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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1168/2019

ATA/1112/2019 du 28.06.2019 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1168/2019-FPUBL ATA/1112/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juin 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Thomas Barth, avocat
et
Monsieur B______
représenté par Me Romain Jordan, avocat
et
Monsieur C______
représenté par Me Jamil Soussi, avocat
et
Monsieur D______
représenté par Me Saskia Ditisheim, avocate
et
Monsieur E______
représenté par Me Eric Beaumont, avocat
et
Madame F______
représentée par Me Marco Crisante, avocat



et
Monsieur G______
représenté par Me Marc Oederlin, avocat
et
Monsieur H______
représenté par Me Nicolas Jeandin, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ




EN FAIT

1) Messieurs A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que Madame F______ sont gardiens au sein de la prison de I______ (ci-après : la prison). Certains d'entre eux sont appointés, gardien sous-chef et gardien principal.

2) Le 28 septembre 2018, Monsieur J______, chef de service au sein des ressources humaines (ci-après : RH) à l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD), et Madame K______, responsable de secteur aux RH, ont reçu Monsieur L______, agent de détention à la prison, en entretien.

Selon le rapport d'entretien, il avait été porté à la connaissance des RH que M. L______ avait été victime d'un bizutage de la part d'autres agents de détention la nuit du 29 septembre 2017.

M. L______ a expliqué que cette pratique était un peu un rituel au moment du changement de brigade. Il avait été averti par avance qu'il serait bizuté, il avait été consentant et ne s'était pas senti humilié. A priori, il ne devrait pas y avoir d'enregistrements.

3) Le même jour, les RH ont reçu Monsieur M______, agent de détention à la prison, en entretien.

Selon le rapport d'entretien, il avait été porté à la connaissance des RH que M. M______ avait fait l'objet d'un bizutage de la part d'autres agents de détention la nuit du 9 avril 2018.

M. M______ a expliqué ne pas s'être senti victime de quelque chose de grave, précisant qu'il ne qualifiait pas cet événement de bizutage. Il avait été un petit peu mouillé et ne se rappelait pas avoir été attaché avec des menottes mais avec du scotch. Il n'avait pas souhaité dire le nom des personnes présentes et ne pouvait pas dire si des vidéos avaient été prises. Pour lui, ce n'était pas grand-chose, cela était resté « bon enfant ».

4) Par arrêtés séparés du 6 février 2019, le conseiller d'État en charge du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département) a ouvert une enquête administrative, sans mesure de suspension, à l'encontre de MM. A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que de Mme F______, confiée à Monsieur N______, ancien juge à la Cour de justice (ci-après : l'enquêteur).

Il ressort de ces arrêtés ce qui suit :

a. Le 29 septembre 2017, à la prison, un bizutage s'était déroulé visant M. L______ auquel au moins neuf agents de détention avaient participé, dont MM. B______, D______, E______, G______ et H______.

Selon les images et les informations en possession du département, ledit bizutage s'était déroulé en deux étapes, la première consistant, au sein de l'établissement pénitentiaire, à mélanger de nombreuses denrées alimentaires solides et liquides dans différents récipients, afin de constituer une substance liquide infecte et nauséabonde.

S'agissant de la seconde étape, M. L______ avait été menotté dans le dos et amené dans les douches de la prison. Dans cet endroit, les agents de détention avaient commencé par apposer sur ses lèvres et sur son visage ce qui semblait être du rouge à lèvres. Ils avaient ensuite masqué les yeux de M. L______ avec, selon toute vraisemblance, deux petites tommes de fromage fixées autour de la tête de celui-ci par du ruban adhésif.

Ils lui avaient ensuite giclé la tête avec un spray fluorescent, de même que le buste et l'intérieur de la partie avant de son pantalon, ainsi que le haut de son uniforme. Ils lui avaient alors jeté et cassé des oeufs crus sur la tête, la nuque, ainsi qu'à l'intérieur du haut de son uniforme, au niveau du dos, avant de lui gicler à nouveau du spray fluorescent sur la tête.

Ils avaient poursuivi en lui versant sur la tête et sur le corps la préparation concoctée lors de la première étape, composée de substances solides et liquides. Après l'avoir recouvert d'une matière blanche solide, ils avaient ensuite giclé de l'eau sur M. L______ au moyen d'un tuyau exclusivement réservé à un usage en cas d'incendie.

Ils avaient par la suite versé sur le corps de l'intéressé, d'une part, sur la tête, en veillant à écarter l'arrière du haut de l'uniforme, afin que le dos de celui-ci soit découvert, d'autre part, à l'intérieur de l'arrière du pantalon en écartant celui-ci, le contenu d'un second mélange de denrées alimentaires solides ou liquides préalablement préparé au sein de la prison. Ils avaient continué en versant sur M. L______ de la farine, un oeuf, ainsi que d'autres éléments blancs et solides (de petite taille) à ce stade non identifiés.

b. Le 9 avril 2018, à la prison, un bizutage s'était déroulé visant M. M______, agent de détention, auquel au moins neuf agents de détention avaient participé, dont MM. A______, C______, D______, E______ et Mme F______.

Selon les images et les informations en possession du département, ledit bizutage s'était déroulé en deux étapes, la première consistant, au sein de l'établissement pénitentiaire, à mélanger de nombreuses denrées alimentaires solides et liquides dans différents récipients, afin de constituer une substance liquide infecte et nauséabonde.

S'agissant de la seconde étape qui s'était déroulée dans l'une des douches de la prison, alors qu'il criait, se débattait et était allongé, face contre terre, M. M______ avait été menotté dans le dos par cinq gardiens. Un des gardiens présents avait mis la tête de l'intéressé sous le jet d'eau de la douche et avait, ensuite, à plusieurs reprises, manipulé les cheveux mouillés de M. M______. Puis et alors que ce dernier avait été mis à genoux, que le haut de son uniforme avait été déboutonné et sa nuque avait été dégagée, plusieurs gardiens avaient versé sur la tête de M. M______ et son corps une partie du contenu du mélange de denrées alimentaires préparé lors de la première étape.

En réaction, M. M______ s'était levé et, alors qu'il s'était dirigé vers le coin de la douche, où se trouvait le pommeau, avait reçu à plusieurs reprises une quantité importante de farine, puis à nouveau et à plusieurs reprises, alors qu'il était dans le coin de ladite douche, sous le pommeau, une partie du contenu des casseroles, ainsi que de la farine.

Ensuite, M. M______ avait été emballé dans du papier cellophane, du haut du corps jusqu'au-dessous des genoux. Les agents de détentions avaient aspergé, à deux reprises, les cheveux et, à une reprise, la barbe de M. M______ de spray vert fluorescent en y ajoutant des paillettes.

Après avoir brièvement laissé M. M______ seul dans la douche, ils étaient revenus munis d'un tuyau exclusivement réservé à un usage en cas d'incendie, avaient ordonné à l'intéressé de se mettre dans le coin, sous le pommeau de douche et avaient aspergé M. M______ durant environ trente secondes.

c. L'enquête administrative visait les faits susmentionnés, ainsi que tous autres faits répréhensibles susceptibles d'apparaître au cours de l'enquête.

5) Par courriers séparés du 26 février 2019, l'enquêteur a convoqué MM. A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que Mme F______ pour des auditions individuelles fixées entre le 4 et le 6 mars 2019.

6) Le 4 mars 2019, dans un même courrier, huit avocats représentant MM. A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que Mme F______ ont écrit à l'enquêteur, requérant une décision clarifiant, d'une part, les questions de procédure ayant notamment trait à l'accès au dossier (légalité du moyen de preuve, provenance de la dénonciation, auditions préalables, etc.) et, d'autre part, le droit de participer de leur client à tous les actes d'enquête.

Il était établi que l'enquête, bien qu'ayant fait l'objet de plusieurs arrêtés d'ouverture, portait sur des faits en tous points identiques. La nécessité de clarifier ces questions par le prononcé d'une décision incidente s'imposait.

Le courrier, signé par les huit avocats, a été transmis à l'enquêteur par courriel du même jour par l'un des avocats.

7) Par décision incidente du 6 mars 2019 et après un échange de courriels, l'enquêteur a refusé de donner une suite favorable à la demande des conseils des agents de détention.

Le département avait ouvert autant d'enquêtes qu'il y avait de personnes concernées (quatorze). L'enquêteur avait reçu des arrêtés d'ouverture d'enquête individuelle, concernant des faits non nécessairement identiques, dont le propos était de déterminer quels faits le mis en cause concerné avait personnellement commis et si celui-ci relevait d'un manquement disciplinaire. Il avait reçu pour chaque mis en cause un dossier identique à celui qui avait été mis à disposition de ceux qui en avaient fait la demande, aussi rapidement que possible, respectant ainsi les droits liés à la connaissance des éléments en cause.

Les faits non nécessairement identiques des procédures ainsi ouvertes nécessitaient une première audition individuelle de chaque mis en cause. Rien ne permettait de dire à ce stade de l'instruction quelles procédures, s'il y en avait, devraient être instruites conjointement, ni de quelle manière. Il n'y avait donc pas de raison de considérer que chaque mis en cause était partie dans toutes les procédures et devrait assister à chaque acte, notamment à la première audition, de sorte que l'art. 7 de de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne trouvait pas application. À tout le moins, les premières auditions seraient individuelles. Ceci ne préjugeait en rien de décisions ultérieures. Étaient notamment réservées les éventuelles questions de confrontations entre les mis en cause et des auditions communes de certains témoins pour des faits communs.

Par conséquent, les premières auditions de chaque dossier devaient être conduites individuellement.

Cette décision a été communiquée par pli recommandé à chaque requérant individuellement, en son domicile élu.

8) Par acte commun du 18 mars 2019, MM. A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que Mme F______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant, sur mesures provisionnelles, à la constatation de l'effet suspensif attaché au recours, subsidiairement, à ce qu'il soit fait interdiction à l'enquêteur de procéder à tout acte d'enquête dans le cadre de la (et/ou de toutes les) enquête(s) administrative(s) ordonnée(s) le 6 février 2019 jusqu'à droit jugé sur le recours. Au fond, ils ont conclu à l'annulation de la décision attaquée et à sa réformation, en ce sens qu'ils avaient la qualité de partie dans le cadre intégral de la (et/ou de toutes les) enquête(s) administrative(s) ordonnée(s) le 6 février 2019.

La décision attaquée n'ayant pas été déclarée exécutoire nonobstant recours, leur recours déployait un effet suspensif automatique. À titre superfétatoire, les conditions au prononcé de mesures provisionnelles étaient réunies.

Les recourants avaient un intérêt digne de protection à obtenir un contrôle judiciaire immédiat de la décision attaquée, laquelle violait le droit à l'égalité des armes, le droit d'être entendu et le droit de procédure déterminant. L'économie de procédure imposait également de purger les questions posées d'emblée, sans attendre que les quatorze agents de détention soient entendus, en violation du droit, et que les rapports d'enquêtes soient rendus et, le cas échéant, un prononcé final rendu. Pour les mêmes motifs, la deuxième hypothèse de l'art. 57 let. c LPA devait également être considérée comme remplie. Enfin, la procédure confinait au déni de justice sous forme d'un report sine die de la décision, notamment au vu du nombre de personnes concernées.

L'enquêteur avait perdu de vue le fait que le but de l'enquête administrative était d'établir les faits et non de sanctionner un recourant, procédure supposant le cas échéant encore des observations puis une audition préalable par l'autorité compétente. Or, ce but-là était commun à tous les fonctionnaires visés par les arrêtés du département du 6 février 2019. Chaque fonctionnaire avait un intérêt digne de protection à pouvoir participer aux déclarations des autres personnes visées par l'enquête portant sur lesdits faits. L'enquêteur n'indiquait pas pour quelles raisons il serait nécessaire de procéder par des auditions individuelles. Dès lors et conformément à l'art. 42 LPA, ils avaient le droit d'assister aux autres auditions menées.

Le principe d'égalité des armes était violé, puisqu'alors que l'enquêteur et le département pourraient assister à toutes les auditions, tel ne serait pas le cas des fonctionnaires visés. Les informations collectées dans l'une ou l'autre des auditions pourraient ainsi être, le cas échéant, utilisées, en violation de l'égalité des armes et du droit à la réplique des recourants, puisque ces derniers n'auraient pas eu accès auxdites informations.

Enfin, la solution défendue par l'enquêteur - arbitrairement arrêtée et sans aucune motivation topique au regard du droit de procédure - allait à l'encontre de la pratique et de la jurisprudence.

Les recours ont été enregistrés sous les numéros de cause A/1168/2019, A/1169/2019, A/1170/2019, A/1171/2019, A/1173/2019, A/1174/2019, A/1175/2019 et A/1176/2019.

9) Le 10 avril 2019, dans huit écritures séparées, le département a conclu, préalablement, à la disjonction des procédures en autant de procédures qu'il y avait de recourants. Principalement et cela fait, il a conclu, à la forme, à l'irrecevabilité de chaque recours et, au fond, au rejet du recours de chaque intéressé, dans la mesure où ils étaient recevables.

Les causes étant individuelles, elles devaient être traitées indépendamment les unes des autres, de sorte que la chambre administrative devait traiter de manière individuelle les causes qu'elle semblait avoir jointes d'office, respectivement il convenait de les disjoindre.

Contrairement à ce que soutenaient les recourants et comme le relevait une jurisprudence récente du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable ne pouvait être simplement un préjudice économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure. Par ailleurs, les recourants ne subiraient aucun préjudice irréparable au vu de la procédure telle qu'envisagée par l'enquêteur. Enfin et si les recours devaient être admis, ils ne conduiraient pas immédiatement à une décision finale, pas plus qu'ils ne permettraient d'éviter une procédure longue et coûteuse. Au contraire, une jonction des huit enquêtes administratives en une seule impliquerait d'importantes difficultés logistiques.

La décision attaquée était bien une décision négative, de sorte que des mesures provisionnelles devaient être sollicitées, ce que les recourants avaient d'ailleurs fait. Aucun dommage, difficile à réparer, ne les menaçait. Par ailleurs, la demande de mesures provisionnelles se confondait avec le fond du litige, puisqu'ils demandaient, dans la partie « Au fond » de leurs recours, de pouvoir participer à tous les actes de procédure, même à ceux qui concernaient une autre procédure que celle initiée à leur encontre. Enfin, leur motivation était insuffisante dans la mesure où ils n'indiquaient pas en quoi les conditions relatives aux mesures provisionnelles étaient réalisées.

L'enquêteur n'avait, à juste titre, pas joint les procédures. En effet, les faits, pour chacune des causes n'étaient pas similaires ; dans certaines d'entre elles, une partie d'entre eux seulement était identique, l'autre partie étant constituée de faits différents auxquels des parties étrangères à l'enquête ne sauraient avoir accès. De plus, d'autres enquêtes administratives avaient été ouvertes, lesquelles n'avaient fait l'objet d'aucune contestation et, partant, étaient à un stade plus avancé de la procédure.

La manière dont l'enquêteur entendait mener les différentes enquêtes administratives ouvertes respectait en tous points la loi et les garanties procédurales. L'enquêteur avait en outre réservé les éventuelles questions de confrontation entre les mis en cause et d'auditions communes de certains témoins pour des faits communs. Les recourants, en tant que partie, pourraient participer aux auditions avec la faculté de soumettre à l'enquêteur une liste de témoins, de poser des questions et de participer à l'administration des preuves.

De la même façon, l'enquêteur entendait respecter le principe de l'égalité des armes. De plus, l'art. 45 LPA serait respecté, en ce sens que des éléments qui pourraient apparaître au cours d'auditions d'autres collaborateurs sous enquêtes ne seraient pas utilisés contre les recourants.

10) Le 10 mai 2019, dans une même écriture, les recourants ont répliqué, sollicitant la tenue d'une audience publique de plaidoiries et persistant pour le surplus dans leurs conclusions.

Ils prenaient acte du fait que l'enquêteur ne s'était pas déterminé, si bien que, conformément à la pratique, il était présumé consentir à la réglementation de l'effet suspensif voulue par les recourants.

Il importait peu que d'autres complexes de fait soient par hypothèse également instruits parallèlement. Ce qui était déterminant, c'était que les faits des 29 septembre 2017 et 9 avril 2018 étaient communs aux recourants.

Les recourants avaient un intérêt digne de protection au contrôle immédiat de la décision incidente rendue par l'enquêteur, puisque les modalités d'établissement de l'enquête administrative dont ils faisaient l'objet étaient en jeu, singulièrement leur droit de participer à l'administration des preuves. Cela suffisait largement à établir un intérêt digne de protection au contrôle immédiat de la décision attaquée, et donc l'existence d'un préjudice irréparable.

L'enquête administrative n'avait pas pour objet de mener au prononcé d'une sanction administrative mais simplement d'établir les faits, dans le respect des règles de procédure applicables. Cette tâche visait et concernait les quatorze fonctionnaires visés, dans cette mesure à tout le moins, par les mêmes reproches.

La LPA et le droit d'être entendu n'étaient pas conditionnels ni de droit dispositif.

11) Le 5 juin 2019, une audience de plaidoiries s'est tenue par-devant la chambre administrative, lors de laquelle le département n'était pas présent, ni représenté.

Les avocats des recourants, à l'exception de celui de Mme F______, ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

À l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger.

12) Le 14 juin 2019, le département a prié la chambre administrative de bien vouloir excuser son absence à l'audience due à un problème d'acheminement interne de la convocation.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b et 17 al. 3 LPA).

2) Les huit recours ayant le même objet et visant la même décision, leur jonction sera ordonnée sous le numéro de cause le plus ancien (art. 70 LPA), soit la cause A/1168/2019.

3) a. Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 432 n. 1265 ; Bernard CORBOZ, Le recours immédiat contre une décision incidente, SJ 1991, p. 628). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

d. Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

  e. Selon l'art. 27 al. 4 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), l'enquête administrative doit, en principe, être menée à terme dans un délai de trente jours dès la première audition. En règle générale, il n'est procédé qu'à une seule audience au cours de laquelle les parties, ainsi que d'éventuels témoins, sont entendus. Les parties doivent communiquer d'emblée à l'enquêteur tous les moyens de preuve dont elles requièrent l'administration.

f. En l'espèce, l'admission des recours ne mettrait pas fin au litige, puisque les enquêtes administratives, dont la mise en oeuvre n'est pas contestée, suivront leur cours quel que soit le sort du refus de les joindre et d'autoriser ainsi les recourants à participer à tous les actes d'enquêtes concernant chaque procédure. La seconde hypothèse visée par l'art. 57 let. c LPA n'est ainsi pas réalisée.

Les recourants soutiennent que la décision attaquée leur cause un préjudice irréparable, dès lors qu'elle viole le droit d'égalité des armes, leur droit d'être entendu, le droit de participer aux actes d'instruction et les règles propres à l'enquête administrative, telle celle prévue à l'art. 27 al. 4 LPAC.

Ils ne peuvent être suivis. En effet, la décision de l'enquêteur administratif n'entraîne pas de préjudice irréparable pour les recourants. Ceux-ci ne sont pas privés de la possibilité de faire valoir leurs moyens, y compris ceux relatifs à la violation de règles de procédure qu'ils dénoncent, après le dépôt du rapport de l'enquêteur, même si celui-ci devait mener l'instruction de façon individuelle jusqu'au terme de celle-ci. En cas de sanction prononcée à l'encontre de l'un ou l'autre des recourants, ceux-ci pourront, dans le cadre d'un recours à la chambre de céans, se plaindre à nouveau de la violation de leurs droits procéduraux qu'ils exposent présentement et se prévaloir, en cas d'admission d'une telle violation, des conséquences procédurales que celle-ci entraîne.

Certes, le fait de n'examiner les griefs procéduraux soulevés dans le présent recours qu'au stade des déterminations après le dépôt du rapport de l'enquêteur, voire lors du recours dirigé contre l'éventuel prononcé d'une sanction, est de nature à entraîner un prolongement de la procédure. Toutefois, le seul prolongement de celle-ci ne suffit pas à admettre l'existence d'un préjudice irréparable. Enfin, rien ne permet de retenir, en l'état, que le refus de joindre les procédures d'enquête serait susceptible d'entraîner un déni de justice pour les recourants. Ceux-ci se bornent à affirmer qu'au vu du nombre de personnes sous enquêtes, le refus d'instruire ces dernières en une seule procédure pourrait conduire à un déni de justice ; ils n'allèguent cependant aucun élément permettant de retenir que la décision querellée empêcherait l'enquêteur de procéder aux actes d'instruction nécessaires à l'enquête dans des délais raisonnables.

Par conséquent, en l'absence d'un préjudice irréparable, les recours doivent être déclarés irrecevables.

4) Cela étant, quand bien même il conviendrait d'admettre l'existence d'un préjudice irréparable et de considérer ainsi les recours recevables, ceux-ci devraient être rejetés pour les motifs qui suivent.

a. Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune. La décision de joindre ou non des causes relève du pouvoir d'appréciation du juge, qui est large en la matière. Elle peut être ordonnée à tout stade de la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 2C_875/2018 du 17 avril 2019 consid. 2.1 ; 2C_850/2014 du 10 juin 2016 consid. 11.1 et les références, non publié in ATF 142 II 388 ; ATA/946/2016 du 8 novembre 2016 consid. 2). Lorsque des recourants contestent tous une même mesure, la jurisprudence se montre réticente à admettre la jonction. En effet, celle-ci pourrait conduire à révéler aux uns et aux autres des informations confidentielles ne concernant pas chacun (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 238 n. 900 citant l'ATA/1013/2014 du 16 décembre 2014 consid. 4).

b. Aux termes de l'art. 7 LPA, ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision.

c. En l'espèce, il ressort des arrêtés du 6 février 2019 visant chacun des recourants et produits par ceux-ci que certains sont concernés uniquement par l'épisode du 29 septembre 2017, à la prison, visant M. L______, à savoir MM. B______, G______ et H______. D'autres sont impliqués uniquement dans l'événement du 9 avril 2018, à la prison, visant M. M______, à savoir MM. A______, C______ et Mme F______. Enfin, deux des recourants sont concernés par les deux épisodes du 29 septembre 2017 et du 9 avril 2018, à savoir MM. D______ et E______. Les faits reprochés à chacun des recourants ne sont dès lors pas identiques.

Par ailleurs, et toujours selon les arrêtés du département du 6 février 2019, les enquêtes administratives visent également « tous autres faits répréhensibles susceptibles d'apparaître au cours de l'enquête ». Or, il n'est pas exclu que des faits concernant uniquement certains des recourants soient portés à la connaissance de l'enquêteur administratif et qu'il doive également les instruire en invitant l'intéressé à se déterminer.

Au vu de ces éléments, il ne peut être reproché à l'enquêteur d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant la jonction. En particulier, le choix de ne pas donner, en l'état, aux recourants l'accès aux dossiers des uns et des autres permet, dans l'hypothèse où des informations confidentielles, propres à la situation spécifique d'un recourant, étaient révélées de préserver cette confidentialité.

Par ailleurs, l'enquêteur n'a pas refusé l'audition de témoins, notamment l'audition de recourants par les autres recourants. La décision querellée ne porte, en effet, pas sur le refus de procéder à l'audition d'un recourant ou de témoins. Il n'apparaît ainsi pas que la décision attaquée porterait atteinte au droit de participer à l'administration des preuves des recourants (art. 42 LPA). Elle n'a pas non plus pour effet de dénier aux recourants leur qualité de partie. En effet, ceux-ci sont parties à la procédure les concernant et peuvent, dans ce cadre, faire valoir les droits attachés à cette qualité.

Ainsi, même si les recours étaient recevables, il conviendrait de les rejeter.

5) Le présent arrêt rend sans objet la demande de mesures provisionnelles formulée dans les recours.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'400.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent, solidairement entre eux (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

ordonne la jonction des causes A/1168/2019, A/1169/2019, A/1170/2019, A/1171/2019, A/1173/2019, A/1174/2019, A/1175/2019 et A/1176/2019 sous le numéro de cause A/1168/2019 ;

déclare irrecevable le recours commun interjeté le 18 mars 2019 par Messieurs A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______, ainsi que Madame F______ contre la décision incidente de Monsieur N______, enquêteur administratif, du 6 mars 2019 ;

met un émolument de CHF 2'400.- à la charge solidaire de Messieurs A______, B______, C______, D______, E______, G______ et H______ ainsi que de Madame F______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Thomas Barth, avocat de Monsieur A______, à Me Romain Jordan, avocat de Monsieur B______, à Me Jamil Soussi, avocat de Monsieur C______, à Me Saskia Ditisheim, avocate de Monsieur D______, à Me Eric Beaumont, avocat de Monsieur E______, à Me Marco Crisante, avocat de Madame F______, à Me Marc Oederlin, avocat de Monsieur G______, à Me Nicolas Jeandin, avocat de Monsieur H______, au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, ainsi qu'à Monsieur N______, enquêteur administratif.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Pagan et Verniory,
Mmes Payot Zen-Ruffinen et Cuendet et juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :