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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2982/2007

ATA/110/2008 du 11.03.2008 ( INDM ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2982/2007-INDM ATA/110/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 11 mars 2008

dans la cause

 

Madame D______
représentée par Me Olivier Lutz, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI


 


EN FAIT

1. Le 21 novembre 2001, Madame D______, domiciliée à Genève, a fait l’objet d’une agression de la part de son ex-compagnon, au cours de laquelle elle a subi des lésions corporelles simples. Le médecin consulté a constaté un hématome sur l’arcade sourcilière gauche, une douleur et une tuméfaction à la palpation du crâne ainsi qu’une douleur à la palpation de l’os mandibulaire, sans fausse mobilité des os de la face. Des plaies superficielles ont également été constatées sur la lèvre inférieure droite, de même qu’une instabilité de l’incisive droite et des dermabrasions sur le menton et regard du 5ème métacarpien de la main droite. Des dégâts dans la maison de Mme D______ ont également été commis.

2. Par ordonnance de condamnation du 3 décembre 2001, le juge d’instruction a condamné l’agresseur pour lésions corporelles simples et dommages à la propriété à une peine d’emprisonnement assortie du sursis. Les droits de la partie civile ont été réservés.

3. Mme D______ dit avoir été frappée à nouveau par la même personne les 11 avril 2002, 5 juillet 2002 et 28 novembre 2002. Des certificats médicaux des 13 avril 2002 et 29 novembre 2002 font état de lésions subies par Mme D______.

4. Du 5 février 2003 à fin octobre 2005, Mme D______ a été suivie par une psychothérapeute spécialisée dans l’aide aux victimes d’infractions. Des rapports établis en date des 8 avril 2003, 17 juillet 2003, 3 novembre 2003, 29 novembre 2004, 9 mars 2005 ainsi que le 6 septembre 2006 font état d’un grave état post-traumatique et d’un état dépressif sévère. De l’avis de la thérapeute, le mauvais état de santé de Mme D______ était dû aux quatre agressions que la patiente disait avoir subies en 2001 et 2002.

5. Le 20 novembre 2003, Mme D______ a déposé une requête devant l’instance d’indemnisation instituée par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 4 octobre 1991 (LAVI – RS 312.5 ; ci-après : l’instance LAVI) à raison des agressions subies en novembre 2001, avril 2002, juillet 2002 et novembre 2002. Elle concluait au paiement d’une indemnité pour le dommage subi, non encore chiffré, au paiement d’une indemnité en CHF 30'000.- pour tort moral ainsi qu’une indemnité de procédure valant participation à ses honoraires d’avocat.

6. Mme D______ a été entendue par l’instance LAVI le 16 décembre 2003. Son agresseur continuait de la menacer. Elle travaillait à raison de 25% en tant que grossiste en bijouterie. Son assurance-accidents lui versait une indemnité pour perte de gain pour un salaire d’environ CHF 4'000.-. Elle avait des dettes envers l’AVS. Sa carte de protection n’avait pas été renouvelée et elle était désabusée.

7. Le 21 juin 2005, le conseil de Mme D______ a été entendu par l’instance LAVI. La perte de gain subie par Mme D______ était compensée par l’assurance-maladie depuis le 30 août 2004. La société dont Mme D______ était employée était en cours de liquidation.

8. Le 6 novembre 2006, le Tribunal de police a acquitté le poursuivi, faute de preuves, s’agissant des faits dénoncés par Mme D______ comme s’étant produits le 28 novembre 2002. Egalement dénoncés au Parquet, les faits relatifs aux agressions des 11 avril 2002 et 5 juillet 2002 n’ont pas fait l’objet de décision formelle des autorités pénales. Mme D______ n’a pas appelé du jugement rendu par le Tribunal de police.

9. Le 3 mai 2007, Mme D______ a complété sa requête d’indemnisation et conclu au paiement de CHF 30’000.- au titre d’indemnité pour tort moral, au paiement de CHF 100'000.- au titre de la perte de gain et au paiement de CHF 7'953,50 pour ses honoraires d’avocat.

10. Le 26 juin 2007, l’instance LAVI a alloué à Mme D______ CHF 1'500.- au titre de la réparation du préjudice et CHF 10'000.- au titre de la réparation morale. La qualité de victime de Mme D______ était admise en relation avec l’infraction du 21 novembre 2001 et déniée s’agissant des faits dénoncés ultérieurement. Le montant de CHF 1'500.- se décomposait en CHF 1'200.- au titre de la réparation du préjudice et CHF 300.- pour les dépens en relation avec la procédure devant l’instance LAVI, alors même que cette autorité déniait l’existence de tout lien de causalité entre l’agression du 21 novembre 2001 et le préjudice invoqué par la requérante.

11. Par acte posté le 2 août 2007, Mme D______ a recouru auprès du Tribunal administratif du litige. La qualité de victime devait lui être reconnue pour les agressions des 11 avril 2002, 5 juillet 2002 et 28 novembre 2002 également. Les frais d’avocat qu’elle avait exposés dans le cadre de la procédure pénale ayant abouti à l’acquittement du poursuivi ainsi que pour les démarches envers son assurance-accidents devaient lui être remboursés à concurrence de CHF 7'935,50. L’indemnité de procédure allouée par l’instance LAVI était arbitraire. Il existait un lien de causalité entre les agressions subies en 2002 et la perte de gain éprouvée. Enfin, l’indemnité pour tort moral allouée était trop faible. Par conséquent, les sommes de CHF 30'000.- à titre de réparation pour tort moral, de CHF 100'000.- à titre d’indemnité pour le dommage matériel, de CHF 7'935,50 à titre de remboursement de ses frais d’avocat, de CHF 3'604,50 à titre de remboursement de ses frais de dentiste ainsi qu’une indemnité de procédure devaient lui être allouées. Des pièces produites par la recourante, il ressort que son assurance-accidents l’avait indemnisée à raison de CHF 157,50 et CHF 39,40 par jour pendant près d’une année, puis à raison de CHF 118,40 et CHF 29,55 jusqu’au 30 août 2004 ; l’assurance-maladie avait pris le relais et, depuis le 1er février 2007, Mme D______ bénéficiait d’une aide financière de l’Hospice général à raison de CHF 2'388,30 par mois.

12. Le 17 septembre 2007, l’instance LAVI a persisté dans les termes de sa décision.

13. Le Tribunal administratif a ordonné l’apport de la procédure pénale ouverte à la suite des plaintes de Mme D______ en relation avec les agressions de novembre 2001 et de l’année 2002.

14. La recourante ayant été sommée par le Tribunal administratif de produire les décomptes intégraux des indemnités de perte de gain par ses assurances accident et maladie, ainsi que les décisions de ces institutions relatives à sa capacité de gain, elle a fait état d’une décision sur opposition du 17 janvier 2005 de la Bâloise Assurances concernant l’événement du 21 novembre 2001. La suspension du versement des prestations LAA avec effet au 1er septembre 2004 était justifiée par le fait que le lien de causalité naturelle et adéquate entre l’agression subie et les troubles éprouvés n’existait plus dès cette date ; le statu quo ante était atteint à ce moment. La Bâloise Assurances refusait en outre de verser à la recourante une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI).

15. Le 14 septembre 2007, l’Office cantonal de l’assurance invalidité avait informé la recourante de son droit à une rente entière de l’assurance-invalidité, basée sur un taux d’invalidité à 100%, dès le 21 novembre 2002. Le versement de la rente mensuelle de CHF 2'110.- a pris effet au 30 janvier 2003.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 17 LAVI ; art. 4 du règlement relatif à l’instance d’indemnisation prévue par la LAVI du 11 août 1993 - J 4 10.02 ; art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 60 litt. a et 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 1 al. 1 litt. f de la loi sur les jours fériés du 3 novembre 1951 – J 1 45).

2. Entrée en vigueur le 1er janvier 1993, la LAVI a été adoptée pour assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant la LAVI du 25 avril 1990, FF 1990, vol. II pp. 909 ss, not. 923 ss).

A cet effet, l'article 1 alinéa 2 précise l'objet de l'aide fournie, comprenant notamment la protection de la victime et la défense de ses droits dans la procédure pénale (let b), l'indemnisation et la réparation morale (let. c).

Bénéficie de ces mesures d’aide toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (victime), que l’auteur ait été ou non découvert ou que le comportement de celui-ci soit ou non fautif (art. 2 al. 1 LAVI).

3. Le premier grief de la recourante concerne sa qualification de victime pour les agressions qu’elle dit avoir subies à trois reprises au cours de l’année 2002.

a. La qualité de victime est reconnue, selon la lettre de l’article 2 alinéa 1 LAVI, si trois conditions cumulatives sont réalisées : la personne a subi une atteinte à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique, il existe un acte ou une omission punissable selon le droit pénal et l’atteinte est la conséquence directe de l'infraction (JAAC 59/1995.32). L’existence de ces éléments doit être constatée par un jugement pénal, ou, à défaut, par l’autorité chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation ou de réparation morale, autorité qui dans ce cas doit procéder elle-même aux investigations nécessaires (FF 1990 II 925).

b. Lorsque la procédure pénale aboutit à un non-lieu faute d’indices suffisants pour admettre l’existence d’une infraction, l’autorité compétente en matière d’aide aux victimes d’infractions tiendra compte de cette décision, sauf en cas de circonstances particulières susceptibles de justifier de s’écarter de la constatation des faits opérée par l’autorité de poursuite pénale (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.170/2001 du 18 février 2002, consid. 3.2). Le droit fédéral n’est pas violé lorsque l’octroi d’une aide –spécialement d’une indemnisation selon les articles 11 et suivants LAVI– est subordonné à la condition que l’existence d’une infraction soit établie (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.263/2005 du 10 octobre 2005, consid. 3).

En l’espèce, l’infraction de lésions corporelles simples a été retenue par l’autorité pénale s’agissant de la seule agression subie par la recourante le 21 novembre 2001.

En revanche, la dénonciation des faits en relation avec les agressions des 11 avril 2002 et 5 juillet 2002 a donné lieu à une décision implicite de classement, ceux-ci n’ayant pas fait l’objet du renvoi devant le Tribunal de police. Par ailleurs, le prévenu a été acquitté des faits dénoncés comme s’étant produits le 28 novembre 2002. En particulier, il ne ressort pas du jugement du Tribunal de police du 6 novembre 2006 que l’agression que la recourante dit avoir subie le 28 novembre 2002 soit établie. Contrairement à ce qu’affirme la recourante, le Tribunal de police ne s’est pas prononcé sur la matérialité des agressions alléguées par la recourante, mais a uniquement constaté la réalité des souffrances subies par elle. Il résulte donc de la procédure pénale que les agressions n’ont pas été établies. Le verdict a été accepté par Mme D______, qui n’a pas appelé du jugement du Tribunal de police.

En conséquence, la décision de l’instance LAVI, en tant qu’elle dénie la qualité de victime de Mme D______ pour les faits qui seraient survenus en 2002, doit être confirmée, ces événements n’ayant pas de connotation pénale. La décision de l’instance LAVI sera également confirmée en tant que la qualité de victime est reconnue à Mme D______ en relation avec l’infraction qu’elle a subie le 21 novembre 2001.

4. La recourante conclut au paiement des honoraires d’avocat exposés dans le cadre de la procédure pénale et dans les démarches auprès de son assureur-accidents, pour la période consécutive au 20 janvier 2003, date de la facturation au centre LAVI des honoraires d’avocat en relation avec l’infraction du 21 novembre 2001.

a. Selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, une indemnisation pour les frais d’avocat de la victime intervenant comme partie civile dans la procédure pénale contre l’auteur de l’infraction peut être octroyée par l’instance LAVI sur la base des articles 11 et suivants LAVI. Les frais ainsi engagés peuvent constituer un poste du dommage, pour autant que la consultation de l’avocat ait été nécessaire et adéquate pour défendre la cause en justice, en particulier quand la victime agit en tant que partie civile dans la procédure pénale ; encore faut-il que ces frais n’aient pas été inclus dans les dépens (ATF 131 II 121 consid. 2.1 p. 125 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C.39/2007 du 19 octobre 2007, consid. 3.1).

b. L’application des articles 11 et suivants LAVI présuppose l’existence d’une victime au sens de la loi. Si, pour l’octroi d’une aide immédiate au sens des articles 3 et 15 LAVI, on peut se contenter de ce qu’une infraction puisse entrer en ligne de compte, en revanche, l’octroi d’une indemnisation ou d’une réparation morale présuppose que la qualité de victime et donc la réalité de l’infraction soient établies (ATF 122 II 211 consid. 3c-d, p. 216).

En l’espèce, la recourante, qui ne peut pas se voir reconnaître la qualité de victime en relation avec les trois agressions qu’elle prétend avoir subies en 2002, ne peut pas être mise au bénéfice des articles 11 et suivants LAVI pour les frais exposés dans la procédure pénale s’y rapportant. Partant, elle ne peut pas voir ses frais d’avocat pris en charge.

S’agissant au surplus des dépens alloués par l’instance LAVI pour la procédure devant cette instance, ce montant ne peut faire l’objet d’aucun examen par le tribunal de céans, faute de conclusion dans ce sens (art. 69 al. 1 LPA).

5. La recourante demande la compensation d’une perte de gain à raison du maximum prévu par la loi de CHF 100'000.- ainsi que le remboursement de frais de dentiste non pris en charge par l’assurance accidents. Ces conclusions sont articulées pour l’ensemble des agressions dont se plaint la recourante et s’agissant des frais de dentiste pour la première fois devant le Tribunal administratif.

a. Selon l'article 12 alinéa 1 LAVI, la victime a droit à une indemnité "pour le dommage qu'elle a subi". En mettant en place le système d'indemnisation prévu par la LAVI, le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi. L'indemnisation fondée sur la LAVI a au contraire pour but de combler les lacunes du droit positif, afin d'éviter que la victime supporte seule son dommage lorsque l'auteur de l'infraction est inconnu ou en fuite, lorsqu'il est insolvable, voire incapable de discernement (ATF 125 II 169, consid. 2b, p. 173-174 et les références citées). Le législateur délégué a ainsi fixé une limite de revenu au-delà de laquelle aucune indemnité n’est versée (art. 3 al. 2 OAVI) ; tel est le cas si les revenus de la victime, calculés selon les critères posés à l’article 3c de la loi fédérale du 19 mars 1965 sur les prestations complémentaires (LPC - RS 831.30), dépassent le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux fixés par l’article 3b alinéa 1 lettre a LPC (art. 2 et 3 al. 1 et 2 OAVI). Lorsque les revenus de la victime couvrent ses besoins vitaux sans dépasser le montant-plafond, l’indemnité n’est pas entière et ne couvre qu’une proportion du dommage (art. 3 al. 3 OAVI). Ce n’est que si les revenus déterminants ne couvrent pas les besoins vitaux que l’indemnité couvre intégralement le dommage (art. 3 al. 1 OAVI).

Au surplus, lorsque le dommage à réparer consiste dans une perte de gain, l'application correcte du droit fédéral nécessite les opérations suivantes, dans cet ordre (ATF 128 II 49 consid. 3.2 p. 52-53, et les références citées) :

- évaluer l'atteinte à l'avenir économique selon les principes de l'article 46 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220). Il faut évaluer le gain que la victime aurait probablement réalisé sans l'atteinte à l'intégrité corporelle, puis évaluer la capacité de gain restante. Le taux de l'invalidité économique peut différer de celui de l'invalidité médicale; l'autorité peut s'inspirer des éléments retenus par l'assurance-accidents, mais elle n'est pas liée par eux ;

- imputer, sur la perte de gain brute, les rentes d'invalidité, en particulier celle de l'assurance-accidents ;

- calculer le montant du dommage en capitalisant la perte de gain nette ;

- appliquer l'article 3 OAVI, en particulier la formule de l'article 3 alinéa 3, pour déterminer le montant de l'indemnité brute d'après le montant du dommage et les revenus de la victime ; la rente de l'assurance-accidents fait partie des revenus déterminants (cf. art. 12 al. 1 in fine LAVI) et entre donc en considération aussi à ce stade ;

- évaluer et appliquer le taux de réduction consécutif à la faute concomitante, selon l'article 13 alinéa 2 LAVI ;

- enfin, déduire d'éventuelles autres prestations que la victime reçoit pour réparation du dommage, mais pas la rente de l'assurance-accidents, puisque celle-ci a déjà été prise en considération dans le calcul du dommage, puis à titre de revenu déterminant (art. 14 al. 1, 1re et 2e phrase, LAVI).

b. Il ressort en outre de l’article 12 alinéa 1 LAVI que seul un dommage qui se trouve en relation de causalité adéquate avec l'infraction est de nature à justifier l'octroi d'une indemnité au titre de la LAVI (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.252/2000 du 8 décembre 2000, consid. 2b et les références citées). Le dommage allégué doit ainsi être la conséquence de l'acte illicite. Autrement dit, il doit exister un rapport de cause à effet, appelée causalité naturelle, entre l'acte illicite et le préjudice subi par le lésé. Lorsque la relation de causalité naturelle ainsi définie est reconnue, il convient de se demander si le fait générateur de responsabilité a le caractère d'une cause adéquate, à savoir si ce fait était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.168/2002 du 14 janvier 2003, consid. 2.3 et les références citées). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une altercation violente accompagnée de lésions corporelles et de menaces de mort est de nature, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à provoquer un ébranlement nerveux évoluant en névrose traumatique. En outre, pour qu'une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n'est pas nécessaire qu'un tel résultat doive arriver régulièrement ou fréquemment. Si un fait est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s'est produit, même des conséquences singulières, c'est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des conséquences adéquates de l'accident (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.168/2002 consid 2.5.1 et les arrêts cités). Il faut néanmoins que l’infraction soit la cause directe du dommage, tel n’étant pas le cas lorsque d’autres circonstances sont à l’origine du dommage (C. Mizel, La qualité de victime LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, JT 2003 IV 38, p. 89-90).

c. Tant l'indemnité que la réparation morale ont un caractère subsidiaire, l'Etat n'intervenant que dans la mesure où l'auteur de l'infraction ou les assurances, sociales ou privées, ne réparent pas effectivement, rapidement et de manière suffisante le dommage subi (FF 1990 II 923-924). Ce principe de subsidiarité de l'intervention étatique est concrétisé à l'article 14 LAVI. Selon cette disposition, les prestations reçues en réparation du dommage matériel (abstraction faite des prestations prises en compte pour le calcul du montant déterminant) sont déduites du montant de l'indemnité. Pratiquement, la victime doit, dans le cadre des démarches qui lui incombent au titre de l’article 1 OAVI, rendre vraisemblable qu'elle ne peut rien recevoir de tiers (auteur de l'infraction, assurances, etc). ou qu'elle n'en peut recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2b, p. 173-174).

En l’espèce, l’assureur-accidents a admis un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’infraction du 21 novembre 2001 et l’incapacité de gain subie par la recourante jusqu’au 30 août 2004 ; dès le 1er septembre 2004, l’existence d’un tel lien de causalité a été nié. A ce propos, le tribunal relève qu’il incombait à la recourante, en vertu du principe de la bonne foi de l’administré, de transmettre spontanément à l’instance LAVI la décision de la Bâloise Assurances, dont la teneur est directement en relation avec le présent litige. Or, la recourante ne l’a pas fait, ni devant l’instance LAVI, ni devant le tribunal de céans.

Bien que non liée par les éléments retenus par l’assureur-accidents, l’autorité chargée de l’application de la LAVI peut s’inspirer de ceux-ci lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence d’un lien de causalité (ATA/119/2006 du 7 mars 2006 consid. 4b). Au vu de la décision sur opposition rendue par la Bâloise Assurances, le Tribunal administratif retiendra également comme acquise l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction du 21 novembre 2001 et l’incapacité de gain subie par la recourante, jusqu’au 30 août 2004. La limitation dans le temps de l’atteinte à la capacité de gain de la recourante est le reflet des constatations figurant dans les rapports psychothérapeutiques produits à l’appui de sa demande : selon ces rapports, les pathologies subies par la recourante, entravant sa capacité de gain, n’ont pas été causées par la seule agression du 21 novembre 2001, mais également par les autres faits dont elle s’est plainte et pour lesquels la qualité de victime ne peut lui être reconnue.

S’agissant du dommage, la recourante fait état du bilan de son entreprise pour la période considérée. En revanche, elle n’expose pas dans quelle mesure ses propres revenus ont diminué. Quelle qu’eût été la perte de gain effectivement subie, il est constant que, sur la période considérée, la recourante a vu celle-ci compensée par son assureur-accidents, puis par l’assurance-invalidité ; les montants perçus sont tels qu’ils approchent le plafond LAVI, lequel exclut toute indemnité. Il ressort par ailleurs du dossier que des facteurs conjoncturels ont également affecté la marche de l’entreprise de la recourante pendant cette période. Au vu de ces éléments, la détermination de l’indemnité LAVI selon les règles posées par la jurisprudence aboutit au résultat que la recourante n’a, en l’espèce, pas le droit d’être indemnisée.

La recourante s’est vu allouer par l’instance LAVI la somme de CHF 1'200.- au titre de réparation du préjudice, alors même que l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction du 21 novembre 2001 et le préjudice allégué n’a pas été reconnue. Au vu des considérations qui précèdent, une telle indemnité ne devait pas être allouée. Toutefois, compte tenu du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus (art. 69 al. 1 LPA), le tribunal de céans ne pourra que confirmer la décision de l’instance LAVI.

d. La recourante doit également être déboutée de sa conclusion tendant au paiement de frais dentaires, dans la mesure où les frais consécutifs à l’infraction du 21 novembre 2001 ont été pris en charge par son assureur-accidents.

6. La recourante conclut au paiement de CHF 30'000.- à titre de réparation morale.

a. Une somme peut être versée à la victime pour réparation morale, indépendamment de son revenu, lorsqu’elle a subi une atteinte grave et que des circonstances particulières le justifient (art. 12 al. 2 LAVI).

b. La formule prévue par l’article 12 alinéa 2 LAVI pour la réparation morale laisse une marge d’appréciation à l’autorité. La réparation morale n’est pas un droit, à la différence de l’indemnité. Elle peut donc s’ajouter à l’indemnité ou être accordée dans des cas où aucune indemnité n’est versée. Elle ne fait pas partie de l’indemnisation. La limitation en matière de revenu à laquelle cette dernière est soumise ne lui est donc pas applicable. La situation financière de la victime ne sera toutefois pas sans importance. La réparation morale doit permettre d’atténuer certaines rigueurs découlant de l’application des dispositions concernant l’indemnité, en particulier du plafond des ressources. On pourra ainsi tenir compte des cas dans lesquels le dommage matériel n’est pas important, mais dans lesquels le versement d’une somme d’argent, à titre de réparation morale, se justifie, par exemple en cas d’infraction d’ordre sexuel. Le montant alloué à titre de réparation morale n’est pas limité. Toutefois, le maximum fixé par le Conseil fédéral [(art. 4 al. 1 OAVI pour les indemnités devra aussi servir de ligne directrice pour la somme allouée à titre de réparation morale (FF 1990 II 939; RDAF 1999 p. 79].

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte - ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances - et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 115 II 156 consid. 2 p. 158 et les références ; DESCHENAUX/STEINAUER, Personnes physiques et tutelle, 2ème éd. p. 161 N° 624). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 117 II 50 consid 4 a) p. 60). En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 118 II 410 consid. 2 a) p. 413). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une somme d’argent. C’est pourquoi, son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable (ATF 118 II 410).

Le Tribunal fédéral a encore précisé que si l’autorité de recours cantonale jouit d’un plein pouvoir d’examen, conformément à l’article 17 LAVI, cela ne l’empêche pas de respecter, pour les questions d’appréciation, la marge de manœuvre reconnue à l’administration. L’autorité de recours peut se contenter de contrôler le caractère approprié de la somme allouée par l’administration et, si cette dernière est conforme à l’équité, s’abstenir de modifier la décision attaquée, même lorsque, si elle avait eu à trancher en première instance, elle ne serait peut-être pas arrivée à la même somme (ATF 123 II 210 consid. 2 c) p. 212).

En l’espèce, la recourante s’est vu allouer une somme de CHF 10'000.- en relation avec la commission de l’infraction du 21 novembre 2001. Ce faisant, l’instance LAVI a reconnu l’importance des conséquences des lésions corporelles subies par la victime. Cette somme apparaît appropriée et équitable aux yeux du tribunal de céans, qui confirmera donc la décision attaquée sur ce point également.

7. Aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, la procédure étant gratuite (art. 16 al. 1 LAVI ; 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 août 2007 par Madame D______ contre la décision de l’instance d'indemnisation LAVI du 26 juin 2007 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 communique le présent arrêt à Me Olivier Lutz, avocat de la recourante ainsi qu'à l’instance d'indemnisation LAVI et à l’office fédéral de la justice.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Bellanger, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :