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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2250/2003

ATA/356/2005 du 24.05.2005 ( FIN ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2250/2003-FIN ATA/356/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 24 mai 2005

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

contre

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D’IMPÔTS

et

Madame et Monsieur W_______

 

 


EN FAIT

Les époux W_______ sont de nationalité suisse et domiciliés à Genève.

Monsieur W_______ a exploité, dans le canton de Genève, une entreprise individuelle à l’enseigne « R_______ » du 2 octobre 1995 au 30 avril 1999, de manière saisonnière.

Madame W_______ travaillait en qualité de secrétaire pour O_____ à Genève.

Les exercices commerciaux des années 1996 à 1999 de l’activité de M. W_______ ont présenté les pertes suivantes :

Année de calcul 1995 (taxation 1996) : CHF 16'616.--

Année de calcul 1996 (taxation 1997) : CHF 46'620.--

Année de calcul 1997 (taxation 1998) : CHF 20'257.--

Année de calcul 1998 (taxation 1999) : CHF 19'905.--

Année de calcul 1999 (taxation 2000) : CHF 28'068.--

Dans leur déclaration fiscale de l’année 2000, les contribuables ont fait valoir, entre autres déductions, la perte de CHF 28'068.-- précitée. Ils ont mentionné un revenu net total de CHF 10'380.-- et une fortune nette totale de CHF 217'844.--.

En date du 21 décembre 2000, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) a notifié aux contribuables un bordereau de taxation provisoire pour l’année 2000 au montant de CHF 1'021,05 calculé sur un revenu imposable de CHF 10'380.--.

En date du 21 avril 2001, l’AFC a remis aux contribuables un bordereau rectificatif, au montant de CHF 7'463,45 calculé sur un revenu imposable de CHF 39'717.-- au taux de CHF 42'729.--, modifiant ainsi leur taxation provisoire 2000. L’AFC a écarté la perte commerciale de l’exercice 1999 de l’entreprise de M. W_______, soit CHF 28'068.--.

Elle a considéré que, compte tenu des pertes successives, l’activité indépendante du contribuable s’apparentait plus à une activité accessoire qu’à une activité commerciale proprement dite et génératrice de profits.

Ce bordereau a fait l’objet d’une réclamation datée du 19 avril 2001 (sic), reçue le 10 mai 2001 par l’AFC.

Les contribuables lui reprochaient d’avoir écarté la perte de l’entreprise réalisée lors de l’exercice comptable 1999.

Cette perte était réelle car elle résultait du paiement des salaires, des assurances, du loyer, des frais de téléphone et d’essence.

Par décision du 23 août 2001, l’AFC a rejeté la réclamation et a maintenu la taxation pour les mêmes motifs que précédemment.

Par acte du 19 septembre 2001, les époux W_______ ont interjeté recours contre la décision sur réclamation du 23 août 2001 auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : CCRMI). Le manque de rentabilité avait conduit à la cessation d’activité de l’entreprise individuelle le 30 avril 1999. L’exploitation de l’entreprise de rafting était saisonnière et fermée d’octobre à mai ce qui impliquait l’absence de recettes pendant cette période. En revanche, l’entreprise avait dû faire face à des dépenses occasionnées pour la préparation de la saison à venir, tel l’entretien des bateaux.

L’entreprise avait une réelle activité qui n’avait rien de comparable avec un hobby ; pour preuve, l’année précédente, une quinzaine d’employés fixes et auxiliaires avaient été engagés et payés, 2'000 clients avaient été transportés et CHF 80'000.-- de recettes encaissés. L’entreprise avait dépensé CHF 5'500.-- en essence, et CHF 3'600.-- en conversations téléphoniques. Par ailleurs, le recourant avait passé de nombreuses nuits sans sommeil à laver les combinaisons et à préparer le matériel pour le lendemain. Ainsi, même si elle n’avait duré que 3 mois, l’activité déployée en 2000, n’avait pas été exercée en dilettante.

Ils concluaient à l’admission de la perte commerciale en CHF 28'068,70.

Dans sa réponse du 14 février 2002, l’AFC relevait que si le contribuable avait pu se permettre de poursuivre une activité déficitaire de 1995 à 1999, c’était en raison du fait que son épouse exerçait une activité salariée. L’activité de M. W_______, de nature saisonnière, n’était pas exercée dans le but de réaliser un revenu régulier. En conséquence, il ne s’agissait pas d’une entreprise commerciale et c’était à juste titre qu’elle avait refusé de prendre en considération la perte de CHF 28'068,70.

Par décision du 30 octobre 2003, la CCRMI a déclaré recevable le recours interjeté par les époux W_______, l’a admis et a retourné le dossier à l’AFC pour procéder à la rectification de la taxation ICC 2000. Le contribuable exerçait son activité en la forme commerciale. Il ressortait des comptes de ce dernier qu’il louait une partie du domaine public au bord de l’Arve sur lequel il avait installé un chalet servant de vestiaire et d’entrepôt, qu’il disposait de véhicules pour le transport de ses clients et du matériel, et qu’il employait des guides et des auxiliaires durant la saison. Le chiffre d’affaires de l’entreprise avait augmenté au cours des années 1997 et 1998 et les pertes avaient légèrement diminué entre la fin de l’exercice commercial 1996 et celle de l’exercice 1998.

S’étant rendu compte que son entreprise n’était pas viable malgré les efforts qu’il avait déployés et qui s’étaient traduits par une augmentation constante de son chiffre d’affaires brut au cours des 3 premiers exercices commerciaux, accompagnée d’une diminution constante de ses pertes, le contribuable en avait tiré les conséquences financières et avait cessé son activité le 30 avril 1999. La déduction de la perte subie de CHF 28'068,70 au 30 avril 1999 était donc admise.

La décision a été notifiée à l’AFC le 5 novembre 2003.

Par acte daté du 18 novembre 2003, reçu au greffe du Tribunal administratif le 20 novembre 2003, l’AFC a recouru contre la décision précitée. S’agissant de l’année fiscale 2000, l’activité du contribuable était déficitaire pour la 5ème année consécutive. La jurisprudence sur laquelle la CCRMI s’était appuyée pour admettre le recours des contribuables ne trouvait pas application au cas d’espèce.

Pour déterminer le caractère commercial ou non d’une activité, il convenait de se fonder sur la notion « d’entreprise commerciale » telle que définie dans l’ordonnance sur le registre du commerce du 7 juin 1937 (ORC – RS 221.411) et plus particulièrement à son article 52 alinéa 3 lequel précisait qu’était réputée entreprise (…) toute activité économique indépendante exercée en vue d’un revenu régulier. D’après la jurisprudence, la reconnaissance sur le plan fiscal, d’une activité à caractère commercial, impliquait non seulement une organisation préexistante en vue de l’activité visée, l’indépendance de cette activité, mais également le but de réaliser un revenu régulier.

Or, dans le cas d’espèce, la troisième de ces conditions n’était pas réalisée. Il ne suffisait pas que l’exploitant de l’entreprise souhaite réaliser un revenu mais il convenait que cette volonté se trouve être rapidement concrétisée après le lancement de son activité et que l’on ne puisse pas déduire des données factuelles que l’exploitant était prêt à s’accommoder de pertes aussi longtemps qu’elles se produiraient. Des pertes totalisant près de CHF 130'000.-- sur 5 exercices commerciaux laissaient penser que l’activité dont il s’agissait n’avait pas pour priorité de dégager des revenus réguliers. Cela était de surcroît corroboré par le fait que l’épouse du contribuable avait perçu durant l’année 1999 un salaire de plus de CHF 78'000.-- pour son activité lucrative dépendante permettant ainsi à son époux de poursuivre une activité déficitaire. Si l’exploitation avait été commerciale, le contribuable n’aurait jamais pu maintenir son activité faute de succès financier.

La condition déterminant la nature commerciale d’une entreprise faisait manifestement défaut et c’était de bon droit qu’elle avait refusé de prendre en considération la perte de CHF 28'068,70 pour l’année fiscale 2000.

L’AFC concluait à l’annulation de la décision attaquée et à la confirmation de sa propre décision du 21 août 2001.

Dans leur réponse du 15 janvier 2004, les intimés ont demandé la confirmation de la décision de la CCRMI. Pour le surplus, ils ont repris leurs arguments de première instance.

L’affaire a été gardée à juger le 20 janvier 2004.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 – LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 lit. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA - E 5 10 ; article 53 alinéa 1 LPFisc).

Le 1er janvier 2002 est entrée en vigueur la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17). L’article 86 de cette loi précise que les règles de procédure qu’elle énonce s’appliquent aux causes qui sont encore pendantes au moment de son entrée en vigueur. La disposition concrétise le principe qui prévaut plus généralement en procédure selon lequel, sauf règle expresse contraire, les nouvelles règles s’appliquent à l’ensemble des affaires en cours, que les faits établis soient postérieurs ou antérieurs à la nouvelle loi (ATA/716/2003 du 30 septembre 2003, consid. 2 c ; ATA/459/2003 du 10 juin 2003 consid. 3 a et les références citées). La LPFisc est ainsi applicable au cas d’espèce.

Le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la loi genevoise sur l’imposition des personnes physiques du 22 septembre 1990 (LIPP 1 - D 3 11) qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la loi générale sur les contribution publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

En vertu du principe de non-rétroactivité, le nouveau droit ne s’applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, p. 188 1944 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd. Bâle 1991 p. 116). Le nouveau droit ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (B. KNAPP, op. cit., p. 118).

En l’espèce, les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois ne prévoient pas un effet rétroactif (ATA/33/2004 du 13 janvier 2004). C’est donc sous l’angle des dispositions légales en vigueur jusqu’au 31 décembre 2000 que le bien-fondé du recours sera examiné.

L’article 21 I a LCP dispose que les pertes commerciales comptabilisées au cours de l’exercice commercial déterminant au sens de l’article 17 LCP sont déductibles de l’ensemble des revenus bruts effectivement réalisés par le contribuable.

Une interprétation stricte et restrictive doit être donnée à la notion de « perte commerciale » (ATA/686/2002 du 12 novembre 2002 ; ATA/701/1996 du 26 novembre 1996). Seuls les frais nécessairement et logiquement liés par leur nature même à la production du revenu taxé, et non pas dans n’importe quelle dépense plus ou moins en corrélation avec l’exercice d’une profession lucrative, pourront être déduits du revenu imposable (ATA H. du 24 avril 1991 ; SJ 1992 507 ch. 46 ; ATA/754/2002 du 3 décembre 2002).

Sont à considérer comme des pertes commerciales, celles qui résultent d’une activité commerciale et qui sont une relation principale avec celle-ci. Cette relation principale existe lorsque la perte est la conséquence directe d’une exploitation commerciale. Elle doit, par ailleurs, avoir été subie au cours de l’exploitation régulière de l’entreprise et pendant la période déterminante (ATA D. du 27 juin 1990 ; RDAF 1992 464).

L’application de cette disposition suppose la réalisation de deux conditions cumulatives à savoir que l’activité du contribuable s’exerce en la forme commerciale et que celui-ci tienne régulièrement une comptabilité, qu’il soit légalement tenu ou non de le faire.

En l’espèce, la condition de la nature commerciale est litigieuse.

Selon l’article 52 alinéa 3 ORC, est réputée entreprise, au sens de la présente ordonnance, toute activité économique indépendante exercée en vue d’un revenu régulier.

Est exercée en vue d’un revenu régulier, l’activité organisée consistant dans la répétition, envisagée d’emblée, d’affaires identiques ; peu importe qu’elle soit limitée dans le temps, sauf si sa durée est si brève qu’elle exclut la répétition (ATF 84 I 187 ; JT 1959 I 477).

La loi fiscale ne définit pas l’activité lucrative indépendante. La doctrine et la jurisprudence ont dégagé des critères qui permettent de la distinguer de l’activité lucrative dépendante, de l’administration de la fortune privée et enfin des activités exercées comme violon d’Ingres sans caractère lucratif véritable.

L’activité lucrative indépendante se caractérise :

par la mise en œuvre d’un capital (le patrimoine professionnel) et de travail (même si le rôle du capital est parfois minime) ;

par le fait que l’activité déployée vise à obtenir un profit et qu’elle a une certaine continuité, ce qui exclut les activités occasionnelles ;

par la liberté dont jouit l’indépendant dans l’organisation de son activité ;

enfin, par la participation à la vie économique, l’indépendant offrant ses services ou ses produits, sous son nom, pour son compte et à ses risques et périls (J. M. RIVIER, Droit fiscal suisse, 2ème éd. p. 340).

Il appert sans conteste possible que le contribuable a rapporté la preuve qu’il exerçait une activité en la forme commerciale.

Il était organisé en vue de l’exercice de son activité et son objectif était d’obtenir des profits.

Il disposait de véhicules pour le transport de ses clients et du matériel. Il employait, contre rémunération, durant la saison où se déroulait son activité, des guides et des auxiliaires dont il s’acquittait des charges sociales. Enfin, il occupait une partie du domaine public qu’il avait aménagé en installant un chalet qui servait de vestiaire et d’entrepôt de son matériel et payait les taxes y afférant.

Les différentes pièces produites par la recourante elle-même font état de recettes non négligeables, réalisées par M. W_______ durant son activité.

Même si tous les exercices commerciaux de l’intimé se sont soldés par des pertes, celles-ci ont toujours été en constante diminution.

On ne saurait suivre la recourante lorsqu’elle prétend que l’activité de l’intimé n’avait pas pour priorité de dégager des revenus réguliers au motif qu’il ne pouvait pas vivre de son activité. Elle semble avoir confondu la notion de chiffre d’affaire (revenus réalisés dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise) et celle de revenus pris dans le sens de salaire. L’entreprise exploitée par l’intimé a dégagé des recettes qui lui ont permis non seulement de régler les salaires de ses employés, mais également de procéder à l’entretien de son matériel et de s’acquitter des taxes pour l’utilisation du domaine public (chalet au bord de l’Arve). Si l’intimé n’avait pas eu cette volonté de dégager des revenus sous forme régulière, il n’aurait jamais pu exploiter son entreprise comme il l’a fait de sa création à sa dissolution.

La CCRMI n’a pas méconnu sa jurisprudence en considérant que l’activité de l’intimé – de nature saisonnière - ne relevait pas du hobby même après cinq années consécutives de déficit.

On ne peut pas conclure à l’existence d’un hobby uniquement parce que l’activité saisonnière du recourant a été déficitaire pendant cinq années commerciales consécutives.

De sa création en 1995 à sa dissolution en avril 1999, l’entreprise a en réalité fonctionné 16 mois – l’exploitation se faisant du 1er juin au 30 septembre - soit moins de 2 ans en tout. Or, le contribuable a réalisé des recettes importantes tout au long de la durée de vie de son entreprise qui lui ont permis de s’acquitter de ses charges. C’est donc à juste titre que la CCRMI a appliqué, mutatis mutandis, sa jurisprudence constante au cas d’espèce.

Enfin, le fait que M. W_______ n’ait pas perçu de gains durant l’exploitation de son entreprise et qu’il ait été entretenu par son épouse - laquelle disposait d’un salaire suffisant à faire vivre le couple - n’est pas plus déterminant. Les exemples de jurisprudence citée par la recourante ne sont pas comparables déjà parce que l’organisation des exploitations des exemples évoqués est en total décalage avec le cas d’espèce notamment en ce qui concerne l’engagement de personnel.

Manifestement, le contribuable a réellement exercé son activité en la forme commerciale. Dès lors, la déduction de la perte subie de CHF 28'068,70 au 30 avril 1999 doit être admise.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté et la décision de la CCRMI confirmée.

Vu la qualité de la recourante, il ne lui sera pas infligé d’émolument. Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure aux intimés qui agissent en personne et n’allèguent pas avoir exposé de frais pour leur défense (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 novembre 2003 par l’administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 30 octobre 2003 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ni perçu d’émolument ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d’impôts ainsi qu'à Madame et Monsieur W_______.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Bonard, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :