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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/103/2018

ATA/1148/2018 du 30.10.2018 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 10.12.2018, rendu le 27.02.2019, RETIRE, 2C_1102/2018
Descripteurs : DÉCISION ; INDICATION DES VOIES DE DROIT ; QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; MAISON DE RETRAITE ; ACTIONNAIRE UNIQUE ; ETAT LOCATIF ; BAIL À LOYER ; LOYER ; VALEUR LOCATIVE ; FRAIS D'ENTRETIEN
Normes : LPA.4.al1; LPA.46.al1; LPA.47; LPA.60.al1.letb; Cst.29.al2; LGEPA.1; LGEPA.2.letb; LGEPA.20.al1; LGEPA.20.al2.letb; LGEPA.30.al1.leta; LGEPA.30.al1.letb; LGEPA.30.al2; RGEPA.26; RGEPA.29
Résumé : Recours d'une société propriétaire d'un bâtiment hébergeant un EMS contre une décision du département de l'emploi et de la santé fixant le loyer maximum applicable de l'EMS sur les bases de la directive départementale sur la fixation des loyers dans les EMS. La recourante n'ayant pas démontré que les frais d'entretien à sa charge dépassent le forfait de 1% du coût de construction admis prévu par ladite directive, le département était légitimé à réduire le loyer maximum autorisé en refusant de prendre en compte un montant de CHF 100'000.- qui avait initialement été ajouté au forfait d'entretien de 1%. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/103/2018-EXPLOI ATA/1148/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Marc Lironi, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______) est une société anonyme dont le but est la construction, le financement et l’exploitation d’établissements médico-sociaux (ci-après : EMS) au chemin B_______, ainsi que toute activité liée directement ou indirectement au développement d’EMS.

2) C______ (ci-après : C______), dont A______ est actionnaire unique, a pour but l’exploitation d'un ou de plusieurs EMS, et est au bénéfice d’une autorisation d’exploiter plusieurs EMS délivrée par le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, devenu depuis le département de l’emploi et de la santé (ci-après : DES ou le département).

3) A______ est propriétaire d’un immeuble sis B______, ______. Sur ce terrain a été construit D______ (ci-après : l’EMS).

4) Le 25 août 2007, A______ a conclu avec la société C______ un contrat de bail à loyer portant sur ledit bâtiment. Le loyer annuel était de CHF 2'291'124.- et le bail était conclu pour cinq ans.

5) Par avenant au bail du 25 mars 2008, le loyer a été fixé à CHF 2'555'304.-.

6) Le 1er juin 2010, la direction générale de l’action sociale (ci-après : DGAS), à laquelle étaient alors rattachés les EMS, a émis une nouvelle directive relative à la fixation des loyers dans les EMS. Cette directive précise notamment que, lors de la fixation du loyer maximal admis, les charges d’entretien incluses sont fixées forfaitairement à 1 % du coût de construction admis.

7) À la suite de l’entrée en vigueur de cette nouvelle directive, la DGAS a, par courriers des 12 octobre 2011 et 8 mai 2012, invité C______ à renégocier son bail, lequel arrivait prochainement à échéance, et à lui transmettre les données nécessaires au calcul du loyer.

8) Par courrier du 30 août 2012, la DGAS a arrêté le loyer payable par C______ à CHF 1'686'774.- par an, le coût de construction reconnu pour le calcul du loyer étant de CHF 29'508'966.-.

À teneur du tableau détaillant le calcul des frais et charges immobiliers afin d’établir la valeur locative, joint en annexe, les charges d’entretien s’élevaient à CHF 293'104.-. En sus de ces charges d’entretien, un montant de CHF 100'000.- était mentionné sous la rubrique « contrats d’entretien ».

9) Par nouveau contrat de bail du 1er octobre 2012, A______ et C______ ont convenu d’une modification du montant du loyer, fixé désormais à CHF 1'686'774.- par an, pour une durée de dix ans.

10) Dans le courant de l’année 2013, l’inspection cantonale des finances
(ci-après : ICF), devenue depuis lors le service d’audit interne de la République et canton de Genève (ci-après : le service d’audit interne), a rendu le rapport
n° 13-06 portant sur l’exploitation de l’EMS.

a. Ce rapport constatait que, conformément à la directive de la DGAS, le montant du loyer intégrait un montant forfaitaire de CHF 293'104.- au titre de charges d’entretien supportées par le propriétaire (ce montant correspondant à 1 % du coût maximum de construction admis). En sus de ce montant forfaitaire, un montant complémentaire de CHF 100'000.- était intégré dans le montant du loyer au titre de « contrats d’entretien ». Il ressortait du tableau justificatif remis par le propriétaire au service d’audit interne que ce montant concernait en grande partie des contrats d’entretien dont le paiement revenait au propriétaire. Ainsi, tout ou partie de ce montant était, de ce fait, déjà compris dans le montant forfaitaire de CHF 293'104.- intégré dans le loyer. Cette situation faisait par conséquent supporter à l’EMS des charges excessives qui se reportaient sur le prix de pension et, in fine, sur les résidents et/ou l’État de Genève.

Le service d’audit interne avait compris que ce montant de CHF 100'000.- avait été accepté par le département en raison d’un malentendu entre celui-ci et le propriétaire : le département pensait qu’il s’agissait de dépenses à charge de l’exploitant payées par le propriétaire, et que la refacturation de ce montant était dès lors fondée.

Le service d’audit interne recommandait ainsi au département de veiller à ce que le montant de CHF 100'000.- soit exclu du calcul du loyer.

b. Dans la rubrique du rapport relatant la position des parties, il était relevé que, selon l’audité, le montant de CHF 100'000.- correspondait au transfert de la prise en charge des contrats d’entretien du locataire au propriétaire, selon la directive de juin 2010. Selon la DGAS, la prise en compte d’un montant de CHF 100'000.- supplémentaire au titre de frais d’entretien ne résultait pas d’un « malentendu », mais d’une demande du propriétaire qui évoquait une répartition différente des charges d’entretien entre locataire et propriétaire par rapport à ce qui était prévu dans la directive départementale. Cependant, le nouveau projet de bail à loyer de 2012 ne mentionnait aucunement que le propriétaire et le locataire se seraient accordés sur une répartition différente de ces frais d’entretien. Par conséquent, le département allait maintenir le montant du loyer tenant compte du forfait de CHF 100'000.-, tout en procédant, d’ici au 31 décembre 2014, à une analyse des frais effectifs engagés par le propriétaire au titre de l’entretien du bâtiment sur trois années consécutives d’exploitation, afin de vérifier si le taux de 1 % n’était effectivement pas suffisant et justifierait l’inclusion du montant supplémentaire de CHF 100'000.-.

11) Par courrier du 8 octobre 2014, la DGAS a rappelé à A______ que, dans son cas, le calcul du loyer admis tenait compte des contrats d’entretien pour CHF 100'000.- par an en sus des 1 % de charges d’entretien forfaitaire admis par le département, provenant d’une répartition différente des charges d’entretien entre locataire et propriétaire par rapport à ce qui était prévu dans la directive départementale.

Afin d’assurer un suivi du rapport du service d’audit interne de 2013, la DGAS a requis de A______ qu’elle lui remette un décompte des frais effectifs qu’elle avait supportés en 2012 et 2013 dans le cadre de ce budget de CHF 100'000.-.

12) Par courrier du 17 octobre 2014, A_______ a remis à la DGAS un tableau listant les contrats d’entretien à la charge du propriétaire, faisant état d’un montant total de CHF 99'393.19. Aucune pièce justificative n’était jointe à ce tableau.

13) Le 27 octobre 2014, la DGAS a accusé réception des données représentant les frais effectifs annuels à la charge de A______.

14) Par courrier du 8 décembre 2015, la DGAS a indiqué à l’EMS que le service d’audit interne avait décidé de ne pas clôturer la recommandation sur la base du décompte des contrats d’entretien remis.

Elle la priait donc de lui remettre la copie de la totalité des frais effectifs engagés par le propriétaire au titre de l’entretien du bâtiment durant les trois dernières années consécutives d’exploitation (2012 à 2014), permettant de justifier auprès du service d’audit interne que le montant de CHF 100'000.- était effectivement nécessaire à l’entretien.

15) Par courrier du 10 octobre 2016 adressé à l’EMS et envoyé en copie à A______, la DGAS lui a rappelé n’avoir pas reçu d’informations complémentaires sur la totalité des frais effectifs engagés par le propriétaire au titre de l’entretien du bâtiment sur les années 2012 à 2014, et lui a demandé de s’assurer que ces éléments lui seraient transmis par le propriétaire dans les meilleurs délais.

16) Par courrier du 30 novembre 2016, la DGAS a rappelé à l’EMS qu’elle était toujours dans l’attente des informations permettant de clôturer la mesure 4.1.7 du rapport n° ______ du service d’audit interne et l’a prié d’enjoindre son propriétaire à lui remettre les éléments requis d’ici au 31 décembre 2016.

17) Par courriel du 7 juin 2017, la DGAS a adressé un nouveau rappel à l’EMS.

18) Par courrier du 5 juillet 2017, la DGAS a imparti à l’EMS un ultime délai au 30 octobre 2017 pour lui transmettre la totalité des frais effectifs engagés par le propriétaire au titre de l’entretien du bâtiment entre 2012 et 2014, permettant de justifier auprès du service d’audit interne que le montant alloué de CHF 100'000.- en sus du montant forfaitaire prévu dans la directive départementale était effectivement nécessaire à l’entretien.

19) A______ a répondu à la DGAS le 31 octobre 2017.

Elle rappelait que le loyer initial, convenu et déterminé par la DGAS, était de CHF 2'555’304.-. À l’échéance du bail et à la suite de l’édition d’une nouvelle directive départementale définissant la répartition des charges entre le propriétaire et le locataire, la DGAS avait décidé, de façon unilatérale et au mépris du droit commercial, de diminuer le loyer au montant actuel de CHF 1'686’774.-. Cette réduction substantielle avait posé de nombreux problèmes pour la société, nécessitant de revoir les conditions de ses prêts hypothécaires et de modifier sa politique de provision pour grands travaux. C’était dans ce contexte que la DGAS avait admis un montant forfaitaire de CHF 100'000.- par an pour les contrats d’entretien, montant intégré au loyer.

Au-delà des frais liés aux contrats d’entretien, la société avait constitué une provision pour grands travaux dans ses livres à concurrence de CHF 1'112'684.14 au 31 décembre 2016. Ce montant répondait plus que de besoin à la demande de justificatifs de la DGAS.

Par ailleurs, la société effectuait chaque année des réparations, de l’entretien de renouvellement et des améliorations. Sur ce dernier point, elle avait investi un montant considérable pour la mise au point du système de chauffage solaire, qui permettait à C______ de faire des économies substantielles d’énergie.

Pour les années 2017 à 2020, la société avait validé un programme d’investissement pour l’entretien lourd et les rénovations de CHF 400'000.-.

20) Par courrier du 30 novembre 2017 adressé à A______, le département a arrêté le loyer maximal annuel de l’EMS à CHF 1'586'774.-, conformément à la feuille de calcul annexée audit courrier.

À maintes reprises, le département avait demandé à A______ la transmission de la totalité des frais effectifs engagés par le propriétaire au titre de l’entretien du bâtiment pour les années 2012 à 2014, ce que cette dernière avait refusé.

L’adaptation devrait être effective pour le 1er janvier 2018 et s’accompagnerait d’une diminution du prix de pension de CHF 3.-, le portant ainsi à CHF 229.- pour 2018. Le bail devrait être amendé d’ici au 10 décembre 2017.

21) Par acte du 15 janvier 2018, A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier du 30 novembre 2017, concluant, préalablement à ce qu’une audience de comparution personnelle des parties soit ordonnée, et, principalement, à l’annulation de la décision du département du 30 novembre 2017 et à ce qu’il soit confirmé que la décision du 30 août 2012 restait valable et que le loyer était ainsi fixé jusqu’en 2022.

La décision du département violait le principe de la proportionnalité et l’art. 20 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Elle violait également les art. 30 et 42 de la loi sur la gestion des établissements pour personnes âgées du 4 décembre 2009 (LGEPA - J 7 20) et l’art. 26 du règlement d'application de la loi sur la gestion des établissements pour personnes âgées du 16 mars 2010 (RGEPA - J 7 20.011).

La recourante devait assumer annuellement, en moyenne, un montant de CHF 99'393.19 uniquement pour les contrats d’entretien (abonnements). En sus, elle devait également assumer financièrement des charges d’entretien importantes ainsi que des travaux lourds d’entretien et de rénovation. Lors de la diminution de loyer intervenue en 2012, le montant affecté à titre de charges d’entretien ne lui suffisait pas pour assumer l’ensemble des frais d’entretien de sa propriété et alimenter un compte provision pour travaux lourds d’entretien et de rénovation. C’était pour pallier ce manque de fonds que le montant forfaitaire de CHF 100'000.- avait été intégré dans le montant du loyer.

22) Dans sa réponse, le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision entreprise.

La recourante étant l’actionnaire unique de l’exploitante, le département était parfaitement fondé à exiger la justification de l’imputation de charges supplémentaires à l’exploitant, ce d’autant plus lorsque cette imputation était contraire aux indications de la directive.

Faute de répartition particulière des charges résultant du bail, le département avait jugé qu’il ne se justifiait pas de prendre en compte le montant supplémentaire de CHF 100'000.- dans le calcul du loyer.

23) La recourante a répliqué, persistant dans ses conclusions.

24) Sur ce, la chambre administrative a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) a. La chambre administrative est en principe compétente pour statuer sur un recours dirigé contre un acte fondé sur la LGEPA sous réserve de la réalisation des conditions prévues par l’art. 132 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), à savoir notamment que l’acte litigieux soit une décision au sens de l’art. 4 LPA.

b. Le délai de recours est de trente jours s’il s’agit d’une décision finale (art. 62 al. 1 LPA).

2) a. Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

b. Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 LPA). Une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA).

Le principe général du droit rappelé à l’art. 47 LPA découle des règles de la bonne foi, qui imposent des devoirs tant à l’autorité dans la conduite d’une procédure (ATF 123 II 231 consid. 8b p. 238) qu’à l’administré (arrêt du Tribunal fédéral 2C_318/2009 du 10 décembre 2009). On peut et doit attendre d’un justiciable en désaccord avec une décision dépourvue de l’indication des voies de droit qu’il se renseigne sur ses possibilités de recours auprès d’un avocat ou de l’autorité qui a statué, conformément aux règles de la bonne foi. À défaut, la décision entre en force passé un certain délai, même si une disposition légale prévoyait expressément l’obligation de porter la mention des voies de droit (ATF 121 II 72 consid. 2a ; ATF 119 IV 330 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.83/2006 du 5 septembre 2006 et la jurisprudence citée). Il y a donc lieu d’examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice ou si elle a agi dans un délai raisonnable (ATA/147/2013 du 5 mars 2013 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 355 et la jurisprudence citée).

3) À teneur de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

4) En l'espèce, le courrier du 30 novembre 2017 fixe le loyer maximal de l’EMS à compter du 1er janvier 2018. Il crée des obligations pour la recourante, propriétaire de l’immeuble en question. Il s'agit donc d'une décision contre laquelle celle-ci a la qualité pour recourir, ce qui n’est d'ailleurs pas contesté par l'autorité intimée.

La décision n'indique pas de voies de recours ni de délai. Cependant, le recours a été rédigé dans un délai de trente jours. De ce fait, il n'existe aucun préjudice pour les parties.

Le recours du 15 janvier 2018 est dès lors recevable.

5) L’objet du litige porte sur la question de savoir si c’est à juste titre que le département a réduit de CHF 100'000.- la valeur locative annuelle maximale de l’EMS, au motif que la recourante n’aurait pas apporté les pièces permettant de justifier la prise en compte de CHF 100'000.- de charges d’entretien en sus du forfait de 1 % du coût de la construction admis prévu par la directive départementale sur la fixation des loyers.

6) La recourante conclut préalablement à ce qu’une audience de comparution personnelle des parties soit ordonnée.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_265/2016 du 23 mai 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 137 II 266 consid. 3.2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 138 IV 81 consid. 2.2 ).

b. Le droit d’être entendu n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé, celui-ci devant simplement disposer d’une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l’issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; 134 I 140 consid. 5.3).

c. En l’espèce, le dossier contient tous les éléments permettant à la chambre de céans de trancher le litige en toute connaissance de cause. Il s’ensuit qu’il ne sera pas donné suite à la demande d’audition de la recourante, qui a pu s’exprimer dans son recours et dans sa réplique.

7) La recourante fait valoir que le département aurait violé l’art. 20 LPA et le principe de la proportionnalité en diminuant le montant du loyer au motif qu’elle n’aurait pas produit la preuve de la totalité des coûts effectifs d’entretien de l’immeuble, et qu’il aurait également abusé de son pouvoir d’appréciation et violé les art. 30 et 42 LGEPA, et 26 RGEPA, aucun motif ne justifiant de baisser le montant du loyer fixé en 2012. Ces deux griefs se confondant en partie, ils seront traités ensemble.

8) Le 1er avril 2010, la LGEPA a abrogé l'ancienne loi relative aux EMS accueillant des personnes âgées du 3 octobre 1997 (aLEMS - J 7 20). La nouvelle loi vise à assurer à toutes les personnes âgées, des conditions d'accueil, d'hébergement et de soins de qualité dans les EMS, subventionnés et reconnus d'utilité publique, ainsi que dans les résidences pour personnes âgées
(art. 1 LGEPA). Elle définit notamment les conditions d'octroi de la subvention et les modalités d'organisation générale des EMS (art. 2 let. b LGEPA).

La LGEPA règle l'organisation générale et le financement des établissements médico-sociaux afin d'assurer à toutes les personnes âgées, dépendantes, accueillies en institutions une prise en charge de qualité à des conditions financièrement supportables pour la collectivité (MGC 2008-2009/II A 3106). Son adoption répondait notamment aux constatations de l'ICF sur la gestion des EMS : des loyers dépassant les charges des immeubles, des frais et débours inadéquats, une présentation des états financiers peu satisfaisante, une thésaurisation des subventions, un manque de rigueur dans l’application des directives de gestion, une absence de convention collective de travail pour une partie du personnel (MGC 2008-2009/II A 3113-3114).

9) a. Selon l’art. 20 LGEPA, le prix de pension maximum est fixé par le département (al. 1). Il comprend notamment un loyer et/ou les charges immobilières (al. 2 let. b).

Les loyers et charges admis se basent sur les dispositions prévues par la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977
(LGL - I 4 05), appliquées par analogie, notamment en ce qui concerne le rendement des fonds propres (art. 30 al. 1 let. a LGEPA). Ils se basent également sur les standards de construction et de transformation admis par le département (art. 30 al. 1 let. b LGEPA). Le département peut fixer, le cas échéant, des règles spécifiques (art. 30 al. 2 LGEPA).

Le montant maximum admis au titre de loyer ou de charges immobilières est fixé par le département, en application de la directive y relative (art. 26 RGEPA).

b. La directive départementale sur la fixation des loyers dans les EMS du 15 juin 2010, entrée en vigueur le 1er juin 2010 (ci-après : la directive ; disponible en ligne sur le lien : https://www.ge.ch/document/fixation-loyers-ems/telecharger), a pour objectif de définir les paramètres inhérents à la fixation d’un loyer maximum dans le prix de pension d’un EMS (art. 2.1). Elle s’applique notamment à la création de lits (à savoir lors de la construction d’un nouvel EMS ou lors de la construction de lits supplémentaires dans un EMS existant) et à la transformation conséquente d’un EMS existant (art. 2.2). S’agissant des EMS existants, son art. 11 prévoit que selon l’art. 42 al. 5 et 7 des dispositions transitoires de la LGEPA, le département peut exiger une révision des charges et des frais immobiliers (loyers) des EMS existants, en s’inspirant des dispositions stipulées dans cette directive.

c. La directive prévoit, à son art. 4.1, que les charges et frais immobiliers constitutifs du loyer sont : les charges d’intérêts hypothécaires (let. a) ; le rendement net sur fonds propres (let. b) ; les charges consécutives à l’amortissement des immobilisations (let. c) ; les charges d’entretien (let. d) ; et le cas échéant, la rente foncière inhérente à un droit de superficie (let. e).

À teneur de son art. 8.1, les charges d’entretien, selon définition à l’annexe de la directive précisant les obligations incombant à l’entité exploitante et au propriétaire respectivement, sont fixées à 1 % maximum du coût de construction admis (celui-ci étant fixé à l’art. 3 de la directive). L’entité exploitante doit alors veiller à ce que le propriétaire respecte ses obligations en matière d’entretien et doit, le cas échéant, ordonner les réfections jugées nécessaires dans le cadre du contrat de bail (art. 8.2). L’État peut contrôler l’entretien des bâtiments ainsi que la qualité des équipements fixes (art. 8.3).

d. L’annexe à cette directive définissant la répartition des charges entre propriétaire et exploitant prévoit notamment, s’agissant des entretiens et réparations, que les travaux d’entretien résultant de l’usage normal de l’immeuble (mur des chambres et des locaux, boiseries et portes, sols des chambres, peintures et crépis des façades, portes et fenêtres extérieures, toiture) sont à la charge du propriétaire. Les travaux résultant d’une exploitation accrue ou anormale des locaux (entretien des murs, boiseries, portes et sols des chambres après tout départ d’un résident, dégâts dus à la manipulation des lits et autres équipements) sont à la charge de l’exploitant. S’agissant des aménagements extérieurs, la remise en état des voies de communication, l’éclairage, l’abatage d’arbres et la réparation de bassins sont à la charge du propriétaire. La tonte et l’entretien des parcs et jardins, l’élagage, la taille et le traitement des haies, ainsi que le nettoyage des voies de communication sont à la charge de l’exploitant. S’agissant des installations techniques, le remplacement et les contrats d’entretien des ascenseurs, du monte lits et/ou charge, du chauffage, de la ventilation et des installations électriques, de même que le remplacement de la cuisine et de la buanderie sont à la charge du propriétaire. Les contrats d'entretien pour la cuisine et la buanderie sont à la charge de l’exploitant. Pour l’énergie, seules les taxes relatives au raccordement durant la phase de construction sont à la charge du propriétaire, le fuel, l’électricité et le gaz étant à la charge de l’exploitant. S’agissant des assurances, celles relatives à l’incendie de l’immeuble, aux dégâts des eaux et à la responsabilité civile du propriétaire sont à la charge de ce dernier. Celles relatives au mobilier, à l’exploitation, aux accidents et à la responsabilité civile d'exploitation sont à la charge de l’exploitant. Enfin, les taxes professionnelles et les taxes sur les ordures ménagères sont à la charge de l’exploitant.

10) a. D'après la jurisprudence, afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales, l'administration peut expliciter l'interprétation qu'elle leur donne dans des directives. Celles-ci n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce. Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 133 II 305 consid. 8.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_176/2012 du 18 octobre 2012 consid. 5.4.3 ; 2C_132/2010 du 17 août 2010 ; ATA/436/2014 du 17 juin 2014 consid. 13 ; ATA/611/2010 du 1er septembre 2010 consid. 4 ; ATA/617/2008 du 9 décembre 2008 consid. 6c).

b. Dans l’ATA/436/2014 précité, la chambre administrative a examiné la validité de la directive : l'art. 30 al. 1 LGEPA offrait une base de calcul de la valeur locative, et l’art. 30 al. 2 LGEPA donnait en outre la possibilité au département de prévoir des règles spécifiques pour la fixation du loyer dans une directive. L'art. 26 LGEPA confirmait également la compétence du département de fixer les loyers en suivant les principes de la directive. Des indications précises et techniques ayant leur place dans une directive et non dans une loi ou un règlement, la base légale de la directive existait et cette dernière ne faisait que définir les éléments de la loi (consid. 13).

11) L’art. 29 LGEPA prévoit que le propriétaire de l'infrastructure mobilière et immobilière ainsi que l'exploitant peuvent former une entité juridique unique ou des entités distinctes (al. 1). Toutefois, si le choix d'une entité juridique distincte n'obéit à aucun intérêt sérieusement fondé, le département peut ordonner la constitution d'une entité juridique unique ou exiger la présentation d'informations comptables consolidées (al. 2). Le contrat de bail ainsi que la description des charges immobilières imputables et conformes aux directives du département doivent être tenus à disposition (al. 3).

12) En l’espèce, il ressort des pièces produites par les parties, et notamment du rapport no. _____ du service d’audit interne, que lors de la fixation du loyer maximum admissible en 2012, la DGAS avait accepté de prendre en considération un montant de CHF 100'000.- en sus du forfait de 1 % du coût de construction admis prévu dans la directive, au motif que la recourante avait évoqué une répartition différente des charges d’entretien entre locataire et propriétaire par rapport à ce qui était prévu dans cette directive. Après examen du dossier, le service d’audit interne avait recommandé au département de veiller à ce que le montant de CHF 100'000.- soit exclu du loyer. La DGAS avait ainsi indiqué qu’elle allait procéder à une analyse des frais effectifs engagés par la recourante au titre de l’entretien du bâtiment, afin de déterminer si ce montant supplémentaire de CHF 100'000.- se justifiait ou non.

Ainsi, invitée par la DGAS à justifier ses frais effectifs d’entretien pour l’immeuble dont elle est propriétaire, la recourante s’est contentée d’envoyer à celle-là un tableau contenant la liste des contrats d’entretien à sa charge, faisant état d’un montant total de frais d’entretien de CHF 99'393.19, et sans aucune annexe.

Les deux montants les plus importants mentionnés dans ce tableau, à savoir CHF 23'716.80 et CHF 36'707.40, qui totalisent à eux deux près des deux tiers des frais d’entretien invoqués, se rapportent respectivement à l’entretien du chauffage, de la ventilation et de la climatisation et à l’entretien des ascenseurs et du
monte-charge. Les autres montants se rapportent notamment à la porte basculante du garage (CHF 924.54) au monte-plats (CHF 1'519.90), aux portes coulissantes (CHF 2'110.75), au système de détection incendie (CHF 6'867.59), à la « centrale TT, serveur alarme » (CHF 7'776.-), à l’éclairage de secours (CHF 2'874.95) ou au contrôle périodique de l’électricité (CHF 5'677.-). Le tableau ne comportant que des indications sommaires, il n’est pas possible de comprendre à quoi se rapportent certains des frais d’entretien qui y sont mentionnés (par exemple, le tableau comporte la mention « Optima – froid » pour un montant annuel de CHF 7'513.80). Il ressort cependant de ce tableau que la grande majorité – si ce n’est la totalité – des frais d’entretien qui y sont mentionnés doivent être à la charge du propriétaire selon l’annexe à la directive départementale sur la fixation des loyers dans les EMS. Ces frais d’entretien doivent donc être compris dans le forfait de 1 % prévu par ladite directive.

Ainsi, la recourante ne peut soutenir que ce tableau était suffisant pour justifier, auprès du service d’audit interne, la nécessité de maintenir le montant forfaitaire de CHF 100'000.- dans le calcul du montant du loyer.

De même, on ne saurait la suivre lorsqu’elle soutient qu’aucun motif ne justifiait de baisser le loyer tel que fixé en 2012. Dans la mesure où il est apparu, lors de l’enquête menée par le service d’audit interne, que la prise en compte d’un montant de CHF 100'000.- en sus du forfait de 1 % du coût de construction admis ne se justifiait a priori pas, c’est à juste titre que la DGAS a par la suite demandé à la recourante de justifier la totalité de ses frais effectifs d’entretien pour l’immeuble dont elle est propriétaire. Le tableau produit ne permettant pas de démontrer que la recourante et l’exploitante de l’EMS auraient convenu d’une répartition différente des charges d’entretien de celle prévue dans la directive, c’est à juste titre que le département a considéré que la prise en compte de ce montant de CHF 100'000.- en sus du forfait d’entretien de 1 % ne se justifiait pas. Ce faisant, il n’a aucunement abusé de son pouvoir d’appréciation, ni violé les art. 30 et 42 LGEPA.

La recourante prétend également qu’elle aurait à assumer d’autres charges d’entretien importantes, ainsi que des travaux lourds d’entretien et de rénovation. Elle n’apporte cependant pas la moindre preuve quant à ces prétendus coûts supplémentaires d’entretien, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en considération.

Enfin, la nécessité invoquée d’alimenter le compte « provision pour grands travaux », ne peut également pas être prise en considération, cet élément n’ayant pas d’incidence, d’après la directive, sur le calcul du loyer maximum admissible.

13) Compte tenu de ce qui précède, le recours, mal fondé, sera rejeté.

14) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe. Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 janvier 2018 par A______ contre la décision du département de l’emploi et de la santé du 30 novembre 2017 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il ne lui est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc Lironi, avocat de la recourante ainsi qu'au département de l'emploi et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :