette modification n’ait été annoncée à Kyos. Cette offre, modifiée, avait été déposée.

Interpellé par Kyos, Kaspersky Lab avait expliqué que la solution Kaspersky ne permettait pas l’intégration d’une « Gold image ». Ultérieurement, Kaspersky Lab avait encore précisé que son logiciel pouvait répondre aux exigences énoncées au point « SAN – 19 », même s’il ne s’agissait pas d’une « Gold image ».

Il s’agissait là d’un fait nouveau qui devait emporter l’annulation de la décision litigieuse.

De plus, selon l’un des techniciens de Kyos, aucune des sociétés actuellement sur le marché ne pouvait répondre favorablement à toutes les exigences impératives annoncées dans l’offre. Il n’y avait qu’un seul éditeur permettant de respecter en tout ou partie l’ensemble des critères exposés et il s’agissait de Kaspersky Lab.

Enfin, l’erreur de coche à la rubrique « SAN – 19 » était une erreur évidente, confirmée par les échanges de courriers électroniques du 13 août 2018 entre Kyos et Kaspersky Lab, erreur qui devait être corrigée.

b. À ce document était notamment joint un courrier électronique émanant de Kaspersky Lab en Suisse, indiquant textuellement :

« Après avoir fait la forcing a HQ par rapport à ce point j’ai la réponse suivante. "Preliminary, image modification can be done by RnD by request for additional fee". C’est pas du Gold image mais ça peut y répondre en partie ».

6. Le 24 septembre 2018, la CCA a conclu au rejet du recours.

Les griefs concernant les exigences de l’appel d’offres étaient irrecevables, car tardifs.

Les faits allégués n’étaient pas nouveaux dès lors qu’ils étaient connus de Kyos. Les précisions ultérieures apportées par Kaspersky Lab ne modifiaient pas l’appréciation faite, dès lors que cette entreprise admettait qu’elle ne proposait pas une « Gold image ».

Les critères d’adjudication avaient été choisis en respectant les exigences légales. L’allégation selon laquelle seul Kaspersky Lab pouvait produire une solution répondant partiellement à ces exigences n’était pas démontrée.

La réponse donnée à la question « SAN – 19 » ne pouvait résulter d’une erreur de plume, dès lors qu’elle était motivée par un texte. De plus, le principe de l’intangibilité des offres interdisait de procéder à une telle rectification.

Le recours devait en conséquence être rejeté au fond.

7. Le 31 octobre 2018, Kyos a exercé son droit à la réplique, persistant dans ses conclusions antérieures, en annexant un courrier électronique de Karsperky Lab du 29 août 2018, citant les explications données par « notre R&D », en anglais.

L’offre avait été remplie par ses soins, puis vérifiée par Kaspersky Lab qui l’avait malheureusement modifiée sans l’en informer.

Elle avait saisi l’autorité d’une demande de reconsidération, laquelle avait été déclarée irrecevable, aucun motif de reconsidération n’étant réalisé. S’agissant de l’échange de courriers électroniques du 29 août 2019, la CCA retennait que Karpersky Lab indiquait proposer, en sus de l’offre de base, une « Gold image » en anglais moyennant un paiement supplémentaire.

8. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 15 al. 1, al. 1bis let. e et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 -L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2. Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, à l’exception du grief d’inopportunité (art. 16 al. 1 et 2 AIMP ; art. 57 al. 1 et 2 RMP).

3. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Aux termes de l’art. 24 RMP, l’autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d’importance au moment de l’appel d’offres.

4. L’offre d’un soumissionnaire est écartée d’office par une décision d’exclusion lorsque son offre est tardive, incomplète ou non-conforme aux exigences du cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les documents d'appel d'offres contiennent des spécifications techniques qui précisent la nature des besoins du pouvoir adjudicateur ; si ces exigences ne sont pas remplies par la soumission, celle-ci doit être exclue de la suite de la procédure. Ces conséquences rigoureuses découlent de l'application des principes à la fois d'égalité de traitement entre concurrents et de transparence. En déposant une offre, les fournisseurs se soumettent en effet au cadre tracé par l'appel d'offres. Dès lors, les soumissionnaires doivent proposer des prestations qui correspondent à celles demandées par le pouvoir adjudicateur (ATA/172/2019 du 26 février 2019, de même que les références citées).

5. a. L’interdiction du formalisme excessif, tirée de la garantie à un traitement équitable des administrés énoncée à l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), interdit notamment d’exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité. C’est dans ce sens que les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d’écriture, sont corrigées et que, lorsqu’un soumissionnaire omet un poste, c’est le plus haut prix fixé par les concurrents qui est appliqué (art. 39 al. 2 RMP), et que des explications peuvent être demandées aux soumissionnaires relatives à leur aptitude et à leur offre (art. 40 et 41 RMP ; ATA/1089/2018 du 16 octobre 2018 consid. 7d).

Le principe d’intangibilité des offres remises – qui interdit la modification de celles-ci après l’échéance du délai de dépôt et découle de l’art. 11 let. c AIMP qui proscrit les négociations entre l’entité adjudicatrice et les soumissionnaires (ATA/616/2018 du 18 juin 2018 consid. 3d) – et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à ce type de questionnement que de manière restrictive, et seulement lorsque l’offre est, au demeurant, conforme aux conditions de l’appel d’offres.

La distinction entre ce qui relève de la correction des erreurs et de la clarification des offres (admissible) et ce qui ressortit à la modification des offres contraire au principe de l’intangibilité peut se révéler délicate. Il est néanmoins généralement admis qu’une erreur de calcul évidente ne doit être retenue que de manière restrictive, se limitant notamment aux erreurs de résultat opératoire (ATA/1357/2018 du 18 décembre 2018 consid. 2d et les références citées).

6. a. La recourante remet en question les critères choisis par la CCA dans l’appel d’offres, lesquels ne pouvaient, selon elle, objectivement pas être remplis dans leur totalité.

b. De jurisprudence constante, il n’est plus possible, dans le cadre d’un recours contre une décision d’adjudication ou d’exclusion, de remettre en question les éléments de l’appel d’offres et les options prises dans ce cadre par le pouvoir adjudicateur.

Le soumissionnaire qui entend contester la définition, la pondération ou le manque de précisions des critères d’adjudication doit le faire, pour des raisons de bonne foi, dans le cadre de l’appel d’offres et non au moment de la décision d’adjudication, sans quoi il est forclos (ATF 130 I 241 consid 4.2 ; ATA/1443/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4e et les références citées). Ainsi, si la recourante souhaitait contester la méthode de notation du prix retenu par le pouvoir adjudicateur, elle aurait dû recourir contre l'appel d'offres.

En conséquence, ce grief est tardif.

7. a. La recourante soutient ensuite que sa réponse à la question litigieuse était à l’évidence erronée et qu’elle aurait dû être rectifiée d’office.

b. Ce raisonnement ne peut être suivi. La réponse donnée à la question « SAN – 19 », rappelée au consid. 2 en fait du présent arrêt, n’est pas uniquement constituée d’une coche, mais aussi d’une phrase qui justifie la réponse
– négative – qui a été cochée. Les images utilisées pour vérifier la dangerosité de codes informatiques sont des images de logiciels d’exploitation standard et non des « gold image », soit des répliques exactes du système d’exploitation mis en œuvre sur les stations de travail gérées par les services informatiques de l’État de Genève. Cette réponse ne pouvait, au vu de sa précision, être considérée comme étant le fruit d’une inadvertance devant et pouvant être corrigée.

Ce grief doit en conséquence aussi être écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

8. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 août 2018 par Kyos Sàrl contre la décision de la centrale commune d’achats du 8 août 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à charge de Kyos Sàrl un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Kyos Sàrl, ainsi qu'à la centrale commune d'achats.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :