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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/340/2018

ATA/1149/2018 du 30.10.2018 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR ; INTÉRÊT ACTUEL ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; RESTAURANT ; HORAIRE D'EXPLOITATION ; OUVERTURE(EN GÉNÉRAL) ; EXCEPTION(DÉROGATION)
Normes : LPA.60.al1; Cst.29.al2; LPA.41; LRDBHD.6.al1.leta; LRDBHD.2; RRDBHD.33
Résumé : Recours contre deux décisions, la première de refus de dérogation trimestrielle à l'horaire d'ouverture du café-restaurant du recourant et la seconde de refus de dérogation annuelle au même horaire. Préavis de la ville non soumis au recourant avant le prononcé de la première décision. Violation du droit d'être entendu. Caractère contraire au droit de la première décision constaté et recours contre celle ci admis. Refus de dérogation annuelle fondé, vu l'absence d'autorisation trimestrielle préalable et le respect du principe de la proportionnalité. Recours contre la deuxième décision rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/340/2018-EXPLOI ATA/1149/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR


EN FAIT

1) Le 22 décembre 2016, le service du commerce, devenu depuis lors le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN), a autorisé Monsieur A______ à exploiter un établissement de catégorie café-restaurant à l’enseigne « B______ », propriété de B______ Sàrl et situé au C______, à Genève. L’horaire d’exploitation maximal était fixé tous les jours de 6h à 1h et les soirées du jeudi, vendredi, samedi et les veilles de jours fériés de 6h à 2h.

2) a. Le 4 octobre 2017, le PTCN a autorisé M. A______ à déroger à l’horaire maximal d’exploitation en fermant le café-restaurant à 2h du dimanche au mercredi et à 4h les vendredi et samedi jusqu’au 31 décembre 2017.

b. Le 6 octobre 2017, en sa qualité d’exploitant du café-restaurant et d’associé gérant avec signature individuelle de B______ Sàrl, M. A______ a sollicité une deuxième dérogation à l’horaire d’exploitation maximal pour le quatrième trimestre 2017, afin d’ouvrir le café-restaurant dès 4h du lundi au dimanche. La salle à manger se trouvait à l’étage supérieur, la vente à l’emporter serait fermée et il n’y aurait pas de vente d’alcool.

c. Le 6 décembre 2017, la Ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle le le chef d’unité de son service de la sécurité et de l’espace publics, a préavisé défavorablement la dérogation à l’horaire d’exploitation sollicitée, vu les nuisances qui seraient engendrées, difficilement gérables pour la police et dommageables pour les habitants du quartier. Le café-restaurant se trouvait dans une rue abritant un nombre important de logements, d’établissements publics et d’hôtels. La rue C______ était déjà connue comme un pôle d’attraction occasionnant un nombre important de nuisances pour le voisinage, comme le confirmait l’existence de deux pétitions.

d. Par décision du 12 décembre 2017, le PCTN a rejeté la demande de dérogation. M. A______ avait déjà obtenu une dérogation de l’horaire de fermeture pour le même trimestre. L’octroi de la dérogation emporterait autorisation d’ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce que la ville avait refusé dans son préavis.

3) a. Par deux nouvelles requêtes du 4 janvier 2018, M. A______ a sollicité des dérogations à l’horaire d’exploitation maximal de l’établissement pour l’année 2018, afin de fermer le café-restaurant à 2h du dimanche au mercredi et à 4h les vendredi et samedi et de l’ouvrir dès 4h du jeudi au samedi.

La salle au premier étage était insonorisée. Les commandes étaient prises à table pour qu’il n’y ait pas de clients à l’entrée. Si la dérogation d’ouverture était refusée, tous les clients se replieraient sur le kiosque d’à côté.

b. Le 6 février 2018, la ville, représentée par le chef d’unité de son service de la sécurité et de l’espace publics, a rendu un nouveau préavis négatif, pour les mêmes raisons que le 6 décembre 2017.

c. Le 26 février 2018, le PCTN a informé M. A______ de son intention de rejeter sa requête de dérogation aux horaires d’ouverture, au vu du préavis de la ville annexé.

L’intéressé ne s’est pas déterminé dans le délai au 6 février 2018 imparti à cet effet.

d. Le 28 février 2018, le PCTN a délivré à M. A______ la dérogation à l’horaire de fermeture sollicitée pour l’année 2018.

e. Par décision exécutoire nonobstant recours du 19 mars 2018, le PCTN a rejeté la requête de dérogation à l’horaire d’ouverture pour l’année 2018.

4) Par deux actes des 29 janvier 2018, référencé sous cause A/340/2018, et 2 mai 2018, référencé sous cause A/1455/2018, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les décisions des 12 décembre 2017 et 19 mars 2018, concluant à leur annulation, à l’octroi de la dérogation à l’horaire d’ouverture pour le quatrième trimestre 2017 et l’année 2018 et à la condamnation de l’État de Genève en tous les frais et « dépens ».

Le PCTN ne l’avait pas informé de son intention de rendre la décision négative du 12 décembre 2017. La dérogation ne pouvait pas être refusée uniquement sur la base du préavis de la ville, qui ne liait pas le PCTN. Le café-restaurant donnait sur la rue de D______, dans un quartier notoirement animé de jour comme de nuit et à proximité de nombreux kiosques et épiceries ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Il n’y aurait aucune nuisance supplémentaire pour les habitants, ni pour la police.

5) Par réponses des 2 mars et 12 mai 2018, le PCTN a conclu au rejet des recours et a suggéré à la chambre administrative, en tant que de besoin, d’entendre le chef d’unité du service de la sécurité et l’espace publics de la ville afin de compléter les motifs ayant conduit à un préavis négatif.

Les demandes aboutiraient à un horaire d’exploitation continu les vendredi et samedi soirs, dans un quartier connu défavorablement des services de police, notamment suite à de nombreuses plaintes de riverains concernant les nuisances sonores. La ville était la mieux à même de connaître la réalité du terrain. En s’opposant au préavis de cette dernière, le PCTN serait allé à l’encontre des buts de la loi. L’intéressé avait déposé sa demande du 4 janvier 2018 après le délai de trente jours. Les tabacs et épiceries n’étaient pas soumis à la législation sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement. La fréquentation d’un tabac et celle d’un bar ne pouvaient être comparées.

6) Les 13 avril et 8 juin 2018, M. A______ a répliqué.

7) Par décision du 12 juillet 2018, la chambre administrative a ordonné la jonction des causes nos A/340/2018 et A/1455/2018 sous cause no A/340/2018.

8) Le 23 août 2018 a eu lieu une audience de comparution personnelle et d’enquêtes.

Monsieur E______, chef d’unité au service de sécurité et de l’espace publics de la ville, a témoigné que les deux préavis avaient été négatifs, principalement en raison de la situation de l’établissement. Cela n’avait rien à voir avec l’établissement lui-même. De nombreux dépanneurs, hôtels, « nuisibles » (monde de la nuit, dealers, drogue, salissures) existaient aux ______. La politique du service, d’entente avec la police municipale, consistait à émettre des préavis négatifs dans toute cette zone de la ville, représentant entre 100 et 200 m2 environ, compte tenu des habitations. Neuf demandes de dérogation horaire avaient été reçues pour cette zone, que le service avait toutes préavisées défavorablement. Quatre concernaient la rue de D______, quatre la rue C______ et une la rue de F______. Le service avait une liste de contrôle des éléments définis comme étant pertinents, notamment savoir s’il existait des habitations autour, des hôtels, des dépanneurs, des commerces, des restaurants, etc. Le service recevait régulièrement des plaintes, la dernière le 25 juillet 2018. Ni l’absence de vente d’alcool ni le fait que B______ ait son entrée sur la rue de D______ ne modifiaient le préavis de la Ville. Les dépanneurs n’étaient pas de sa compétence.

Le représentant du PCTN a précisé, s’agissant du grief de violation du droit d’être entendu, qu’il n’y avait pas de règle procédurale précise qui justifiait que M. A______ ait été invité à se déterminer avant la décision annuelle alors que tel n’avait pas été le cas pour la demande trimestrielle. Cela n’avait pas de lien avec le recours interjeté le 29 janvier 2018 par l’intéressé. Il s’agissait probablement uniquement du fait que la seconde demande était annuelle.

Le recourant a précisé avoir interjeté recours car il était choqué de la différence de traitement entre les restaurants et les dépanneurs. Les restaurants devaient avoir une patente, respecter des normes, s’acquitter de taxes, alors que les dépanneurs étaient ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avaient parfois des cuisines, des hottes en toiture, ou vendaient des burgers et des pizzas. Ils représentaient une concurrence déloyale pour les cafés-restaurants. Lorsque ces derniers fermaient, entre 4h et 6h, la clientèle se repliait sur les dépanneurs. Les gens mangaient dehors, un peu partout. C’était une clientèle notamment de sortie de boîtes de nuit. Les rues C______ et de D______ n’étaient pas comparables : des caméras de surveillance avaient été installées depuis longtemps avec la rue de D______, ce qui faisait que les gens y mangeaient. Les problèmes, notamment de vente de drogue, s’étaient alors déplacés notamment dans la rue C______.

9) Par écritures du 8 octobre 2018, M. A______ a relevé que la salle du restaurant était dûment insonorisée, qu’elle avait fait l’objet de tous les contrôles nécessaires lors du changement d’affectation qui s’était fait dans les règles, ce que le PCTN avait indiqué ne pas contester. Il ne vendait pas d’alcool. Le restaurant n’avait pas de terrasse. Une dérogation aux horaires d’ouverture n’engendrerait aucune nuisance supplémentaire ni aucune nuisance difficilement gérable pour la police et dommgeable pour les habitants du quartier contrairement à ce qui ressortait du préavis contesté.

10) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables de ces points de vue (art. 66 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 - LRDBHD - I 2 22 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a et c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle : le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/439/2018 du 8 mai 2018 consid. 2a).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_36/2018 du 27 mars 2018 consid. 2.2). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ). Il est exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_36/2018 précité consid. 5.2).

b. En l’espèce, le recourant remet à la fois en cause la décision du 12 décembre 2017 et celle du 19 mars 2018. S’agissant de cette deuxième décision, le recourant a manifestement un intérêt actuel à recourir à son encontre, puisqu’elle concerne une dérogation pour l’année 2018 en cours. Par contre, la décision du 12 décembre 2017 concernait le dernier semestre 2017. Elle aurait donc cessé de déployer ses effets le 31 décembre 2017 et le recourant n’a pas d’intérêt actuel à obtenir son annulation. Toutefois, elle concernait une dérogation trimestrielle d’ouverture du lundi au dimanche, contrairement à celle du 19 mars 2018, qui concerne une dérogation annuelle d’ouverture du jeudi au samedi. Le recourant, en tant qu’exploitant du café-restaurant, pourrait ainsi être amené à présenter une nouvelle requête similaire à celle du 6 octobre 2017, différente de celle du 4 janvier 2018. Il se justifie de renoncer à l’exigence de l’intérêt actuel en relation avec la décision du 12 décembre 2017.

Par conséquent, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre les deux décisions et les deux recours seront déclarés recevables.

3) Le litige porte sur la conformité au droit du refus par l’autorité intimée d’accorder au recourant une dérogation à l’horaire d’ouverture du café-restaurant à 4h du lundi au dimanche pour le dernier trimestre 2017 et une dérogation à l’horaire d’ouverture du café-restaurant à 4h du jeudi au samedi pour l’année 2018.

4) Le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu dans le cadre du prononcé de la décision du 17 décembre 2017.

a. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; 133 III 235 consid. 5.3). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 I 195 consid. 2.2). Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2 ; 124 I 49 consid. 3a et les arrêts cités). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s’appliquent (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 509 n. 1526 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2013, vol. 2, 3ème éd., p. 615 n. 1317 ss). Quant à l'art. 6 § 1 CEDH, il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêts du Tribunal fédéral 6B_24/2010 du 20 mai 2010 consid. 1 ; 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et les arrêts cités).

Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_656/2016 du 9 février 2017 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/917/2016 du 1er novembre 2016 et les arrêts cités).

  Dans une procédure initiée sur requête d’un administré, celui-ci est sensé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n’y a donc pas un droit à être encore entendu par l’autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision, afin de pouvoir présenter des observations complémentaires. Reste réservée l’hypothèse où l’autorité fonde sa décision sur des éléments auxquels l’intéressé ne pouvait pas s’attendre (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 1530).

b. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 136 V 117). En effet, selon un principe général, la nullité d'un acte commis en violation de la loi doit résulter ou bien d'une disposition légale expresse, ou bien du sens et du but de la norme en question (ATF 122 I 97 consid. 3 ; 119 II 147 consid. 4a et les arrêts cités).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 138 I 97 consid. 4.1.6.1 ; 137 I 195 consid. 2.3). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2).

c. En l’espèce, le recourant indique, sans être contredit, qu’il n’a pris connaissance du préavis négatif de la ville qu’à réception de la décision querellée. Dans ces conditions, son droit d’être entendu a été violé.

La chambre de céans ne bénéficiant pas du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée, s’agissant de l’opportunité d’accorder la dérogation, dite violation ne peut pas être réparée devant la chambre administrative.

En conséquence, la période concernée par la demande étant écoulée, le caractère contraire au droit de la décision du 12 décembre 2017 sera constaté, sans renvoi du dossier à l’autorité intimée.

5) Le recourant affirme que l’autorité intimée ne pouvait refuser de délivrer les deux autorisations dérogatoires litigieuses sur la seule base du préavis de la ville.

a. L’exploitation à titre onéreux d’établissements voués à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place est soumise à la LRDBHD (art. 1
al. 1 LRDBHD). Cette loi vise à assurer la cohabitation de ces activités avec les riverains, notamment par leur intégration harmonieuse dans le tissu urbain, et à développer la vie sociale et culturelle et sa diversité, dans le respect de l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé, la sécurité et la moralité publiques (art. 1 al. 2 LRDBHD).

b. Les cafés-restaurants font partie des établissements concernés (art. 5 al. 1 let. a LRDBHD). Les cafés-restaurants sont destinés principalement au service de restauration à consommer sur place (art. 9 al. 1 du règlement d'exécution de la LRDBHD du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01). Ils peuvent proposer tout type de restauration (chaude, froide) et doivent disposer d'une cuisine adaptée à l'offre de restauration proposée (art. 9 al. 2 RRDBHD).

c. L’exploitant doit veiller au maintien de l’ordre dans son établissement, qui comprend cas échéant sa terrasse, et prendre toutes les mesures utiles à cette fin (art. 24 al. 1 LRDBHD). Il doit exploiter l’entreprise de manière à ne pas engendrer d’inconvénients pour le voisinage (art. 24 al. 2 LRDBHD). Si l’ordre est troublé ou menacé de l’être, que ce soit dans son établissement, sur sa terrasse, ou encore, s’il l’a constaté, dans ses environs immédiats, l’exploitant doit faire appel à la police (art. 24 al. 3 LRDBHD). En cas de constat de troubles à l'ordre public ou de nuisances réitérés, le département peut exiger du propriétaire ou de l'exploitant qu'il organise à ses frais un service d'ordre adéquat afin que le maintien de l'ordre soit assuré (art. 24 al. 4 LRDBHD). L’exploitant est tenu de respecter les heures d'ouverture et de fermeture indiquées dans l'autorisation (art. 25 LRDBHD).

d. Toute requête tendant à l'octroi d'une autorisation prévue par la LRDBHD est adressée au département, accompagnée des pièces nécessaires à son examen (art. 20 al. 1 LRDBHD). Le département peut consulter la commune du lieu de situation de l’entreprise dans le cadre de la procédure d’autorisation (art. 20 al. 5 LRDBHD). Le département peut interdire aux établissements ouverts la nuit la vente de boissons alcooliques durant certaines heures (art. 31 al. 8 LRDBHD).

6) a. L'horaire d'exploitation maximal des cafés-restaurants et des bars est de 6h à 1h du dimanche au mercredi, et de 6h à 2h les soirées du jeudi, vendredi, samedi ainsi que les jours fériés (art. 6 al. 1 let. a LRDBHD). Sur demande de l'exploitant propriétaire de l'établissement, respectivement de l'exploitant et du propriétaire de l'établissement, le département peut accorder aux cafés-restaurants et bars un horaire dérogatoire de fermeture à 2h les soirées du dimanche au mercredi et à 4h les soirées des vendredi et samedi (al. 1) et/ou un horaire dérogatoire d’ouverture à 4h tous les jours de la semaine (al. 2 ; art. 7 LRDBHD). Le Conseil d'État fixe par règlement les conditions des dérogations. Ces dérogations doivent être compatibles avec la protection de l'environnement, la tranquillité et la santé publiques, afin d'empêcher les nuisances à l'égard du voisinage. Elles doivent également être compatibles avec la protection des travailleurs (art. 7 al. 4 LRDBHD).

b. Lorsque la demande de dérogation est fondée sur l'art. 7 al. 1 et 2 LRDBHD, elle doit être déposée au PCTN au moins trente jours avant le début souhaité de l'horaire dérogatoire (art. 33 al. 2 RRDBHD).

Le PCTN tient compte des éventuelles infractions à la loi commises avant le dépôt de la requête. La dérogation pour laquelle l’autorisation est sollicitée doit en outre être compatible avec les intérêts publics poursuivis par la loi (art. 33 al. 3 RRDBHD). Le PCTN se réfère notamment à une cartographie établissant une échelle des risques de troubles à la tranquillité publique en regard de l'implantation géographique de l'établissement considéré (art. 33 al. 4 RRDBHD). Selon le degré de risque établi, le PCTN peut exiger du requérant qu'il produise, à l'appui de sa requête, une étude acoustique validée par le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA ; let. a) et la preuve que des mesures adéquates ont été mises en œuvre pour empêcher la réalisation du risque identifié, telles que l'installation d'un limiteur-enregistreur ou enregistreur, l'engagement d'un service d'ordre adéquat ou de chuchoteurs (let. b ; art. 33 al. 5 RRDBHD). Le PCTN peut en outre requérir le préavis des autorités, soit notamment du SABRA, des autorités de police, ainsi que du service de l'inspection du travail. Il peut également consulter la commune du lieu de situation de l'établissement concerné (art. 33 al. 6 RRDBHD). La dérogation peut être refusée en cas d’infraction à la LRDBHD ou au RRDBHD dans les douze mois précédant le dépôt de la requête. Elle est dans tous les cas refusée si, dans les trois mois précédant le dépôt de la requête, une infraction aux prescriptions visées aux art. 24 et 25 LRDBHD a été commise (art. 33 al. 11 RRDBHD). Le PCTN peut refuser d'accorder une dérogation aux établissements ne respectant pas les prescriptions visées aux art. 24 et 25 LRDBHD (art. 33 al. 16 RRDBHD).

La dérogation relative aux horaires est prononcée pour une durée maximale d'une année, renouvelable sur requête (art. 33 al. 9 RRDBHD). Le requérant qui sollicite une dérogation annuelle doit au préalable avoir obtenu une dérogation trimestrielle (art. 33 al. 10 RRDBHD).

Lorsque le PCTN accorde la dérogation sollicitée, il peut assortir sa décision de charges et/ou de conditions. Il peut notamment stipuler une interdiction de servir des boissons alcooliques durant certaines heures de la nuit (heures blanches – art. 31 al. 8 LRDBHD ; art. 33 al. 12 RRDBHD).

Pour le surplus, le PCTN suit la procédure ordinaire visée à
l'art. 31 RRDBHD (art. 33 al. 17 RRDBHD). Le préavis des autorités et de la commune consultée ne lie pas le PCTN (art. 31 al. 11 RRDBHD).

7) a. L'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation constituent des violations du droit, qui peuvent être revues par les autorités de recours (art. 61 al. 1 let. a LPA). Cela signifie qu'une autorité judiciaire de recours qui contrôle la conformité au droit d'une décision vérifiera si l'administration a, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère la loi, respecté le principe de la proportionnalité – et les autres principes constitutionnels tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité, la bonne foi –, mais s'abstiendra d'examiner si les choix faits à l'intérieur de la marge de manœuvre laissée par ces principes sont « opportuns » ou non (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 569 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 174 s. n. 524). L’autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation tout en respectant les conditions et les limites légales, si elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux précités (Benoît BOVAY, op. cit., p. 566).

b. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. 2, 2014, n. 38, 126 et 137 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 3ème éd., 2013, n. 226 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 552 ss).

8) En l’espèce, déjà autorisé à fermer le café-restaurant à 2h du dimanche au mercredi et à 4h le vendredi et le samedi, le recourant a demandé à pouvoir ouvrir le café-restaurant dès 4h du lundi au dimanche dans sa demande de dérogation pour le dernier trimestre 2017 et du jeudi au samedi dans le cadre de sa requête de dérogation pour l’année 2018, impliquant un horaire continu d’ouverture du vendredi à 4h jusqu’au dimanche soir à 2h.

L’autorité intimée a motivé ses décisions des 17 décembre 2017 et 19 mars 2018 par les deux préavis défavorables de la ville. Ces derniers, au même contenu, soulignent la situation de la rue C______, laquelle comporte un grand nombre d’immeubles d’habitations, ainsi que d’établissements publics et hôteliers et est déjà connue comme un pôle d’attraction occasionnant un nombre important de nuisances pour le voisinage.

Certes, l’autorité intimée a autorisé le recourant, pendant le dernier trimestre 2017, à déroger aux horaires de fermeture. Elle a ensuite accordé la même dérogation de manière annuelle en 2018. Cela démontre que le recourant a respecté les dispositions en matière de maintien de l'ordre et de la tranquillité publiques à la fin de l’année 2017 et qu’il ne lui a pas été reproché de générer des nuisances par l’exploitation du café-restaurant, ce que l’autorité intimée ne conteste d’ailleurs pas. En outre, l’autorité intimée n’allègue pas et il ne ressort pas du dossier que le recourant aurait par le passé commis des infractions à la législation en matière de restauration et de débit de boissons.

À cela s’ajoute le fait que, dans ses deux demandes, le recourant s’est engagé à prendre les commandes à table dans la salle du premier étage, afin qu’aucune file ne se forme à l’entrée du café-restaurant et éviter ainsi de générer du bruit dans la rue. Dans sa demande du 6 octobre 2017, le recourant a en outre souligné l’absence de vente d’alcool.

Toutefois, il ressort des enquêtes que la commune a une politique claire de refus de toute dérogation aux cafés-restaurants d’ouvrir deux heures plus tôt, permettant ainsi l’ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ces refus concernent un secteur limité, relativement clairement défini de quelques rues. Les préavis défavorables sont systématiques et tous motivés par des motifs de tranquillité publique. L’existence de plusieurs plaintes tend à confirmer la réalité des nuisances notamment sonores décrites par les habitants. Par ailleurs, l’existence de nuisances sonores en lien avec l’ouverture d’autres commerces dans le secteur, notamment des dépanneurs, n’est pas contestée par le recourant.

L’autorité intimée a par ailleurs indiqué que le préavis était systématiquement demandé quand une ouverture non-stop était sollicitée. Cette pratique avait été mise sur pied, à la demande de l’association des communes genevoise, par la commission interdépartementale qui se réunissait environ tous les mois. Elle suivait les préavis, sauf s’ils apparaissaient insoutenables. Elle considérait que les deux cents agents de la police municipale de la ville étaient plus à même qu’elle d’évaluer la situation.

Tant la position de l’autorité intimée, que le témoignage sont convaincants. Ils décrivent une pratique établie et uniforme. Dans ces conditions, c’est sans abus de son pouvoir d’appréciation que le PCTN a suivi le préavis défavorable de la commune. Le seul fait que les clients du café-restaurant puissent consommer à l’intérieur de l’établissement n’implique ni qu’ils le fassent, ni qu’ils soient silencieux dans les abords de celui-ci. Cela contribuerait par ailleurs à drainer des personnes dans le périmètre concerné et ne peut en conséquence être retenu pour devoir s’écarter du préavis négatif. De même, le fait qu’un certain nombre de commerces dans le quartier ouvrent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et vendent de la nourriture à emporter, sans être soumis à la LRDBHD, comme l’a allégué le recourant sans que cela ne soit contesté par l’autorité intimée, ne peut modifier ce qui précède. La problématique des dépanneurs est en effet exorbitante au litige, la vente à l’emporter n’étant pas traitée dans la LRDBHD. Enfin, les situations des dépanneurs et des cafés-restaurants diffèrent sur plusieurs points, y compris parce que les restaurants ont le droit d’engager du personnel pour les horaires de nuit, ce que le recourant ne conteste pas. Les situations étant différentes, le principe de l’égalité de traitement n’est pas violé.

Dans ces circonstances, l’autorité intimée était justifiée à refuser de délivrer une autorisation annuelle pour l’année 2018, non seulement en l’absence d’autorisation trimestrielle de dérogation aux horaires d’ouverture préalable (art. 33 al. 10 RRDBHD), mais aussi, sans violer le principe de la proportionnalité, et donc abuser de son pouvoir d’appréciation.

Par conséquent, le refus de dérogation pour une ouverture à 4h du jeudi au samedi pendant l’année 2018 est fondé.

Vu ce qui précède, le recours contre la décision du 19 mars 2018 sera rejeté.

9) Dans ces circonstances, le recours contre la décision du 12 décembre 2017 sera admis et le caractère contraire au droit de cette dernière constaté, vu la violation du droit d’être entendu du recourant. Le recours contre la décision du 19 mars 2018, conforme au droit, sera rejeté, le refus de dérogation aux horaires d’ouverture étant fondé.

10) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera perçu, relativement au deuxième recours (art. 87 al. 1 LPA). Compte tenu de l’issue du premier recours, une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 29 janvier et 2 mai 2018 par Monsieur  A______ contre les décisions du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir des 12 décembre 2017 et 19 mars 2018 ;

au fond :

admet le recours interjeté le 29 janvier 2018 contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 12 décembre 2018 ;

constate le caractère contraire au droit de la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 12 décembre 2018 ;

rejette le recours interjeté le 2 mai 2018 contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 19 mars 2018 ;

met un émolument de CHF 500.- à charge de Monsieur A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à Monsieur A______ à la charge à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir Djaziri, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :