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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/67/2014

ATA/151/2016 du 23.02.2016 ( PROF ) , ADMIS

Descripteurs : PROFESSION SANITAIRE ; MÉDECIN ; FAUTE PROFESSIONNELLE ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; SURVEILLANCE(EN GÉNÉRAL) ; SANCTION ADMINISTRATIVE ; AVERTISSEMENT(SANCTION)
Normes : LPMéd.40; LPMéd.46; LS.80 et ss; LComps.1.al2.leta; LComps.1.al3; LComps.7.al1.leta; LComps.10; LComps.20.al2; LComps.22
Résumé : Examen de la violation des devoirs professionnel d'un médecin-dentiste, spécialiste de l'hémostase buccale, suite à la plainte de la fille d'un patient décédé après une intervention d'extractions dentaires, qui lui reprochait de ne pas avoir effectué un test de l'hémostase de son père avant l'intervention. La commission a outrepassé son pouvoir d'appréciation en considérant que la décision du dentiste de ne pas procéder à un test de l'hémostase du patient juste avant l'opération constituait une violation de ses devoirs professionnels, la littérature médicale n'étant pas unanime ni précise à ce sujet et la décision ayant été prise par un spécialiste en la matière, à la lumière notamment de l'expérience de l'école de médecine dentaire, où le recourant était actif depuis trente ans. Recours admis, sanction (avertissement) annulée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/67/2014-PROF ATA/151/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 février 2016

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS



EN FAIT

1) Monsieur A______, médecin-dentiste, était professeur à la division de stomatologie et chirurgie orale de l’école de médecine dentaire de la faculté de médecine de Genève (ci-après : l’école de médecine dentaire) jusqu’en 2010.

2) Le 11 août 2008, le Docteur B______, médecin-dentiste, a adressé un de ses patients, Monsieur C______, né le ______ 1947, à M. A______, « pour des extractions multiples au niveau du maxillaire supérieur », en précisant que ledit patient souffrait de diverses pathologies et en priant M. A______ de prendre contact avec son médecin traitant, la Doctoresse D______.

3) Le 1er avril 2009, M. A______ a reçu M. C______ en consultation.

4) Le 3 avril 2009, sur demande de M. A______, la Dresse D______ lui a adressé un bref rapport médical au sujet de M. C______ faisant état des diagnostics suivants, au mois de décembre 2008 : « cirrhose OJ ; varices œsophagiennes ; diminution du TP [ndlr : temps de prothrombine] à 33% ; status après décompensation ascitogène ; hémorragie digestive haute sur ulcère duodénal en juillet 2007 ( ? Asassantine) ; status après bronchopneumonie et AVC du pont en décembre 2006 ».

5) Le 7 avril 2009, M. A______ a procédé à l’extraction de six racines dentaires de M. C______.

6) Le 8 avril 2009, M. C______ est retourné à l’école de médecine dentaire en raison de saignements. Les notes de dossier relatives à cette visite sont les suivantes : « saignements par le nez », « hématome +++ » et « faire bilan avant ext des dernières dents ».

7) La nuit du 8 au 9 avril 2009, M. C______ a fait un arrêt cardiaque. Il a été transféré aux urgences des hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

8) M. C______ est décédé le ______ 2009 à 11h15 aux HUG.

Selon l’attestation de décès signée par le Docteur E______, la cause « primaire » du décès était une cirrhose et la cause « directe » une hémorragie digestive. Aucune autopsie n’a été effectuée.

Selon la fiche intitulée « résumé de séjour 09.04.2009 », le patient était connu pour une « cirrhose sur OH ». Lors de son arrivée aux HUG, il présentait une « hématémèse » suivie d’une crise d’épilepsie. Une réanimation avait été effectuée. Le patient était décédé à 11h15 suite à un retrait thérapeutique selon le souhait de la famille, vu le pronostic et les comorbidités.

Selon la fiche intitulée « rapport de gastroscopie 09.04.2009 », le patient avait fait un malaise avec saignement digestif haut puis arrêt cardiaque, et avait été réanimé par le cardiomobile durant vingt minutes. Aux urgences, un saignement important par la bouche avait été constaté. La gastroscopie avait révélé des érosions avec caillots de sang rouge dans tout l’œsophage sans saignement actif, la présence de sang rouge descendant le long de l’œsophage (« depuis les dents ? ») et de sang noir dans tout l’estomac, ainsi que des « varices sous cardiales avec suintement de sang rouge (léger) ». La conclusion du rapport était la suivante : « varices œsophagiennes de grade 2. Érosions œsophagiennes (intubation dans l’œsophage ??, SNG et troubles de la crase importants : probable). Varices cardio-tubérositaires ».

Il ressort du dossier médical de M. C______ qu’en 2006, à l’âge de 59 ans, il souffrait notamment d’une cirrhose alcoolique, de varices œsophagiennes de stade II, d’une gastropathie d’hypertension portale, de kystes biliaires des segments II, IV et VI, d’un éthylotagabisme chronique et d’un état dépressif, et qu’il suivait plusieurs traitements médicamenteux.

9) Par courrier du 27 octobre 2009, Madame F______ C______ et Monsieur G______ (ci-après : les enfants de M. C______) ont indiqué à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission) avoir des doutes au niveau des compétences médicales du Professeur ayant soigné leur père en avril 2009 et l’ont priée d’ouvrir une enquête suite à ce cas, afin qu’ils puissent comprendre si une ou des erreurs avaient été commises et avoir des réponses à leurs interrogations.

Leur père avait émis le souhait d’effectuer les extractions dentaires en deux fois, mais M. A______ avait refusé. Ils se demandaient si la décision de M. A______ d’effectuer l’extraction de six racines à la fois était justifiée.

M. A______ avait prescrit à M. C______ un antibiotique à prendre vingt-quatre heures avant l’intervention. Les enfants de M. C______ se demandaient si M. A______ n’aurait pas dû prendre d’autres mesures préopératoires au vu des facteurs de risques, et s’il avait respecté son devoir d’information sur les risques encourus lors de cette intervention.

M. C______ avait beaucoup saigné après l’opération. Le lendemain, soit le 8 avril 2009, il avait appelé M. A______ « à la première heure » pour lui signaler qu’il n’arrêtait pas de saigner, qu’il avalait beaucoup de sang, que ses selles étaient noires et qu’il ne se sentait pas bien. S’étant présenté au cabinet, M. C______ avait été reçu par un assistant puis par M. A______ qui lui avait appliqué du Tissucol® sur les gencives. Les enfants de M. C______ se demandaient si M. A______ n’aurait pas dû ordonner une prise de sang ou orienter son patient vers les urgences des HUG, s’il était suffisamment compétent pour savoir comment gérer la prise en charge d’un patient présentant une telle hémorragie avec de tels antécédents, et si la situation n’avait pas été sous-estimée.

Aux urgences des HUG, le 9 avril 2009, le Professeur H______ avait expliqué aux enfants de M. C______ que le foie de ce dernier n’avait pas réussi à pomper toute la quantité de sang avalée et que tous ses organes étaient en train de lâcher les uns après les autres. De plus, au vu de l’arrêt cardiaque de la nuit précédente et les dix minutes nécessaires aux ambulanciers pour faire repartir son cœur, sans compter le temps nécessaire pour arriver sur place, son cerveau était resté trop longtemps non irrigué et les séquelles seraient terribles s’il sortait de son « coma ». La « triste conclusion » en était le décès de leur père le 9 avril 2009 à dix heures du matin.

10) Le 30 novembre 2009, le bureau de la commission a décidé d’ouvrir une procédure administrative.

11) Le 11 janvier 2010, sur demande de la commission, M. A______ lui a adressé son rapport.

M. C______ était venu le consulter pour la première fois le 1er avril 2009. À la demande du Dr B______, il avait été convenu d’extraire les six racines dentaires en un seul temps pour des motifs prothétiques. Le patient souhaitait que les extractions soient faites en plusieurs fois. Les conseils habituels lui avaient été donnés (alimentation froide, position demi-assise pour dormir, rinçage à l’eau glacée et compression en cas de reprise du saignement). Il n’avait pas téléphoné avant de se présenter au cabinet le 8 avril 2009. Lors de la consultation, il n’y avait pas de saignement par le nez, ni antérieur, ni postérieur (« sinon, le patient aurait été adressé en ORL pour méchage ») ni de saignement endo-buccal. M. A______ n’avait pas utilisé de Tissucol®.

Le 30 avril 2009, il avait reçu Mme C______, son frère, l’amie de son père et une tierce personne en entretien. La demande d’explications avait très vite « tourné à l’accusation » en raison de propos tenus par un médecin des HUG selon lesquels M. A______ était responsable du décès de M. C______. Suite à des explications circonstanciées au sujet notamment du contrôle du saignement en médecine dentaire, Mme C______ s’était calmée. À sa demande, elle lui avait expliqué le déroulement des événements des 8 et 9 avril 2009.

M. C______ étant technicien dentiste de profession et donc parfaitement informé sur ce qui se disait dans le milieu dentaire sur les confrères genevois, il aurait consulté quelqu’un d’autre s’il avait douté de ses compétences.

Pour clarifier la situation et connaître les causes du décès de M. C______ ainsi que les gestes et examens réalisés suite à l’arrivée de ce dernier aux urgences, il était indiqué de consulter le rapport du service des urgences des HUG.

12) Le 5 mars 2010, les HUG ont transmis le dossier médical de M. C______ concernant son passage au service des urgences le 9 avril 2009.

13) Le 24 février 2011, Madame I______, directrice de la commission, a prié le Docteur J______ d’accepter de présider la sous-commission 4 de la commission, le Docteur K______ s’étant retiré compte tenu de ses liens avec l’un des protagonistes.

14) Le 30 janvier 2012, la commission a entendu M. A______.

15) Le 26 février 2012, sur demande des membres de la sous-commission 4, M. A______ a fait parvenir à la commission les cinq articles de littérature médicale suivants sur la méthode employée pour extraire les dents d’un patient à risque hémorragique :

- J. SAMSON/P. DE MOERLOOSE/G. FIORE-DONNO, Les troubles de l’hémostase en médecine dentaire, 1987 ;

- J. SAMSON/G. FIORE-DONNO, Chirurgie buccale et troubles de l’hémostase, 1987 ;

- Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale, Prise en charge des patients sous agents antiplaquettaires en odontostomatologie – Recommandations, 2005 ;

- Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale, Recommandations pour la prise en charge des patients sous traitement anti-vitamines K en chirurgie bucco-dentaire, 2006 ;

- Y. NIZAMALDIN, Efficacité des colles biologiques dans les troubles de l’hémostase en médecine dentaire, thèse, 2011.

Le dernier article, la thèse du Docteur Yassin NIZAMALDIN, avait été rédigée sur la base de l’expérience de l’école de médecine dentaire au sein de laquelle M. A______ avait exercé. Au total, sur la période étudiée (2003 à 2007), trois cent vingt-deux patients présentant des troubles de l’hémostase avaient été traités au sein de la division. Ils avaient subi quatre cent soixante-deux interventions, pour un total de mille cent quarante-deux extractions dentaires. Les patients avaient été répartis en trois groupes : 1) patients sous anticoagulants ; 2) patients avec un trouble acquis de l’hémostase ; 3) patients avec un trouble héréditaire de l’hémostase. Toutes les interventions avaient été réalisées sans modification des éventuels traitements anticoagulants. Le premier point du « protocole opératoire » avait la teneur suivante : « données récentes pour les traitements anticoagulants (INR pour les patients sous AVK et du aPTT pour les patients sous héparine) ». Le groupe 2 comprenait quinze patients, dont onze présentaient une insuffisance hépatique, deux d’entre eux ayant également une insuffisance rénale. Seize interventions avaient été effectuées sur ces patients. Les données d’ « INR » étaient disponibles pour cinq interventions, les données de temps de « Quick » pour une intervention. La date des examens n’était pas mentionnée. Le nombre de dents extraites par intervention variait entre 1 et 5. Aucun saignement postopératoire n’avait été constaté chez les quinze patients du groupe 2. Dans la partie de la thèse intitulée « discussion », il était indiqué que « le risque d’évolution fatale d’un saignement après extraction dentaire est quasi nul ; aucun cas n’a jamais été rapporté dans la littérature » et que l’étude rétrospective effectuée dans la division montrait qu’il n’y avait pas de relation entre le risque de saignement et la valeur de l’ « INR ». Le deuxième point du déroulement recommandé de la prise en charge des sujets ayant un trouble de l’hémostase consistait à « effectuer, si nécessaire, des examens sanguins pour explorer l’hémostase [ ] ces examens permettent en général de faire une évaluation approximative du risque de saignement [ ] ».

M. A______ a par ailleurs demandé l’accès au dossier médical des HUG.

16) Le 9 mars 2012, M. A______ a transmis à la commission une copie du dossier polyclinique de M. C______.

17) Le 2 avril 2012, M. A______ a formulé des observations suite à sa consultation du dossier de M. C______ aux HUG. Il relevait que les causes du décès étaient la cirrhose et l’hémorragie digestive, qu’aux HUG, des interventions avaient été effectuées surtout au niveau digestif et que rien n’avait été fait pour le saignement sur le site des extractions, notamment qu’il n’y avait pas eu de point de suture, contrairement à ce qui avait été affirmé par un membre de la sous-commission 4 lors de son audition le 30 janvier 2012. Il n’avait rien trouvé dans le dossier qui puisse accréditer que les extractions dentaires seraient responsables du décès de M. C______.

18) Par décision du 9 décembre 2013, la commission a prononcé un avertissement à l’encontre de M. A______.

Lors de son audition du 30 janvier 2012, l’intéressé avait indiqué qu’il savait que M. C______ était un patient à risque hémorragique, ayant été avisé par son médecin traitant, qu’il avait donc appliqué une technique scientifiquement démontrée permettant de procéder aux extractions par l’administration de Tissucol® et que le patient avait été informé de la procédure et des risques éventuels, notamment de la nécessité de reconsulter si un nouveau saignement devait survenir. Il avait affirmé que de tels saignements n’avaient jamais été rapportés comme ayant une évolution fatale.

Il ne pouvait pas être reproché au M. A______ d’avoir effectué l’extraction des six racines dentaires en une seule fois en employant la technique de l’hémostase locale, cette technique ayant clairement fait ses preuves et M. A______ étant un expert en la matière.

En se fondant sur la littérature médicale fournie par M. A______, notamment les « Recommandations pour la prise en charge des patients sous traitement anti-vitamines K en chirurgie bucco-dentaire », la commission a toutefois constaté que M. A______ avait manqué de diligence et, partant, violé ses devoirs professionnels, en choisissant de ne pas effectuer de test de l’hémostase pour être certain du taux de « Quick » du patient, mesuré pour la dernière fois au mois de décembre 2008 à 33 %, et en ne procédant pas à une approche pluridisciplinaire telle que préconisée par les recommandations précitées. Ces manquements appelaient le prononcé d’une sanction.

Il n’existait pas de lien de causalité entre l’extraction dentaire et le décès de M. C______, qui avait été causé par une hémorragie digestive due à sa cirrhose hépatique. Au vu de l’état de santé fragile du patient, son décès aurait pu se produire à n’importe quel moment.

19) Le 9 janvier 2014, M. A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), pour contester la sanction.

La commission ne pouvait affirmer que les « Recommandations sur la prise en charge des patients sous traitement anti-vitamines K en chirurgie bucco-dentaire » s’appliquaient au cas d’espèce. Pour les patients sous anti-vitamines K, il était de recommandé de réaliser un taux de « Quick » (ou plutôt un « INR ») avant de faire des extractions, car d’importantes variations pouvaient se présenter même sans modification du traitement. Pour les agents antiplaquettaires et les nouveaux anticoagulants oraux, en l’absence d’examens permettant d’évaluer l’efficacité du traitement anticoagulant, un interrogatoire et un examen clinique bien menés permettaient d’obtenir une bonne évaluation du risque hémorragique. Les bilans d’hémostase n’étaient pas réalisés aussi fréquemment qu’auparavant car « on [savait] qu’ils [n’étaient] pas d’une fiabilité absolue pour évaluer le risque de saignement ». La commission avait fait une mauvaise interprétation et un amalgame de la littérature fournie, qui, de plus, ne concernait pas les troubles acquis de l’hémostase (ce qui était le cas de M. C______). À l’appui de son argumentation, M. A______ citait une conférence de la Doctoresse Fanny BONHOMME tenue en 2011, intitulée « Bilan d’hémostase en préopératoire ? » démontrant grâce à une étude que les bilans d’hémostase préopératoires ne conduisaient que très rarement à une modification de la prise en charge (0-0.5 % des cas) et selon laquelle il était recommandé de ne pas prescrire de façon systématique un bilan d’hémostase chez les patients dont l’anamnèse et l’examen clinique ne faisaient pas suspecter un trouble de l’hémostase.

Les recommandations de prendre un avis pluridisciplinaire étaient avant tout écrites pour les praticiens de la ville et non pour les praticiens hospitaliers. Elles restaient des conseils qui évoluaient dans le temps et qui étaient relativement peu appliqués. Il existait souvent plusieurs versions de recommandations sur un même sujet.

M. A______ relevait ensuite une série d’imprécisions contenues selon lui dans la décision. Il indiquait notamment que la demande initiale du Dr B______ était d’extraire toutes les dents ou racines résiduelles, soit neuf et non six, et que, lors d’un entretien téléphonique avec ce dernier, il lui avait expliqué que d’habitude, chez les patients qui avaient un trouble de l’hémostase, on procédait « par quadrant ». Il n’avait pas minimisé les faits lors de la consultation du 8 avril 2009, lors de laquelle M. C______ ne saignait plus, ce qui avait été constaté tant par son assistant en début de matinée que par lui-même en fin de matinée.

Le bureau de la commission avait décidé d’ouvrir une enquête administrative à son encontre le 30 novembre 2009 uniquement sur la foi de la dénonciation de Mme C______, alors qu’il n’avait eu connaissance du dossier médical du service des urgences des HUG que le 5 mars 2010.

20) Le 6 mars 2014, la commission a conclu au rejet du recours, reprenant les termes de sa décision.

Les arguments sur l’absence de besoin de recourir à des tests de coagulation avant une chirurgie si l’anamnèse était « vierge d’événements hémorragiques » étaient connus de la commission, mais ne s’appliquaient pas au cas d’espèce, M. C______ présentant précisément une cirrhose avec varices œsophagiennes, ce qui faisait de lui un « patient fragile ». M. A______ aurait dû prendre des mesures de précaution avant de procéder à l’extraction multiple, « et ce d’autant plus qu’un temps de prothrombine allongé fait partie des facteurs de risque ».

Les autres éléments mis en avant par le recourant n’étaient pas pertinents car ne concernaient que des patients sous anticoagulants et non pas, spécifiquement des patients cirrhotiques. Les patients cirrhotiques comme M. C______ étaient des patients fragiles pour lesquels il ne s’agissait pas seulement de crase, mais de fragilité les mettant à risque, notamment, d’encéphalopathie et d’insuffisance rénale. La mesure du nombre de plaquettes était un autre facteur important dans cette situation. Les patients cirrhotiques étaient d’ailleurs distingués dans les recommandations de ceux qui se trouvaient simplement sous anticoagulants. Pour les premiers, un bilan proche de l’intervention et l’organisation d’une prise en charge plus globale, multidisciplinaire, semblaient plus adéquats pour faire preuve de prudence et assurer un suivi plus rapproché.

L’absence de lien direct entre l’extraction et le décès de M. C______ ne signifiait pas pour autant que l’intervention du 7 avril 2009 n’ait pas pu contribuer à l’événement, en raison de la fragilité du patient. Le sang dégluti par le patient avait par exemple pu précipiter une encéphalopathie hépatique.

21) Le 3 avril 2014, M. A______ a répliqué, reprenant les arguments de son recours.

La notion de « patient fragile » n’était pas une notion médicale connue. Le médecin traitant de M. C______ lui avait clairement indiqué les pathologies de ce dernier, juste avant l’intervention. Il n’avait pas déconseillé d’intervenir et n’avait fait aucune mention des pathologies évoquées par la commission, soit les risques d’encéphalopathie, d’insuffisance rénale et de thrombopénie (nombre de plaquettes trop bas).

L’hémostase locale en chirurgie orale était un domaine spécifique. Le saignement post-extraction dentaire présentait peu de risques par rapport à d’autres localisations comme le cerveau. En chirurgie dentaire, on réalisait une hémostase locale permettant de gérer tous les troubles de l’hémostase.

L’approche pluridisciplinaire était difficilement réalisable, « sauf si l’on accept[ait] de se faire dicter sa prise en charge », et ce notamment en raison du fait que les médecins-dentistes étaient souvent considérés comme des « demi-frères inférieurs » par les médecins, du moins à Genève. Le plus important était d’avoir contact avec le médecin traitant du patient concerné.

Il avait demandé à la commission si elle envisageait de faire des investigations sur le confrère ayant indiqué à Mme C______ qu’il était responsable du décès de M. C______, mais n’avait jamais reçu de réponse.

La commission avait traité un sujet qu’elle ne maîtrisait pas parfaitement. L’art. 84 loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), selon lequel le professionnel de la santé ne pouvait fournir que les soins pour lesquels il avait la formation et l’expérience nécessaires, n’avait pas été respecté.

Les hypothèses émises par la commission au sujet de l’éventuel lien de causalité ne reposaient sur aucun fondement scientifique. Il aurait fallu déterminer la proportion de sang dégluti par rapport à celui provenant des varices œsophagiennes. Aux urgences aux HUG, il y avait eu une intervention pour stopper le saignement sur les varices œsophagiennes et non pour arrêter un éventuel saignement dû aux extractions.

22) Le 28 mai 2014, lors d’une audience de comparution personnelle, Monsieur L______, entendu en tant que représentant de la commission, a indiqué que la question d’un lien de causalité entre l’intervention chirurgicale et le décès de M. C______ s’était effectivement posée au sein de la commission, mais qu’une telle hypothèse avait été écartée. Il n’avait pas constaté de condescendance de la part des médecins vis-à-vis des médecins-dentistes dans le cas de M. A______.

M. A______ a quant à lui conservé sa position. Le bilan biologique n’était aujourd’hui plus systématique. Le médecin-dentiste faisant partie de la commission, le Dr J______, n’avait pas de connaissances en matière d’hémostase buccale. L’observation concernant le rapport entre les médecins et les médecins-dentistes était de nature générale et non une critique adressée aux membres de la commission.

23) Le 19 février 2015, la chambre administrative a procédé à l’audition du Dr J______ en tant qu’ancien membre de la commission. Ce dernier a indiqué ne pas disposer de connaissances particulières en matière d’hémostase buccale. Il considérait toutefois avoir, « avec l’aide du Prof. M______ », président de sa sous-commission, les compétences pour apprécier le cas en question. Dans la pratique, lorsqu’il rencontrait un cas complexe d’hémostase, il l’envoyait chez M. A______ qui, à sa connaissance, était le seul spécialiste à Genève sinon en Suisse romande en hémostase buccale. Le temps écoulé n’était « plus un élément prépondérant pour le Quick ». La prépondérance était plutôt accordée aux aspects cliniques. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il n’était pas d’accord avec les autres membres de la commission sur le cas de M. A______.

M. A______ a ajouté que, dans le cas de M. C______, il n’y avait pas de signe clinique de saignement des gencives ou en général et que le patient ne présentait pas d’hématomes cutanés. Cela avait été pour lui un facteur déterminant.

24) Lors d’une audience de comparution personnelle, le 3 décembre 2015, le Professeur M______ a affirmé qu’il avait remplacé le Dr J______ à la présidence de la sous-commission dentaire qui avait traité le cas de M. A______. La première étape de la réflexion de la sous-commission avait consisté à examiner l’existence d’un lien potentiel entre le geste chirurgical dentaire et le décès du patient, ce qui avait été nié. Il ressortait du dossier que le patient était un patient fragile, ce qui avait amené la commission à une deuxième étape de réflexion, à savoir examiner si une prévention des événements eût été possible. L’analyse préalable de la littérature disponible impliquait un regard scientifique sans qu’une formation de médecin-dentiste fût nécessaire. Deux situations se présentaient : d’une part, un patient sous traitement anticoagulant et, d’autre part, un patient présentant des troubles de la coagulation dus à une maladie. Dans le premier cas, les recommandations étaient de vérifier le degré d’anticoagulation peu avant une intervention chirurgicale. Pour le second cas, il n’y avait pas de recommandations, dans la littérature examinée, à propos du nombre d’analyses et du moment précis pour le faire, si ce n’est que chaque patient devait faire l’objet d’une évaluation individuelle. La commission se trouvait face à une situation limite. Face à l’alternative de savoir si M. A______ pouvait raisonnablement s’appuyer sur une analyse du temps de « Quick » remontant à trois mois ou s’il devait recourir à une analyse plus proche de la date de l’intervention, la commission avait tranché en faveur de la seconde solution.

En réponse à ces éléments, M. A______ a indiqué que les principes mentionnés valaient pour la médecine mais non pour la médecine dentaire. Si l’on procédait à un dosage d’anti-vitamines K avant une intervention chirurgicale, cela servait à vérifier le niveau d’anticoagulation car les patients réagissaient de manière différenciée à un traitement. Pour certains traitements anticoagulants, il n’existait même pas de tests. Le niveau d’anticoagulation n’était pas un élément pertinent pour une intervention chirurgicale dentaire car on appliquait une hémostase locale permettant de faire face à tous les problèmes de coagulation. Ce qui était déterminant était avant tout l’examen clinique du patient.

Le Prof. M______ a confirmé qu’une intervention chirurgicale dentaire était possible chez un patient anticoagulé. La question qui se posait en l’espèce était de savoir si le praticien avait tous les éléments en mains permettant de prendre toutes les précautions dans le cas d’un patient qui présentait un risque hémorragique connu et qui avait fait des hémorragies par le passé. Parmi ces éléments figurait le taux de coagulation. La commission avait estimé que l’on « aurait pu faire dans ce cas ce que l’on fait dans le cas d’un patient traité aux anticoagulants, à savoir vérifier le taux de coagulation peu avant le geste chirurgical de manière à disposer à cet égard d’éléments récents ».

25) Le 25 janvier 2016, les parties ont formulé des observations. Leurs arguments seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit ci-dessous.

26) Le 26 janvier 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 22 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients - LComPS - K 3 03).

2) Le recours de M. A______ est dirigé contre l’avertissement que lui a infligé la commission par décision du 9 décembre 2013.

3) a. D’une manière générale, s’appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (ATA/171/2012 du 27 mars 2012 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 184 n. 2.4.2.3).

b. Les faits s’étant déroulés au mois d’avril 2009, la présente espèce doit être jugée selon les dispositions de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11) et de la LS, entrées en vigueur respectivement les 1er septembre 2007 et 1er septembre 2006.

c. La procédure est régie par la LComPS, entrée en vigueur le 1er septembre 2006.

4) a. La poursuite disciplinaire se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle l’autorité de surveillance a eu connaissance des faits incriminés (art. 46 al. 1 LPMéd en relation avec l'art. 133A LS). Tout acte d’instruction ou de procédure que l’autorité de surveillance, une autorité de poursuite pénale ou un tribunal opère en rapport avec les faits incriminés entraîne une interruption du délai de prescription (art. 46 al. 2 LPMéd). La poursuite disciplinaire se prescrit dans tous les cas par dix ans à compter de la commission des faits incriminés (art. 46 al. 3 LPMéd).

b. En l’espèce, la commission a été saisie d’une dénonciation le 27 octobre 2009 et a rendu sa décision le 9 décembre 2013, soit plus de quatre ans après. Toutefois, les actes de procédure menés dans l’intervalle tant par la commission que par la chambre administrative ayant interrompu le délai de prescription, celle-ci n’est pas atteinte.

5) La commission est chargée de veiller au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la LS (art. 1 al. 2 let. a LComPS). Dans tous les cas, elle veille au respect du droit des patients (art. 1 al. 3 LComPS). Elle instruit en vue d’un préavis ou d’une décision les cas de violation des dispositions de la LS, ainsi que les cas de violation des droits des patients (art. 7 al. 1 let. a LComPS).

6) Le recourant invoque une violation des art. 10 et 16 LComPS, le bureau de la commission n’ayant pas pris connaissance du dossier médical complet du patient avant de décider de l’ouverture d’une procédure administrative.

Selon l’art. 10 LComPS, la commission de surveillance constitue en son sein un bureau de cinq membres, dont le médecin cantonal et le pharmacien cantonal, chargé de l’examen préalable des plaintes, dénonciations et dossiers dont elle s’est saisie d’office (al. 1). Selon l’alinéa 2 de cette disposition, le bureau peut décider d'un classement immédiat (let. a), de l'envoi du dossier en médiation (let. b) ou de l'envoi du dossier pour instruction à une sous-commission conformément au chapitre IV du titre III LComPS (let. c).

L’art. 16 LComPS a pour objet la médiation entre les parties. Il ne trouve pas application en l’espèce, la dénonciatrice n’ayant pas la qualité de partie à la procédure devant la commission (art. 8 et 9 a contrario LComPS).

La décision du bureau d’ouvrir une procédure administrative entre dans le cadre du pouvoir d’appréciation que lui confère l’art. 10 al. 2 LComPS. Ainsi, même à suivre le recourant lorsqu’il affirme que le bureau n’avait pas une connaissance assez approfondie du dossier lors de sa décision, il y a lieu de considérer que les faits allégués par la dénonciatrice revêtaient un certain degré de gravité, de sorte qu’un intérêt public existait à l’ouverture d’une procédure, afin précisément d’établir si lesdites affirmations étaient avérées ou non. Par cette décision, la commission, plus précisément son bureau, n’a pas outrepassé son pouvoir d’appréciation, de sorte que ce grief sera écarté.

7) L’art. 84 LS invoqué par le recourant, selon lequel le professionnel de la santé ne peut fournir que les soins pour lesquels il a la formation et l’expérience nécessaires, ne trouve pas application dans le cadre de l’exercice, par un professionnel de la santé, d’une fonction au sein de la commission, étant réservée au domaine des soins. Ce grief sera écarté.

8) Concernant le souhait du recourant de voir la commission intervenir à l’encontre de son confrère ayant laissé entendre à la fille de M. C______ qu’il avait une part de responsabilité dans le décès de ce dernier, il sort du cadre du présent litige et ne sera pas examiné.

9) a. Les personnes qui exercent une profession médicale universitaire à titre indépendant doivent exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation (art. 40 let. a LPMéd). Elles doivent également garantir les droits du patient (art. 40 let. c LPMéd).

Au niveau cantonal, les devoirs professionnels prévus à l’art. 40 LPMéd, s’appliquent à tous les professionnels de la santé, sauf disposition contraire de la LS (art. 80 LS). Le professionnel de la santé doit veiller au respect de la dignité et des droits de la personnalité de ses patients (art. 80A al. 1 LS). Il est libre d’accepter ou de refuser un patient dans les limites déontologiques de sa profession. Il a toutefois l’obligation de soigner en cas de danger grave et imminent pour la santé du patient (art. 81 al. 1 LS). Le professionnel de la santé ne peut être tenu de fournir, directement ou indirectement, des soins incompatibles avec ses convictions éthiques ou religieuses (art. 82 al. 1 LS). En cas de danger grave et imminent pour la santé du patient, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour écarter le danger, même si elles sont contraires à ses convictions éthiques ou religieuses (art. 82 al. 3 LS). Enfin, il ne peut fournir que les soins pour lesquels il a la formation et l’expérience nécessaires (art. 84 al. 1 LS). Il doit également s’abstenir de tout acte superflu ou inapproprié, même sur requête du patient ou d’un autre professionnel de la santé (art. 84 al. 2 LS).

b. Selon la doctrine, les devoirs professionnels ou obligations professionnelles sont des normes de comportement devant être suivies par toutes les personnes exerçant une même profession. En précisant les devoirs professionnels dans la LPMéd, le législateur poursuit un but d’intérêt public. Il ne s’agit pas seulement de fixer les règles régissant la relation individuelle entre patients et soignants, mais aussi les règles de comportement que le professionnel doit respecter en relation avec la communauté (par exemple la participation aux services d’urgence). Suivant cette conception d’intérêt public, le respect des devoirs professionnels fait l’objet d’une surveillance de la part des autorités cantonales compétentes et une violation des devoirs professionnels peut entraîner des mesures disciplinaires (Dominique SPRUMONT/Jean Marc GUINCHARD/ Deborah SCHORNO, Loi sur les professions médicales, Commentaire, 2009, n. 10 ad art. 40, p. 385).

10) Selon la jurisprudence constante, la relation entre le médecin et son patient est régie par les règles relatives au contrat de mandat. Cela vaut également pour les médecins-dentistes (ATF 110 II 375 ; Dominique MANAÏ, Droits du patient et biomédecine, 2013, p. 168). La doctrine considère que les devoirs professionnels du médecin découlant du droit privé se recoupent en grande partie avec ceux de l’art. 40 LPMéd (Moritz W. KUHN/Tomas POLEDNA, Arztrecht in der Praxis, 2ème éd., 2007, p. 247 et 254).

Le médecin répond de la bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO). Il devra agir avec discrétion, informer son mandant et lui rendre des comptes ( ), respecter les devoirs professionnels ( ) dans un certain état d’esprit traduisant sa conscience professionnelle, en ayant à cœur d’agir de façon diligente (Dominique SPRUMONT / Jean Marc GUINCHARD / Deborah SCHORNO, op. cit., n. 33 ad art. 40, p. 392).

La particularité de l’art médical réside en l’obligation du médecin de faire en sorte, grâce à ses connaissances et à ses capacités, d’obtenir un résultat escompté, mais cela ne signifie pas qu’il doive atteindre ce résultat ou même le garantir ; en effet, en tant que tel, le résultat ne fait pas partie de ses obligations (ATF 115 Ib 175 consid. 2b). Chaque échec de traitement n’équivaut pas à une violation du devoir de diligence (Dominique MANAÏ, op. cit., p. 170). La notion de « Pflichtverletzung » (violation d’un devoir) n’englobe pas toutes les mesures et toutes les omissions qui – considérées a posteriori – auraient causé ou prévenu un dommage. Le médecin ne répond pas de tous les dangers et de tous les risques liés à un acte médical ou liés à la maladie elle-même. Il exerce une activité exposée à des dangers. ( ) Dans le diagnostic comme dans le choix d’une thérapie ou d’autres mesures, le médecin dispose souvent – selon l’état de la science considéré objectivement – d’une certaine marge d’appréciation. Celle-ci autorise un choix entre les différentes possibilités qui entrent en considération. Le choix relève de l’appréciation attentive du médecin. ( ) Il ne manque à son devoir que si un diagnostic, une thérapie ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l’état de la science et sort du cadre médical considéré objectivement (ATF 120 Ib 411 = JdT 1995 I 554 consid. 4a et les références).

11) Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), hypothèse non réalisée en l’espèce.

Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur les considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables ou viole des principes généraux de droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; ATA/368/2015 du 21 avril 2015 consid. 4d).

Sur ce point, compte tenu du fait que la commission est composée de spécialistes, mieux à même d’apprécier les questions d’ordre technique, la chambre de céans s’impose une certaine retenue (ATA/642/2012 du 25 septembre 2012 ; ATA/205/2009 du 28 avril 2009).

12) En l’espèce, il y a lieu d’examiner si, à la lumière des principes précités, la commission a violé le droit en considérant que le recourant avait manqué à ses devoirs professionnels dans le cadre de la prise en charge de M. C______.

Il ressort du dossier qu’aucun lien de causalité entre les extractions dentaires et le décès de M. C______ n’a pu être établi, la cause du décès retenue par le médecin des HUG étant la cirrhose et une hémorragie digestive. La commission a d’ailleurs relevé à juste titre que « selon toute vraisemblance, le décès du patient, dont l’état de santé était fragile, aurait pu se produire à n’importe quel moment » et qu’« on [pouvait] difficilement le considérer comme imputable à la prise en charge de M. A______ ».

Malgré cela, la commission a prononcé un avertissement à l’encontre du recourant, lui reprochant de ne pas avoir pris toutes les précautions afin de prévenir de tels événements, qui auraient consisté à effectuer un examen permettant de déterminer le temps de « Quick » ou temps de prothrombine (ndlr : données relatives au temps de coagulation) du patient juste avant les extractions dentaires, et à adopter une approche pluridisciplinaire.

13) a. Concernant l’examen du temps de « Quick », la chambre administrative constate que si la littérature médicale figurant au dossier est unanime sur la nécessité de procéder à un bilan de l’hémostase avant une intervention chirurgicale chez des patients sous traitement anti-vitamines K, tel n’est pas le cas pour les patients présentant des troubles de l’hémostase dus à une maladie (notamment hépatique) ou à d’autres traitements. Ainsi, aucune ligne directrice claire et s’imposant de manière générale ne peut être déduite de ces articles. À ce sujet, selon la thèse du Dr NIZAMALDIN, la pratique de la division de stomatologie et chirurgie orale de l’école de médecine dentaire entre 2003 et 2007 ne consistait pas à vérifier le temps de « Quick » systématiquement pour des patients atteints de troubles hépatiques. En effet, dans la plupart des cas recensés dans ladite thèse, même en présence de troubles hépatiques et bien que le temps de « Quick » fût inconnu au moment de l’intervention, aucun saignement postopératoire n’a été constaté chez les patients concernés. Par ailleurs, selon la littérature médicale, les tests d’hémostase disponibles actuellement ne permettent pas de prédire avec précision le risque de saignement, notamment chez un patient cirrhotique (S. DITISHEIM/N. GOOSSENS/L. SPAHR/A. HADENGUE, Coagulation et cirrhose : un nouveau regard, Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1652-6), ce qui ressort des affirmations constantes de M. A______ et que le Dr J______ a confirmé lors de son audition en indiquant que « le temps n’est plus un élément prépondérant pour le "Quick" » et que l’ « on donne plutôt la prépondérance aux aspects cliniques ». Au surplus, les parties s’accordent à dire que des extractions dentaires peuvent être effectuées chez les patients présentant des troubles de l’hémostase, et ce notamment grâce aux techniques d’hémostase locale. L’on comprend également à la lecture de la documentation que les décès résultant de complications hémorragiques suite à des extractions dentaires sont très rares, et qu’une telle conséquence a en tout état été exclue en l’espèce.

En l’espèce, le temps de « Quick » du patient se situait à 33 % en décembre 2008, soit environ trois mois avant l’intervention. Selon les affirmations du recourant, l’état du patient était stable durant ces trois mois, malgré les affections dont il souffrait. Le recourant a affirmé sans être contredit que le taux de 33 % ne constituait pas un obstacle à une opération. Le médecin traitant n’a pas formulé de contre-indications à l’intervention. Dans une situation où il n’existe pas, selon la littérature médicale consultée, de protocole clair à suivre concernant le bilan d’hémostase préopératoire, le recourant a décidé de ne pas procéder à un bilan de l’hémostase. Il s’est fondé à cet égard sur les éléments énumérés ci-dessus ainsi que sur ses compétences personnelles d’expert en hémostase buccale et sur la pratique constante de l’école de médecine qui avait jusqu’alors fait ses preuves. Il a prescrit des antibiotiques préalablement à l’opération et a utilisé une technique d’hémostase locale permettant de pallier aux troubles de l’hémostase que présentait le patient, conformément à la pratique de l’école de médecine dentaire. Il a également prodigué au patient les conseils habituels pour la période suivant l’opération (alimentation froide, position semi-assise pour dormir, attitude en cas de saignement).

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que dans une situation qualifiée de « limite » par la commission, en l’absence de lignes directrices claires de la littérature et faute de lien de causalité entre l’intervention et le décès du patient, le fait d’estimer qu’une solution plutôt qu’une autre soit à préconiser, ou, selon les mots de la commission, que « l’on aurait pu faire dans ce cas ce que l’on fait dans le cas d’un patient anticoagulé » ne permet pas de conclure que l’adoption d’une autre solution constitue un manque de diligence. Ainsi, la commission ne disposait pas d’éléments suffisants pour retenir que M. A______ avait violé ses devoirs professionnels en décidant de ne pas procéder à un examen du taux de « Quick » juste avant l’intervention litigieuse.

b. Concernant l’approche pluridisciplinaire, la commission reproche au recourant de n’avoir « que » consulté le médecin traitant du patient, et de ne pas avoir recueilli l’avis de spécialistes. Or, d’une part, M. A______ est un spécialiste, sinon la référence, dans le domaine de l’hémostase buccale et dispose d’une large expérience, y compris dans le traitement de patients présentant des pathologies hépatiques, et, d’autre part, en l’absence de lien de causalité entre l’intervention chirurgicale et le décès du patient, la commission ne saurait affirmer sans autre que la consultation d’un confrère spécialisé par exemple en hépatologie aurait permis d’éviter les événements postérieurs à l’intervention, de sorte qu’elle a également violé son pouvoir d’appréciation sur ce point.

c. En définitive, dans le cadre de l’obligation de moyen et non de résultat à laquelle sont soumis les médecins-dentistes, il ne saurait être reproché à un praticien de faire usage de son pouvoir d’appréciation et de choisir l’une des solutions se présentant à lui, et ce d’autant moins lorsque sa décision s’appuie sur des considérations techniques étayées et résulte de la pratique constante et éprouvée d’une institution spécialisée. Au vu de ce qui précède et des circonstances particulières du cas d’espèce, en considérant que M. A______ avait failli à ses devoirs professionnels, la commission a outrepassé son pouvoir d’appréciation et, partant, violé l’art. 40 LPMéd, les art. 80 ss LS et l’art. 20 LComPS.

14) Le recours sera admis et la décision querellée annulée.

15) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).


* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 janvier 2014 par Monsieur A______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 9 décembre 2013 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 9 décembre 2013 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Balzli

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :