Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/770/2016

ATA/1097/2017 du 18.07.2017 sur JTAPI/1276/2016 ( LDTR ) , REJETE

Parties : FONDATION DES OEUVRES SOCIALES ET DE SECOURS DES SOCIETES DU GROUPE ROLEX SA / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/770/2016-LDTR ATA/1097/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juillet 2017

 

dans la cause

 

FONDATION DES OEUVRES SOCIALES ET DE SECOURS DES SOCIÉTÉS DU GROUPE ROLEX SA
représentée par Me Louis Waltenspuhl, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L’ÉNERGIE - OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 décembre 2016 (JTAPI/1276/2016)


EN FAIT

1) La fondation des œuvres sociales et de secours des sociétés du groupe Rolex SA (ci-après : la fondation) est propriétaire de la parcelle n° 2'417 du cadastre de Genève-Eaux-Vives, sise à l’angle 40, rue de Montchoisy et 36, rue des Vollandes.

Ce terrain est en deuxième zone de construction. Un immeuble y est édifié, avec des arcades au rez-de-chaussée et des logements dans les étages.

2) a. Le 20 janvier 2016, la fondation a sollicité du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) l’autorisation, en procédure accélérée, de rénover l’appartement n° 59, au 5ème étage.

b. Cette autorisation a été délivrée le 2 février 2016 (APA 44'223). La condition n° 4 indiquait que le préavis du service LDTR du 22 janvier 2016 devait être strictement respecté. Ce dernier prévoyait que, après travaux, le loyer de l’appartement de deux pièces ne devait pas excéder CHF 11'160.- l’an, soit CHF 5'280.- (sic) par pièce et par année, et cela pour une durée de trois ans dès la remise en location.

c. Il ressortait de la note technique du service LDTR que le loyer avant travaux était de CHF 11'160.- l’an et que le coût des travaux était de CHF 46'700.-, dont 70 % avaient été retenus pour le calcul de la hausse de loyer.

3) a. Le 15 février 2016, la fondation a nanti le DALE d’une requête similaire visant l’appartement n° 69, au 6ème étage.

b. Le service LDTR a retenu, dans sa note technique, le coût annoncé des travaux de CHF 46'709.-, un loyer avant travaux de CHF 6'864.- par année et a pris en compte pour le calcul de la hausse 70 % du coût des travaux.

Son préavis indiquait que le loyer de cet appartement de deux pièces ne devait pas excéder, après travaux de transformation, son niveau actuel de CHF 6'864.- par année, soit CHF 3'432.- la pièce par an, pour une durée de trois ans dès la mise en location.

L’autorisation sollicitée (APA 44'459) a été délivrée le 1er mars 2016, le préavis du service LDTR étant repris en condition et faisait partie intégrante de l’autorisation.

4) Il ressort des plans annexés aux requêtes que les appartements sont constitués ainsi :

La porte d’entrée donne sur un couloir ( 130 cm de large et 190 cm de long) débouchant directement sur la pièce de vie ( 316 cm de large sur 480 cm de long). À gauche du couloir, en entrant, se situe la salle de bain ( 316 cm de large sur 480 cm de long), alors que des placards se situent à droite. La cuisine,
( 150 cm de large sur 193 cm de long) est située derrière les placards, est ouverte sur la pièce à vivre. De même, la chambre à coucher ( 234 cm de large sur
368 cm de long), à gauche de la pièce à vivre communique avec ladite pièce par une ouverture sans porte de 160 cm.

5) a. Le 7 mars 2016, la fondation a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d’un recours contre l’APA 44'223 du 2 février 2016.

Elle a fait de même le 10 avril 2016, s’agissant de l’APA 44'459 du 1er mars 2016.

b. Le calcul du loyer devait être fondé sur le nombre de pièces retenu depuis la construction de l’immeuble en 1974, soit deux et demie. Les plans et les baux mentionnaient, depuis quarante ans, que ces appartements étaient constitués de deux pièces et demie. Une autorisation de construire avait été délivrée en 2010 pour un appartement similaire, en retenant qu’il avait deux pièces et demie (APA 33'326).

Dans son arrêté du 21 décembre 1977, le Conseil d’État avait approuvé le plan financier. Ce dernier retenait que l’immeuble avait deux cent soixante-cinq pièces et demie, ce qui impliquait que les deux appartements avaient bien deux pièces et demie. Les états locatifs de l’époque le confirmaient.

6) Le 6 décembre 2016, le TAPI a rejeté les recours, après les avoir joints.

Le fait de déterminer le nombre de pièces en appliquant les règles du règlement d'exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 24 août 1992 (RGL - I 4 05.01) ne revenait pas à donner à ce dernier un effet rétroactif. La construction du bâtiment avait été subventionnée par l’État de Genève, en application de l’ancienne loi générale d’encouragement à la construction et logement à caractère social du 28 juin 1974, ce qui impliquait que le RGL était également applicable. La jurisprudence allait dans le même sens, s’agissant de bâtiments édifiés avant son adoption.

De plus, le calcul effectué par l’autorité était exact. Les logements en question, identiques, étaient composés d’une chambre de 8,61 m2 et d’un espace communautaire, soit le séjour et la cuisine, de 17,62 m2. Il s’agissait donc bien d’un appartement de deux pièces.

Les conditions à l’octroi d’une dérogation quant à l’application desdites règles n’étaient pas remplies. Ainsi que l’avait relevé l’autorité de première instance, la chambre et le séjour étaient reliés par une ouverture de 1,60 m de large qui n’était pas munie d’une porte, ce qui ne permettait pas de bénéficier dans cet espace de l’intimité nécessaire à une chambre.

En dernier lieu, il apparaissait que les éléments retenus dans l’APA 33'926 du 2 décembre 2010, soit deux pièces et demie pour un appartement identique, découlaient d’une erreur, les conditions d’application du principe de l’égalité dans l’illégalité n’étaient pas remplies.

7) Par acte mis à la poste le 31 janvier 2017 à l’attention du TAPI et transmis par ce dernier à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), la fondation a recouru contre le jugement précité, reprenant et développant les éléments qu’elle avait exposés en première instance et concluant principalement à ce que les deux APA litigieuses retenaient que les appartements étaient de deux pièces et demie, le calcul de loyer devant être adapté selon ce nombre ; subsidiairement, la cause devait être renvoyée au TAPI afin qu’il effectue ce calcul.

Lors du dépôt de la requête, il avait été prévu que le loyer, après travaux de l’appartement n° 59, demeure inchangé alors que celui de l’appartement n° 69 devait augmenter à CHF 8'513.- par année ou CHF 709.40 par mois, soit une hausse de CHF 137.40 par mois.

Si le RGL était applicable, le résultat de son application était insatisfaisant puisqu’il modifiait le nombre de pièces retenu à l’origine. Un calcul dérogatoire, prévu à l’art. 1 al. 8 RGL devait être effectué.

À défaut, il y aurait un changement de pratique administrative inadmissible et une violation de l’égalité de traitement, en particulier par rapport à l’APA 33'926.

De plus, le jugement litigieux violait l’interdiction de la rétroactivité ainsi que les principes de sécurité et de prévisibilité du droit.

8) Le 31 janvier 2017, le TAPI a transmis son dossier, précisant qu’une des références jurisprudentielles qu’il avait données était erronée, dès lors qu’il avait indiqué que le JTAPI/1276/2016 était définitif et exécutoire, alors qu’il faisait l’objet d’un recours pendant devant la chambre administrative.

9) Le 27 février 2017, le DALE a conclu au rejet du recours, reprenant et développant tant les éléments figurant dans le jugement litigieux que ceux qu’il avait exposés antérieurement.

10) La fondation ne s’étant pas manifestée dans le délai qui lui a été accordé pour exercer son droit à la réplique, la cause a été gardée à juger le 18 avril 2017.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte principalement sur le calcul du nombre de pièces de l’appartement faisant l’objet de l’autorisation.

3) L’art. 1 RGL définit la façon de calculer le nombre de pièces des logements soumis à la LGL.

De jurisprudence, ancienne, constante et récemment confirmée, la chambre de céans a toujours considéré qu’il était possible d’appliquer la disposition précitée, par analogie, au calcul du nombre de pièces selon la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996
(LDTR - L 5 20), les buts poursuivis par la LDTR et la LGL relevant d’un même souci de préserver l’habitat et de lutter contre la pénurie de logements à Genève (
ATA/673/2017 du 20 juin 2017, ainsi que les références citées).

Cette jurisprudence a aussi été confirmée par le Tribunal fédéral dans un arrêt 1C_323/2014 du 10 octobre 2014 consid. 7.2.

4) La recourante se plaint d’un excès négatif dans le pouvoir d’appréciation du DALE, ce dernier ayant appliqué selon elle une solution trop schématique ne tenant pas compte des particularités du cas d’espèce, soit le fait que, depuis plus de quarante ans, les logements en question ont été considérés comme des deux pièces et demie.

Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 123 V 150 consid. 2 p. 152 et les références citées). Constitue un excès négatif du pouvoir d’appréciation le fait que l’administration se considère comme liée, alors que la loi l’autorise à statuer selon son appréciation ou encore qu’elle renonce d’emblée en tout ou partie à exercer ce pouvoir (ATA/473/2016 du 7 juin 2016).

Ce grief ne peut être retenu. En premier lieu, une simple consultation du plan des logements en question démontre qu’il n’est pas constitué de deux pièces et demie. La cuisine est uniquement un laboratoire où il n’est pas possible de manger. La chambre à coucher est ouverte sur la pièce principale, sans qu’il ne soit possible d’y avoir de l’intimité ou d’y isoler par exemple un enfant pour qu’il dorme.

Face à cette réalité, les éléments mis en avant par la recourante, principalement le nombre de pièces retenu par les autorités pour les appartements concernés depuis l’édification du bâtiment, sont inaptes à modifier le décompte des pièces de ces appartements qui vient d’être exposé.

Ainsi, l’appréciation de l’autorité ne peut être considérée comme excédant le pouvoir d’appréciation dont elle dispose et ne prête pas le flanc à la critique.

5) La recourante soutient que le DALE et l’autorité judiciaire de première instance, en retenant que les appartements concernés sont constitués de deux pièces et non de deux pièces et demie, ont procédé à un changement de pratique inadmissible et violé le principe de l’inégalité de traitement.

a. La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l’application d’une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d’interpréter la loi ou de faire usage d’une liberté d’appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d’opportunité ou d’efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l’égalité de traitement (ATA/596/2015 du 9 juin 2015 ; ATA/20/2015 du 6 janvier 2015).

b. En l’espèce, le DALE n’a pas procédé à un changement de pratique. Ainsi que rappelé ci-dessus, les règles de calcul du nombre de pièces prévues par la LGL et le RGL sont régulièrement utilisées dans le cadre de la LDTR à tout le moins depuis dix ans (ATA/567/2005 du 16 août 2005). Dans ce cadre, la délivrance de l’APA 3’392 en 2010, laquelle retient deux pièces et demie pour des logements similaires, doit sur ce point être considérée comme erronée et est contraire aux règles qui auraient dû être appliquées.

Ce grief doit en conséquence aussi être écarté.

6) La fondation soutient que, en appliquant à des logements édifiés il y a plusieurs dizaines d’années la méthode de comptage des pièces instaurée par la LGL et le RGL, le département et le TAPI auraient violé l’interdiction de la rétroactivité des lois.

a. En règle générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (ATA/412/2017 du 11 avril 2017 consid. 6 et les références citées ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, 3ème éd., 2012, vol. 1, p. 184).

Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de l'art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ainsi que de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi garanties par les art. 5 et 9 Cst.

L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur, car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n'est possible qu'à des conditions strictes, soit en présence d'une base légale suffisamment claire, d'un intérêt public prépondérant, et moyennant le respect de l'égalité de traitement et des droits acquis (ATF 138 I 189 consid. 3.4 ; 119 Ia 254 consid. 3b et la jurisprudence citée). La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 125 I 182 consid. 2b/cc ; ATF 122 V 405 consid. 3b/aa ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_366/2016 du 13 février 2017 consid. 2.1 ; 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ATA/412/2017 précité consid. 6).

b. En l’espèce, il ne s’agit pas d’appliquer rétroactivement la LGL et le RGL, mais d’utiliser, par analogie, les règles prévues par ces textes pour fixer le nombre de pièces des logements concernés. Le résultat obtenu, qui coïncide avec la réalité physique de l’appartement en question, ne saurait dès lors violer d’une quelconque manière le principe rappelé ci-dessus.

En conséquence, ce grief sera écarté.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 janvier 2017 par la fondation des œuvres sociales et de secours des sociétés du groupe Rolex SA contre le jugement du tribunal administratif de première instance du 6 décembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la fondation des œuvres sociales et de secours des sociétés du groupe Rolex SA un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Louis Waltenspühl, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie – OCLPF, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Junod, présidente, MM. Thélin, Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :