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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2340/2004

ATA/11/2005 du 11.01.2005 ( JPT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2340/2004-JPT ATA/11/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 11 janvier 2005

dans la cause

 

Monsieur M__________
représenté par Me Marco Rossi, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SECURITÉ



 


1. Monsieur M__________, originaire de Genève, est domicilié dans le même canton.

2. Il ressort du dossier déposé en cours de procédure par le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS) que l’intéressé a fait l’objet des mesures suivantes, prises par le Tribunal de la jeunesse :

a. Après avoir été placé en unité d’évaluation et d’orientation éducative le 2 juin 2000, M. M__________ a été reconnu coupable, le 7 novembre 2000, de vol d’usage d’un scooter et de conduite sans permis d’un tel véhicule ; une assistance éducative a alors été instituée à son égard ainsi que diverses règles de conduite.

b. Le 17 avril 2001, il a été mis fin à l’assistance éducative et cette mesure a été remplacée par un placement dans un foyer, auquel il a été mis fin le 18 juillet 2001.

c. Le 12 juillet 2002, M. M__________ a été reconnu coupable de lésions corporelles simples, de violation de domicile et de dommages à la propriété par le Tribunal de la jeunesse et condamné à un mois de détention, avec sursis pendant un an.

3. Le 14 septembre 2004, le service des autorisations et patentes a reçu une demande d’autorisation concordataire au sens du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15 – ci-après : le concordat) au nom de M. M__________. À cette demande, était notamment jointe une attestation selon laquelle M. M__________ ne faisait pas l’objet de poursuite, une autre selon laquelle il avait l’entier exercice de ses droits civils ainsi qu’un extrait vierge du casier judiciaire suisse.

4. Le 1er octobre 2004, la police judiciaire a préavisé défavorablement la demande de M. M__________, au motif que celui-ci était connu des services de police lorsqu’il était mineur pour des affaires de vols, lésions corporelles et violation de domicile. Il avait notamment été condamné par le Tribunal de la jeunesse le 12 juillet 2002. Ainsi, il n’offrait plus toutes les garanties d’honorabilité exigées selon l’article 8 lettre d du concordat.

5. Le 22 octobre 2004, le DJPS a refusé à la société Securitas S.A. le droit d’engager M. M__________ au motif que celui-ci avait fait l’objet de quatre jugements du Tribunal de la jeunesse entre le 7 juin 2000 et le 12 juillet 2002. Il avait été condamné et les renseignements de police étaient défavorables.

6. Par lettre datée du 12 novembre 2004, mais remise à une succursale de l’entreprise « La Poste » le 15 du même mois, M. M__________ a recouru contre la décision précitée. Il s’intéressait à la profession d’agent de sécurité depuis deux ans et la société Securitas S.A. avait demandé à pouvoir l’engager. Il avait déjà participé à différents cours et « debriefings » organisés par cette société. Il reconnaissait avoir fait l’objet de jugements rendus par le Tribunal de la jeunesse, mais était à l’époque des faits immature, sans repères et mineur. Après un séjour au sein de l’établissement « La Clairière », il avait cessé tout comportement violent et avait donné satisfaction à ses employeurs. Il avait envisagé de s’inscrire à l’école de police, mais cela lui était impossible, car il n’était pas détenteur d’un certificat fédéral de capacité. Pour cette raison, il avait postulé auprès de la société Securitas S.A. Le recourant a encore déposé trois attestations de travail, dont deux émises par des entreprises de travail temporaire et la troisième par une entreprise de déménagement, portant sur différentes périodes s’étalant entre le 15 août 2002 et le 2 mars 2004. À teneur de l’une d’entre elles, il avait donné toute satisfaction lors des missions qui lui avaient été assignées et les deux autres comportaient simplement les dates de l’engagement de l’intéressé.

Il conclut à l’annulation de la décision attaquée et à la délivrance de l’autorisation sollicitée.

Le 6 décembre 2004, l’intéressé s’est vu reconnaître le bénéfice de l’assistance juridique et le 10 du même mois, un avocat s’est constitué pour la défense des intérêts du recourant.

7. Le 15 décembre 2004, le DJPS a répondu au recours et conclut à son rejet.

Les faits reprochés à l’intéressé étaient relativement récents, répétitifs, et démontraient l’absence totale de maîtrise de soi. En 2002, le recourant s’en était pris violemment à l’un de ses amis avant de causer des dommages à des voitures appartenant à des tiers. Dans le passé, il avait été condamné pour vol d’usage d’un scooter et conduite sans permis. La répétition des actes illicites démontrait l’immaturité de l’intéressé et son incapacité à être agent de sécurité.

8. Le 17 décembre 2004, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1er litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Touché par la décision attaquée, le recourant a qualité pour agir. Le Tribunal administratif a admis cette qualité dans des affaires semblables, dans lesquelles l’employeur requérant n’avait pas recouru (ATA/686/2004 du 31 août 2004 ; ATA/613/2004 du 5 août 2004 et ATA/229/2004 du 16 mars 2004).

3. Le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15 – ci-après : le concordat) a été modifié par la convention portant révision du concordat, du 3 juillet 2003 (ci-après : la convention). Le Grand Conseil a adopté, le 11 juin 2004, une loi modifiant la loi concernant le concordat du 2 décembre 1999 (loi sur le concordat - I 2 14). Ce texte autorise le Conseil d’Etat à adhérer à la convention. Il contient une disposition transitoire, selon laquelle les procédures administratives et judiciaires pendantes à l’entrée en vigueur de la convention sont régies par le nouveau droit.

Dès lors, la présente affaire est soumise aux nouvelles dispositions.

4. À l'instar de l'ancienne loi cantonale sur la profession d'agent de sécurité privée du 15 mars 1985, le concordat a pour but de fixer les règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du concordat; MGC, 1999, IX, p. 9051).

5. L’ancien article 9 alinéa 1er lettre c du concordat prévoyait que l'autorisation d'engager du personnel n'était accordée que si l'agent de sécurité n'avait pas été condamné, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée.

Cette disposition qui limitait le libre accès à la profession d'agent de sécurité constituait une restriction à la liberté économique dont la conformité à l'article 36 alinéa 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RS 101) avait déjà été admise par le tribunal de céans (ATA/695/2001 du 6 novembre 2001).

Dans l'exposé des motifs accompagnant le projet d'adhésion à la première version du concordat, il avait été indiqué que certains actes de violence, l'abus de confiance et le vol comptaient, par exemple, au nombre des infractions jugées incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée (MGC, 1998, VI, p. 5197).

Après la révision du concordat, l’article 9 alinéa 1er lettre c a maintenant une teneur nouvelle, selon laquelle :

« L’autorisation d’engager du personnel n’est accordée que si l’agent de sécurité … offre par ses antécédents, par son caractère et son comportement toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée ».

Selon l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi, la nouvelle exigence d’honorabilité, critère figurant déjà dans l’ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité, devait permettre d’examiner si le comportement de l’intéressé était encore compatible avec l’activité dont l’autorisation était requise, même si le candidat concerné n’avait pas été condamné pénalement (http//www.geneve.ch/ grandconseil/memorial/data/550309/48/550309_48_parti5.asp au 9 décembre 2004).

6. La notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activité envisagée ou d'honorabilité fait régulièrement l'objet d'arrêts du tribunal de céans, récemment rappelée presque exhaustivement (ATA/894/2004 du 16 novembre 2004). En substance, le Tribunal administratif tient compte, à cet égard, de l’importance des infractions commises, cas échéant des actes litigieux, de la nature de l’atteinte portée et de la sphère d’intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus d’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité privée ou le retrait de l’autorisation déjà délivrée. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s’écarter de cette règle. L’analyse de la jurisprudence du Tribunal administratif montre aussi qu’il a tenu compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé.

7. Il y a lieu d’apprécier la notion d’honorabilité contenue dans la nouvelle version de l’article 9 alinéa premier lettre c du concordat au regard des circonstances personnelles du recourant.

a. Les engagements internationaux de la Suisse prévoient que tout mineur convaincu d’infraction à la loi pénale a le droit à un traitement qui tienne compte de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci (art. 40 al. 1er de la convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant – RS 0.107). Le droit pénal suisse distingue très clairement les peines et mesures applicables aux auteurs d’infractions selon qu’ils sont mineurs ou majeurs. Les buts du droit pénal des mineurs sont avant tout éducatifs et le législateur a voulu concilier la lutte contre la criminalité avec la volonté de ne pas compromettre trop lourdement l’avenir de l’adolescent pour une faute de jeunesse (FF 1965 563 et 602). Enfin, les éventuelles inscriptions au casier judiciaire relatives à un délit commis par un adolescent doivent d’emblée être traitées comme si elles étaient radiées, c’est-à-dire que l’autorité intimée ne devrait pas y avoir accès, sous réserve de l’accord de la personne concernée (art. 361 et 363 al. 4 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O ; ATA/68/2004 du 20 janvier 2004).

b. Dans sa jurisprudence récente, le Tribunal administratif a considéré qu’une personne âgée de 21 ans, lorsque le DJPS avait statué et qui avait été condamnée, comme mineur, par le Tribunal de la jeunesse à quatre reprises pour vol de cyclomoteur, rixe, vol, dommages à la propriété et violation de domicile ainsi que complicité de brigandage pouvait être encore considérée comme honorable dans le but de pratiquer la profession d’agent de sécurité (ATA/68/2004 précité). Dans un arrêt encore plus récent (ATA/229/2004 du 16 mars 2004), le Tribunal administratif a admis le recours d’un jeune homme âgé de 20 ans qui avait fait l’objet de plusieurs rapports de la police cantonale fribourgeoise alors qu’il était encore mineur, pour scandale, violence envers les fonctionnaires, opposition aux actes de l’autorité et voies de faits ainsi que menaces. L’intéressé avait encore troublé l’ordre public et commis une infraction à la loi fédérale sur les armes et les munitions, s’étant mal comporté au comptoir gruyérien à Bulle, alors qu’il venait de terminer son école de recrue. Les faits sus-décrits avaient donné lieu à deux jugements de la juridiction compétente en matière de mineurs dans le canton de Fribourg et à une ordonnance pénale du juge d’instruction. Il y a lieu de noter toutefois que l’intéressé avait déjà obtenu l’autorisation sollicitée, que l’autorité intimée entendait retirer, et qu’il avait travaillé à la satisfaction de ses employeurs.

À eux seuls, les actes de violence commis au mois de décembre 2001 par M. M__________, alors qu’il était âgé de plus de 17 ans, justifieraient un refus d’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité. De surcroît, le recourant ne peut se prévaloir d’une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années (cf. not. ATA /972/2004 du 14 décembre 2004). Toutefois, le recourant était encore mineur au moment des faits, ne fût-ce que pour quelques mois. Il convient dès lors d’apprécier la notion d’honorabilité au regard des engagements internationaux de la Suisse et de ses dispositions de droit interne. Même si les certificats de travail déposés par le recourant démontrent qu’il a pu trouver d’autres activités salariées, il convient de ne pas entraver la possibilité qui lui est donnée d’entrer sur le marché du travail par le biais d’un emploi d’agent de sécurité. L’intéressé, maintenant majeur, est dès lors soumis au droit commun, qui s’appliquerait avec toute sa sévérité en cas de commission d’une nouvelle infraction.

8. Bien fondé, le recours doit être admis. Le recourant a agi en personne et l’avocat commis d’office n’est intervenu que pour se constituer et pour signaler l’élection de domicile. Une indemnité de CHF 200.- est dès lors largement suffisante pour couvrir les frais de son intervention. Comme il obtient gain de cause, le recourant n’aura pas en outre à supporter les frais de la procédure en application de l’article 87 alinéa premier LPA.

* * * * *

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 novembre 2004 par Monsieur M__________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 22 octobre 2004;

au fond :

l’admet;

annule la décision du département de justice, police et sécurité du 22 octobre 2004 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 200.- à la charge de l’État de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Marco Rossi, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :