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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4143/2017

ATA/1026/2018 du 02.10.2018 ( AIDSO ) , REJETE

Recours TF déposé le 05.11.2018, rendu le 13.11.2019, IRRECEVABLE, 8C_756/2018
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4143/2017-AIDSO ATA/1026/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 octobre 2018

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL

 



EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1959, a une formation d'architecte d'intérieur et de designer.

2. Le 20 février 2002 a été inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève la société B______ Sàrl (ci-après : B______), au capital social de CHF 20'000.-. M. A______ en était associé gérant pour dix-huit parts de CHF 1'000.- chacune ; Messieurs C______ et D______ étaient associés, pour une part de CHF 1'000.- chacun.

3. Le 30 novembre 2011, M. A______ a déposé auprès de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) une demande de prestations d'aide financière au titre du revenu minimum cantonal d'aide social (ci-après : RMCAS), ayant épuisé son droit aux prestations de l'assurance-chômage.

Il a annexé à sa demande les comptes de B______, en précisant qu'il était déficitaire dans son activité indépendante. Il a également mentionné avoir une créance envers B______.

Des prestations financières lui ont été octroyées par l’hospice à partir de novembre 2011.

4. Les 30 novembre 2011, 27 août 2013, 17 octobre 2014, 13 octobre 2015 et 8 novembre 2016, M. A______ a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général ».

Il y prenait acte que les prestations d’aide financière étaient subsidiaires à toute autre ressource provenant du travail, de la famille, de la fortune ou d’une prestation sociale et s’engageait à, notamment, respecter la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04).

5. Le 18 janvier 2012, l'hospice a adressé un courrier, intitulé « avertissement » à M. A______.

Son statut d'indépendant ne lui permettait pas d'avoir droit au RMCAS mais, au vu de sa situation particulière, un délai au 31 janvier 2012 lui était accordé pour finaliser les démarches concernant sa radiation du RC, sans quoi il serait mis fin aux prestations versées au titre du RMCAS.

6. Le 2 février 2012, M. A______ a déposé une demande d'allocation d'insertion auprès de l'hospice en vue de créer une activité indépendante dès le 1er août 2012 sous forme de création de meubles modulables et composables par l'acheteur. Il a sollicité une allocation de CHF 10'000.- à cette fin, et a notamment joint les comptes de résultat 2009 et 2010 de B______, affichant des pertes respectives de CHF 16'296.90 et CHF 12'998.95.

7. Le 28 février 2012, M. A______ a fait parvenir à l'hospice, parmi d'autres documents, une attestation du RC selon laquelle « l'associé A______ n'est plus gérant ; ses pouvoirs sont radiés ».

8. Par décision du 7 mai 2012, la commission d'attribution des allocations d'insertion a refusé l'octroi d'une telle allocation à M. A______, considérant que son projet ne correspondait pas aux critères d'attribution, car ces aides étaient destinées à la création d'entreprise et non au soutien d'une entreprise existante et déficitaire.

Cette décision a été confirmée sur opposition puis sur recours déposé auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales), le recours de M. A______ par-devant le Tribunal fédéral ayant été déclaré irrecevable.

9. Le 13 mars 2015, M. A______ a écrit à l'hospice à la suite d'un entretien avec son assistant social.

Il a notamment abordé en ces termes la question de sa participation dans B______ :

« je détiens 18 participations sur 20 de la Sàrl B______ que je n'administre plus depuis 2012. Cette société que j'ai fondée en 2002 avec MM. C______ et D______ sur les conseils de D______ et de l’E______ (société fiduciaire et de gérance), pour détenir un brevet dans le domaine du design de mobilier n'est pas rentable pour le moment et, de ce fait, pas en mesure de payer le moindre salaire.

Les bilans fournis montrent que cette société me doit actuellement un montant légèrement supérieur à son capital, somme investie alors dans le processus de protection juridique de mon invention. Cette invention n'est actuellement pas commercialisée car la mise de mobilier sur le marché est ardue et nécessite d'importants moyens financiers.

Le fait de détenir la majorité des participations d'une société qui me doit de l'argent revient à dire que je dois de l'argent à moi-même par le biais d'une structure juridique. Ce n'est qu'une question d'écritures comptables. Vous pouvez dès lors comprendre qu'il m'est quasiment impossible de vendre mes participations, vente qui nécessiterait, pour le surplus, un acte notarié ».

10. Par décision du 18 mai 2015, déclarée exécutoire nonobstant opposition, l'hospice a octroyé à M. A______ des prestations financières, pour une durée de trois mois maximum et à titre d'aide remboursable.

À cette date, il était toujours enregistré au RC comme associé de B______, et possédait un capital de CHF 18'000.- en parts sociales. L'on pouvait certes considérer qu'il ne s'agissait pas là d'un bien facilement réalisable. Pour continuer à bénéficier de prestations d'aide financière, il devait néanmoins, dans les trois mois, renoncer à son statut d'indépendant et rembourser l'hospice à hauteur du produit de la réalisation de ses parts sociales.

11. M. A______ a été mis au bénéfice d’une aide financière ordinaire à partir du 1er juillet 2015.

12. Selon le procès-verbal relatif à l'assemblée générale extraordinaire de B______ du 9 juillet 2015, M. A______ a cédé dix-huit parts sociales à M. C______, avec tous les droits et obligations à ce dernier en tant qu'associé gérant. Le transfert était assujetti à la condition que M. C______ se porte fort pour B______ du remboursement d'une dette de CHF 22'000.- à l'égard de M. A______, selon bilan 2014, à raison de CHF 2'000.- par année, le premier versement étant fixé au mois de janvier 2016 pour l'année 2015.

13. Par lettre du 8 janvier 2016 à B______, mais à l'attention de M. C______, M. A______ a indiqué que la cession de parts opérée en juillet 2015, qu'il pensait permettre de régler sa situation avec l'hospice, n'avait pas été agréée par ce dernier, qui considérait maintenant la dette inscrite en sa faveur au bilan de la société comme constituant une fortune, bien qu'il eût dépensé cette somme pour poursuivre son expérience artistique.

Il abandonnait, au 1er janvier 2016, en faveur de B______ l'entier de la dette de CHF 22'000.- inscrite en sa faveur au bilan 2014 de la société.

14. Le 27 janvier 2016, M. C______, pour B______, a accepté ledit abandon de créance, espérant qu'il règle la situation de M. A______, mais insistant néanmoins sur le fait que les conséquences fiscales de cet abandon augmentaient dangereusement la précarité financière de la société, qui ne subsisterait peut-être pas à cette charge fiscale imprévue.

15. Par décision du 22 février 2016, déclarée exécutoire nonobstant opposition, l'hospice a demandé à M. A______ la restitution de CHF 18'000.-, correspondant à la créance dont il s'était dessaisi.

Suite à l'abandon de la créance, la somme n'était plus considérée comme fortune. L'hospice pouvait dès lors intervenir en sa faveur, mais désormais en prenant en compte le dessaisissement selon l'art. 40 LIASI. En l'occurrence, il s'était dessaisi de CHF 18'000.-, soit le montant de la créance (CHF 22'000.-) moins la franchise de fortune applicable (CHF 4'000.-).

16. Le 6 avril 2016, M. A______ a formé opposition contre la décision précitée.

17. Par décision du 12 septembre 2017, l'hospice a rejeté l'opposition.

Le dessaisissement au sens de la LIASI correspondait en particulier à la renonciation à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique ni contre-prestation équivalente. Il ressortait du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de B______ du 9 juillet 2015 que M. A______ disposait d'une fortune de CHF 22'000.- sous la forme d'une créance équivalente, à la suite du transfert de ses parts à M. C______.

Le 8 janvier 2016, M. A______ avait abandonné en faveur de B______ l'entier de la dette de CHF 22'000.- précitée, abandon de créance qui avait été accepté. En agissant de la sorte, M. A______ avait renoncé à une créance sans obligation juridique ni contre-prestation équivalente ; il s'était donc dessaisi d'une part de fortune, et c'était dès lors à juste titre que l'hospice lui avait demandé le remboursement litigieux.

La proposition faite dans l'opposition par M. A______ d'expliquer à son débiteur qu'il n'avait pas la possibilité de renoncer à cette prestation pécuniaire et de lui demander de la verser malgré tout comme initialement prévu, soit à raison de CHF 2'000.- par an pendant onze ans, était pour le moins surprenante et mettait en exergue la difficulté pour l'hospice de connaître la réelle nature des liens que M. A______ entretenait avec B______, société dans laquelle il avait assuré ne plus avoir d'activité. Une telle proposition ne pouvait être acceptée, les modalités de remboursement choisies par M. A______ lui permettant très opportunément de rester dans les barèmes d'aide de l'hospice, ce qui était contraire au principe de subsidiarité et pourrait même être considéré comme une fraude à la loi.

18. Par acte posté le 13 octobre 2017, M. A______ a déclaré faire opposition (recte : interjeter recours) auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition précitée, concluant à l'abandon par l'hospice de sa prétention en remboursement.

En 2015, il avait mené des discussions avec M. C______ au sujet du remboursement de sa créance. Ce dernier avait proposé de la régler à raison de CHF 2'000.- par an, montant qu'il estimait que la société serait à même de prendre en charge. L'exigence du versement immédiat de la créance, formulée par l'hospice lors d'un entretien en janvier 2016 l'avait profondément surpris ; il aurait préféré en avoir connaissance plus tôt, soit en 2014 ou 2015, et agir en conséquence, étant précisé qu'il avait demandé à diverses reprises à pouvoir consulter le service juridique de l'hospice sur ce point, ce qui lui avait été refusé.

Il avait dès lors imaginé régler le problème lié à cette « fortune » en abandonnant sa créance, ceci pour apprendre par la décision du 22 février 2016 qu'il s'agissait d'un dessaisissement.

19. Le 23 novembre 2017, l'hospice a conclu au rejet du recours, reprenant pour l'essentiel la motivation de sa décision sur opposition.

20. le 27 novembre 2017, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 22 décembre 2017 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

21. Le 22 décembre 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Les allégués de l'hospice donnaient à penser qu'il pratiquait la dissimulation, alors qu'il avait toujours fait scrupuleusement tout ce qui lui était demandé par l'hospice.

22. L'hospice ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 52 LIASI ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recours porte sur la demande de l’hospice faite au recourant de restituer à hauteur de CHF 18'000.- les prestations financières d’aide sociale perçues à partir du 1er avril 2015.

3. La LIASI est entrée en vigueur le 19 juin 2007 sous l’intitulé « Loi sur l'aide sociale individuelle (LASI) ». Le titre a été modifié le 1er février 2012.

4. La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Ses prestations sont fournies sous forme d’accompagnement social et de prestations financières (art. 2 LIASI). Ces dernières sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI) et leurs bénéficiaires doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l’aide financière est subsidiaire (art. 9 al. 2 LIASI ; ATA/288/2010 du 27 avril 2010 ; ATA/440/2009 du 8 septembre 2009).

Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes qui ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève, ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 LIASI). Les conditions financières donnant droit aux prestations d'aide financière sont déterminées aux art. 21 à 28 LIASI.

En contrepartie des prestations auxquelles il a droit, le bénéficiaire s’engage, sous forme de contrat, à participer activement à l’amélioration de sa situation (art. 14 LIASI). Il est tenu de participer activement aux mesures le concernant (art. 20 LIASI), de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière (art. 32 al. 1 LIASI) et de se soumettre à une enquête de l’hospice lorsque celui-ci le demande (art. 32 al. 2 LIASI).

5. a. Si les prestations d'aide financière prévues par la LIASI ont été accordées dans l'attente de la liquidation d'une succession, du versement d'un capital pour cause de décès par la prévoyance professionnelle ou par une assurance-vie, les prestations d'aide financière sont remboursables (art. 38 al. 1 LIASI). L'hospice demande au bénéficiaire le remboursement des prestations d'aide financière accordées depuis l'ouverture de la succession, dès qu'il peut disposer de sa part dans la succession ou du capital provenant de la prévoyance professionnelle ou d'une assurance-vie (art. 38 al. 2 LIASI). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 4).

b. Selon l’art. 40 LIASI, intitulé « dessaisissement et gains extraordinaires », si des prestations d'aide financière prévues par la LIASI ont été accordées alors que le bénéficiaire s'est dessaisi de ses ressources ou de parts de fortunes, les prestations d'aide financière sont remboursables (al. 1). Il en est de même lorsque le bénéficiaire est entré en possession d'une fortune importante, a reçu un don, réalisé un gain de loterie ou d'autres revenus extraordinaires ne provenant pas de son travail, ou encore lorsque l'équité l'exige pour d'autres raisons (al. 2). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 3).

6. Les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière se monte à CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (art. 1 al. 1 let. a du règlement d'exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01).

7. En l'espèce, le recourant fait valoir avant tout son intention, qui était de régler sa situation à l’égard de l'hospice en réduisant sa créance envers B______ afin de rester dans les limites de fortune prévues par la législation genevoise en matière d'aide sociale. Il ne donne toutefois aucun argument juridiquement pertinent qui permette de retenir que son abandon de créance du 8 janvier 2016, opéré sans aucune contrepartie, ne constituerait pas un dessaisissement au sens de l'art. 40 al. 1 LIASI. À cet égard, le caractère relativement peu liquide de sa créance, qui a été reconnu par l'hospice notamment dans sa décision du 18 mai 2015, aurait peut-être pu faire admettre des modalités de cession moins favorables qu'un remboursement immédiat et intégral, mais il ne permet pas d'admettre un abandon total et inconditionnel de cette créance en faveur de la société, quelles qu'en soient par ailleurs les conséquences fiscales pour cette dernière.

Ledit abandon de créance équivalait dès lors à un dessaisissement au sens de l'art. 40 al. 1 LIASI, et c'est ainsi à bon droit que l'hospice l'a considéré comme tel. Les délais prévus à l'art. 40 al. 3 LIASI n'ayant par ailleurs pas expiré, la décision sur opposition attaquée ne peut qu'être confirmée, et le recours rejeté.

8. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA cum art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 octobre 2017 par Monsieur A______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 12 septembre 2017 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :