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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3720/2014

ATA/1061/2015 du 06.10.2015 ( LIPAD ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.11.2015, rendu le 13.06.2016, ADMIS, 1C_606/2015
Descripteurs : PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(EN GÉNÉRAL) ; ACCÈS(EN GÉNÉRAL) ; ORDONNANCE PÉNALE ; PEINE
Normes : LIPAD.24; LIPAD.25.al4; LIPAD.26.al1; LIPAD.26.al2
Résumé : Confirmation du refus d'accès à la directive du Ministère public concernant des barèmes de sanctions relatifs à des infractions susceptibles de conduire au prononcé d'une ordonnance pénale. Recours rejeté. Opinion séparée d'un juge ayant participé à la délibération.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3720/2014-LIPAD ATA/1061/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 octobre 2015

 

dans la cause

 

ASSOCIATION A______
représentée par Me Laurence Mizrahi, avocate

contre

MINISTÈRE PUBLIC

 



EN FAIT

1) L’association A______ (ci-après : A______) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), dont l’un de ses buts est de défendre les intérêts de ses membres en justice (art. 3 des statuts du 12 février 2014 de l’A______, ci-après : statuts A______). Les membres sont des juristes et des avocats ainsi que des étudiants en droit de troisième année qui adhèrent aux buts de l’association (art. 4 statuts A______). Parmi ses autres buts, l’A______ « s’efforce de rompre avec une vision statique et conservatrice du droit et de développer des pratiques professionnelles alternatives ; offre sa collaboration aux mouvements sociaux et aux organisations syndicales qui travaillent à la défense collective des catégories insuffisamment protégées par l’ordre juridique existant ; ( ) défend les droits et libertés démocratiques contre toute atteinte » (art. 3 statuts A______).

2) Le 18 février 2014, l’A______ a demandé au Ministère public (ci-après : MP) l’accès à la directive précisant la politique pénale à l’égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière (ci-après : la directive relative à la politique pénale susmentionnée), que les médias avaient désigné sous la dénomination « Directive C______ ».

3) Après avoir été relancé le 19 mars 2014, le MP a accusé réception de la demande de l’A______ le 28 mars 2013 (recte : 2014).

4) Sans réponse, l’A______ a renouvelé sa demande d’accès à la directive litigieuse le 2 mai 2014.

5) Le 3 juin 2014, le MP a refusé la demande d’accès à ladite directive en raison de l’intérêt public prépondérant à maintenir son bon fonctionnement en sa qualité d’autorité de poursuite pénale au sens de l’art. 12 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0).

6) Suite au refus du MP, l’A______ a, le 16 juin 2014, saisi le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : PPDT) en vue d’une médiation.

7) Après divers échanges entre le PPDT et le MP, deux dates en vue d’une séance de médiation entre les parties ont été arrêtées pour le 27 août 2014 puis pour le 3 septembre 2014.

8) Le 29 août 2014, le MP a demandé au PPDT de suspendre la médiation jusqu’à droit jugé au motif qu’il allait prochainement rendre une décision de principe concernant une autre demande analogue. Cette requête a été refusée le 1er septembre 2014 par l’A______.

9) Vu le refus du MP de communiquer ses directives internes dans le cadre d’une autre affaire relayée par la presse, les parties ont accepté, fin septembre 2014, de ne pas procéder à une médiation. L’A______ a demandé la notification d’une recommandation du PPDT aux parties dans les meilleurs délais.

10) Dans sa recommandation du 16 octobre 2014, la PPDT adjointe a invité le Procureur général à communiquer à l’A______ la directive relative à la politique pénale susmentionnée. Elle a également requis le pouvoir judiciaire de rendre une décision sur la communication dudit document dans les dix jours dès la réception de sa recommandation.

Il n’existait pas de disposition de droit fédéral ou de droit cantonal, qui s’opposait spécifiquement à la communication de la directive litigieuse. Le MP n’avait pas démontré en quoi la transmission de la directive litigieuse représenterait un risque pour la sécurité publique. La question de l’accès à cette directive devait être tranchée en fonction du but qu’elle poursuivait. La directive sollicitée avait pour seul objectif de veiller à la bonne administration de la justice, dans la mesure où elle visait à ce que les sanctions infligées par les différents magistrats du MP puissent, dans toute la mesure du possible, l’être de façon harmonisée. Des situations comparables ne devaient pas être traitées différemment. Il n’y avait dès lors pas lieu de considérer que la sécurité publique serait mise en danger par la communication de ladite directive destinée à veiller à l’application du droit. Aucune des exceptions prévues aux let. a, d et e de l’art. 26 al. 2 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) n’étaient en l’espèce réalisées, faute notamment de contenir des informations dont la révélation pourrait contribuer à la commission d’infractions parce qu’elles décriraient les modes opératoires des criminels ou qu’elles donneraient des indications sur des lieux identifiés comme étant à risque au motif qu’étant dans des zones insuffisamment protégées. L’exception concernant les directives visant à aménager des mesures de surveillance ou de contrôle dans les domaines de la sécurité de l’État et ayant pour but de prévenir la commission d’infractions à des lois ou des règlements, n’entrait pas non plus en ligne de compte. L’accès à la directive litigieuse ne présentait aucun risque pour la sécurité publique.

11) Par décision du 31 octobre 2014, le MP a refusé la demande d’accès à la directive relative à la politique pénale susmentionnée formée par l’A______.

La LIPAD ménageait des conditions particulières aux institutions judiciaires afin de tenir compte de leurs spécificités, ce qui nécessitait un large renvoi aux lois d’organisation judiciaire et de procédure régissant l’activité des tribunaux. L’art. 20 LIPAD se concentrait sur les communications en relation avec les procédures judiciaires, respectivement l’accès à la jurisprudence. Cette disposition se conformait ainsi à la maxime, selon laquelle le magistrat s’exprimait par ses décisions. Elle n’exigeait pas des juridictions qu’elles divulguent les stratégies mises en place dans leurs domaines respectifs d’activité juridictionnelle, ce qui valait au premier lieu pour le MP au vu de sa mission.

Par ailleurs, l’art. 26 al. 4 LIPAD réservait le droit fédéral, en particulier, s’agissant de l’activité du MP, le CPP. Le MP était, en vertu de l’art. 16 al. 1 CPP, responsable de l’exercice uniforme de l’action publique, ce qui comportait une dimension externe (surveillance de la police et exercice des voies de droit contre les décisions des tribunaux) et une dimension interne (harmonisation des pratiques des procureurs). Conformément aux art. 14 al. 3 et 79 al. 2 let. a CPP, et à l’art. 79 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), le MP était, à Genève, organisé de manière hiérarchique, le Procureur général disposant d’un pouvoir de directive à l’égard des procureurs. Ce dernier était notamment compétent pour définir la politique présidant à la poursuite des infractions. Toutefois, les procureurs ne recevaient aucune injonction dans le traitement de leurs procédures en raison de leur indépendance garantie par l’art. 2 al. 1 LOJ. Ils demeuraient libres de s’écarter des prescriptions figurant dans les directives portant sur les sanctions, lorsqu’ils s’y estimaient fondés.

La situation était fondamentalement différente des règles prévalant dans l’administration et ne se confondait pas avec l’effet des ordonnances administratives, car celles-ci s’imposaient avec force obligatoire à tous les membres d’une administration. De plus, les directives du Procureur général n’avaient pas d’effet externe en ce sens qu’elles ne liaient pas les tribunaux, soumis uniquement à l’art. 47 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et aux normes de droit pénal spécial. Le but visé par la LIPAD était de faire connaître au public les règles fondant la pratique de l’administration ; il ne trouvait de ce fait pas application dans le cadre de l’activité juridictionnelle du MP et des tribunaux.

La fixation de barèmes faisait partie de la stratégie judiciaire mise en place par le MP pour combattre la délinquance de masse. Les directives du Procureur général constituaient un moyen parmi d’autres d’aboutir à la formation de la position, dans une procédure donnée, du MP. Le Procureur général devait pouvoir communiquer avec ses procureurs en matière de stratégie pénale en ayant la garantie que ses directives et leur mise en œuvre restent confidentiels, à l’instar des membres d’une autorité collégiale échangeant entre eux en application de l’art. 26 al. 3 LIPAD. En vertu de cette dernière disposition, les documents à caractère juridique adressés par le Procureur général aux procureurs devaient être soustraits à l’avis du public.

Le MP serait placé en position d’infériorité vis-à-vis des prévenus et de leurs avocats, si ces derniers devaient connaître par avance sa stratégie et plus particulièrement les sanctions risquées par leurs clients. L’art. 326 al. 1 let. f CPP n’obligeait pas, y compris pour les peines les plus lourdes et les mesures, le MP à annoncer la sanction qu’il entendait requérir à l’audience. De plus, dans certains cas, la connaissance des barèmes pourrait inciter à l’adoption de comportements illicites, l’auteur incluant dans son raisonnement la sanction annoncée.

Pour ces motifs, la divulgation publique des directives litigieuses constituerait une entrave aux processus décisionnels, une atteinte au déroulement des enquêtes, l’octroi d’avantages indus à des tiers et, en conséquence, un affaiblissement inacceptable de la position du MP en tant qu’autorité de poursuite pénale, en violation respectivement de l’art. 26 al. 2 let. c et al. 3 LIPAD, ainsi que de l’art. 26 al. 2 let. d, let. j et let. a LIPAD.

12) Le 3 décembre 2014, l’A______ a déposé un recours contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation ainsi qu’à ce que le MP lui communique la directive relative à la politique pénale susmentionnée.

Elle contestait les exceptions invoquées par le MP, qui n’étaient pas motivées. La directive litigieuse visait à assurer une certaine harmonisation entre les sanctions infligées par les différents procureurs du MP en cas de situations comparables. Elle veillait à une bonne administration de la justice. Elle ne constituait pas une note au sens de l’art. 26 al. 3 LIPAD car elle contenait des règles de conduite décrétées par le Procureur général, en tant que supérieur hiérarchique, à l’attention des procureurs. Elle devait être qualifiée d’ordonnance administrative interprétative, ayant un effet sur la situation de tiers et définissant la marge d’appréciation, respectivement la latitude de jugement, laissée par la loi à l’autorité d’application. L’art. 47 CP donnait un large pouvoir d’appréciation au juge pour fixer la peine. Le refus du MP était contraire à la LIPAD et à l’art. 11 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) qui disposait que les règles de droit était publiées sous réserve d’un intérêt public prépondérant. La communication de la directive litigieuse ne procurait aucun avantage à la population mais remplirait un but de prévention générale ; la population serait prévenue des sanctions encourues pour certaines infractions et pourrait ainsi adapter son comportement afin de ne pas risquer la sanction encourue.

13) Le 6 février 2015, le MP a conclu au rejet du recours. Rappelant l’existence d’une autre procédure pendante devant la chambre de céans au sujet de la même question de principe, il maintenait son refus de rendre accessible ses barèmes de sanctions. Ceux-ci n’étaient pas des ordonnances administratives interprétatives soumises au droit d’accès, mais une étape dans la formation de la décision judiciaire, et étaient de ce fait soustraits au droit d’accès.

Il développait les arguments de sa décision du 31 octobre 2014, notamment en ce qui concernait le fonctionnement du MP et les règles applicables à l’ordonnance pénale. Celle-ci s’appliquait aux infractions à forte occurrence visées par la directive litigieuse. Elle constituait une simple proposition de jugement et était assimilée à un jugement entré en force uniquement en l’absence d’opposition par le prévenu. Elle était rendue au terme d’une instruction complète. En cas d’opposition à l’ordonnance pénale, la fixation de la peine n’était plus du ressort du MP mais de celui du juge du fond. Le prévenu n’avait pas nécessairement connaissance par avance de la sanction requise par le MP, sous réserve du cas de l’opposition à l’ordonnance pénale. L’acte d’accusation pouvait mentionner la peine requise, mais le MP pouvait aussi ne l’annoncer qu’à l’issue des débats, au moment de son réquisitoire.

La directive litigieuse n’était pas soumise à la LIPAD au vu de sa nature. Émise par le Procureur général à l’attention des procureurs et des collaborateurs du MP, elle avait pour but de favoriser une certaine cohérence dans la mise en œuvre de la répression pénale des infractions à forte occurrence. Elle était à vocation purement interne, constituait un document de travail visant à apporter une aide aux procureurs sans toutefois les lier, et n’était juridiquement pas contraignante en particulier vis-à-vis de l’autorité de jugement saisie de l’affaire suite à une opposition à l’ordonnance pénale, ce qui les distinguait des directives fiscales. Le droit genevois ne donnait aucun droit de regard au Procureur général sur le contenu des ordonnances pénales, ni sur les classements. Le Procureur général formait avec les autres procureurs une juridiction « collégiale ». Le pouvoir hiérarchique du Procureur général s’exerçait en matière d’organisation de la juridiction, et non sur le traitement des procédures. Le procureur pouvait s’écarter du barème proposé dans la directive litigieuse. Cette dernière devait être qualifiée d’acte matériel dépourvu d’effet juridique. Elle n’entrait pas dans la catégorie des ordonnances administratives édictées avec effet contraignant par une autorité en vertu de son pouvoir hiérarchique à l’attention d’agent de l’État, comme c’était le cas des directives fiscales et des ordonnances administratives interprétatives. Celles-ci, bien que dépourvues de force de loi, liaient l’autorité qui les rendait dans la mesure où elles annonçaient la mise en œuvre d’une pratique susceptible de conférer des droits aux administrés en vertu du principe de la bonne foi. Or, la directive litigieuse, contrairement aux directives fiscales ou aux tarifs internes du Tribunal de première instance, ne conférait aucun droit au prévenu, ni à tout auteur futur d’une infraction pénale, ni à la partie plaignante ; ces derniers ne pouvaient se prévaloir de l’égalité de traitement ni de la bonne foi en rapport avec les pratiques répressives du MP.

Le secret des délibérations était une limite au principe de transparence institué par la LIPAD ; son non-respect pourrait conduire à altérer le bon fonctionnement d’une autorité judiciaire et porter atteinte à l’indépendance du juge, qui ne devait pas être soumis à des pressions. Le processus judiciaire conduisant aux décisions était uniquement public dans la mesure de sa compatibilité avec les règles procédurales régissant la publicité. L’art. 20 al. 4 LIPAD n’exigeait pas d’une juridiction de jugement qu’elle rende publiques les étapes internes jalonnant le processus par lequel le juge aboutissait à rendre son jugement, ni les éventuelles aides à la décision telles que des modèles, des considérants-types ou des directives internes. Imposer la publicité des barèmes conduirait à exiger que toutes les juridictions communiquent toutes les aides à la décision, ce qui n’était pas acceptable en termes d’indépendance de la justice. De plus, la directive litigieuse tendait à favoriser une certaine cohérence dans l’exercice par le MP de son pouvoir juridictionnel en vertu duquel il disposait de la faculté de rendre des ordonnances pénales. Le Procureur général et les procureurs devaient pouvoir communiquer entre eux et coordonner les activités du MP par l’entremise d’échanges à caractère strictement interne, comme le commandaient les impératifs de sécurité et de fonctionnement du MP. La directive litigieuse était assimilable aux notes échangées au sein d’une autorité collégiale visées à l’art. 26 al. 3 LIPAD. Par ailleurs, le fait qu’une copie de la directive litigieuse soit transmise à la police ne modifiait nullement le fait qu’elle ne devait pas être communiquée à des tiers. Cette transmission intervenait au titre de directive à l’intention de la police, soumise à la surveillance et aux instructions du MP pour toutes ses activités impliquant des enquêtes sur la commission d’infractions. L’action de la police devait se conformer à la politique criminelle, dont la mise en œuvre relevait du MP, et constituait un rouage inhérent à la sauvegarde de la sécurité publique et à la sécurité de l’État. Par conséquent, au vu de la nature de la directive litigieuse qui touchait au processus judiciaire mis en œuvre par le MP lorsqu’il rendait des ordonnances pénales, elle devait être soustraite au champ d’application des principes de publicité et de transparence.

À titre subsidiaire, la chambre administrative devait reconnaître l’existence d’un intérêt public prépondérant au sens de l’art. 26 al. 1 et 2 LIPAD à soustraire la directive litigieuse au droit d’accès. En effet, la publication de la directive litigieuse rendrait publics les barèmes et pratiques destinés à un usage interne en vue d’assurer une certaine uniformité de la politique criminelle menée par le MP et les quarante-quatre magistrats formant ce dernier et tendant à lutter contre la délinquance, tant par le biais de la poursuite des infractions (répression) que par la prévention. La directive litigieuse concernait ainsi des enjeux importants qui étaient la sécurité de l’État et la sécurité publique, exceptions permettant de déroger au droit d’accès en application de l’art. 26 al. 2 let. a LIPAD. La situation du MP n’était pas comparable à celle d’une administration ordinaire, avec les exigences et la pratique desquelles les administrés souhaiteraient adapter leur comportement. L’accès de la directive litigieuse donnerait aux auteurs d’infractions visées par celle-ci, à savoir les petits délinquants, les barèmes à disposition du MP en vue de sanctionner lesdites infractions. Ces derniers pourraient planifier leurs prises de risques suivant les sanctions prévues pour les infractions mentionnées dans la directive litigieuse, ce qui serait contraire au but même de la poursuite pénale.

L’accès à ladite directive reviendrait à contraindre le MP à annoncer à l’avance les peines requises pour les infractions à forte occurrence, alors que la publicité des procédures d’ordonnance pénale était prohibée par l’art. 69 al. 3 let. d CPP et que le CPP n’obligeait pas, dans les procédures ordinaires, le MP à mentionner les peines requises dans l’acte d’accusation mais seulement au moment du réquisitoire. La communication de la directive litigieuse permettrait aux petits délinquants de connaître la sanction à laquelle ils s’exposaient plus tôt que d’autres prévenus tels que ceux jugés pour assassinat et encourant des peines plus importantes. La publication de la directive litigieuse aurait pour conséquence d’affaiblir la politique répressive du MP de manière incompatible avec l’impératif de sécurité érigé en priorité par l’art. 26 al. 2 let. a LIPAD. La stratégie du MP serait d’avance connue par les prévenus et leurs avocats, ce qui entraverait notablement les processus décisionnels du MP et créerait des avantages indus à des tiers en violation des art. 26 al. 2 let. c et j LIPAD. Le CPP ne prévoyait nullement l’octroi de tels avantages au profit de ceux qui commettaient ou étaient susceptibles de commettre des infractions ; l’art. 69 al. 3 let. a et d CPP interdisait la publicité pour la procédure d’enquête préliminaire et l’ordonnance pénale. L’accès à la directive litigieuse fondé sur la LIPAD constituerait une intrusion matérielle du public dans le processus pénal, non prévu par le législateur fédéral, en violation du principe de la primauté du droit fédéral.

Par ailleurs, la publication de la directive litigieuse placerait le MP dans une position délicate car elle était susceptible d’être adaptée aux nécessités du moment et donnerait alors lieu à d’innombrables et constants débats sur la place publique. Ainsi, les exceptions prévues aux let. a, c et j de l’art. 26 al. 2 LIPAD empêchaient l’accès à la directive litigieuse.

14) Le 13 mars 2015, l’A______ a contesté les arguments du MP et maintenu sa position. Il n’existait pas de disposition du droit fédéral s’opposant à la communication de la directive litigieuse. Cette transmission aurait pour effet de mettre en œuvre la prévention générale et garantirait la sécurité publique. Elle n’était d’aucune utilité à la police qui ne rendait pas d’ordonnance pénale. Elle a conclu, à titre subsidiaire, à l’accès à la directive litigieuse, à l’exclusion des uniques passages dont le contenu aurait un intérêt public prépondérant.

15) Le 17 mars 2015, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente contre le refus d’accès aux documents prononcé par le MP suite à l’échec de médiation, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).

Quant à la qualité pour recourir de l’A______, elle doit lui être reconnue dans la mesure où il s’agit d’une personne morale, destinataire de la décision litigieuse et bénéficiaire du droit d’accès aux documents en possession des institutions prévues par l’art. 24 al. 1 LIPAD (art. 60 al. 1 let. a et b LPA). La question de la qualité pour recourir de l’A______ au nom et pour le compte de ses membres peut ainsi rester ouverte. Le recours est donc recevable.

2) Le présent litige porte sur la question de savoir si le MP doit transmettre la directive relative à la politique pénale susmentionnée à la recourante. Cette directive concerne des barèmes de sanctions infligées par les procureurs du MP pour des infractions à forte occurrence susceptibles de conduire au prononcé d’une ordonnance pénale. Selon le MP, ladite directive répond à un besoin de pouvoir communiquer entre ses quarante-quatre magistrats, de manière purement interne et confidentielle, et de coordonner ses activités afin d’assurer une certaine cohérence dans la mise en œuvre de la répression pénale des infractions à forte occurrence et de lutter contre la délinquance de masse. La directive litigieuse vise à apporter une aide aux procureurs, qui demeurent indépendants conformément à l’art. 2 LOJ et libres de s’en écarter dans le cadre du traitement de leurs procédures.

3) La LIPAD est applicable au présent litige, dans la mesure où le MP fait partie du pouvoir judiciaire (art. 1 let. a LOJ) et qu’il est une institution publique visée par l’art. 3 al. 1 let. a LIPAD. La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle a notamment pour but de favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique (art. 1 al. 2 let. a LIPAD). En édictant cette loi, le législateur genevois a renversé le principe du secret assorti d’exceptions prévalant jusqu’alors dans l’administration genevoise, au profit de celui de la transparence sous réserve de dérogations (MGC 2000 45/VIII 7675 ss ; MGC 2001 49/X 9679 ss). Il a érigé la transparence au rang de principe aux fins de renforcer tant la démocratie que le contrôle de l’administration et de valoriser l’activité étatique et favoriser la mise en œuvre des politiques publiques (MGC 2000 45/VIII 7671 ss). Le principe de transparence est un élément indissociable du principe démocratique et de l’État de droit prévenant notamment des dysfonctionnements et assurant au citoyen une libre formation de sa volonté politique (ATA/758/2015 du 28 juillet 2015 consid. 6b ; ATA/341/2015 du 14 avril 2015 consid. 4 ; ATA/805/2012 du 27 novembre 2012 consid. 3b ; ATA/390/2011 du 21 juin 2011 consid. 4 ; ATA/295/2008 du 4 mai 2010 consid. 3). Ce droit trouve depuis 2013 une assise constitutionnelle à l’art. 28 al. 2 Cst-GE ; ni cette disposition ni l’art. 9 al. 3 Cst-GE n’ont cependant une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2015 1C_379/2014 consid. 5.4 ; Bulletin officiel de l’Assemblée constituante genevoise, Tome IV p. 1888 s ; rapport sectoriel 102 du 30 avril 2010 de la Commission 1 « Dispositions générales et droits fondamentaux », p. 49).

4) Bien que le devoir d’information spontanée, prévu de manière générale à l’art. 18 LIPAD et précisé en ce qui concerne le pouvoir judiciaire à l’art. 20 LIPAD, vise également à réaliser la transparence de l’administration genevoise (MGC 2000 45/VIII 7675 ss et 7691 ss ; MGC 2001 49/X 9679 ss), l’objet du présent litige concerne uniquement le droit individuel d’accès aux documents garanti par les art. 24 ss LIPAD, y compris aux personnes morales (art. 24 al. 1 in fine LIPAD). La recourante, association au sens des art. 60 ss CC (art. 1 des statuts A______), est une personne morale disposant de la personnalité juridique (art. 60 al. 1 CC). Elle a formé une demande d’accès à la directive relative à la politique pénale susmentionnée, conformément à l’art. 28 al. 1 LIPAD. Cette requête n’a pas à être motivée, mais doit contenir des indications suffisantes pour permettre l’identification du document recherché. En cas de besoin, l’institution peut demander qu’elle soit formulée par écrit. Le droit d’accès instauré par l’art. 24 LIPAD est un droit reconnu à chacun, sans restriction liée par exemple à la nationalité, à l’âge ou à la démonstration d’un intérêt digne de protection du requérant (MGC 2000 45/VIII 7691). En l’espèce, la demande de la recourante a permis au MP d’identifier l’objet sollicité.

En outre, la demande d’accès doit porter sur un document relatif à l’accomplissement d’une tâche publique au sens de l’art. 25 LIPAD. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, l’objet sollicité ne constitue pas un document au sens de l’art. 25 al. 2 LIPAD, ni, en dépit de sa dénomination par les parties, une directive au sens de cette disposition. La directive litigieuse apparaît comprendre des suggestions de lignes de conduites destinées à l’interne et est dès lors dépourvue de toute force obligatoire. Elle ne saurait avoir pour effet de lier les procureurs du MP, qui sont, dans le canton de Genève, des magistrats indépendants dans l’exercice de leur charge juridictionnelle conformément aux art. 117 al. 2 Cst-GE et 2 LOJ. Ces derniers sont ainsi libres de s’écarter desdites suggestions dans l’exercice de leur charge juridictionnelle. La directive litigieuse est donc un document exclu de la LIPAD au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD.

Par conséquent, la directive sollicitée est soustraite du droit d’accès institué par l’art. 24 ss LIPAD C’est donc à juste titre que le MP a refusé de communiquer cette dernière au recourant. Sa décision du 16 septembre 2014 doit donc être confirmée.

5) Même dans l’hypothèse où l’on retiendrait que la directive litigieuse puisse être qualifiée de document soumis à la LIPAD, la décision du MP de refuser de communiquer ladite directive doit être également confirmée pour les motifs suivants.

a. Afin de garantir la transparence de l’activité des collectivités publiques genevoises, la LIPAD promeut non seulement une politique active d’information et de communication (art. 18 ss LIPAD), mais instaure en outre un droit individuel d’accès aux documents régis par les art. 24 ss LIPAD (MGC 2000 45/VIII 7675 ss ; MGC 2001 49/X 9679 ss). La reconnaissance d’un tel droit individuel est l’innovation principale introduite par la LIPAD. Elle a pour effet de mettre concrètement à disposition des administrés un moyen susceptible d’être invoqué devant les tribunaux afin de contribuer au changement de culture recherché par le législateur dans la LIPAD et de favoriser ainsi la transparence de l’administration genevoise (MGC 2000 45/VIII 7691 ss ; MGC 2001 49/X 9679 ss).

Toutefois, il n’existe pas un droit absolu d’accès aux documents détenus par les autorités genevoises. Le droit d’accès aux documents est soumis à des restrictions prévues à l’art. 26 LIPAD. Ces dernières ont pour but de veiller au respect de la protection de la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (MGC 2000 45/VIII 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9680 ss, 9697 et 9738). Le bon fonctionnement des institutions est une exception qui figurait expressément à l’art. 26 al. 2 let. a du projet de loi relatif à la LIPAD préparé par le Conseil d’État (MGC 2000 45/VIII 7649). Cette exception a, lors des travaux préparatoires, été supprimée pour un double motif. D’une part, elle se trouvait déjà exprimée plus adéquatement tant au travers de la notion d’intérêt public prépondérant prévue à l’art. 26 al. 1 LIPAD que de plusieurs des notions et exemples figurant à l’al. 2 de cette disposition. D’autre part, érigée en motif spécifique, elle risquerait de se prêter à une interprétation extensive propre à vider la loi de sa substance (MGC 2001 49/X 9697).

b. L’application desdites restrictions implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9680). Selon l’art. 26 al. 1 LIPAD, les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose sont soustraits au droit d’accès institué par la LIPAD. Ces deux notions d’intérêt public ou privé prépondérant se trouve explicitées, à l’art. 26 al. 2 LIPAD, de façon détaillée, mais non forcément exhaustive, par des notions plus précises, quoique nécessairement encore générales et abstraites (MGC 2001 49/X 9697). Si la transparence doit être en premier lieu l’affaire du législateur, une juste pondération doit, au stade de la concrétisation des principes arrêtés, être affinée par les différents acteurs de la mise en œuvre de la législation, notamment par les juridictions compétentes (MGC 2001 49/X 9680).

L’art. 26 al. 1 LIPAD constitue une règle générale. Celle-ci est illustrée exemplativement par l’énumération des cas dans lesquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose à la communication d’un document (MGC 2000 45/VIII 7694 ; MGC 2001 49/X 9697). Tel est, en vertu de l’art. 26 al. 2 LIPAD, le cas, notamment, lorsque l’accès aux documents est propre à : mettre en péril la sécurité publique (let. a), entraver notablement le processus décisionnel d’une institution (let. c), compromettre l’ouverture, le déroulement ou l’aboutissement d’enquêtes prévues par la loi (let. d), ou rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives (let. e). Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).

c. Enfin, l’art. 27 LIPAD est, dans ses quatre alinéas, une concrétisation du principe de la proportionnalité (MGC 2000 45/VIII 7699 ss). Pour autant que cela ne requière pas un travail disproportionné, un accès partiel doit être préféré à un simple refus d’accès à un document dans la mesure où seules certaines données ou parties du document considéré doivent être soustraites à communication, en vertu de l’art. 26 LIPAD (art. 27 al. 1 LIPAD). Les mentions à soustraire au droit d’accès doivent être caviardées de façon à ce qu’elles ne puissent être reconstituées et que le contenu informationnel du document ne s’en trouve pas déformé au point d’induire en erreur sur le sens ou la portée du document (art. 27 al. 2 LIPAD). Le caviardage des mentions à soustraire au droit d’accès peut représenter une solution médiane qui doit l’emporter (MGC 2000 45/VIII 7699).

d. En l’espèce, si la directive litigieuse devait être qualifiée de document soumis à la LIPAD, elle devrait être considérée comme une aide à la décision des procureurs, qui sont des magistrats indépendants au sens des art. 117 al. 2 Cst-GE et 2 LOJ. En tant que document préparatoire visant à assurer une certaine homogénéité de perception parmi les quarante-quatre procureurs sans toutefois les lier, elle participe à la formation interne de la volonté des magistrats dans une procédure donnée et fait donc partie du processus décisionnel conduisant au prononcé d’une ordonnance pénale. Les procureurs demeurent libres de s’en écarter dans le cadre de ce processus. La publication de ladite directive risquerait de lui conférer, aux yeux du public, une portée contraignante pour le magistrat et donc une possibilité de s’en prévaloir devant les tribunaux, portée qu’elle n’a pas, sans qu’elle soit nécessaire pour respecter les principes de la prévisibilité et de la sécurité du droit, ni ne contribue à la prévention générale davantage que la législation et la jurisprudence pénales publiées. En effet, la directive litigieuse a trait au domaine de la sanction pénale. Une personne adoptant un comportement pénalement répréhensible doit s’attendre à une sanction, dont le minimum et le maximum sont prévus dans la norme publiée, et ce indépendamment de l’existence de cette directive. La sanction est la conséquence d’un comportement pénalement répréhensible du prévenu. Elle n’est le résultat, contrairement à d’autres domaines tels que le droit fiscal ou en matière de subventions, ni de l’absence d’une prestation dont les conditions découlent d’une pratique définie dans une directive non publiée, ni celui d’une obligation imposée à un particulier sur la base d’une directive non publiée. En effet, toute personne est censée adopter un comportement conforme à la loi, sans devoir recourir à la directive litigieuse.

Au vu de ce qui précède, il existe un intérêt public prépondérant au sens des art. 26 al. 1 LIPAD, et en particulier de l’art. 26 al. 2 let. a, c, d et e LIPAD, qui soustrait la directive litigieuse au droit d’accès institué par l’art. 24 LIPAD. Un accès partiel à cette dernière n’est guère envisageable en l’espèce, sous peine de déformer le contenu informationnel de ladite directive. C’est donc à juste titre que le MP a refusé de communiquer cette dernière à la recourante. La décision de cette juridiction du 31 octobre 2014 doit donc être également confirmée pour ces motifs, dans l’hypothèse où elle serait qualifiée de document soumis à la LIPAD.

6) Vu ce qui précède, le recours sera rejeté et le refus d’accès à la directive litigieuse prononcé par le MP, confirmé.

Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 décembre 2014 par l’association A______ contre la décision du Ministère public du 31 octobre 2014 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de l’association A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laurence Mizrahi, avocate de la recourante, au Ministère public, ainsi qu’au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Verniory, Pagan et Torello, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

OPINION SÉPARÉE

(art. 119 Cst-GE et 28 al. 4 et 5 du règlement de la Cour de Justice – RCJ – E 2 05.47)

Il ne m'est pas possible de souscrire à l'opinion majoritaire de la chambre administrative dans la présente affaire, pour les raisons qui suivent.

Selon l'art. 11 al. 2 Cst-GE, les directives se rapportant à des règles de droit sont publiées (et non seulement communiquées sur demande), à moins qu'un intérêt public prépondérant ne s'y oppose. S'il est exact que les dispositions de la Cst-GE n'ont pas une portée plus large que la LIPAD (voir l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 5.4 pour les rapports entre l'art. 28 al. 2 Cst-GE et la LIPAD), cette règle de droit supérieur rappelle néanmoins que la volonté du constituant genevois est d'assurer une large publicité de principe aux directives d'application des lois.

L'arrêt retient (consid. 4) que les directives en cause – qui sont en fait des recommandations faites, à des fins d'uniformisation des pratiques, aux différents procureurs, lesquels restent indépendants dans la conduite de chaque procédure qui leur est attribuée – ne constitueraient pas un document au sens de l'art. 25 LIPAD. L'art. 25 al. 2 LIPAD cite pourtant expressément les directives dans les exemples de documents. Ceci vaut du reste indépendamment de leur force obligatoire pour les agents publics qui les appliquent : pour ne prendre qu'un exemple, les directives de législation publiées par la chancellerie d'État ne constituent que des recommandations aux auteurs de textes législatifs, mais il s'agit clairement d'un document, qui plus est publié sur Internet (www.ge.ch/legislation/directives/main.html).

Quant à l'art. 25 al. 4 LIPAD mentionné dans l'arrêt, il est clairement inapplicable ici, les directives en causes n'étant ni des brouillons, ni des notes personnelles, ni des écrits inachevés, ni des procès-verbaux non approuvés. Pour le surplus, les directives litigieuses revêtent tous les attributs traditionnels du document au sens de l'art. 25 al. 1 LIPAD, puisqu'il s'agit de supports d’information sous forme écrite, détenus par une institution (le MP), et contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (la poursuite pénale). On notera enfin que le MP n'évoque quant à lui pas, dans la décision attaquée, que les écrits en cause pourraient ne pas constituer des documents ; ce n'est qu'au stade de la réponse au recours qu'il invoque que les directives litigieuses ne seraient pas soumises à la LIPAD de par leur nature.

L'arrêt retient en outre à titre subsidiaire, de manière combinée et à mon sens par trop indistincte, l'existence d'un intérêt public prépondérant au refus de communication sur la base des lettres a, c, d et e de l'art. 26 al. 2 LIPAD.

L'art. 26 al. 2 let. a LIPAD concerne la mise en danger de la sécurité publique. Or comme l'a fait valoir la PPDT adjointe dans sa recommandation du 16 octobre 2014, les directives en cause ne contiennent aucune information de nature à faciliter ou à contribuer à la commission d'infractions pénales, ni à aménager (ou décrire) des mesures de surveillance ou de contrôle de la délinquance. Il n'est dès lors pas possible de discerner en quoi la communication des directives en cause mettrait en danger la sécurité publique.

L'art. 26 al. 2 let. d LIPAD permet de refuser de communiquer un document si cela peut compromettre l’ouverture, le déroulement ou l’aboutissement d’enquêtes prévues par la loi. Or la fixation de la peine, qui est le seul objet des directives litigieuses, intervient lors de la rédaction d'une ordonnance pénale, soit nécessairement après l'aboutissement de la procédure préliminaire et donc de l'enquête prévue par le CPP (art. 299 cum 318 al. 1 CPP). On ne voit dès lors pas quelle place cela peut laisser à la prise en compte de cette exception.

De même, en ce qui concerne l'accès au dossier (art. 26 al. 2 let. e LIPAD), les directives ne font – à l'instar de tous les textes de portée générale applicables – pas partie du dossier pénal au sens de l'art. 100 CPP. Dès lors, on ne comprend pas comment l'accès à ces documents pourrait permettre de contourner les règles prévues par le CPP en matière d'accès au dossier.

L'art. 26 al. 2 let. c LIPAD prévoit quant à lui deux hypothèses : entraver notablement le processus décisionnel ou la position de négociation d’une institution. L'accès aux directives litigieuses ne compromettrait pas le processus décisionnel, dès lors que le MP reste, jusqu'à la mise en accusation, directeur de la procédure (art. 61 let. a CPP), et donc maître dudit processus. Quant à l'entrave à la position de négociation, on peut admettre que la connaissance de barèmes de peine pourrait effectivement restreindre la marge de manœuvre du MP dans le cadre de la procédure simplifiée : mais outre qu'il ne s'agit pas de « négociations » au sens strict, la procédure simplifiée nécessite le renvoi devant un tribunal, et exclut donc le prononcé d'une ordonnance pénale (art. 360 à 362 CPP), objet principal des directives.

Il me paraît d'autant plus difficile de considérer comme données les exceptions qui précèdent, comme de se référer au CPP comme source du refus de communiquer les directives, que plusieurs cantons, et notamment ceux de Berne (Recommandations sur la mesure de la peine, accessibles sous www.justice.be.ch/justice/fr/index/strafverfahren/strafverfahren/formulare_merkblaetter.html) et de Zurich (Strafmassempfehlungen, accessibles sous : http://www.staatsanwaltschaften.zh.ch/internet/justiz_inneres/staatsanwaltschaften/de/Strafverfahren1/ErlasseSVE.html) publient des directives ou recommandations similaires sur Internet (ne se contentant dès lors pas de les communiquer seulement sur demande). Dans les pays qui les connaissent, les sentencing guidelines (applicables alors aux tribunaux et pas seulement aux procureurs) font également l'objet d'une large publication (pour le Royaume-Uni : www.sentencingcouncil.org.uk ; pour les États-Unis d'Amérique : www.ussc.gov).

Enfin, le raisonnement mené dans l'arrêt (consid. 5d) me semble fondé sur deux prémisses erronées. La première serait que la publication des directives en cause leur conférerait une portée contraignante. On ne voit pas ce qui permet d'affirmer cela ; tout au plus peut-on envisager que les justiciables aient – du moins dans un premier temps – tendance à former plus facilement opposition à une ordonnance pénale en cas de sanction plus lourde que celle préconisée dans les directives.

La seconde prémisse erronée consiste à vouloir discuter la nécessité de communiquer les directives litigieuses par rapport à la prévisibilité des sanctions. En effet, tout comme la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l'administration, du 17 décembre 2004 (LTrans - RS 152.3 ; ATF 136 II 399 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral A-3621/2014 du 2 septembre 2015 consid. 4.1), la LIPAD a pour but de renverser le principe du secret de l'action de l'administration au profit de celui de la transparence, ce qui implique une présomption en faveur du libre accès aux documents. Ainsi, ce qui doit être démontré (par l'administration), c'est l'existence d'un intérêt prépondérant à l'absence de communication. Reprocher au justiciable de ne pas avoir d'intérêt à se voir communiquer le document qu'il demande, que ce soit par souci de prévisibilité de la sanction ou pour tout autre motif, c'est de fait retourner au principe du secret de l'administration.

Il résulte de ce qui précède que le recours aurait à mon sens dû être admis, et les documents litigieux communiqués.

* * * * *

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :