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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2653/2005

ATA/111/2006 du 07.03.2006 ( FIN ) , ADMIS

Recours TF déposé le 27.04.2006, rendu le 10.10.2006, PARTIELMNT ADMIS, 2A.227/2006
Descripteurs : PRINCIPE DE LA BONNE FOI; IMPÔT FORFAITAIRE; DIRECTIVE(EN GÉNÉRAL); DÉCISION DE TAXATION; VALEUR LOCATIVE; ZONE DE DÉVELOPPEMENT
Normes : LIFD.14 ; LIFD.21.al2 ; OIDIFD.1
Résumé : Imposition d'après la dépense. En ne respectant pas son estimation de la valeur locative du domicile de la recourante, de surcroît une année seulement après la signature de la convention d'imposition et sans modification des circonstances, l'AFC a violé le principe de la bonne foi.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2653/2005-FIN ATA/111/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 mars 2006



dans la cause

 

Hoirie de feue Madame V__________, soit :
Madame B__________
Madame M__________
Madame H__________
Monsieur D__________
représentés par Me Claude Brechbühl, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
et
COMMISSION CANTONALE DE RECOURS DE L’IMPÔT FÉDÉRAL DIRECT


1. Madame et Monsieur V__________ (ci-après : les époux V_________), de nationalité française, sont installés à Genève depuis 1947.

Depuis lors, ils ont toujours été imposés d’après leurs dépenses sur une base forfaitaire.

2. Les époux V_________ étaient propriétaires à 100% de la société immobilière de T__________ (ci-après : la SI de T__________), laquelle détenait trois immeubles distincts, sur la commune de Cologny, soit :

- la parcelle __________ comprenant une surface totale de 80 m2 ;

- la parcelle _________ d’une surface totale de 15'999 m2 sur laquelle se trouve un pavillon d’été de 145 m;

- la parcelle ____________ d’une surface totale de 24'528 m2 sur laquelle une dépendance de 44 m2 et une villa – que les époux ont habité depuis lors – de 265 m2 ont été construits.

3. Monsieur V___________ est décédé en date du 2 mars 1985, de sorte que Mme V__________ est devenue la propriétaire de l’entier du capital-actions de la SI de T__________.

4. A compter de l’année 1986, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC ou l’administration cantonale) a arrêté, en accord avec Mme V___________, à la somme de CHF 1'000'000.- son imposition forfaitaire annuelle d’après la dépense.

La convention a été reconduite au fil des années et pour la dernière fois, pour les années 1996 à 1999.

5. Le 31 juillet 1997, le mandataire de Mme V___________ et le directeur du service de la taxation se sont rencontrés au siège de l’AFC afin de discuter de la modification de la convention forfaitaire liant cette dernière à Mme V_________.

6. Dans un courrier daté du 6 août 1997 et suite à cet entretien, Mme V__________ a sollicité de l’AFC qu’elle modère son forfait sur la base duquel elle était taxée.

Depuis plusieurs années, elle vivait sur sa fortune, ses avoirs en liquidités ne suffisant pas à assurer son train de vie et, à l’occasion du décès de son mari, elle avait gratifié chacun de ses quatre enfants d’une donation de CHF 10'000'000.-.

Elle envisageait de procéder à la liquidation de la SI de T__________, cette opération étant indispensable si un morcellement de la parcelle devait intervenir après son décès. Cette opération entraînerait une fiscalité élevée, évaluée à CHF 2'500'000.-.

Il convenait donc de modérer, dans une certaine mesure, le forfait sur la base duquel elle était taxée, afin d’éviter une « explosion » de ses impôts.

Elle proposait à l’AFC une imposition basée sur la valeur de la villa (soit CHF 1'500'000.-) augmentée de 20 % pour tenir compte du terrain (soit au total CHF 1'800'000.-). La valeur locative de 3% s’élevait ainsi à CHF 54'000.- et le forfait à CHF 270'000.-.

7. Suite à cette requête, l’AFC et Mme V__________ ont signé le 2 septembre 1997 une nouvelle convention d’imposition forfaitaire basée sur les articles 4 et 4A de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05), et 14 LIFD.

A teneur de cette convention :

- L’imposition forfaitaire se basait sur une dépense annuelle de CHF 270'000.-, étant précisé que ce montant serait adapté annuellement à la variation de l’indice genevois des prix à la consommation dans les mêmes proportions que celles prévues aux articles 33 LCP et 39 LIFD ;

- L’attention de Mme V___________ était attirée sur le fait que ce montant ne pouvait en aucun cas être inférieur à cinq fois la valeur locative des locaux occupés comme locataire, actionnaire/locataire ou propriétaire calculée selon les modalités d’application de l’impôt à forfait ;

- L’imposition ainsi déterminée entrait en vigueur dès 1998, pour les années 1998 à 2000 ;

- Elle pouvait être prorogée pour autant que les conditions de fait subsistent et qu’une reconduction soit possible en droit.

8. Le 28 décembre 1998, l’AFC a notifié à Mme V__________ un bordereau IFD concernant la période de taxation 1997-1998 (29ème période), lequel retenait un montant imposable déterminant de CHF 1'455'800.- (ci-après : le bordereau).

Mme V__________ devait s’acquitter d’un impôt de CHF 167'417.- pour l’année 1997 et d’un montant identique pour 1998.

9. Par pli du 2 juillet 1999, Mme V__________ a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau.

Comme le revenu retenu, s’agissant de l’année 1998, de CHF 1'455'800.- ne correspondait pas à la déclaration déposée et ne prenait aucune considération de sa lettre du 6 août 1997 adressée à l’AFC, elle sollicitait de cette dernière qu’elle lui fasse savoir comment ce montant avait été déterminé.

10. Le 22 novembre 2000, l’AFC a accusé réception de ce courrier, qu’elle a traité comme une réclamation élevée à l’encontre de l’imposition de Mme V__________ notifiée le 28 décembre 1998 pour l’impôt fédéral direct 1997/1998.

L’imposition avait été déterminée telle qu’elle était prévue par l’article 14 LIFD et son ordonnance du 15 mars 1993, soit la valeur comptable du bien dans la SI multipliée par 7 % puis multiplié par 5.

Mme V__________ était invitée soit à motiver de manière précise sa réclamation, soit à la retirer. Pour ce faire, un délai de 30 jours – ultérieurement prolongé au 20 janvier 2001 – lui était accordé.

11. Mme V__________ s’est exécutée le 10 janvier 2001 en concluant à l’annulation dudit bordereau et à la notification d’un nouveau bordereau tenant compte d’une imposition sur la base d’une dépense annuelle de CHF 270'000.-.

En substance, la méthode de calcul basée sur l’article 14 LIFD ne s’imposait en aucune manière, dès lors que conformément à la nouvelle formule établie par l’AFC pour déterminer la valeur locative des appartements et villas, la valeur locative déterminée selon le questionnaire ad hoc était prise en considération pour le calcul de l’impôt fédéral direct 1997/1998. Or, selon cette même formule, la valeur locative nette (recte : brute) du domicile de Mme V__________ était de CHF 43'721.80, soit, multipliée par 5, CHF 218'609.-.

Ce montant étant en tout état inférieur au montant de base du forfait prévu par la convention du 2 septembre 1997 – soit CHF 270'000.- –, il convenait ainsi de se référer à ce dernier montant.

Il n’était de surcroît pas admissible, au regard du principe de l’égalité de traitement, qu’une méthode de calcul différente soit appliquée selon les contribuables.

12. Par décision du 19 novembre 2001, l’AFC a rejeté la réclamation.

Il n’y avait pas lieu d’appliquer la valeur locative déterminée sur la base du questionnaire adressé à tous les propriétaires d’appartements et de villas pour les biens immobiliers sis sur la commune de Cologny, dont Mme V__________ n’était pas la propriétaire inscrite au registre foncier au 31 décembre 1995 et 1996.

En outre, il était correct d’imposer sur la valeur comptable du bien de la SI de T__________ multiplié par 7% puis multiplié par 5, conformément à l’article 14 LIFD.

Les voie et délai de recours étaient indiqués.

13. Mme V__________ a saisi la commission cantonale de recours de l’impôt fédéral direct (ci-après : la commission de recours ou la CCRIFD) d’un recours à l’encontre de la décision précitée par acte du 19 décembre 2001, concluant à l’annulation de ladite décision à ce qu’une nouvelle taxation fondée sur une base de calcul de CHF 270'000.- lui soit notifiée pour l’année 1998.

a. La valeur locative nette des biens immobiliers sis sur la commune de Cologny devait être déterminée conformément à la nouvelle formule établie par l’AFC dans le but de permettre aux propriétaires de calculer la valeur locative de leur bien.

b. La villa sise, chemin G__________ était une bâtisse d’un volume assez important mais relativement vétuste et dont l’entretien laissait sérieusement à désirer. Selon deux expertises réalisées en 1986 et 1996, le bien valait en moyenne CHF 1'205'000.-, de sorte que la valeur locative, après abattement, s’élevait à CHF 43'380.-. Multiplié par cinq, ce montant était encore inférieur au forfait de CHF 270'000.-.

c. Elle était une personne âgée qui ne parvenait plus à se mouvoir, que ce soit seule ou accompagnée, de sorte qu’elle ne quittait plus sa chambre de la villa sise , chemin G__________ Elle n’utilisait ainsi que trois des seize pièces de l’immeuble principal. En outre, le bâtiment sis, chemin U__________ était un pavillon d’été se situant au fond de sa propriété. Il ne pouvait donc être pris en compte dans la fixation de la valeur locative. En conséquence, même à retenir l’évaluation comptable des biens, le montant déterminant s’élevait à CHF 243'433.-.

d. Enfin, une imposition sur la base de CHF 270'000.- n’était pas choquante, dès lors qu’elle avait été dûment négociée avec l’AFC fin 1997. Le forfait avait été finalisé et accepté tant par l’AFC que par elle-même le 2 septembre 1997. Cette convention mentionnait expressément que l’imposition entrerait en vigueur dès 1998. Il avait été notamment tenu compte, pour l’établissement de ce forfait, du fait que suite à la liquidation de la SI de T__________, elle aurait à subir une imposition sur la fortune de l’ordre de CHF 134'403.-. Ces précisions avaient du reste été abondamment exposées dans la lettre adressée à l’AFC, le 6 août 1997.

14. Le 25 juillet 2002, Mme V__________ est décédée. Son hoirie (ci-après : l’hoirie ou la recourante), composée de Madame B__________, Madame M__________ Madame H__________ et Monsieur D__________ (ci-après : les hoirs), a alors repris la procédure par devant la CCRIFD en son nom.

15. L’AFC a conclu au rejet du recours dans ses observations du 6 août 2002.

a. La convention du 2 septembre 1997 n’avait pas besoin d’être interprétée, son texte étant clair. Il ne pouvait en effet échapper à la contribuable que la dépense annuelle de CHF 270'000.- ne constituait qu’un montant minimum de revenu imposable, et que si, d’aventure, le montant de la valeur locative du logement occupé par elle multiplié par cinq s’avérait supérieur au montant de CHF 270'000.-, ce serait ce montant supérieur qui serait taxé.

b. Le pavillon, d’une surface de 148 m2, formait un tout avec la villa, à savoir un bien-fonds consistant en une vaste propriété. Il se justifiait par conséquent de l’inclure dans le calcul du montant imposable.

c. Enfin, les contribuables au bénéfice des dispositions spéciales de l’article 4A LCP ne pouvaient simultanément se prévaloir des dispositions générales de la LCP, soit en particulier les articles 18 lettre b et 48 lettre e LCP. C’était donc bel et bien l’article 4A LCP qui devait être pris en considération pour déterminer la valeur locative des biens propriétés de Mme V__________.

16. La CCRIFD a rejeté le recours par décision du 8 juin 2005, notifiée le 20 juin 2005 au domicile élu de l’hoirie.

a. La réclamation était recevable, dans la mesure où l’AFC était entrée en matière sur le fond du litige et avait par conséquent ouvert la voie de recours ordinaire.

b. Le grief de violation de la bonne foi était mal fondé, dès lors qu’il ressortait du texte clair de la convention du 2 septembre 1997 que l’AFC se réservait la possibilité de revoir le montant du forfait, lors de chaque taxation, en le comparant avec la valeur locative et les autres éléments énumérés à l’article 14 chiffre 3 lettre a à h LIFD.

c. S’agissant de la détermination de la valeur locative, force était de constater qu’au 1er janvier 1997, date déterminante pour la période fiscale en cause, la contribuable n’était pas propriétaire en nom de la villa qu’elle occupait, l’immeuble ayant appartenu à la SI de T__________ jusqu’au début février 1998. Ainsi, c’était à juste titre que l’administration s’était basée sur la valeur comptable de l’immeuble mentionnée dans les comptes de la SI, soit CHF 4'159'455.-.

d. Une éventuelle sous occupation telle qu’alléguée par la contribuable dans son recours n’était pas pertinente, dès lors que la circulaire n° 9 émise par l’administration fédérale des contributions le 3 décembre 1993 (ci-après : la circulaire n° 9) prévoyait expressément qu’aucune réduction n’était envisageable en cas de sous-utilisation (p. 4, § 3).

17. Par acte posté le 20 juillet 2005, les hoirs ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif. Elle conclut principalement, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de ladite décision et à ce qu’il soit constaté que Mme V__________ était en droit d’être imposée pour un montant de CHF 270'000.- pour l’année 1998.

a. La CCRIFD avait méconnu les discussions et l’échange de correspondance intervenu en août/septembre 1997 entre Mme V__________ et l’AFC. Or, l’administration avait expressément accepté que la valeur locative annuelle du logement occupé par Mme V__________ soit fixée à hauteur de CHF 54'000.-.

b. Lorsqu’elle avait entériné la nouvelle convention fiscale, l’AFC était parfaitement informée de tous les paramètres nécessaires à la détermination de la valeur locative du bien immobilier effectivement occupé par Mme V__________. C’était précisément sur la base du quintuple de la valeur locative du bien immobilier occupé par la contribuable que son imposition forfaitaire avait été arrêtée au montant de CHF 270'000.-, tel que cela ressortait clairement de l’échange intervenu en août 1997.

c. Le quintuple de la valeur locative du logement occupé par son propriétaire ne constituait pas un calcul de contrôle, mais un calcul de base servant à déterminer le montant de la dépense du contribuable, ainsi que le disposait clairement le chiffre 2.1 de la circulaire n° 9. Le montant ainsi déterminé servait de base de calcul, sauf si le calcul de contrôle (tenant compte des revenus de source suisse et d’éventuels revenus conventionnels) devait donner lieu à un montant d’impôt plus élevé.

18. L’AFC s’est opposée au recours le 30 août 2005, renvoyant le tribunal de céans à ses écritures produites devant la commission de recours.

Le forfait avait été renégocié le 2 septembre 1997 à la demande expresse de Mme V__________, alors même que le forfait conclu le 14 mars 1996 portait aussi sur les années fiscales 1996 à 1999. Dès l’année fiscale 1999, il était cependant apparu que les éléments à prendre en considération dans le cadre de la taxation de Mme V__________ n’avaient pas subi de modification majeure et que le montant de la dépense annuelle fixé initialement à CHF 1'000'000.- n’aurait dès lors pas dû être rectifié.

La convention d’imposition forfaitaire n’était pas sujette à interprétation, ainsi que l’avaient clairement jugé la commission de recours et le Tribunal administratif dans une précédente cause (ATA/145/2001 du 28 août 2001).

19. L’hoirie a été autorisée à répliquer. Dans ses observations du 5 octobre 2005, elle n’a pas apporté d’élément nouveau à la procédure.

20. L’AFC a dupliqué le 24 octobre 2005 en persistant dans ses conclusions.

21. L’administration fédérale des contributions s’est ralliée, sous suite de frais, aux écritures et conclusions de l’AFC dans ses déterminations des 30 août et 1er novembre 2005.

22. Les parties ont été informées le 26 octobre 2005 que la cause était gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 145 LIFD ; art. 53 alinéa 1 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 – LPFisc – D 3 17 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Les faits litigieux se sont déroulés avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2001, de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 22 septembre 2000 (LIPP-I – D 3 11).

b. En vertu du principe de non-rétroactivité des lois, le nouveau droit ne s’applique aux faits antérieurs à son entrée en vigueur qu’à des conditions restrictives, lorsque la rétroactivité prévue par la loi est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (ATA/605/2005 du 13 septembre 2005 ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, Berne 1988, p. 144 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116 ).

En l’espèce, la LIPP-I ne prévoit aucun effet rétroactif, si bien que le présent litige doit être tranché au regard des dispositions applicables au moment des faits, comme les parties en conviennent.

3. L’objet du litige est le montant déterminant retenu par l’AFC dans le calcul de l’impôt fédéral direct pour l’année 1998 de la recourante.

a. La recourante estime que l’AFC n’était pas en droit de retenir un montant imposable pour l’année 1998 de CHF 1'455'800.- basé sur l’évaluation – également contestée – de la valeur locative de son logement, dans la mesure où par convention d’imposition forfaitaire du 2 septembre 1997, elle avait expressément accepté d’abaisser le montant forfaitaire de base à hauteur de CHF 270'000.-.

b. L’AFC, quant à elle, se défend d’avoir violé le principe de la bonne foi et assure qu’elle a correctement appliqué les dispositions légales pertinentes.

4. L’imposition d’après la dépense est traitée à l’article 14 LIFD.

a. Selon les alinéas 1 et 2 de cette disposition, les personnes physiques non ressortissantes suisses qui, pour la première fois ou après une absence d’au moins dix ans, prennent domicile ou séjournent en Suisse au regard du droit fiscal, sans y exercer d’activité lucrative, ont le droit de payer un impôt calculé sur la dépense au lieu des impôts sur le revenu.

L’alinéa 3 précise que l’impôt est calculé sur la base de la dépense du contribuable et de sa famille et il est perçu d’après le barème de l’impôt ordinaire (art. 36).

Le calcul de contrôle institué par cet alinéa prévoit que l’impôt ne doit toutefois pas être inférieur aux impôts calculés d’après le barème ordinaire sur l’ensemble des éléments bruts suivants: les revenus provenant de la fortune immobilière sise en Suisse (let. a) ; les revenus provenant des objets mobiliers se trouvant en Suisse (let. b) ; les revenus des capitaux mobiliers placés en Suisse, y compris les créances garanties par gage immobilier (let. c) ; les revenus provenant de droits d’auteur, de brevets et d’autres droits semblables exploités en Suisse (let. d) ; les retraites, rentes et pensions de source suisse (let. e) et les revenus pour lesquels le contribuable requiert un dégrèvement partiel ou total d’impôts étrangers en application d’une convention conclue par la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions (let. f).

b. Sur la base de l’article 14 alinéa 4 LIFD, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance sur l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 15 mars 1993 (OIDIFD – RS 642.123). A teneur de son article 1, l’impôt sur la dépense est calculé – sous réserve d’un impôt plus élevé en application de l’article 14 alinéa 3 LIFD – en fonction des frais annuels occasionnés, pendant la période de calcul, par le train de vie du contribuable et des personnes à sa charge vivant en Suisse. Il se fonde au minimum, pour les contribuables chefs de ménage, sur un montant égal au quintuple de la valeur locative du logement qu’il occupe et dont il est propriétaire (al. 1, let. a) .

c. Quant à la jurisprudence, elle rappelle que la notion de la dépense annuelle englobe toutes les dépenses du contribuable, c’est-à-dire, d’une façon générale, les frais d’entretien exposés à l’étranger et à l’intérieur du pays (RDAF 1971 65, consid. 2 p. 66, RDAF 1965 251, p. 266 = SJ 1965 597, p. 598). L’imposition spéciale des étrangers ne constitue pas un forfait, mais l’application d’une loi générale à tous les contribuables de la même catégorie, le système du calcul basé sur le loyer annuel du logement du contribuable ne servant qu’à déterminer un minimum (RDAF 1969 44 = SJ 1969 125).

d. Selon la doctrine, l’imposition spéciale des étrangers ne vise pas des revenus d’une nature particulière, mais réside plutôt en des règles portant sur l’évaluation des revenus. Le revenu imposable est supposé correspondre à la dépense annuelle du contribuable et de sa famille. Il est fixé, en général, et dans une première approche à un multiple de la valeur locative du logement dont le contribuable est propriétaire. En tous les cas, l’impôt calculé sur le revenu supposé ne doit pas être inférieur à l’impôt sur les revenus de source suisse augmenté de l’impôt sur des revenus étrangers pour lesquels des dégrèvements conventionnels d’impôts sont requis et augmentés de l’impôt sur la fortune sur les immeubles étrangers, sur les biens mobiliers situés en Suisse, des capitaux mobiliers placés en Suisse des droits d’auteur et brevets exploités en Suisse (W. RYSER et B. ROLLI, Précis de droit fiscal suisse - impôts directs, 4ème édition, Berne 2002, p. 185-186)

5. a. Le droit constitutionnel du citoyen à être traité par les organes de l'Etat conformément aux règles de la bonne foi est expressément consacré à l'article 9 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; U. HÄFELIN, G. MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd., Zurich 2002, n° 624). Il protège la confiance légitime que le citoyen a placée dans les assurances reçues de l'autorité ou dans tout autre comportement adopté par celle-ci et suscitant une expectative déterminée (ATF 126 II 377 consid. 3a p. 387; 122 II 113 consid. 3b/cc p. 123; cf. aussi ATF 128 II 112 consid. 10b/aa p. 125). Ainsi, l'article 9 Cst. confère d'abord au citoyen le droit d'exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux assurances (promesses, renseignements, communications, recommandations ou autres déclarations) reçues, si les conditions cumulatives suivantes sont réunies (ATF 122 II113 consid. 3b/cc p. 123; 121 II 473 consid. 2c; 118 Ia 245 consid. 4b et les arrêts cités) :

- L'autorité est intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées;

- L’autorité a agi ou est censée avoir agi dans les limites de sa compétence;

- L'administré a eu de sérieuses raisons de croire à la validité de l'acte suivant lequel il a réglé sa conduite;

- L'administré s'est fondé sur l'acte en question pour prendre des dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir un préjudice;

- La loi n'a pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée.

b. Cela étant, le droit fiscal est dominé par le principe de la légalité ; le principe de la bonne foi n'a dès lors qu'une influence limitée, surtout s'il entre en conflit avec celui de la légalité. Ainsi, le contribuable ne peut bénéficier d'un traitement dérogeant à la loi que si les conditions mentionnées ci-dessus - qui doivent être interprétées strictement – sont remplies de manière claire et sans équivoque (arrêt du Tribunal fédéral 2A.92/1999 du 18 janvier 2000, consid. 4a, publié in Pra 2001 7 42, et la jurisprudence citée ; contra : X. OBERSON, Droit fiscal suisse, p. 41 et les auteurs cités).

c. Le tribunal de céans a déjà eu l’occasion de juger qu’une convention d’imposition forfaitaire devait être respectée par le contribuable et l’AFC (ATA/779/2000 du 5 décembre 2000, consid. 8).

En l’espèce, la conclusion de la nouvelle convention d’imposition d’après la dépense du 2 septembre 1997 est intervenue après une rencontre s’étant déroulée au siège de l’AFC et un échange de courriers entre l’administration et le mandataire de feue Mme V__________. Dans son courrier du 6 août 1997 adressé à l’AFC – qui agissait dans le cadre de ses compétences –, la recourante lui a proposé d’être imposée sur la valeur de la villa (soit CHF 1'500'000.-) augmentée de 20 % pour tenir compte du terrain (soit au total CHF 1'800'000.-). La valeur locative de 3 % s’élevait ainsi à CHF 54'000.- et la base du forfait à CHF 270'000.-. L’AFC a fait sienne cette proposition en signant la convention du 2 septembre 1997, qui reprenait exactement les chiffres proposés par la recourante dans son courrier précité. Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que l’AFC a admis que la valeur locative du bien en cause soit arrêtée à ce montant. Au demeurant, la recourante ayant procédé, de bonne foi et sur la base de cette assurance, à la liquidation de la SI de T__________, et aucune modification légale n’étant intervenue entre la date de la signature de la convention et le bordereau querellé, les conditions d’application du principe de la bonne foi sont remplies de manière claire et sans équivoque au sens de la jurisprudence précitée.

En ne respectant pas l’estimation de la valeur locative du domicile de la recourante, de surcroît une année seulement après la signature de la convention et alors que les circonstances ne s’étaient en rien modifiées, l’AFC a violé le principe de la bonne foi.

C’est le lieu de préciser que la CCRIFD a fait une mauvaise lecture de l’ATA/145/2001 du 28 août 2001 en interprétant le texte de la convention du 2 septembre 1997, alors que comme l’a jugé la juridiction de céans dans cet arrêt, le texte clair d’une telle convention est sans équivoque et le montant qu’elle retient détermine l’ampleur de l’imposition du contribuable contractant, sous réserve de l’indexation annuelle à l’indice genevois des prix à la consommation. La convention est en effet rédigée sous la forme d’une proposition du contribuable que l’AFC est libre d’accepter ou non (« Je, soussigné, demande à être imposé (…) »). Le montant proposé, en cas d’acceptation de l’AFC, lie les parties à la convention, sous réserve d’une tromperie de la part du contribuable à propos du montant de son loyer (cf. sur cette problématique : ATA/91/2006 du 14 février 2006). En l’espèce, il appartenait à l’AFC de dénoncer la convention en se prévalant d’une modification des conditions de fait ou en avançant qu’une reconduction n’était pas possible en droit. N’ayant pas procédé de cette manière, elle ne pouvait pas, de bonne foi, revenir sur les termes de la convention du 2 septembre 1997 quelques douze mois après sa signature.

6. a. Le Tribunal administratif constate en outre qu’il n’existe aucun motif justifiant de s’écarter, s’agissant de déterminer la valeur locative d’un bien au sens de l’article 1 OIDIFD, des critères énumérés à l’article 21 alinéa 2 LIFD, à teneur duquel la valeur locative est déterminée compte tenu des conditions locales et de l’utilisation effective du logement au domicile du contribuable. Aussi l’AFC doit-elle appliquer les mêmes critères selon qu’il s’agit d’un contribuable imposable selon le système ordinaire ou à forfait (« d’après la dépense » ; dans le même sens, cf. RDAF 2000 II 417 ss. et 428 ss.).

b. Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 121 II 478 consid. 2b).

En l’espèce, l’on peut se demander si la circulaire n° 9, en tant qu’elle prévoit qu’aucune réduction de la valeur locative n’est accordée en cas de sous-utilisation, ne va pas à l’encontre du texte clair de l’article 21 alinéa 2 LIFD, s’agissant de la détermination de la valeur locative. Vu l’issue du litige, la question souffre toutefois de demeurer ouverte.

Cela étant, la recourante a démontré à satisfaction de droit qu’en suivant les critères fixés dans le « questionnaire adressé [par l’AFC] à tous les propriétaires d’appartements et de villas » dans le but d’établir la valeur locative prise en considération pour le calcul de l’impôt fédéral direct pour la 29ème période (1997-1998), elle obtenait une valeur locative ascendant à CHF 43'721.80, sans que ce résultat ne soit contesté par l’AFC dans ses écritures. Le fait que le bien considéré était, au 1er janvier 1997, encore propriété de la SI de T__________ et non formellement de la recourante n’y change rien, dans la mesure où cette dernière était propriétaire de la totalité du capital-actions de ladite société et qu’elle a toujours habité cette villa. Retenir la seule valeur comptable du bien pour déterminer sa valeur locative, comme l’a fait l’AFC en l’espèce, relève d’une application insolite de l’article 21 alinéa 2 LIFD.

7. a. Il suit de là que le recours sera admis et la décision attaquée annulée. Dans la mesure où l’AFC n’allègue pas qu’un montant d’impôt supérieur au montant forfaitaire de base de CHF 270'000.- résulterait du calcul de contrôle prévu à l’article 14 alinéa 3 LIFD (cf. consid. 4a ci-dessus), la nouvelle imposition, s’agissant de l’impôt fédéral direct pour l’année 1998, devra être basée sur la somme de CHF 270'000.-. La cause sera par conséquent renvoyée à l’AFC dans ce sens.

b. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de l’administration fiscale cantonale, qui succombe, et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- allouée à l’hoirie de feue Mme V__________, à charge de l’Etat de Genève
(art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 juillet 2005 par l’hoirie de feue Madame V__________, soit pour elle Madame B__________, Madame M__________ Madame H__________ et Monsieur D__________, contre la décision de la commission cantonale de recours de l’impôt fédéral direct du 8 juin 2005 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de la commission cantonale de recours de l’impôt fédéral direct du 8 juin 2005, la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 19 novembre 2001 et le bordereau d’impôt du 28 décembre 1998 en tant qu’il concerne l’année 1998 ;

renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met à la charge de l’administration fiscale cantonale un émolument de CHF 2'000.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à l’hoirie de feue Madame V__________, soit pour elle Madame B__________, Madame M__________ Madame  H__________ et Monsieur D__________ à charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Claude Brechbühl, avocat des hoirs, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions, ainsi qu’à la commission cantonale de recours de l’impôt fédéral direct.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :