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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2680/2022

ATA/231/2023 du 08.03.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2680/2022-EXPLOI ATA/231/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 mars 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Gilles Robert-Nicoud, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE L’EMPLOI intimé
représenté par Me Gabriel Aubert, avocat



EN FAIT

A. Par décision du 22 juin 2022, le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE) a rejeté la réclamation formée par la société A______ SA (ci-après : la brasserie) et a confirmé la décision du 22 décembre 2021 lui accordant, pour la période d’indemnisation allant du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021, une aide financière complémentaire pour cas de rigueur de CHF 51'847.20 dans le cadre des mesures Covid, correspondant à l’acompte déjà perçu par décision du 9 juillet 2021 – un des plafonds étant atteint et aucun versement complémentaire ne pouvant lui être octroyé.

La brasserie avait concédé la sous-location et la gérance de ses locaux à Genève à la société B______ Sàrl (ci-après : B______) pour l’exploitation de l’enseigne du même nom. Cette dernière avait encaissé le chiffre d’affaires relatif à l’exploitation. La brasserie avait ensuite repris directement l’exploitation du restaurant à compter de juillet 2018.

Le chiffre d’affaires de CHF 2'274'503.- qu’elle avait indiqué pour 2018 dans sa demande du 14 février 2021 avait été corrigé : seul devait être retenu le montant reporté dans les états financiers 2018, soit CHF 1'288'035.24, lequel incluait les revenus locatifs de CHF 108'635.04 versés par B______ pour le premier semestre 2018 et le chiffre d’affaires de la brasserie pour le deuxième semestre, mais ne pouvait comporter par ailleurs le chiffre d’affaires réalisé par B______ durant la même période.

La sous-location des locaux commerciaux aux B______ puis le rachat des actifs de celle-ci le 1er juillet 2018 ne représentaient qu’un choix entrepreneurial pour lequel l’indemnisation n’avait pas été prévue par le législateur. Les chiffres d’affaires réalisés respectivement par la brasserie et B______ au premier semestre 2018 ne pouvaient être additionnés. Les états financiers produits reflétaient d’ailleurs cette situation. La brasserie, qui avait comptabilisé des revenus locatifs de CHF 108'635.04 au premier semestre 2018, ne pouvait s’attribuer en outre le chiffre d’affaires de CHF 1'155'104.- réalisé par B______ durant la même période.

B. a. Par acte remis à la poste le 24 août 2022, la brasserie a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à ce que son chiffre d’affaires soit calculé en intégrant le chiffre d’affaires 2018 lié à l’exploitation de B______, soit au total CHF 2'340'395.- subsidiairement CHF 2'426'241.- selon la méthode choisie, portant le plafond d’indemnisation à respectivement CHF 468’079.- et CHF 485'248.-, et l’indemnisation complémentaire due à respectivement CHF 104'647.- et CHF 190'493.-. Subsidiairement, la décision devait être annulée et le dossier renvoyé au DEE.

La décision violait la loi. Soit il s’agissait d’une même entreprise avant et après le 1er juillet 2018, et le chiffre d’affaires 2018 devait être pris en considération dans sa totalité, soit tel n’était pas le cas et il fallait admettre que la nouvelle entreprise avait été constituée le 1er juillet 2018 et le chiffre d’affaires réalisé depuis le 1er juillet 2018 et jusqu’à février 2020 devait être annualisé.

La décision violait le principe d’égalité de traitement et était arbitraire. En refusant de traiter le restaurant comme une seule et même entreprise, le DEE réduisait artificiellement son chiffre d’affaires et le plafond d’indemnisation, à l’inverse de ses concurrents. Par ailleurs, en lissant sur les exercices 2018 et 2019 le chiffre d’affaires de ce restaurant réalisé par la brasserie sur dix-huit mois, le DEE réduisait artificiellement le chiffre d’affaires de référence et donc le plafond d’indemnisation. Le DEE admettait le principe de la prééminence de la substance sur la forme mais refusait de l’appliquer au motif qu’elle ne constituait pas une nouvelle société. Or, il n’était pas douteux qu’il y avait continuité d’exploitation puisqu’elle détenait le bail et l’autorisation d’exploiter le restaurant durant toute l’année 2018.

b. Le 24 octobre 2022, le DEE a conclu au rejet du recours.

La recourante ne pouvait inclure dans son chiffre d’affaires celui d’une autre entreprise au sens de la législation. Elle constituait une entreprise distincte des B______, laquelle avait changé sa raison sociale en C______ Sàrl le 10 décembre 2018 puis était entrée en liquidation le 18 mai 2022. Le statut de bailleresse principale et de détentrice de l’autorisation d’exploiter de la recourante étaient sans effet sur le fait que B______ avait exploité le restaurant de 2011 à fin juin 2018. Les deux sociétés portaient des numéros d’identification distincts et tenaient chacune leur propre comptabilité, B______ encaissant son propre chiffre d’affaires. La recourante n’avait pas changé de forme juridique. Le principe de légalité primait la prétendue prééminence de la substance sur la forme.

c. Le 20 décembre 2022, la brasserie a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

Le DEE devait soit retenir que la délégation de l’exploitation de la recourante aux B______ durant le premier semestre 2018 n’était « que des modalités d’exploitation internes » et ajouter les chiffre d’affaires du premier semestre au chiffre d’affaires de référence, soit admettre qu’une nouvelle entreprise avait été constituée le 1er juillet 2018.

d. Le 21 décembre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

C. Les faits déterminants suivants ressortent de la procédure :

a. A______ SA est inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le ______ 2011, sous la référence IDE CHD-1______. Dotée d’un capital de CHF 100'000.-, elle a pour but l’exploitation de cafés-restaurants, brasseries et pizzerias.

b. B______ Sàrl a été inscrite au RC le ______ 2011, sous la référence IDE CHE-2______. Dotée d’un capital de CHF 20'000, elle avait pour but en Suisse et à l'étranger : l’acquisition, la vente, la gestion et l’exploitation de tous établissements publics, tels que cafés, restaurants, discothèques, cabarets, dancings et night-clubs ; l’achat, la vente, l’importation, l’exportation et la distribution de boissons, de denrées alimentaires et d’autres produits manufacturés. Le 10 décembre 2018, elle a changé sa raison sociale en C______ Sàrl. Le 5 mai 2022, le Tribunal civil de première instance a prononcé sa faillite.

c. Les états financiers de la brasserie au 31 décembre 2018 et au 31 décembre 2019 indiquent des produits nets des ventes des biens et des prestations de services de CHF 1'228'035.24 pour l’année 2018 et CHF 2'406'286.90 pour l’année 2019.

Les annexes aux comptes annuels 2018 et 2019 indiquent que « jusqu’au 30.06.2018 l’activité de la société consistait en la mise à disposition du restaurant B______ à Genève à la société B______ Sàrl. Suite à un rachat de la société A______ SA et du fonds de commerce du restaurant, l’activité opérationnelle et les actifs du restaurant ont été repris par la société, qui exploite dorénavant en direct le restaurant B______ ».

L’annexe aux comptes 2018 indique encore que le loyer perçu des B______ a été de CHF 240'000.- en 2017 et CHF 108'635.04 en 2018, et que le « chiffre d’affaires restaurant » a été nul en 2017 et de CHF 1'119'400.20 en 2018.

Enfin, un résumé périodique du grand livre n’indique aucune charge de salaire jusqu’en juin 2018.

d. Le compte d’exploitation des B______ du 1er janvier au 30 juin 2018 indique CHF 154'435 au titre des loyers et charges.

e. Par contrat du 1er juillet 2018, B______ a vendu le même jour à la brasserie son stock de boissons et son matériel pour un total de CHF 140'000.-. Le préambule indique que B______ exploite en gérance le restaurant, qu’elle n’est pas titulaire du bail et qu’elle souhaite vendre les actifs de son activité à la brasserie.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte exclusivement sur la conformité au droit de la décision sur réclamation du DEE du 22 juillet 2022 en tant qu’elle refuse de compter dans le chiffre d’affaires 2018 de la recourante le chiffre d’affaires réalisé par B______ durant le premier semestre 2018.

Les résultats comptables pertinents pour l’établissement des calculs et la solution du litige ont été fournis par la recourante et ne sont pas contestés.

3.             La recourante se plaint d’une violation de la loi ainsi que d’inégalité de traitement et d’arbitraire.

3.1.1 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102).

À son art. 12, celle-ci prévoit des mesures destinées aux entreprises. Dans sa teneur en vigueur le 6 septembre 2021, la disposition prévoit qu’à la demande d’un ou de plusieurs cantons, la Confédération peut soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées « aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse (entreprises) » qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton le 1er octobre 2020, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1). Il y a cas de rigueur si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60 % de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des coûts fixes non couverts (al. 1bis). L’entreprise soutenue ne doit pas, pour l’exercice comptable durant lequel la mesure est octroyée et pour les trois exercices comptables qui suivent : (a) distribuer de dividendes ou de tantièmes ou décider de leur distribution, ni (b) rembourser d’apports en capital ou décider de leur remboursement (al. 1ter). La Confédération verse aux cantons une participation financière à hauteur de 100 % des mesures pour les cas de rigueur visées à l’al. 1 qu’ils destinent aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 5'000'000.- (al. 1quater let. b). Le Conseil fédéral édicte des dispositions particulières concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 5'000'000.- en ce qui concerne (a) les justificatifs à demander, (b) le calcul des contributions; la contribution doit être fondée sur les coûts non couverts liés au recul du chiffre d’affaires, (c) les plafonds applicables aux contributions; le Conseil fédéral prévoit des montants maximaux plus élevés pour les entreprises affichant un recul de leur chiffre d’affaires de plus de 70 % (al. 1quinquies). Le soutien de la Confédération n’est accordé que si les entreprises étaient rentables ou viables avant l’apparition du Covid-19 et à condition qu’elles n’aient pas droit à d’autres aides financières de la Confédération au titre du Covid-19. Ces dernières n’incluent pas les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, les allocations pour perte de gain et les crédits visés par l’ordonnance du 25 mars 2020 sur les cautionnements solidaires liés au Covid-19 et par la loi du 18 décembre 2020 sur les cautionnements solidaires liés au Covid-19 (al. 2bis). Si les activités d’une entreprise sont clairement délimitées, différentes aides doivent pouvoir être versées, pour autant que ces aides ne se recoupent pas (al. 2ter). Si un canton sollicite les fonds fédéraux pour ses mesures pour les cas de rigueur, toutes les entreprises ayant leur siège dans le canton doivent être traitées de la même manière, quel que soit le canton dans lequel elles exercent leur activité (al. 6).

Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (Ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 ; ci-après : l’ordonnance Covid-19 ou OMCR-20 ; RS 951.262).

Selon l’ordonnance Covid-19, dans sa teneur dès le 19 juin 2021, la Confédération participe aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnent à un canton (art. 1 al. 1).

L’entreprise a la forme juridique d’une entreprise individuelle, d’une société de personnes ou d’une personne morale ayant son siège en Suisse (art. 2 al. 1) et elle a un numéro d’identification des entreprises (ci-après : IDE ; art. 2 al. 2).

Les entreprises dont les domaines d’activité sont clairement délimités au moyen d’une comptabilité par secteur peuvent demander que le respect des exigences énoncées aux art. 3, al. 1, let. c, 4, al. 1, let. c, 5, 5a et 8 à 8c soit vérifié séparément pour chaque secteur (art. 2a).

Au nombre des exigences pour bénéficier du soutien financier, l’entreprise doit établir notamment qu’elle s’est inscrite au RC avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au RC, a été créée avant le 1er octobre 2020 (art. 3 al. 1 let. a), et a réalisé en 2018 et en 2019 un chiffre d’affaires moyen d’au moins CHF 50'000.- (art. 3 al. 1 let. b). Par chiffre d’affaires annuel moyen au sens de l’al. 1, let. b, on entend : (a) pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020 : (1) le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur 12 mois, ou (2) le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur 12 mois (al. 2 let. a) ; pour une entreprise qui a été créée entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020 : le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur 12 mois (al. 2 let. b). Le chiffre d’affaires au sens de l’ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante (al. 3).

L’entreprise doit également établir que son chiffre d’affaires 2020 est inférieur à 60 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie (art. 5 al. 1).

En cas de recul du chiffre d’affaires enregistré entre janvier 2021 et juin 2021 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, l’entreprise peut calculer le recul de son chiffre d’affaires sur la base du chiffre d’affaires des douze derniers mois au lieu du chiffre d’affaires de l’exercice 2020 (art. 5 al. 1bis).

L’entreprise doit confirmer au canton que le recul du chiffre d’affaires entraîne d’importants coûts fixes non couverts (art. 5a).

Les entreprises qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou les cantons pour endiguer l’épidémie de Covid-19, doivent cesser leur activité pour au moins quarante jours entre le 1er novembre 2020 et le 30 juin 2021 ne sont pas tenues de remplir les conditions d’octroi visées à l’art. 5, al. 1 et 1bis, si leur chiffre d’affaires annuel moyen réalisé en 2018 et 2019 est supérieur à CHF 5'000'000.- (art. 5b al. 1 let. b). Les entreprises dont les domaines d’activité sont clairement délimités selon l’art. 2a peuvent demander que la fermeture soit vérifiée par secteur (art. 5b al. 2).

Dès le 1er avril 2021, l’art. 3 a été refondu. Selon l’al. 1 let. a, l’entreprise doit s’être inscrite au RC avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au registre du commerce, avoir été créée avant le 1er octobre 2020. Selon l’al. 2 par chiffre d’affaires annuel moyen des exercices 2018 et 2019, on entend, (a) pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, (1) le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois, ou (2) le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois, et (b) pour une entreprise qui a été créée entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020, le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois.

3.1.2 Le 29 janvier 2021, le Grand Conseil a adopté la loi 12’863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : aLAFE-2021), dont la version applicable au cas d’espèce est entrée en vigueur le 2 juillet 2021 (loi 12'991 modifiant partiellement la loi 12'938, relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 ; ci-après : loi 12’991).

La loi a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de coronavirus (Covid-19) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi et à l’ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1), en atténuant les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison même de leur nature entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021 (art. 1 al. 2), et en soutenant par des aides cantonales certaines entreprises ne remplissant pas les critères de l’ordonnance Covid-19 en raison d’une perte de chiffre d’affaire insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes dans les limites prévues aux art. 9 et 10 (art. 1 al. 3).

Les aides financières consistent en une participation de l’État aux coûts fixes non couverts de certaines entreprises (art. 2 al. 1). Une éventuelle subvention monétaire générale d’une collectivité publique est déduite (art. 2 al. 2), mais non les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) ou les allocations pour perte de gain (ci-après : APG) ou encore les crédits prévus par le droit fédéral (art. 2 al. 3). Les aides financières octroyées en application des lois 12'783, 12'812, 12'824, 12'825, 12'826 et 12'833 demeurent acquises s’agissant du calcul des montants alloués pour l’année 2020 (art. 2 al. 4). Les versements déjà effectués en application des lois 12'802, 12'803, 12'807, 12'808, 12'809, 12'810, 12'813, 12’863 et 12’892 pour la période du 26 septembre 2020 au 31 décembre 2021 sont déduits de l'aide apportée dans le cadre de la loi (art. 2 al. 5). Les contributions exceptionnelles sous forme de prêt versées par la Fondation d'aide aux entreprises ne sont pas déduites (art. 3 al. 6). L'aide financière n'est accordée que si les entreprises satisfont les critères d'éligibilité définis par la loi (art. 2 al. 7).

L’aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l’État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l’entreprise, en application des dispositions de l’ordonnance Covid-19 (art. 3 al. 1). L’activité réelle de l’entreprise est prise en compte dans la détermination de l’indemnité (art. 3 al. 3).

Peuvent prétendre à une aide les entreprises qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou le canton pour endiguer l'épidémie de Covid-19, doivent cesser totalement ou partiellement leur activité selon l’ordonnance Covid-19 (art. 4 al. 1 let. a), ou dont le chiffre d’affaires a subi une baisse substantielle selon l’ordonnance Covid-19 (art. 4 al. 1 let. b) ou dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25 % et 40 % et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes (indemnisation cantonale) ; cette aide est destinée aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 de CHF 5'000'000.- au plus (art. 4 al. 1 let. c). L'aide financière n'est pas octroyée aux entreprises qui ont bénéficié d'un ou de plusieurs soutiens financiers dans le cadre des mesures prises par les autorités fédérales et cantonales pour lutter contre les effets de la pandémie dans les domaines de la culture, du sport, des transports publics ou des médias (art. 4 al. 2). L'aide financière demandée en raison de l'al. 1 let. b ou c est réduite de l'aide financière éventuelle apportée durant la même période suite à une demande fondée sur l'al. 1 let. a (art. 4 al. 3).

L’art. 5 prévoit que pour bénéficier des aides, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies : (a) l’entreprise exerce une activité commerciale sur le territoire suisse, (b) elle a son siège dans le canton de Genève, (c) elle ne figure pas sur la liste des entreprises en infraction aux art. 45 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05), 9 de la loi fédérale sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur les mesures d'accompagnement du 8 octobre 1999 (Ldét - RS 823.20) ou 13 de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41), et elle s’engage à respecter les usages en vigueur applicables dans leur secteur d’activité dans le canton de Genève, (d) son activité respecte les principes du développement durable et (e) le cas échéant, elle maintient son activité de formation d’apprentis.

L’indemnité à raison de la fermeture n’est accordée que durant la période pendant laquelle l’activité a été totalement ou partiellement interdite suite à une décision des autorités fédérales ou cantonales (art. 7 al. 1). L’indemnité maximale par entreprise et pour l’année 2021 est déterminée par voie réglementaire, mais elle ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20 % du chiffre d’affaires comme prévu à l’art. 8a al. 1 de l’ordonnance Covid-19 (art. 7 al. 2). Si le chiffre d’affaires de l’entreprise a reculé de plus de 70 % par rapport au chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, les plafonds de l’indemnité sont portés à CHF 1'500'000.- et 30 % du chiffre d’affaires annuel comme prévu à l’art. 8a al. 2 de l’ordonnance Covid-19 (art. 7 al. 3).

L’indemnité à raison de la baisse du chiffre d’affaires n’est accordée que si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60 % de son chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 (art. 8 al. 1). L’indemnité maximale par entreprise et pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 est déterminée par voie réglementaire, mais elle ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20 % du chiffre d’affaires comme prévu à l’art. 8a al. 1 de l’ordonnance Covid-19 (art. 8 al. 2). Si le chiffre d’affaires de l’entreprise a reculé de plus de 70 % par rapport au chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, les plafonds de l’indemnité sont portés à CHF 1'500'000.- et 30 % du chiffre d’affaires annuel comme prévu à l’art. 8a al. 2 de l’ordonnance Covid-19 (art. 8 al. 3).

La loi prévoit encore une indemnisation cantonale spécifique sans participation financière de la Confédération en faveur des entreprises (a) dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25 % et 40 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, (b) créées depuis mars 2020 ou créées avant mars 2020 mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020. Dans ce cas, l’indemnisation est calculée sur la base du chiffre d’affaires moyen de l’entreprise pendant les mois durant lesquels elle a pu mener son activité commerciale (art. 9 al. 1). L’indemnisation cantonale comble la différence entre l’éventuelle indemnisation calculée selon les critères de l’ordonnance fédérale Covid-19 et l’indemnité calculée selon les critères de l’al. 1 (art. 9 al. 2). Les critères permettant de déterminer le début de l’activité commerciale sont déterminés par voie réglementaire (art. 9 al. 3).

L'indemnité maximale par entreprise et pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 est déterminée par voie réglementaire, mais elle ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20 % du chiffre d’affaires comme prévu à l'art. 8a al. 1, de l'ordonnance Covid-19 (art. 10 al. 1). Pour les entreprises visées à l'art. 9 al. 1 let. b, dont le chiffre d’affaires a reculé de plus de 70 % par rapport au chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, les plafonds de l’indemnité sont portés à CHF 1'500'000.- et 30 % du chiffre d’affaires annuel comme prévu à l'art. 8a al. 2 de l'ordonnance Covid-19 (art. 10. al. 2). Le budget prévu pour l’indemnisation cantonale est limité à CHF 40'000'000.- pour l’année 2021 (art. 10 al. 3).

3.1.3 Le 3 février 2021, le Conseil d’État a adopté le règlement d’application de l’aLAFE-2021 (ci-après : aRAFE-2021).

Sont bénéficiaires de l’aide les entreprises qui répondent aux exigences de l’ordonnance Covid-19 définies dans ses sections 1 et 2 (art. 3 al. 1). Les entreprises qui ne répondent pas aux exigences relatives au recul du chiffre d’affaires définies à l’art. 5 de cette ordonnance, et dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25 % et 40 %, peuvent bénéficier de l’indemnisation cantonale, conformément à l’art. 14 de la loi, pour autant qu’elles répondent aux autres exigences définies dans les sections 1 et 2 de l’ordonnance (art. 3 al. 2).

Selon l’art. 5 al. 1, les coûts fixes comprennent le loyer et les charges locatives (let. a), les fluides (let. b), les abonnements et engagements fixes (let. c), les assurances liées à l’activité commerciale (let. d), les frais administratifs (let. e), les frais de véhicules (let. f), les charges d’amortissement (let. g), les charges financières (let. h), les charges de leasing (let. i) et les charges sociales patronales sur une base forfaitaire (let. j).

3.1.4 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la loi 12’938 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : LAFE-2021), qui a abrogé l’aLAFE-2021 (art. 23), tout en en reprenant le dispositif pour l’essentiel.

Selon l’art. 9 al. 1, l’État de Genève peut octroyer sans participation financière de la Confédération des aides en faveur des entreprises : (a) dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25 % et 40 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, ou (b) créées depuis mars 2020 ou créées avant mars 2020 mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020 ; dans ce cas, l’indemnisation est calculée sur la base du chiffre d’affaires moyen de l’entreprise pendant les mois durant lesquels elle a pu mener son activité commerciale.

L’indemnisation cantonale comble la différence entre l’éventuelle indemnisation calculée selon les critères de l’ordonnance Covid-19 et l’indemnité calculée selon les critères de l’al. 1 (art. 9 al. 2). Les critères permettant de déterminer le début de l’activité commerciale sont déterminés par voie réglementaire (art. 9 al. 3).

L’indemnité maximale par entreprise et pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 est déterminée par voie réglementaire, mais elle ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20 % du chiffre d’affaires comme prévu à l’art. 8a de l’ordonnance Covid-19 (art. 10 al. 1).

3.1.5 Invocable tant par les personnes physiques que morales, la liberté économique (art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 140 I 218 consid. 6.3 et les références). La liberté économique comprend également le principe de l'égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique. Selon ce principe, déduit des art. 27 et 94 Cst., sont prohibées les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique (ATF 143 II 598 consid. 5.1; 143 I 37 consid. 8.2). On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s'adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins. L'égalité de traitement entre concurrents directs n'est pas absolue et autorise des différences, à condition que celles-ci reposent sur une base légale, qu'elles répondent à des critères objectifs, soient proportionnées et résultent du système lui-même ; il est seulement exigé que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour atteindre le but d'intérêt public poursuivi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1149/2018 du 10 mars 2020 consid. 5.2 et les références).

3.1.6 La protection de l’égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision ou un arrêté est arbitraire lorsqu’il ne repose sur aucun motif sérieux et objectif ou n’a ni sens ni but (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 136 II 120 consid. 3.3.2 ; 133 I 249 consid. 3.3 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 113 consid. 5.1). Selon le Tribunal fédéral, l’inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 129 I 1 consid. 3 ; 127 I 185 consid. 5 ; 125 I 1 consid. 2b.aa).

3.1.7 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; ATF 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; ATF 133 III 175 consid. 3.3.1). L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2).

3.1.8 L’art. 12 al. 1 de la loi Covid-19, entrée en vigueur le 26 septembre 2020, devenu l’art. 1bis dès le 19 décembre 2020, mentionne expressément la référence à la « moyenne pluriannuelle ». Le message du Conseil fédéral du 12 août 2020 (FF 2020 6363) n’en fait pas mention et celui du 18 novembre 2020 (FF 2020 8505) se limite à indiquer que la teneur de l’art. 12 al. 1 est reprise dans le nouvel al. 1bis. La référence à la moyenne pluriannuelle du chiffre d’affaires apparaît d’abord lors des débats au Conseil National le 9 septembre 2020. Une période de référence est proposée et s’étend alors de 2017 à 2019 (BOCN 2020 1333). Elle réapparaît, sans plus mentionner de période, lors des débats au Conseil des États le 16 septembre 2020 (BOCE 2020 876). Le rapporteur de la majorité de la commission du Conseil National expose le 17 septembre 2020 que le critère, pour admettre un cas de rigueur, de la réduction de 40 % du chiffre d’affaires sur une moyenne pluriannuelle « était beaucoup trop rigide et ne permettait pas de tenir compte réellement de la définition du cas de rigueur » (BOCN 2020 1640). « Après un long débat, la majorité de la commission a constaté que la formulation retenue posait un certain nombre de problèmes. D'abord en ce qui concerne le fait de retenir les années 2015 à 2019. Il est clair que ces années-là ne seront retenues que pour des entreprises qui existaient pendant cette période, la moyenne ne pouvant naturellement être calculée que sur une période plus courte si l'entreprise a été créée après l'année 2015 » (BOCE 2020 1640-1641). Le 21 septembre 2020, au Conseil des États, les débats portent également sur la rigueur du seuil de 60 % mais non sur la moyenne pluriannuelle ou son principe (BOCE 2020 951 s). La période de référence n’est plus évoquée. La conférence de conciliation propose le 23 septembre 2020 la formulation suivante « Un cas de rigueur existe si le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 60 pour cent de la moyenne pluriannuelle » (BOCE 2020 1013 ; BOCN 2020 1764). Le rapporteur de majorité au Conseil National considère le même jour qu’il s’agit d’un critère suffisant (BOCN 2020 1765). Le texte est adopté par le plénum de chaque chambre le 25 septembre 2020, sans débat. Les travaux préparatoires montrent ainsi que lorsque le débat a porté sur la période de référence, une réduction de cette durée ou une extrapolation du chiffre d’affaires n’ont été évoqués que pour les entreprises créées durant celle-ci.

Le texte de l’ordonnance Covid-19 est clair. Les exceptions à la prise en compte du chiffre d’affaires de référence moyen des années 2018-2019 sont limitées aux entreprises fondées après le 31 décembre 2017. Ainsi, pour une entreprise créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, soit avant la mise en œuvre des mesures de restriction, le chiffre d’affaires moyen qui sert de référence est celui qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois ; ou le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois. Le chiffre d’affaires pris en considération est celui qui permet à l’entreprise de recevoir l’aide la plus importante (art. 3 al. 2 let. a de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur). Cette règle garantit que les entreprises qui ont été créées en 2018 ou 2019, mais qui n’ont réalisé des chiffre d’affaires plus élevés qu’à partir de 2020, ne soient pas défavorisées par rapport à celles qui ont été créées après le 29 février 2020 et qui ont réalisé des chiffre d’affaires en été 2020 (commentaire de l’administration fédérale des finances de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur du 18 juin 2021 p. 6 ; ci-après : commentaire ; accessible à l’adresse https://www.newsd.admin.ch/newsd/ message/attachments/67163.pdf).

Par comparaison, le législateur ne paraît pas avoir envisagé d’exception à la prise en compte du chiffre d’affaires moyen de 2018 et 2019 pour les entreprises créées jusqu’au 31 décembre 2017. La différence de traitement entre cette règle stricte, d’une part, et la possibilité de modifier d’autre part la période de référence pour les entreprises créées dès 2020, peut trouver son fondement dans les effets des vagues successives de la pandémie, et justifier aussi bien l’extrapolation de chiffre d’affaires même inférieurs à un an ou le glissement de l’exercice de référence pour tenir compte par exemple d’une saison d’hiver. L’extrapolation de chiffre d’affaires durant la période de référence 2018-2019 ne se justifie quant à elle que si l’entreprise a été créée durant cette période.

3.1.9 La chambre de céans a jugé qu’une société inscrite au RC depuis 2012, qui avait entrepris l’exploitation d’un restaurant dès juillet 2020, changé sa raison sociale au 1er octobre 2020 et dont le chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 était nul, réalisait la condition d’inscription au RC avant le 1er mars 2020, laissant ouverte la question de l’applicabilité de l’art. 3 al. 2 let. b de l’ordonnance Covid cas de rigueur entré en vigueur le 1er avril 2021, soit après la décision litigieuse (ATA/1055/2021 du 12 octobre 2021 consid. 7).

Dans le cas de l’exploitation d’un restaurant interrompue par des travaux, elle a récemment refusé d’extrapoler le chiffre d’affaires à la reprise de l’activité (ATA/154/2022 du 10 février 2022 consid. 3b).

Elle a par ailleurs jugé que la loi ne comportait pas de lacune permettant de prétendre à l’extrapolation du chiffre d’affaires réalisé durant le second semestre 2019 au titre de la période de référence (ATA/86/2022 du 1er février 2022 consid. 4c).

Elle a jugé qu’une société possédant un siège unique et une comptabilité unique ne distinguant pas chaque année les résultats des trois hôtels restaurants qu’elle exploitait et qui constituaient des activités similaires, ne pouvait se prévaloir de l’art. 3 al. 2 let. a de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur en lien avec l’ouverture du troisième hôtel restaurant en mars 2019 (ATA/501/2022 du 11 mai 2022 consid. 8a).

Plus récemment, elle a jugé qu’une société genevoise ne pouvait exclure de sa comptabilité 2020, aux fins d’obtenir des aides Covid, le résultat d’une activité nouvellement déployée dans un autre canton (ATA/1050/2022 du 18 octobre 2022 consid. 6),

La IIIe Cour administrative du Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté le 30 juillet 2021 le recours d’un entrepreneur qui expliquait avoir choisi de réduire de moitié son activité en 2018 et 2019, ce qui avait empêché son revenu annuel moyen d’atteindre le seuil de CHF 50'000.-, et observé que les exceptions prévues par la loi pour les entreprises créées entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020 respectivement entre le 1er mars et le 30 septembre 2020 ne s’appliquaient pas (arrêt 603 2021 80 du 30 juillet 2021 consid. 3).

Dans un arrêt du 25 novembre 2021, la même IIIe Cour a jugé que l’autorité avait à bon droit écarté l’argument de l’exploitante d’une boulangerie-tea-room selon lequel d’importants travaux effectués dans la zone entre 2017 et 2019 avaient rendu son commerce inaccessible ou difficilement accessible et avaient notablement réduit son chiffre d’affaires, de sorte qu’il fallait prendre en compte l’exercice 2016. Bien que l’argument fût compréhensible, les dispositions légales mentionnaient expressément le chiffre d’affaires moyen des années 2018 et 2019, de sorte que les autorités ne pouvaient appliquer d’autres années de référence (arrêt 603 2021 78 du 25 novembre 2021 consid. 3.2).

3.1.10 S’agissant du chiffre d’affaires de référence, la chambre de céans a jugé qu’un chiffre d’affaires partiel dû par exemple à l’interruption de l’exploitation d’un restaurant (ATA/154/2022 précité consid. 3b) ou d’un hôtel (ATA/86/2022 précité consid. 4c) en raison de travaux ou encore l’ouverture d’un troisième hôtel restaurant (ATA/501/2022 précité consid. 8b) résultait de choix économiques et ne justifiait pas de s’écarter de la moyenne bisannuelle 2018-2019 de référence.

3.1.11 La notion d’entreprise selon l’art. 2 de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 correspond à celle de l’art. 3 al. 1 de l’ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (RS 951.261). L’art. 957 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) relatif à l’obligation de tenir une comptabilité définit les entreprises de manière comparable, en se rattachant exclusivement à la forme juridique et non à une activité économique. L’art 2 al. 2 de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 pose la condition de forme du numéro d’identification des entreprises (ci-après IDE) pour distinguer une entreprise.

3.1.12 Un canton est tenu, lorsqu'il octroie des subventions, de se conformer aux principes généraux régissant toute activité administrative, soit notamment le respect de la légalité, de l'égalité de traitement, de la proportionnalité et de la bonne foi ainsi que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 138 II 91 consid. 4.2.5 ; 136 II 43 consid. 3.2 ; 131 II 306 consid. 3.1.2).

3.2 En l’espèce, dans un premier grief, la recourante se plaint que son chiffre d’affaires aurait été mal calculé. Elle se prévaut de la prééminence de la substance sur la forme et soutient que B______ et elle ne constitueraient qu’une même entreprise avant et après le 1er juillet 2018.

Elle ne peut être suivie. B______ et elle constituent des entreprises distinctes, possédant notamment une comptabilité et des IDE distincts. Les sociétés comptabilisaient en particulier des actifs distincts, étant rappelé que par le contrat du 1er juillet 2018, B______ a vendu une partie de ses actifs à la brasserie. Leurs produits étaient également distincts, la brasserie encaissant des loyers et B______ le résultat d’exploitation du restaurant. À ce propos, la recourante ne peut être suivie lorsqu’elle affirme qu’elle a été l’exploitante du restaurant « durant toute l’année 2018 » : cette assertion est démentie par les pièces qu’elle a elle-même produites. Jusqu’au 1er juillet 2018 l’exploitante unique du restaurant était B______ et après cette date, c’est la recourante qui a elle-même repris l’exploitation. La comptabilité de la recourante reflète d’ailleurs bien la reprise de l’exploitation et l’apparition des charges et produits qui y sont liés dès juin 2018. La remise par la recourante de l’exploitation du restaurant aux B______ relève de ses choix économiques. La recourante, qui a bénéficié de cette situation durant des années, ne saurait prétendre aujourd’hui que les deux sociétés se confondaient.

La recourante soutient ensuite, alternativement, que la reprise de l’exploitation au 1er juillet 2018 devrait conduire à la considérer comme une entreprise nouvelle dès cette date et à calculer son chiffre d’affaires de référence en conséquence.

Elle perd de vue que la réglementation applicable aux aides Covid n’entendait pas, selon la jurisprudence constante précitée, prendre en compte les choix économiques des entreprises existantes au 1er janvier 2018, tels que la réduction ou la suspension de l’activité ou d’une partie de l’activité durant les exercices de référence, ou au contraire le développement de l’activité dès 2020. Or, la recourante était inscrite au RC depuis 2011 et elle ne peut prétendre être considérée comme une société nouvelle dès le 1er juillet 2018.

Il s’ensuit qu’elle ne peut prétendre à la prise en compte d’un autre chiffre d’affaires que la moyenne des années 2018 et 2019 telle que prévue par la réglementation applicable. Le texte de l’ordonnance Covid-19 est en effet clair : les exceptions à la prise en compte du chiffre d’affaires de référence moyen des années 2018-2019 sont limitées aux entreprises fondées après le 31 décembre 2017. Le législateur n’a pas envisagé d’exception à la prise en compte du chiffre d’affaires moyen de 2018 et 2019 pour les entreprises créées jusqu’au 31 décembre 2017. L’extrapolation du chiffre d’affaires durant la période de référence 2018-2019 ne se justifie que si l’entreprise a été créée durant cette période (ATA/813/2022 du 17 août 2022 consid. 6b). Selon la jurisprudence, en matière d’aides Covid, la forme prévaut sur la substance, pour d’évidentes raisons d’égalité de traitement.

Le DEE pouvait ainsi, sans commettre ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation, prendre en compte la comptabilité produite par la recourante, calculer le chiffre d’affaires moyen 2018-2019 sur la base de celle-ci et refuser d’y ajouter le chiffre d’affaires des B______ pour le premier semestre 2018.

3.3 La recourante se plaint encore d’inégalité de traitement et d’arbitraire. Elle ne distingue toutefois pas ce grief de celui de violation de la loi et n’expose en particulier pas que d’autres entreprises – concurrentes – placées dans une situation semblable se seraient vu octroyer des aides ou encore reconnaître la confusion des entreprises alternativement la qualité de nouvelle entreprise. Ainsi qu’il a été vu plus haut, il résulte de la jurisprudence que les cas similaires ont été traités de la même manière.

Le grief sera écarté dans la mesure où il est recevable.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure. Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure en faveur de l’État, celui-ci disposant de son propre service juridique (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 août 2022 par A______ SA contre la décision du département de l’économie et de l’emploi du 22 juin 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ; 

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gilles Robert-Nicoud, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Gabriel Aubert, avocat du département de l’économie et de l’emploi.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :