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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/218/2007

ATA/258/2007 du 22.05.2007 ( FIN ) , REJETE

Descripteurs : ; DROIT FISCAL ; PERSONNE PHYSIQUE ; IMPÔT SUR LE REVENU ET LE BÉNÉFICE ; IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL ; DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL) ; DÉDUCTION DES FRAIS D'ACQUISITION(DROIT FISCAL) ; ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE ; LOISIRS
Normes : LIPP-V.1 ; LIPP-V.3.al3
Résumé : Pour l'impôt cantonal et communal, sont déduits du revenu provenant d'une activité lucrative indépendante les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel. En l'espèce, le recourant, professeur retraité, entendait déduire des revenus tirés de son activité accessoire d'avocat-conseil des charges dépassant de loin le montant des revenus et liées notamment aux salaires de ses collaborateurs. Le Tribunal a jugé que le recourant n'exercait pas son activité en la forme commerciale et qu'il ne poursuivait pas d'avantage un but lucratif. L'activité déployée s'apparentait à un hobby ou plus exactement à une activité à but idéal sans espoir ou volonté de réaliser un gain. Le recours a été rejeté.
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de B______

POUVOIR JUDICIAIRE

A/218/2007-FIN ATA/258/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 22 mai 2007

dans la cause

 

 

 

Madame et Monsieur E______.

 

contre

 

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

 

 

et

 

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D’IMPÔTS


 


1. Monsieur E______, né le ______ 1923, et son épouse, Madame E______ sont domiciliés à B______.

Dans leur déclaration fiscale 2002, sous la rubrique "profession exercée", les époux ont indiqué respectivement "professeur retraité, accessoirement avocat-conseil" et "sans".

En 2002, le contribuable a exercé une activité dépendante au service de l'Université de L______ ainsi qu'une activité indépendante de jurisconsulte. Le revenu imposable déclaré était de CHF 24'854.- et la fortune imposable de CHF 3'253'041.-.

Dans le cadre de son activité indépendante, le contribuable a fait état d'honoraires à hauteur de CHF 75'970.- et de charges totalisant CHF 139'276.-, dont CHF 82'600.- relatives aux salaires versés à ses collaborateurs. Pour l'exercice 2002, la perte liée à l'activité indépendante s'était ainsi élevée à CHF 63'306.- dont le contribuable a demandé qu'elle soit déduite au titre de perte commerciale.

2. Le 27 septembre 2004, l'administration fiscale cantonale (ci-après  : AFC) a adressé aux contribuables un bordereau de taxation ICC 2002 au montant de CHF 33'305.-, fondé sur un revenu imposable de CHF 93'928.- (tenant compte de biens sis à l’étranger) et une fortune imposable de CHF 3'260'556.-, en refusant la déduction de la perte en CHF 63’306.- et en admettant les charges en déduction non pas à hauteur de CHF 139’276.- mais seulement à concurrence des gains qu’elles ont permis de réaliser (soit CHF 75’970.-).

3. Le 7 octobre 2004, les contribuables ont élevé réclamation, en réitérant leur demande tendant à la déduction de cette perte.

4. Le 16 décembre 2004, l'AFC a rejeté la réclamation.

Dans un tel cas, les charges ne pouvaient être admises qu'à concurrence des gains qu'elles permettaient de réaliser.

 

 

 

 

Selon les pièces produites, ces pertes étaient les suivantes  :

Année fiscale

Résultats

2002

perte : 63’306 F

2001

perte : 58’813 F

2000

perte : 38’761 F

1999

perte : 17’854 F

1998

perte : 92’168 F

1997

perte : 70’695 F

1996

perte : 121’251 F

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5. Le 5 janvier 2005, les contribuables ont recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après  : CCRMI) en concluant "à la réintégration du déficit de CHF 63'306.-".

6. Le 23 septembre 2005, l'AFC a conclu au rejet du recours. Se référant à la jurisprudence, elle a considéré que l'activité déployée par le recourant était accessoire et assimilable à un hobby, ce qui excluait la déduction de la perte précitée.

En 1996, 1997, 1998, 2001 et 2002, le salaire des collaborateurs du recourant était supérieur aux recettes enregistrées et les locaux utilisés se trouvaient dans l'immeuble dont la recourante était propriétaire.

Le contribuable n'aurait pas pu poursuivre cette activité déficitaire s'il n'avait pas disposé d'autres sources de revenus et d'une fortune tant mobilière qu'immobilière.

En raison de l'étanchéité des exercices, le contribuable ne pouvait se prévaloir du fait que l'AFC avait admis la déduction de ces pertes lors des années précédentes.

7. Par décision du 11 décembre 2006, la CCRMI a rejeté le recours pour les mêmes motifs que ceux évoqués par l'AFC. Le contribuable était depuis 1997 président du comité de l'Association J______ de G______ et T______ de L______. Il avait versé près de CHF 100'000.- et publié des ouvrages en vue de la promotion de cette cause mais celle-ci n'était pas une activité lucrative indépendante et depuis 1999, les pertes invoquées étaient en constante augmentation.

8. Par acte posté le 22 janvier 2007, les époux E______ ont recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision qu'ils avaient reçue le 4 janvier 2007.

Ils ont repris leurs argumentations et conclusions, en considérant que l'autorité intimée avait - à tort - considéré la situation comme définitivement figée à partir des pertes enregistrées de 1996 à 2002 d'une part, et qu’elle avait confondu "mécénat temporaire ou adventice et hobby", d'autre part.

Le contribuable avait pratiqué le barreau de 1944 à 1967, puis de 1974 à 1984. Il avait été professeur extraordinaire de droit civil à la faculté de droit de l'Université de B______ de 1967 à 1970, puis à la faculté de droit de l'Université de L______ de 1983 à 1990. Il avait publié des traités et continuait à faire paraître des articles de doctrine. De plus, il exerçait des fonctions d'arbitre et donnait des consultations.

Dès 1997, il avait été l'un des fondateurs de l'Association J______ de G______ et T______ de L______, dont il était le président. Son vœu était de faire reparaître le plus ancien des quotidiens romands et il avait dépensé environ CHF 200'000.- de ses deniers à cette fin.

Ses revenus réguliers consistaient en deux rentes symboliques, l'une de l'AVS de CHF 18’540.- l’an pour chacun des époux et l'autre de la Fédération suisse des avocats, cette dernière rente s'étant élevée à CHF 5'287,60 pour l'année 2002.

Il consacrait la plus grande partie de son temps à l'activité sus-décrite. A B______, il n'y aurait ni Eglise, ni Université, ni musées ou collections notamment, sans mécènes.

Aussi les jurisprudences citées par la CCRMI tombaient à faux, car il ne s'agissait pas en l'espèce "de pêche à la ligne, de parapente, de patinage, de peinture du dimanche, de lutte à la culotte ou de philatélie, ni même d'achat et de revente d'immeubles, de titres ou de bibelots à la petite semaine".

En conclusion, cette perte de CHF 63'306.- devait être admise en déduction pour 2002.

9. Le 6 février 2007, l'AFC a conclu au rejet du recours, toujours pour les mêmes motifs.

10. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 7 février 2007.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. De nouvelles normes fiscales sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001, en application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Il s'agit en particulier de la nouvelle loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques du 22 septembre 2000 (LIPP-V - D 3 16) qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05 ; ATA/356/2005 du 24 mai 2005).

Enfin, le 1er janvier 2002 est entrée en vigueur la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17).

Le litige concernant la taxation 2002, le nouveau droit est seul applicable.

3. Selon l'article 1 LIPP-V, le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus bruts les déductions générales et les frais mentionnés aux articles 2 à 8.

4. En application de l'article 3 alinéa 3 LIPP-V, sont déduits du revenu provenant d'une activité lucrative indépendante, "les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel. Font notamment partie de ces frais  :

a) les dépenses faites pour l'exploitation d'un commerce, d'une industrie ou d'une entreprise et celles qui sont nécessaires pour l'exercice d'une profession ou d'un métier ;

b) le loyer des locaux et des immeubles qui sont affectés à l'exercice d'un commerce, d'une industrie, d'une profession ou d'un métier… ;

c) les traitements et salaires des employés et ouvriers… et les primes d'assurance que le contribuable est tenu de payer pour ses employés et ouvriers ;

………

f) les pertes de 7 exercices au plus précédant la période fiscale, pour la part qui n'a pas pu être déduite dans la taxation de l'impôt d'années antérieures".

5. L'article 3 alinéa 3 lettre a LIPP-V précité reprend l'article 21 aLCP, abrogé le 31 décembre 2000. La jurisprudence développée sous l'ancien droit, au sujet notamment des notions "d'activité économique indépendante", "d'activité lucrative indépendante", de "perte commerciale" ou encore de "hobby", demeure ainsi applicable.

6. Selon le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2A.40/2003 du 12 septembre 2003, consid. 2.2), "la notion d'activité lucrative indépendante est une notion de droit fiscal qui n'est pas définie clairement dans la pratique, eu égard aux états de fait diversifiés auxquels elle doit s'appliquer. De manière générale, on y englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l'engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie, et avec l'intention de réaliser un bénéfice (ATF 125 II 113 consid. 5b p. 120 ; 121 I 259 consid. 3c p. 263 ; E. BLUMENSTEIN/P. LOCHER, System des Steuerrechts, 6e éd., p. 176 ; E. HÖHN/R. WALDBURGER, Steuerrecht, 9e éd., Band I, ad § 14 n° 37 p. 304 ; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 2e éd., n° 26-33 p. 85 ss ; M. REICH in  : M. ZWEIFEL/P. ATHANAS, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, 1/2a, ad. art. 18 n° 14 p. 159). Une activité lucrative indépendante peut être exercée à titre principal ou accessoire, être durable ou temporaire.

Pour déterminer si l’on se trouve en présence d’une activité lucrative indépendante, il convient toujours de se fonder sur l’ensemble des circonstances du cas (ATF 125 II 113 consid. 5b p. 120 ; 122 II 446 consid. 3a p. 449 ; 112 Ib 79 consid. 2a p. 81) ; les différentes caractéristiques de la notion d’activité lucrative indépendante ne doivent pas être examinées de manière isolée et peuvent se présenter avec une intensité variable (M. REICH in : M. ZWEIFEL/P. ATHANAS, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, I/1, ad. art. 8 n° 1 ss p. 128 ss).

Quand bien même la notion d’activité lucrative, dans le cas normal, englobe bien les éléments mentionnés ci-dessus, ceci ne signifie pas qu’une activité pour laquelle certains de ces éléments feraient défaut ne devrait plus, automatiquement, être considérée comme indépendante. Ainsi, par exemple, pour des professions libérales ou artistiques, l’engagement de capital peut être inexistant. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs admis qu’on peut se trouver en présence d’une activité lucrative indépendante lorsque le contribuable n’apparaît pas sur le marché et qu’il n’y a pas d’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle ou artisanale (ATF 122 II 446 consid. 5 p. 452 ss).

Le tribunal de céans a ainsi admis qu'un couple de naturopathes exerçait une activité lucrative indépendante en la forme commerciale, raison pour laquelle les contribuables étaient fondés à déduire leurs pertes liées à cette activité (ATA/280/2002 du 28 mai 2002).

7. En l'espèce, le contribuable n'exerce pas son activité en la forme commerciale et il ne poursuit pas davantage un but lucratif.

Bien au contraire, l'activité du contribuable est largement déficitaire depuis 1996.

Or, si le Tribunal fédéral admet que pendant une période de démarrage de trois à quatre ans, tel puisse être le cas, il considère également que si cette situation perdure, l'activité n'a pas ou n'a plus de justification économique. Si le contribuable persiste dans l'exercice de cette activité en y engageant des moyens financiers propres dont il dispose par ailleurs et qu'aucun investisseur ne consentirait raisonnablement à engager, il opère alors un choix qui échappe à des critères de rationalité économique.

Les dépenses ainsi consenties sont motivées par des considérations extra économiques et relèvent de l'emploi du revenu ou de la fortune privée et, comme telles, ne sont pas déductibles du revenu brut (arrêt du Tribunal fédéral 2A.40/2003 précité, consid. 2.3).

8. L'AFC a relevé à juste titre que le montant du salaire des collaborateurs du recourant (CHF 82'600.- en 2002 ) était à lui seul souvent supérieur aux recettes enregistrées pour l'année fiscale 2002 notamment (CHF 75'970.-) mais également pour les années fiscales 2001, 1998, 1997 et 1996. Le fait que le loyer de CHF 18'000.- l'an corresponde à l'utilisation d'une partie de l'immeuble dont la contribuable est propriétaire n'est en revanche pas relevant.

Quant aux frais engagés en relation avec la promotion, le développement et la reparution du J______ de G______ et T______ de L______ sous l'égide de l'Association que le recourant préside, rien ne permet de les rattacher à l'activité professionnelle du contribuable.

9. Pour les raisons susmentionnées et du point de vue fiscal, l'activité déployée par le contribuable s'apparente bien plutôt à un hobby ou plus exactement à une activité à but idéal sans espoir ou volonté de réaliser un gain, comme dans les causes dont le tribunal de céans a eu à connaître et qui sont citées par l'AFC (ATA/1244/2002 du 13 janvier 2004 relatif à un artiste peintre ; ATA/46/2002 du 3 décembre 2002, confirmé par arrêt du TF 2.A/40/2003 précité concernant une psychologue ; ATA/29/2001 du 16 janvier 2001 pour des frais de recherche et de développement à déduire d'un salaire d'enseignant ; ATA/90/1999 du 2 février 1999 concernant des frais relatifs à l'activité de productrice de cinéma à déduire d'un salaire d'employée de banque).

Bien que les états de faits diffèrent, le problème de fond est cependant identique, à savoir que le contribuable n'aurait pas pu poursuivre si longtemps une activité accessoire régulièrement déficitaire s'il n'avait pas disposé d'autres revenus, provenant d'une fortune tant mobilière (CHF 2'591'321.- en 2002) qu'immobilière.

Le raisonnement de l’AFC est donc correct et conforme à la jurisprudence.

10. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge des recourants pris conjointement et solidairement. Vu l'issue du litige, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 janvier 2007 par Mme et M. E______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 11 décembre 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants pris conjointement et solidairement un émolument de CHF 1’000.- ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mme et M. E______, à l’administration fiscale cantonale ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière d’impôts.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, juges, MM. Bellanger et Grant, juges suppléants.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. a. i. :

 

 

P. Pensa

 

le juge présidant :

 

 

E. Hurni

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

B______, le 

 

 

 

 

 

la greffière :