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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/252/2006

ATA/119/2006 du 07.03.2006 ( INDM ) , ADMIS

Descripteurs : ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL) ; AIDE AUX VICTIMES ; TORT MORAL ; CAUSALITÉ NATURELLE
Normes : LPA.69.al.1; LAVI.12
Résumé : Renvoi du dossier à l'instance d'indemnisation des victimes d'infraction qui a fait siennes les conclusions de l'assureur sans examiner elle-même l'existence du lien de causalité entre l'acte illicite et le préjudice subi par le lésé.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/252/2006-INDM ATA/119/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 mars 2006

dans la cause

 

Madame P__________
représentée par Me Michael Anders, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION DES VICTIMES D’INFRACTIONS


 


1. Madame P__________, d’origine espagnole, est née le _________ 1947 et est domiciliée en France voisine.

2. Le 6 novembre 2003, un individu l’a agressée dans l’ascenseur d’un centre commercial genevois, en lui assenant plusieurs gifles dans le but de lui dérober ses effets personnels (porte-monnaie, collier en or, etc.) et en lui déchirant son pull-over.

3. Emmenée aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) par ambulance le jour même, les médecins ont diagnostiqué chez elle une commotion cérébrale avec brève perte de connaissance et un choc traumatique.

4. Sur requête du médecin-conseil de l’assureur-accidents de Mme P__________, un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a rendu une expertise le 17 mars 2004. Selon ce rapport, Mme P__________ était victime d’un état de stress post-traumatique en voie de rémission complète.

5. Le 23 mars 2004, le psychiatre ayant suivi Mme P__________ dès le 1er décembre 2003 a également attesté avoir diagnostiqué chez sa patiente un état de stress post-traumatique.

6. Le 22 septembre 2004, l’assureur-accidents de Mme P__________ a rendu une décision sur opposition concernant l’agression dont elle avait été victime.

En substance, l’accident qu’elle avait subi devait être classé dans la catégorie des accidents légers ou, tout au plus, dans celle des accidents de gravité moyenne, au sens de la classification retenue par la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances. Seul le critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident était éventuellement rempli en l’espèce, de sorte que l’existence d’un lien de causalité adéquate devait être niée.

N’ayant fait l’objet d’aucun recours, cette décision est en force.

7. Le 30 mai 2005, Mme P__________ a saisi l’instance d’indemnisation des victimes d’infractions instituée par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 4 octobre 2001 (LAVI – RS 312.5) (ci-après : l’instance) d’une demande en paiement de CHF 3'747.25 (comprenant les frais médicaux et la facture relative à son pull-over déchiré) et en réparation du tort moral à qu’elle avait subi suite à l’agression précitée, à hauteur de CHF 1'000.- – prétention portée à CHF 10'000.- par la suite.

8. Par ordonnance du 20 décembre 2005 – notifiée au domicile élu de Mme P__________ le 23 décembre 2005 –, l'instance lui a alloué la somme de CHF 3'649.25 au titre de la réparation du préjudice subi (soit CHF 3'449.25 de frais médicaux non couverts par les assurances et CHF 200.- d’indemnité de procédure) et a rejeté la requête en tant qu’elle concluait à l’octroi d’une indemnité au titre de la réparation morale.

L’assureur-accidents de Mme P__________ ayant nié l’existence d’un lien de causalité « démontré » entre l’accident subi et les troubles post-traumatiques au terme d’une décision en force, l’instance faisait siennes les conclusions dudit assureur.

9. Par acte posté le 23 janvier 2006, Madame P__________ a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre ladite ordonnance. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de l’ordonnance et à ce qu’il lui soit alloué une indemnité au titre de réparation de son préjudice moral de CHF 10'000.- et à la confirmation de la décision attaquée pour le surplus.

L’instance n’était pas en droit de s’en remettre à l’appréciation de l’assureur-accidents, dans la mesure où ce dernier statuait en fonction de critères spécifiques au domaine des assurances. La doctrine soulignait en outre l’indépendance de la LAVI par rapport à la loi fédérale sur l’assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA ; RS 832.20).

10. Invitée à se déterminer quant au recours, l’instance a persisté dans sa décision le 8 février 2006.

11. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 4 du règlement relatif à l’instance d’indemnisation prévue par la LAVI du 11 août 1993 - ci-après : le règlement Lavi - J 4 10.02 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Conformément à l’article 69 alinéa 1 LPA, le Tribunal de céans est lié par les conclusions des parties. Il n’est en revanche pas lié par les motifs que celles-ci invoquent.

Dans la mesure où la recourante conclut à la confirmation de la décision attaquée à l’exception de la question de l’indemnité octroyée au titre de réparation de son tort moral, le Tribunal administratif se limitera à examiner cette question. L’ordonnance attaquée, en tant qu’elle octroie la somme de CHF 3'449.25 (pour les frais médicaux) et CHF 200.- (à titre d’indemnité de procédure ; à ce propos, cf. l’ATA/816/2005 du 29 novembre 2005), a donc acquis force de chose décidée.

3. La recourante reproche à l’autorité intimée d’avoir écarté ses prétentions en réparation de son tort moral au motif que son assureur, dans sa décision sur opposition du 21 septembre 2004 aujourd’hui en force, a nié le lien de causalité entre l’agression dont elle a été victime, d’une part, et ses frais de traitement, en particulier psychothérapeutiques, d’autre part.

Dans l’ordonnance attaquée, l’instance d’indemnisation, après avoir rappelé les exigences posées à l’article 12 alinéa 2 LAVI, s’est basée sur la décision de l’assureur pour rejeter les conclusions de la recourante en réparation de son préjudice moral. Aucun motif ne justifiait de s’écarter, de manière générale, des conclusions prises par les assurances, les normes de la LAVI ne s’écartant pas fondamentalement en matière de causalité de celles régissant la responsabilité civile.

Il s’agit donc d’examiner si l’instance d’indemnisation était fondée, en présence d’une décision d’une assurance en force statuant sur un état de faits analogue, à refuser d’octroyer à la recourante une indemnité pour tort moral.

4. a. Selon l'art. 12 alinéa 2 LAVI, une somme peut être versée à la victime à titre de réparation morale, indépendamment de son revenu, lorsqu'elle a subi une atteinte grave et que des circonstances particulières le justifient (sur cette disposition, cf. ATA/6/2006 du 10 janvier 2006, consid. 4).

Selon les principes régissant la LAVI, le dommage allégué doit être la conséquence de l'acte illicite. Autrement dit, il doit exister un rapport de cause à effet, appelée causalité naturelle, entre l'acte illicite et le préjudice subi par le lésé. Lorsque la relation de causalité naturelle ainsi définie est établie, il convient d’examiner si le fait générateur de responsabilité a le caractère d'une cause adéquate, à savoir si ce fait était propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (causalité adéquate ; cf. ATF 123 III 110 consid. 3a p. 112 ; 123 V 98 consid. 3d p. 103 ; 121 II 369 consid. 3c/aa p. 373). La causalité adéquate peut cependant être exclue si une autre cause concomitante - par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65 ; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17 ; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23 ; 121 IV 207 consid. 2a p. 213).

b. En matière d’assurance-accidents, la notion de causalité naturelle est complétée par celle de causalité adéquate. Au sujet de celle-ci, les règles applicables sont différentes selon qu'il s'agit d'un traumatisme psychique consécutif à un choc émotionnel ou d'un événement accidentel ayant entraîné une lésion et des suites psychiques secondaires (ATF 129 V 405 consid. 2.2). Lorsque l'assuré a vécu un événement traumatisant sans subir d'atteinte physique, l'examen de la causalité adéquate s'effectue conformément à la règle générale (ATF 129 V 177), selon laquelle la causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 181 consid. 3.2 , 405 consid. 2.2, 125 V 461 consid. 5a et les références). En cas de lésions corporelles et si elles constituent un accident, comme en l’espèce, l'examen du caractère adéquat du lien de causalité avec les troubles d'ordre psychique consécutifs à l'accident doit se faire, pour un accident de gravité moyenne, sur la base des critères spécifiques énumérés aux ATF 115 V 140 consid. 6c/aa et 409 consid. 5c/aa (arrêt U.138/04 du 16 février 2005 du Tribunal fédéral des assurances).

Il résulte de la comparaison de ces deux systèmes que l’analyse du lien de causalité s’effectue différemment, en présence d’un événement traumatique ayant provoqué une atteinte physique, selon que l’on se place respectivement sous l’angle de la LAVI (cf. consid. 4a ci-dessus) ou des exigences jurisprudentielles particulières en matière d’assurance-accidents (cf. consid. 4b ci-dessus), lesquelles sont plus strictes que les premières. De surcroît, le Tribunal fédéral a déjà rappelé à plusieurs reprises que si l’instance peut s'inspirer des éléments retenus par l'assurance-accidents dans l’évaluation du dommage résultant d’une perte de gain, elle n'est pas pour autant liée par eux (arrêt 1A.258/2005 du 31 janvier 2006, consid. 2.2 ; ATF 128 II 49 consid. 3.1 p. 52 et les références citées ; arrêt 1A.252/2000 du 8 décembre 2000, consid. 2 et 3). Ces considérations valent mutatis mutandis dans le cas d’espèce. Dans ces circonstances, il n’est pas admissible, en pareille hypothèse, que l’instance fasse siennes les conclusions de l’assureur sans examiner elle-même l’existence d’un lien de causalité à la lumière des critères rappelés au considérant 4a ci-dessus, sauf à commettre un déni de justice formel. En procédant comme elle l’a fait, l’autorité intimée a violé le droit fédéral.

5. a. L’autorité intimée n’ayant pas procédé à l’examen de l’un des postes de la demande d’indemnisation de la recourante du 30 mai 2005, il se justifie d’annuler son ordonnance du 20 décembre 2005 dans cette mesure et de lui renvoyer le dossier pour nouvelle décision au sens des considérants (art. 69 al. 3 LPA).

b. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l’instance d’indemnisation (ATA/6/2006 du 10 janvier 2006). La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera allouée, à charge de l’Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 janvier 2006 par Madame P__________ contre la décision de l’instance d’indemnisation de la LAVI du 20 décembre 2005 ;

au fond :

l’admet ;

annule l’ordonnance attaquée en tant qu’elle rejette la demande d’indemnisation au titre de réparation du préjudice moral de Madame P__________ ;

la confirme pour le surplus ;

renvoie le dossier à l’instance d’indemnisation de la LAVI pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met à la charge de l’instance d’indemnisation de la LAVI un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame P__________, à charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par-devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael Anders, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'instance d'indemnisation de la LAVI.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :