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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/481/2023

ATA/251/2023 du 14.03.2023 sur JTAPI/205/2023 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/481/2023-MC ATA/251/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 mars 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 février 2023 (JTAPI/205/2023)


EN FAIT

A. a. Monsieur A______, né le ______ 1995, ressortissant du Nigéria, est célibataire, sans enfants, sans emploi ni revenus. Ses parents, frère et sœurs vivent au Nigéria.

b. M. A______ a été condamné le 4 juin 2020 par le Ministère public genevois (ci-après : le MP) à une peine privative de liberté de soixante jours, avec sursis, pour séjour illégal (de février à juin 2020) et délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Il avait vendu, dans le secteur de la Coulouvrenière, un sachet de 3 gr de marijuana à une policière en civil contre la somme de CHF 50.-.

Par ordonnance pénale du 20 juin 2020, M. A______ a été condamné par le MP à une peine privative de liberté de quatre-vingt jours, avec sursis, ainsi qu'à une peine pécuniaire de dix jours-amende de CHF 30.- pour ne pas avoir respecté, le même jour, l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève du 4 juin 2020, prononcée pour une durée de six mois, et pour opposition aux actes de l'autorité.

Par ordonnance pénale du 1er février 2023, le MP a déclaré M. A______ coupable d’infractions aux l’art. 19 al. 1 let. c LStup et 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), a révoqué les sursis accordés les 4 et 20 juin 2020, l’a condamné à une peine privative de liberté d’ensemble de cent septante jours outre la peine pécuniaire de dix jours amende à CHF 30.-. Il avait été interpellé le 31 janvier 2023, dans le secteur de la Coulouvrenière, après avoir été surpris en flagrant délit de vente d’un sachet de marijuana de 3,1 g contre la somme de CHF 40.-.

c. Par décision du 1er septembre 2020, notifiée à l'intéressé le 15 janvier 2023, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) lui a fait interdiction d'entrer en Suisse et au Lichtenstein jusqu'au 31 août 2023.

B. a. Le 1er février 2023, le commissaire de police a prononcé une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de douze mois à l'encontre de M. A______.

b. M. A______ a formé opposition contre cette décision en date du 10 février 2023. Il avait fait opposition à l'ordonnance pénale du 1er février 2023.

c. Lors de l'audience du 20 février 2023 devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), M. A______ a déclaré qu'il était opposé à la mesure prononcée. Il était venu à Genève pour voir des amis et faire du shopping. La veille, il se trouvait en Italie où il habitait (à Vicenza). Il a conclu à l'annulation de la décision du commissaire de police, subsidiairement à la réduction de la durée à six mois, et plus subsidiairement encore à la réduction de son étendue au seul centre-ville de Genève.

d. Par jugement du 21 février 2023, le TAPI a rejeté l’opposition.

Selon les explications de l’intéressé, il vivait en Italie. Ses attaches ne se situaient donc pas essentiellement à Genève, ce qu’il ne prétendait d'ailleurs pas. Il avait déjà fait l'objet d'une mesure d'interdiction étendue au canton de Genève, prononcée le 4 juin 2020 pour une durée de six mois, en raison de son implication dans le trafic de drogue. Même si cette mesure était terminée, cet antécédent suffisait pour comprendre que M. A______ n'avait pas saisi qu'il ne pouvait revenir à Genève, au bénéfice de son titre de séjour italien, sans observer strictement l'ordre juridique et notamment ce qui avait trait aux infractions contre la LStup, pour lesquelles il avait déjà été condamné. L’interdiction d'entrée en Suisse prise à son encontre le 1er septembre 2020 courait jusqu'au 31 août 2023, ce qui constituait une circonstance supplémentaire en défaveur d’une réduction de la mesure contestée.

Il remettait en cause l'étendue du périmètre sans démontrer en quoi celui-ci entraverait sa liberté de mouvement dans une mesure incompatible avec le principe de la proportionnalité. Il n'avait aucune attache sérieuse en Suisse, en particulier à Genève, où il ne bénéficiait pas d'un lieu de séjour et n'était pas autorisé à travailler sur le territoire suisse. Son souhait de pouvoir rencontrer des amis et faire du shopping ne justifiait pas, à lui seul, de réduire le périmètre de la mesure.

C. a. Par acte du 6 mars 2023, M. A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation et à celle de la mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée. Subsidiairement la durée devait être réduite à six mois et plus subsidiairement l’étendue de l’interdiction devait se limiter au centre-ville. Ses antécédents judiciaires étaient anciens. Il n’avait fait l’objet d’aucune condamnation depuis 2020. Il contestait les faits qui lui étaient reprochés dans l’ordonnance pénale du 1er février 2023. Il n’avait pas vendu de marijuana. Il se trouvait à la rue de la Coulouvrenière pour attendre sa « petite copine ». Il ne consommait pas de produits stupéfiants.

Il contestait que les conditions de l’art. 74 LEI soient réalisées. La décision querellée était sans objet au vu de la décision du SEM, incluant le territoire genevois. La décision litigieuse devait donc être annulée, la durée réduite à six mois, conformément à la jurisprudence de la chambre de céans. Enfin, ayant toujours été interpellé au centre-ville, une interdiction portant sur ce seul périmètre serait suffisante.

b. Le commissaire a conclu au rejet du recours. Tant le 3 juin 2020 que le 31 janvier 2023, la drogue et l’argent de la transaction illicites avaient pu être saisis confirmant son statut de récidiviste en matière d’infractions à la LStup.

c. Le recourant n’ayant pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

d. Le contenu des pièces sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 6 mars 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Dans un premier argument, le recourant soutient que la décision est sans objet au vu de l’interdiction d’entrée en Suisse, valable jusqu’au 31 août 2023.

3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b). L’assignation à un territoire ou l’interdiction de pénétrer un territoire peut également être prononcée lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

3.2 La chambre de céans a déjà eu l’occasion de relever que l’art. 74 LEI n'excluait pas la cohabitation d'une telle mesure avec une interdiction de pénétrer en Suisse, telle celle dont le recourant fait l'objet jusqu'au 31 août 2023.

La violation d'une interdiction territoriale constitue une infraction à l'art. 119 LEI, tandis que la violation d'une interdiction d'entrer en Suisse constitue une infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEI. Si le recourant devait partant faire l'objet de ces deux mesures et ce nonobstant revenir à Genève, ces deux infractions entreraient en concours, facteur d'aggravation de la peine (ATA/1063/2021 du 12 octobre 2021 consid. 5).

Il existe dès lors un intérêt juridique à examiner la question du prononcé d'une interdiction territoriale à l'endroit du recourant.

4.             Le recourant conteste que les conditions d’une interdiction de pénétrer dans tout le territoire cantonal pendant douze mois soient remplies.

4.1 Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2).

4.2 La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 et les références citées).

4.3 En l'espèce, le principe d’une mesure d’interdiction de périmètre est fondé au vu de l’absence de titre de séjour en Suisse du recourant et de ses condamnations pénales des 4 et 20 juin 2020, notamment pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

Le recourant fait valoir qu’il a formé opposition contre l’ordonnance pénale du 1er février 2023. Il n’est toutefois pas déterminant que la condamnation ne soit pas encore entrée en force s’agissant de déterminer le risque de commission d’infractions, dès lors que l’autorité est en présence de soupçons fondés sur des indices concrets. En effet, le 31 janvier 2023, la police a constaté une transaction dans un lieu connu pour le trafic de drogue, transaction confirmée par l'acheteur et par le billet de CHF 50.- correspondant retrouvé sur le recourant. Par ailleurs, la condamnation du 4 juin 2020 portait sur un complexe de faits similaires, à savoir la vente par l’intéressé de 3 gr. de marijuana à un vendeur qui avait pu l’identifier, in casu une policière. L’argent de la transaction et la drogue concernée avaient aussi pu être immédiatement saisis. Enfin l’infraction avait eu lieu au même endroit. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le commissaire a considéré qu’il existait des soupçons de trafic illégal de stupéfiants. Enfin, aucun indice concret n’est fourni par l’intéressé concernant sa « petite copine » qui habiterait et l’aurait attendu dans ce secteur.

L’ensemble de ces circonstances suffisait ainsi à permettre au commissaire de police de retenir un risque de commission d’infractions.

5.             Le recourant conteste, subsidiairement, la durée et le périmètre de la mesure.

5.1 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises

5.2 Lors de son audition par la police le 31 janvier 2023, le recourant a indiqué n’avoir aucune attache à Genève. Il a certes évoqué le prénom de son amie et précisé qu’elle habiterait à la rue de la Coulouvrenière. Il ignorait toutefois son nom de famille, son numéro de téléphone, son adresse et n’était pas en mesure de la contacter. Il est ainsi sans lien avéré avec Genève ni attache dans le canton, et sans aucune ressource.

Dans ces conditions, l’extension à tout le territoire du canton de la mesure d’interdiction territoriale apparaît adéquate et nécessaire pour atteindre le but de protection de l’ordre et de la sécurité publics, et proportionnée au sens étroit.

5.3 La durée de la mesure paraît enfin apte et nécessaire pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de commission d’infractions sur le territoire cantonal par le recourant. Il a en effet déjà fait l’objet de deux condamnations, une troisième procédure étant en cours.

Le recourant se prévaut de n’avoir pas commis d’actes illicites depuis 2020. Il oublie qu’il était interdit d’entrée entre le 1er septembre 2020 et le 31 août 2023. Cette mesure avait précisément pour finalité l’absence de commission d’infraction, grâce à l’absence du recourant du territoire genevois. Elle n’a toutefois pas été suffisante, puisque l’intéressé est revenu, en violation de ladite mesure, et a été pris, dans les heures qui ont suivi son arrivée selon ses propres dires, en flagrant délit de vente de marijuana.

L’interdiction de périmètre ne comporte qu’une atteinte à la liberté personnelle relativement légère. Il n’y a dès lors pas lieu de la réduire en l’espèce, à peine de la priver de son effet dissuasif, étant rappelé qu’une durée de six mois a été considérée par le Tribunal fédéral comme un minimum (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2), que le recourant a déjà fait l’objet d’une première mesure de six mois et qu’il a délibérément fait fi de l’interdiction d’entrée ordonnée par le SEM, ayant reconnu qu’il était au courant de cette décision lorsqu’il a été interpellé le 31 janvier 2023.

Partant, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

6.             La procédure étant gratuite, aucun émolument de procédure ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 mars 2023 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 février 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir Djaziri, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :