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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2864/2020

ATA/265/2021 du 02.03.2021 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2864/2020-FPUBL ATA/265/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 mars 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été engagé par la Ville de Genève (ci-après : la ville) le 20 mars 1991 en tant que ______ au service logistique et technique de la division de la voirie, avec effet au 1er juillet 1991. Il est actuellement rattaché à l'unité des ateliers généraux (ci-après : UAG) du service logistique et manifestations (ci-après : LOM).

2) Le 26 août 2020, le conseil administratif (ci-après : CA) de la ville a décidé d'ouvrir une enquête administrative à l'encontre de M. A______, qu'il a confiée à deux juristes au service juridique de la ville, à savoir Madame B______ et Monsieur C______. La hiérarchie de M. A______ avait en effet remonté au CA des problèmes récurrents qu'elle aurait rencontrés avec l'intéressé en matière de temps de travail, d'« heures optionnelles », de planification des vacances et de durée des pauses ; elle soupçonnait également l'usage de ressources professionnelles à des fins personnelles, ainsi que la consommation d'alcool au travail.

3) Par acte posté le 7 septembre 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, à la comparution personnelle des parties et à la tenue d'une audience publique et, principalement, à l'annulation de la décision attaquée et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Un véritable « dossier » avait été monté contre lui sans qu'il puisse se défendre. Compte tenu des enjeux de l'ouverture d'une enquête administrative et de sa suspension provisoire, ainsi que de la violation du droit d'être entendu, il était manifeste que la décision querellée lui causait un préjudice irréparable, tant sur le plan financier que du point de vue de l'atteinte à sa réputation.

La procédure a été ouverte sous le n° A/2864/2020.

4) Le même jour, M. A______ a informé par courrier les deux enquêteurs qu'il demandait leur récusation, en tant qu'ils ne pouvaient être impartiaux dès lors qu'ils travaillaient au service de la ville et étaient subordonnés au CA.

5) Par décision du 9 septembre 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a rejeté la demande de récusation des enquêteurs. Il n'existait aucun indice susceptible de faire douter de leur impartialité. Leur fonction au sein du service juridique ne pouvait entraîner per se une apparence de prévention, comme cela résultait de la jurisprudence.

6) Par acte posté le 21 septembre 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée.

La procédure a été ouverte sous le n° A/2986/2020.

7) Le 2 octobre 2020, M. A______ a derechef demandé la récusation des enquêteurs.

8) Le même jour, la ville a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif dans la cause n° A/2864/2020.

9) Par décision du 14 octobre 2020, le CA a rejeté la deuxième demande de récusation.

10) Le 30 octobre 2020, la ville a conclu à l'irrecevabilité du recours dans la cause n° A/2864/2020, subsidiairement à son rejet.

La décision d'ouvrir une enquête administrative, tout comme la suspension provisoire du recourant, étaient des décisions incidentes. M. A______ ne démontrait pas subir un préjudice irréparable, question au sujet de laquelle la jurisprudence se montrait stricte. Quant à la désignation des enquêteurs, ce litige relevait des demandes en récusation traitées en parallèle.

11) Le 2 novembre 2020, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 11 décembre 2020, prolongé par la suite au 8 janvier 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

12) Le 8 janvier 2021, M. A______ a persisté dans ses conclusions, revenant notamment sur les allégués de fait de la ville.

Le simple fait d'avoir été suspendu, même avec traitement, lui causait un préjudice irréparable, au vu de l'atteinte à sa réputation. Les vices de forme et de fond devaient en outre être traités.

13) La ville ne s'est quant à elle pas déterminée.

14) Par décision du 25 février 2021, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b et 17 al. 3 LPA).

2) La question de la recevabilité du recours doit être tranchée en premier lieu, les griefs du recourant - qu'ils soient de forme ou de fond, à l'exception éventuelle d'un constat de nullité non plaidé en l'espèce - ne pouvant être traités que si le recours est recevable.

De plus, vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu de donner suite aux actes d'instruction demandés, étant précisé que le droit à une audience publique au sens de l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) doit être uniquement garanti une fois au cours de la procédure. S'agissant d'une décision incidente, il pourra être satisfait à cette garantie au cours de l'éventuel contentieux lié à la décision finale.

3) a. Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

d. Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

e. Lorsque l'instruction d'une cause le justifie, le conseil administratif peut confier une enquête administrative à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l'extérieur de l'administration municipale (art. 97 du statut du personnel de la Ville de Genève du 29 juin 2010 - LC 21 151).

L'art. 37 du statut dispose que la procédure de licenciement est régie par les art. 96 ss du statut, ainsi que par la LPA.

Conformément à l'art. 96 al. 2 du statut, les membres du personnel ont la possibilité de s'exprimer par écrit sur les motifs invoqués à l'appui de la décision ; les membres du personnel ont également droit à une audition orale devant l'autorité compétente pour rendre la décision, ou une délégation de celle-ci s'il s'agit du CA, avec le droit de se faire assister.

Selon l'art. 99 du statut, lorsqu'il s'avère qu'un membre du personnel est passible d'un licenciement au sens de l'art. 34 al. 2 let. a à c du statut, le CA ouvre une enquête administrative qu'il confie à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l'extérieur de l'administration municipale au sens de l'art. 97 (al. 1) ; un licenciement ne peut être prononcé sans que la personne intéressée ait pu préalablement faire valoir ses observations sur les motifs avancés pour le justifier (al. 2) ; dans les cas de licenciement fondés sur les art. 30, 32 et 34, la personne intéressée peut demander à être entendue oralement par une délégation du CA ; la personne intéressée a le droit de se faire assister (al. 3) ; lorsque le licenciement a été précédé d'une suspension, il peut, si les conditions de l'art. 30 sont remplies, être prononcé avec effet à la date de la suspension (al. 4).

4) En l'espèce, l'admission du recours ne conduirait pas à une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse ; le recourant ne le soutient d'ailleurs pas. Seule l'existence d'un préjudice difficilement réparable engendré par la décision querellée permettrait d'admettre la recevabilité du recours.

Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le fait que la ou le membre du personnel conserve son traitement pendant sa libération de l'obligation de travailler exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques (ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 4).

S'agissant de l'atteinte à la réputation et à l'avenir professionnel, une décision de libération de l'obligation de travailler n'est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu'une décision finale entièrement favorable au recourant permettrait de la réparer (ATA/184/2020 précité consid. 4 ; ATA/1020/2018 du 2 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/231/2017 précité consid. 5).

Quant à l'ouverture d'une enquête administrative, elle n'engendre pas davantage un préjudice irréparable, dès lors qu'une décision finale suite à l'enquête administrative, dans l'hypothèse où elle serait entièrement favorable au recourant, permettrait de réparer une éventuelle atteinte, notamment à sa personnalité (ATA/1018/2018 du 2 octobre 2018 consid. 11a).

En conséquence, les conditions de recevabilité d'un recours contre une décision incidente ne sont pas remplies.

5) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 7 septembre 2020 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 26 août 2020 ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 800.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :